Erreur 404

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  • Coronavirus : « Notre nation doit montrer sa gratitude envers les étrangers qui affrontent cette crise avec nous »
    #Covid-19 #Migration #Migrant #France #regularisation
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/21/coronavirus-notre-nation-doit-montrer-sa-gratitude-envers-les-etrangers-qui-

    Pour des raisons de justice et de reconnaissance, les sans-papiers méritent de bénéficier d’un droit au séjour, estiment un collectif de personnalités parmi lesquelles Pascal Brice et Louis Gallois, dans une tribune au « Monde ».

  • « On peut craindre que la crise ne renforce l’hégémonie d’Amazon sur le e-commerce », Philippe Moati
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/20/on-peut-craindre-que-la-crise-ne-renforce-l-hegemonie-d-amazon-sur-le-e-comm

    L’économiste Philippe Moati propose, dans une tribune au « Monde », de contrer l’expansion d’Amazon en développant les plates-formes locales d’échanges apparues à l’occasion du confinement.

    Tribune. Le 15 avril, le tribunal judiciaire de Nanterre a ordonné à Amazon de circonscrire pour un mois son activité aux seuls 10 % de produits essentiels. Ce à quoi le leader du e-commerce a répondu par l’annonce de la fermeture de ses entrepôts pour au moins cinq jours, le temps de mener une évaluation des risques sanitaires potentiellement encourus par son personnel.

    L’entreprise a par ailleurs fait part de sa décision de faire appel de la décision du tribunal. Cet épisode nourrit le « Amazon bashing » que l’on voyait monter déjà depuis plusieurs mois. Sera-t-il en mesure d’entraver la dynamique de croissance du géant américain et de remettre en question sa position dominante sur le marché du e-commerce ? Rien n’est moins sûr.

    On le sait déjà, les plates-formes numériques seront les grandes gagnantes de la crise que nous traversons, et le risque est grand que le mécanisme qui fait que le succès appelle le succès – ce que les économistes appellent les effets réseaux – ne conduise à conforter encore la domination des leaders. Alors que les commerces non-alimentaires ont baissé le rideau, le e-commerce est devenu le seul moyen de se procurer ce qui va au-delà des produits du quotidien.

    Meilleure qualité de service

    Certes, peu de consommateurs ont le cœur à faire du « shopping » et beaucoup, craignant les répercussions de cette crise sur leur pouvoir d’achat, surveillent attentivement leurs dépenses. Ceci explique pourquoi le e-commerce, lui aussi, souffre. Selon une enquête réalisée par la Fédération de la vente à distance (Fevad) entre le 23 et le 25 mars, les trois quarts des sites de e-commerce interrogés faisaient état d’un recul de leurs ventes depuis le début du confinement.
    Les plates-formes numériques seront les grandes gagnantes de la crise que nous traversons, et le risque est grand que le mécanisme qui fait que le succès appelle le succès ne conduise à conforter encore la domination des leaders

    Seuls 18 % reconnaissaient un chiffre d’affaires en augmentation. Les sites de e-commerce alimentaires ont été pris d’assaut. Mais aussi les vendeurs d’équipements utiles en temps de confinement : matériel et consommable informatique, petit équipement de sport, livres, matériel de bricolage, jeux et jouets… Une prime, donc, pour les sites qui commercialisent ces produits, notamment les sites généralistes qui couvrent la plupart des univers de consommation et, en particulier, le premier d’entre eux : Amazon.

    Le leader mondial du e-commerce s’est fait discret sur l’évolution de son activité depuis le déclenchement de la crise. On sait cependant qu’il a annoncé le recrutement de 175 000 salariés dans le monde pour faire face à la croissance de la demande. Les membres du panel de consommateurs français que l’ObSoCo suit depuis le début du confinement reconnaissent acheter de plus en plus en ligne… sur Amazon.

    En dépit de la prévention que certains expriment à son égard, il est reconnu comme étant celui qui – de l’étendue de l’offre à la rapidité et à la fiabilité de la livraison – assure la meilleure qualité de service. Fin mars, l’Institut CSA mesurait que, hors alimentaire, Amazon, avec La Poste et Netflix, se classait en tête des marques jugées les plus utiles par les Français.

    Une avance qui se renforce

    Ainsi, peut-on craindre que la crise ne renforce l’hégémonie d’Amazon sur le e-commerce. L’enseigne s’est déjà accaparé près de la moitié du marché du e-commerce outre-Atlantique. En France, selon Kantar, sa part de marché s’établissait à 22 % en 2019. Deux éléments sont particulièrement inquiétants.

    Le premier est l’écart qui sépare le n° 1 de ses challengers. Aux Etats-Unis, le numéro 2, eBay, n’occupe que 7 % du marché. En France, Cdiscount est à 8 %.

    Le second est que, chaque année, l’avance d’Amazon se renforce alors que les concurrents peinent à suivre. eBay a vu son activité reculer à la fin de 2019. En France, si Cdiscount parvient bon an mal an à maintenir sa position, la plupart des autres reculent, alors que la part de marché d’Amazon a gagné trois points en deux ans.

    Le véritable danger pour Amazon ne vient pas de ses challengers mais de son concurrent le plus virulent à l’échelle mondiale, le chinois Alibaba qui, lui aussi affiche en Asie à la fois une position dominante et une croissance insolente. L’entrepôt géant qu’Alibaba s’apprête à faire construire en Belgique en dit long sur ses ambitions sur le marché européen.

    Tous d’origine étrangère

    Amazon devra aussi compter avec Google qui, depuis mi-2018, fait monter en puissance sa place de marché virtuelle place à une vitesse vertigineuse. Enfin, les Facebook, Instagram (Facebook), Youtube (Google), Snapchat, WhatsApp (Facebook) et autre TikTok sont en train d’explorer les potentialités du « social commerce », le commerce lié à l’utilisation des réseaux sociaux.

    Le véritable danger pour Amazon vient de son concurrent le plus virulent à l’échelle mondiale, le chinois Alibaba qui, lui aussi affiche en Asie à la fois une position dominante et une croissance insolente
    Bref, le risque est grand de voir le e-commerce mondial tomber entre les mains d’une poignée de géants du numérique, tous d’origine étrangère. Ce risque dépasse de beaucoup le seul e-commerce : Amazon comme Alibaba ont parfaitement compris que l’avenir est à « l’omnicanalité » – l’utilisation de plusieurs canaux de vente – et ont commencé à se déployer dans le monde du commerce physique.
    Cette offensive tous azimuts soulève la question de la souveraineté des pays européens sur le marché des biens de consommation, à un moment où elle se pose avec une acuité particulière. La décision du tribunal judiciaire de Nanterre ne sera pas, bien sûr, de nature à inverser la dynamique de conquête d’Amazon. Pas plus que la fameuse taxe Gafa. La France et l’Europe ne doivent pas seulement réagir à l’emprise des plates-formes sur un mode défensif en leur mettant des bâtons dans les roues, mais en s’efforçant, sur un mode offensif, de faire naître des alternatives.

    Face à la force des mécanismes cumulatifs qui conduisent à ce que « the winner takes all » (le gagnant prend tout), il est sans doute trop tard pour espérer contrer frontalement Amazon et consorts. Seule une alliance entre de grands distributeurs européens, de puissants logisticiens, des champions de la data et de l’intelligence artificielle, elle-même soutenue activement par une politique industrielle européenne à la hauteur des enjeux, pourrait peut-être obtenir des résultats significatifs.

    Stratégie de focalisation

    Une autre option consiste à occuper les espaces pour l’instant non préemptés par les leaders. Des places de marchés spécialisées, comme ManoMano dans le bricolage, Zalando ou Asos dans la mode, ou encore Vinted dans le vêtement de seconde main, témoignent de l’existence d’un espace pour de telles stratégies de focalisation.

    Une autre faiblesse d’Amazon réside dans sa difficulté à saisir l’attraction exercée aujourd’hui par le local et la proximité. Il y a là l’opportunité de développer un réseau de plates-formes locales et de consolider celles qui sont en train de se créer sous la contrainte du confinement, offrant aux consommateurs un accès à la vente à distance de commerçants de quartier, ainsi qu’à des offres de services aux personnes, permettant une mise en relation des particuliers notamment pour des pratiques de consommation collaborative (occasion, location, covoiturage…), un virage pris récemment par Le Bon Coin.

    Il faudrait pour cela une volonté politique à l’échelon national ou local, et la mobilisation de grands opérateurs disposant des compétences et des infrastructures physiques et numériques pour orchestrer un tel dispositif. Il y a là une formidable opportunité, par exemple, pour le groupe La Poste qui lui permettrait de développer de nouvelles activités en rapport avec ses ressources et de s’affranchir de sa dangereuse dépendance à l’égard des expéditions d’Amazon.

    Puisque l’on ne cesse de dire que rien de ne sera plus jamais comme avant et que la question de la souveraineté économique revient sur le devant la scène, ne négligeons pas les formidables forces de transformation des structures des marchés de consommation qui sont aujourd’hui à l’œuvre et l’urgence qu’il y a à les infléchir dans le sens de nos intérêts et de nos valeurs.

    #capitalisme_de_plateforme #commerce #économie

  • Coronavirus : tirer les leçons de l’exemple allemand
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/20/covid-19-tirer-les-lecons-de-l-exemple-allemand_6037166_3232.html

    Annonce présidentielle à 20 heures dont les ministres apprennent en partie la teneur en même temps que les Français d’un côté, conférence de presse tenue après quatre heures de concertation avec les dirigeants des Länder allemands de l’autre. La différence réside peu dans la nature des mesures annoncées, finalement assez proches, et elle ne se limite pas au style personnel. La pratique des institutions suppose le consensus en Allemagne ; elle incite plutôt à la confrontation en France.
    Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Les hôpitaux n’ont été saturés à aucun moment » : en Allemagne, l’épidémie de coronavirus est « sous contrôle »
    Le bilan plus lourd du Covid-19 en France pèse aussi probablement dans la défiance persistante à l’égard d’Emmanuel Macron. L’Allemagne partait pourtant avec des handicaps quand le virus a commencé à frapper l’Europe : une population âgée et des contacts intenses avec la Chine. A l’inverse, le fait d’être frappée plus tard que ses voisins, la jeunesse et la bonne santé des premières personnes contaminées, skieurs de retour d’Italie ou fêtards de carnaval, pesaient favorablement. Mais le pays a surtout su déployer très rapidement des tests qui ont permis de détecter et d’isoler les personnes contagieuses y compris asymptomatiques. Avec des dépenses de santé comparables à la France, mais deux fois plus de lits de réanimation et une souplesse liée aux structures fédérales, l’exemple allemand pose aussi des questions sur la bureaucratie et la centralisation du système français.

  • Contre le coronavirus, la France devrait mettre en œuvre un plan de prévention sans tarder
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/20/coronavirus-en-france-un-plan-de-prevention-a-mettre-en-uvre-sans-tarder_603

    Le gouvernement semble décidé à casser les chaînes de contamination et à lutter pied à pied contre les reliquats épidémiques. Mais il serait utile de ne pas attendre le 11 mai pour cela, estime dans son analyse Franck Nouchi, chef du service Débats du « Monde ».

    Analyse. Telle qu’elle a été présentée, dimanche 19 avril, durant plus de deux heures par le premier ministre, Edouard Philippe, et le ministre de la santé, Olivier Véran, l’ébauche du plan de déconfinement qui sera proposé aux Français fin avril apparaît à la fois cohérente et complète (compte tenu évidemment de la dramatique pénurie de masques de protection et de kits de tests à laquelle fait face l’Hexagone).
    Le chef du gouvernement l’a bien résumé : les deux objectifs principaux sont à la fois de rétablir la capacité d’accueil des hôpitaux et de limiter au maximum la circulation du virus. Reconnaissant que, d’ici au 11 mai, l’épidémie n’aurait que « fortement ralenti » , Edouard Philippe a eu cette formule : « Nous allons devoir apprendre à vivre avec le virus. » Partant du constat qu’il n’existe pour l’heure ni traitement efficace ni vaccin, il a insisté sur le seul instrument dont on dispose actuellement : « la prévention » .

    Cette prévention, a-t-il expliqué, repose sur trois éléments essentiels : le strict respect des gestes barrières et de distanciation sociale (pour longtemps, a-t-il prévenu), la pratique systématique de tests virologiques lors de l’apparition du moindre symptôme de Covid-19, et « l’isolement des porteurs de virus » .
    C’est la première fois depuis le début de l’épidémie qu’un haut responsable français présente les choses de cette manière. La prise en charge hospitalière des patients n’est plus l’alpha et l’oméga de la doctrine gouvernementale. La lutte contre l’épidémie, en ville, au domicile des patients non gravement atteints, devient également un objectif prioritaire.

    Casser les chaînes de contamination

    Le premier ministre a précisé qu’il reviendra à la personne infectée de choisir entre un isolement à domicile (ce qui la contraindra à un certain nombre d’obligations) et un hôtel mis spécialement à la disposition des patients. Cette méthode, a-t-il fort opportunément expliqué, « est la seule possible » pour casser les chaînes de contamination.
    M. Philippe a insisté sur l’importance du « couple préfet-maire » pour, en particulier, trouver les lieux d’isolement des personnes infectées. Il ne l’a pas dit, mais cela va de soi : outre la mise en place d’une logistique adaptée, ces lieux devront être suffisamment accueillants et confortables pour inciter les personnes concernées à aller y séjourner durant les deux semaines de mise en quarantaine.

    Contrairement au président de la République, qui, le 13 avril, avait semblé écarter l’idée d’un déconfinement région par région – « nous ne sommes pas un Etat fédéral » , avait dit Emmanuel Macron en « off » à quelques éditorialistes –, M. Philippe a clairement envisagé cette hypothèse, en particulier lorsqu’il a parlé des modalités de la rentrée des classes à venir. Les données épidémiologiques de l’organisme de sécurité sanitaire Santé publique France (SPF) montrent qu’il n’y aurait rien d’illogique à cela.

    Selon les régions, la situation de la France apparaît en effet très contrastée. Pour schématiser, il est des territoires où l’épidémie est entrée depuis plusieurs semaines en phase 3 (Ile-de-France, Grand-Est, Bourgogne-Franche-Comté), d’autres où elle est encore en phase 2, d’autres enfin où l’on peut parler de quasi-phase 1 (dans un département comme la Lozère, il n’y a pas eu un seul mort du Covid-19). A partir de ce simple constat, des schémas de déconfinement différenciés selon les régions ou les départements peuvent être envisagés.

    Une très forte disparité régionale

    Prenons pour indicateur le nombre d’hospitalisations pour Covid-19 observé au 14 avril dans chacune des régions et rapportons-le, en pourcentage, au nombre total d’hospitalisations enregistrées dans ces mêmes régions. Que voit-on ? En Ile-de-France, 13 209 personnes sont hospitalisées pour Covid-19, ce qui représente 41 % de l’ensemble des hospitalisations. Dans le Grand-Est, les chiffres sont respectivement de 4 993 et de 16 %. Ailleurs, la proportion des patients hospitalisés atteints de Covid-19 est parfois très faible : 2 % en Bretagne, 3 % en Centre-Val de Loire, 2 % en Normandie, 3 % en Nouvelle-Aquitaine, 3 % en Occitanie… Outre-mer, que ce soit à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe, à Mayotte ou en Guyane, ce pourcentage est inférieur à 1 %.

    Ainsi que le note SPF, « les régions Grand-Est (233/100 000 habitants), Ile-de-France (233), Bourgogne-Franche-Comté (132) et Hauts-de-France (104) sont celles ayant rapporté les plus forts taux d’hospitalisation de patients Covid-19 » . Les autres indicateurs proposés par SPF vont tous dans le même sens, attestant une très forte disparité régionale.

    La carte de l’épidémie de Covid-19 en France
    [...]

    Déconfiner région par région selon un calendrier différencié supposerait de mettre en œuvre des mesures spécifiques, en particulier dans les transports. A quoi cela servirait-il, par exemple, de déconfiner plus rapidement en Nouvelle-Aquitaine ou en Antilles-Guyane, si, dans le même temps, on autorise les trains et les avions à déverser chaque jour, sans le moindre contrôle, des passagers venant de régions où l’épidémie sévit encore ?
    Les images entraperçues ce week-end sur France 2 des passagers d’un vol Paris-Marseille plein à craquer auxquels la compagnie aérienne n’avait pas imposé de mesures de distanciation sociale et de respect des gestes barrières étaient édifiantes. « Ces images ne vous rendent-elles pas un petit peu fou ? » , demanda Laurent Delahousse au professeur Jean-François Delfraissy qui était, samedi soir, l’invité du « 20 heures » de la chaîne publique. « Si, je le regrette profondément » , laissa tomber un rien désabusé le président du conseil scientifique placé auprès de M. Macron.

    Le système hospitalier a finalement tenu

    Annoncé dimanche par le premier ministre, le port obligatoire de masques grand public à partir du 11 mai dans les transports devrait permettre de limiter les risques de transmission du virus. Mais cela ne suffira pas. Il faudra, en particulier dans le métro, le RER et les bus, imaginer d’autres mesures qui garantissent le respect de la distanciation physique entre les passagers.

    Edouard Philippe semble avoir tiré les leçons des erreurs commises au cours du premier trimestre, en particulier dans la prise en charge des trois « clusters » géants de l’Oise, de Mulhouse (Haut-Rhin) et de l’Assemblée nationale.
    Soulagé de constater que le système hospitalier a finalement tenu et conscient du fait qu’il pourrait en être autrement en cas de rebond épidémique, le premier ministre semble décidé à lutter pied à pied contre les reliquats épidémiques. De ce point de vue, en particulier en Ile-de-France et dans le Grand-Est, il serait utile d’accélérer les choses et ne pas attendre le 11 mai pour commencer à mettre en œuvre le plan de prévention dont il a esquissé les contours. A la mi-mai, plus la dynamique de l’épidémie aura été freinée, plus les chances de réussir un déconfinement modulé et progressif du pays seront grandes.

    #prévention #crise_sanitaire #déconfinement #isolement #mobilité

  • Face au coronavirus, « nous sommes tous devenus amérindiens ! », Bruce Albert
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/19/covid-19-nous-sommes-tous-devenus-amerindiens_6037067_3232.html

    L’impuissance des tribus les plus isolées du Brésil face à la maladie est aussi la nôtre. Et notre soif de croissance nous expose à des dangers que l’on croyait appartenir au passé, remarque, dans une tribune au « Monde », l’anthropologue Bruce Albert.

    Tribune. Le 9 avril, le nouveau virus SARS-CoV-2 a fait sa première victime fatale au sein du peuple yanomami. Il s’agit d’un adolescent de 15 ans, issu d’une communauté du bassin du rio Uraricoera au Brésil, envahi massivement par les orpailleurs clandestins.

    Présentant des symptômes respiratoires caractéristiques, le jeune homme, Alvaney Xirixana, dénutri et anémique en raison de crises de malaria successives, a été, pendant 21 jours, renvoyé d’une institution sanitaire à l’autre, avec une simple prescription d’antibiotiques, sans jamais être soumis à un test de dépistage du Covid-19. Il ne sera finalement testé que le 3 avril, après une nouvelle hospitalisation, cette fois dans un état critique nécessitant sa mise sous respirateur et décédera le 9 avril. Alvaney, victime de l’incurie absurde des services de santé locaux, est probablement devenu, bien malgré lui, à la suite des nombreux contacts qu’il a pu entretenir durant trois semaines avec les membres de sa communauté, avec ses amis et avec le personnel de santé, un « superdiffuseur » de la maladie. La menace imminente d’un nouveau désastre sanitaire majeur pèse ainsi de nouveau aujourd’hui sur les Yanomami.

    Symbole tragique

    Ce peuple a déjà connu des épidémies meurtrières (notamment de rougeole et d’infections respiratoires) à chaque apparition de nouveaux protagonistes de la « frontière blanche » sur son territoire : dans les années 1940 avec la Commission des frontières, dans les années 1950 avec le Service de protection des Indiens, dans les années 1960 avec les missionnaires évangélistes et, dans les années 1970, avec l’ouverture d’un tronçon de la Transamazonienne. Depuis la fin des années 1980, et régulièrement depuis, son territoire est envahi par des hordes de chercheurs d’or clandestins – ils sont aujourd’hui environ 25 000 −, lesquels sont très probablement à l’origine de ce premier cas de Covid-19, en plus de la propagation (entre autres) du paludisme, de la grippe, de la tuberculose et des maladies sexuellement transmissibles.

    Le cas d’Alvaney Xirixana est le symbole tragique de l’extrême vulnérabilité dans laquelle se trouvent les peuples amérindiens (et tous les peuples autochtones) face à la contagiosité et la virulence du SARS-CoV-2. Déjà massivement contaminés par les Blancs qui envahissent leurs terres pour en arracher minerais, bois ou animaux sauvages, sans accès à une assistance sanitaire décente, ils sont, une fois encore, voués purement et simplement à la décimation dans l’indifférence quasi générale.

    Pourtant, face à cette pandémie, quelque chose a soudain changé : nous nous trouvons aussi désemparés devant le Covid-19 que les Yanomami l’ont été – et le sont encore − devant les épidémies létales et énigmatiques ( xawara a wai ) que notre monde leur a infligées jusqu’à ce jour. Nous savons peu de chose de cette maladie ; nous ne possédons ni médicaments ni vaccins pour l’enrayer. Nous en sommes donc réduits à nous confiner chez nous avec nos familles dans l’espoir d’y échapper, avec autant d’anxiété et d’impuissance que les anciens Yanomami lorsqu’ils s’isolaient autrefois par petits groupes dans la forêt pour tenter d’échapper à Xawarari , l’esprit cannibale de l’épidémie.

    « Le peuple de la marchandise »

    Cette catastrophe sanitaire devenue commune, causée par l’émergence d’un nouveau virus zoonotique issu de la déforestation et de la marchandisation des espèces animales sauvages, doit aujourd’hui, plus que jamais, nous donner à penser. Par sa destruction acharnée des milieux forestiers, de leur biodiversité et des peuples autochtones qui en sont les habitants avisés, le « peuple de la marchandise » que nous sommes (selon l’expression du chaman yanomami Davi Kopenawa) devient sa propre victime en retournant sur lui-même les conséquences de son hybris prédatrice.

    Il devient ainsi évident que le sort funeste que nous avons réservé aux peuples amérindiens jusqu’à présent − dont nous continuons à laisser dévaster aveuglément les terres − n’aura finalement été qu’une préfiguration de ce que nous nous infligeons aujourd’hui à nous-mêmes, cette fois à l’échelle planétaire. Comme le rappelait avec sagesse Claude Lévi-Strauss en dénonçant le « régime d’empoisonnement interne » dans lequel s’est fourvoyé Homo industrialis : « (…) tous indiens désormais, nous sommes en train de faire de nous-mêmes ce que nous avons fait d’eux » .

    Bruce Albert est un anthropologue, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. Il a coécrit avec Davi Kopenawa La Chute du ciel. Paroles d’un chaman Yanomami (Pocket : Terre humaine poche, 2014).

    #crise_sanitaire #peuple_de_la_marchandise #anthropologie

  • « L’âpre combat d’une équipe médicale face à un virus indomptable » : quand un infectiologue raconte ses indignations
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/18/l-apre-combat-d-une-equipe-medicale-face-a-un-virus-indomptable-quand-un-inf

    Dans sa chronique, Frédéric Potet, journaliste au « Monde », revient sur le carnet de bord tenu au temps du Covid-19 par le professeur Louis Bernard, praticien au service des maladies infectieuses du CHU de Tours.

    Chronique. Le matin tôt, avant de partir sauver des vies à l’hôpital, le professeur Louis Bernard écrit. L’aube ne va pas tarder, le café coule dans la machine : stylo à la main, le praticien relate sa journée de la veille au service des maladies infectieuses du CHU de Tours, unité qu’il dirige depuis 2009. Publié sur le site Internet de France Bleu Touraine, son « Journal d’un médecin » n’est qu’un témoignage parmi d’autres au milieu du grand feuilleton national des ravages du Covid-19, qu’offrent à lire les médias depuis le début de l’épidémie. Celui-ci prend aux tripes, il émeut et bouscule. Louis Bernard a la plume aussi acérée que la lame d’un bistouri.

    Ecrits au présent, ses courts billets racontent l’âpre combat d’une équipe médicale face à un virus indomptable, qualifié, ici, d’ « araignée tissant inexorablement sa toile au milieu des poumons » , là de « loup » frappant aux portes des bergeries que sont les Ehpad. Agé de 57 ans, le professeur Bernard dépeint également une autre bataille, celle qu’il mène au jour le jour contre un ennemi de l’intérieur : les normes, ces « fichues normes » qui l’empêchent d’exercer la médecine comme il le souhaiterait, dans l’urgence d’une situation exceptionnelle.

    Alors le médecin s’indigne. Il s’indigne contre l’interdiction faite aux proches d’une malade, à l’article de la mort, de lui « tenir la main jusqu’au dernier souffle » . « Nous pouvions équiper la famille, l’habiller, la protéger de l’épidémie. Où était le problème ? » , s’offusque le praticien. La dame s’est éteinte dans la solitude : « Son corps a été mis dans un sac. Hermétique. Selon les normes. Une mise en bière immédiate. Selon les normes » , écrit-il.

    Découverte de « l’horreur »

    Louis Bernard s’indigne également d’ avoir dû attendre trois semaines, et la rédaction d’un décret ministériel , pour pouvoir monter une structure d’intervention dans un Ehpad situé à seulement 700 mètres de l’hôpital Bretonneau, où il exerce. Quand il finit par pénétrer dans le bâtiment avec une équipe de gériatres, d’infectiologues et de spécialistes en soins palliatifs, il découvre « l’horreur » : cinq morts, 26 retraités positifs, dont 10 graves, un tiers du personnel touché, des résidents ne pouvant « avoir accès à l’eau, aux soins, faute de professionnels pour les accompagner » , constate-t-il.

    « J’appelle les services de l’Etat pour expliquer et demander de l’aide. Réponse : “Oui, oui, nous sommes au courant, nous allons prendre des mesures.” Quand ? Où est la réserve sanitaire ? Pourquoi aucune prévention, aucune réaction ? » , fustige-t-il avant de dénoncer l’indifférence collective dans laquelle se déroulent de pareils drames. « Sur la route du retour, je repense à ces drones qui repèrent ceux qui trichent avec le confinement. Ces drones ne voient pas nos aînés qui tendent leur solitude oubliée vers un verre d’eau. Honte à nous » , assène-t-il dans son carnet de bord.

    Ancien chef de clinique à Paris, Louis Bernard incrimine surtout l’agence régionale de santé (ARS), située à Orléans, à 120 kilomètres de Tours, dont il dénonce, sans ambages, le « grand pouvoir de nuisance » à travers « ces fameuses procédures, totalement anachroniques » , qui « étouffent le bon sens et donc l’efficacité » . Peu importe que la raison impose l’envoi de renforts dans les Ehpad et de tests pour les personnels y travaillant : « La réponse de l’ARS (…) : nous allons évaluer la situation. Faites-nous l’inévitable “retex”. Le retour d’expérience. Encore une procédure » , se désespère l’infectiologue.

    L’inertie du mille-feuille

    A l’instar de son collègue neurochirurgien du CHU de Tours, Stéphane Velut, auteur d’un court essai (L’Hôpital, une nouvelle industrie, collection « Tracts », Gallimard) dans lequel il explique comment le langage des sphères de la communication et de l’économie s’est introduit dans le secteur hospitalier (Le Monde des 22-23 mars), Louis Bernard instruit le procès, plus large, d’une stratégie d’Etat, victime de l’inertie du mille-feuille : « Notre système de santé était déjà à genoux bien avant cette crise. Une restriction, drastique, quotidienne, depuis dix ans. Du pain sec et de l’eau. Une tarification à l’activité. Inadaptée, spéculative, qui s’alourdit encore face à un système pyramidal, amorphe ou peu réactif. Des formulaires à remplir pour tout et pour rien avec pour réponse l’attente. »

    Et le chef de service d’enfoncer le clou : « Jeter à la figure du personnel hospitalier, héroïque en ce moment plus encore que d’habitude, que l’on maintient des projets de fermeture de lits en pleine épidémie est vraiment incroyable. »

    Dans son Journal, Louis Bernard se fend aussi de considérations plus positives. Comme l’admiration qu’il porte aux infirmières, aides-soignantes et assistantes sociales de son service. Ou l’espoir qu’il nourrit dans la transfusion de plasma de patients immunisés, expérience testée à Paris : « Si cela fonctionne, l’histoire pourrait être alors très belle : des enfants porteurs de ce virus de mort le transmettent inconsciemment à leurs parents. Et c’est le sang de ces parents immunisés après avoir développé la maladie que l’on injecterait aux anciens pour les protéger et les sauver. Avec, au finish, une image nocturne souriante : celle de ces enfants, guérisseurs insouciants, courant librement dans un monde moins pollué et plus humain. »

    L’idée de consigner ainsi son ressenti est venue à Louis Bernard « par analogie » , explique-t-il lors d’un entretien téléphonique, en pensant à son grand-père maternel, qui tint un carnet sur le front de la première guerre mondiale. Comme pour Emmanuel Macron, la terminologie militaire fait sens, chez lui, pour combattre le nouveau coronavirus.
    Sa dénonciation « d’un commandement aléatoire possédant une connaissance du terrain médiocre » ne lui a pas valu de remontrances, pour l’heure, de la part de sa hiérarchie. « Je vis Covid. Personne ne va venir me chercher, là où je suis », dit-il en guise de plaisanterie.

    #CHU #Ehpad #ARS #normes #T2A #nuisibles

    • Louis Bernard s’indigne également d’ avoir dû attendre trois semaines, et la rédaction d’un décret ministériel , pour pouvoir monter une structure d’intervention dans un Ehpad situé à seulement 700 mètres de l’hôpital Bretonneau, où il exerce. Quand il finit par pénétrer dans le bâtiment avec une équipe de gériatres, d’infectiologues et de spécialistes en soins palliatifs, il découvre « l’horreur » : cinq morts, 26 retraités positifs, dont 10 graves, un tiers du personnel touché, des résidents ne pouvant « avoir accès à l’eau, aux soins, faute de professionnels pour les accompagner » , constate-t-il.

      l’équivalent au canada soulève actuellement un tollé, en france quedalle

  • « Il nous faut réussir le tour de force de transformer la situation en prélude à la reconversion écologique de nos sociétés » - Dominique Méda
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/18/dominique-meda-penser-l-apres-une-chance-a-saisir_6036993_3232.html

    Dans sa chronique, la sociologue avertit que la pandémie de Covid-19 doit être comprise non pas comme une catastrophe naturelle dont il faudrait juste éviter qu’elle ne se reproduise, mais comme un coup de semonce exigeant une bifurcation radicale.

    Chronique. Le 15 mars 1944, en pleine seconde guerre mondiale, le Conseil national de la Résistance (CNR) publiait un court document de quelques pages – son programme – qui présentait à la fois « un plan d’action immédiate » et « les mesures destinées à instaurer, dès la libération du territoire, un ordre social plus juste ». La même année, William Beveridge, l’auteur du célèbre rapport qui avait dessiné dès 1942 les contours du Welfare State (« Etat-providence »), précisait dans une autre publication majeure toute teintée de keynésianisme, Full Employment in a Free Society, l’ensemble des politiques économiques et industrielles à mettre en œuvre dès la sortie de la guerre pour organiser le monde d’après sur des principes en rupture radicale avec ceux qui avaient conduit au désastre. Le 10 mai 1944, la Conférence générale de l’Organisation internationale du travail, réunie à Philadelphie (Pennsylvanie), adoptait à l’unanimité une déclaration qui établissait les fondements du consensus de Philadelphie.

    Dans la plupart des pays occidentaux, la reconstruction s’est opérée en prenant appui sur ces principes, formulés au cœur même de la crise par ceux qui avaient compris que les leçons devaient être tirées au plus tôt non seulement pour raviver l’espérance et mobiliser les énergies mais aussi pour éviter que la coalition des intérêts particuliers ne fasse obstacle aux transformations nécessaires. C’est bien dès aujourd’hui qu’il nous faut engager la bataille pour éviter le retour du « business as usual » , et pour que l’événement que nous sommes en train de vivre soit compris non pas comme une catastrophe naturelle dont il faudrait juste savoir éviter le retour – par exemple en érigeant partout des murs et des frontières –, mais comme un coup de semonce exigeant une bifurcation radicale.

    Les dégâts de la croissance

    L’irruption du virus a révélé au grand jour les dysfonctionnements majeurs de nos sociétés, et tout à la fois, leur immense fragilité et la folle confiance dans le génie humain qui leur a fait outrepasser toutes les limites. Juste avant le déploiement de la crise sanitaire, la prise de conscience de l’ampleur de la crise écologique et des dégâts de la croissance avait progressé au point que l’on pouvait espérer que nos sociétés finiraient par s’engager dans la voie de la transition écologique. Le paradoxe est qu’aujourd’hui, la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre que nous cherchions à obtenir est temporairement atteinte en raison de l’arrêt de la production et de la consommation dans une grande partie du monde.

    Cette transition que nous aurions dû organiser sur une ou deux décennies vient de nous être imposée avec une brutalité inouïe : le risque est grand de ce fait qu’au lieu de jouer un rôle d’alerte, cette situation n’incite les gouvernements à pousser comme jamais les feux du productivisme et du consumérisme pour panser les plaies des citoyens et faire repartir l’économie comme avant. Le risque est réel de voir se développer dès la sortie du confinement, du côté des gouvernements, des relances « brunes » massives, et du côté des consommateurs, des pulsions d’achats consolatrices qui contribueront toutes à augmenter la crise écologique dont les conséquences seront pires encore que ce que nous vivons aujourd’hui. Le risque est quasi avéré de voir les légitimes appels à la post-croissance ou à la décroissance balayés d’un revers de main alors que des baisses du PIB massives sont annoncées.

    Il nous faut donc réussir le tour de force de transformer la situation présente en prélude à la #reconversion_écologique de nos sociétés et être capables de penser et d’organiser celle-ci en quelques semaines. L’immense chance que nous avons est que les leçons à tirer de la #crise_sanitaire convergent totalement avec les conditions de mises en œuvre de ce processus : le rôle éminent de l’Etat, de sa fonction d’anticipation et de planification ; la nécessité absolue de relocaliser une partie de nos productions et de réindustrialiser notre pays, « quoi qu’il en coûte », en développant des filières de réparation, de recyclage, de fabrication de biens et services durables permettant de rendre les territoires les plus autosuffisants possible ; l’obligation de rompre avec la division internationale du travail actuelle et le pouvoir exorbitant des multinationales ; l’exigence de réduire considérablement l’éventail des salaires et la béance existant entre la hiérarchie des rémunérations d’une part, et celle de l’utilité sociale, d’autre part ; la nécessité de démocratiser nos entreprises… Nous avons besoin d’un programme équivalent à celui du CNR dessinant les voies que devra suivre notre pays pour organiser une Reconstruction qui soit dans le même temps une Reconversion.

    Tous ceux qui ont profité des recommandations toxiques du Consensus de Washington et de Paris et qui ont tout à perdre d’une reconversion propice à la réduction des inégalités et d’une généralisation de la sobriété s’opposeront sans doute de toutes leurs forces à un tel processus. Mais il est vraisemblable que les classes moyennes et populaires auraient tout à gagner d’un projet qui devrait créer de nombreux emplois notamment dans l’agriculture et l’industrie, mettre au premier plan les métiers essentiels permettant la satisfaction des besoins sociaux et créant de la valeur pour la société plutôt que pour l’actionnaire et promouvoir de nouvelles formes d’organisation du travail.

    Comme en 1944, la conception d’un tel programme ne peut revenir qu’à une large coalition d’acteurs représentatifs de toute la société – parmi lesquels les syndicats, les ONG et les partis politiques – délibérant en assemblée plénière : elle seule saura résister aux forces qui ne manqueront pas de s’opposer résolument à un tel projet.

    #eau_tiède #irénisme (l’économie ne se rend pas)

  • Coronavirus : « Les politiques de précaution en cours en valent vraiment la peine » si les "années de vie perdues", sont "évaluées chacune à environ 100 000 euros" :) - Marc Fleurbaey de Princeton
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/16/coronavirus-les-politiques-de-precaution-en-cours-en-valent-vraiment-la-pein

    L’économiste français Marc Fleurbaey, de l’université de Princeton, présente dans une tribune au « Monde » un modèle assez simple qui permet de comprendre les paramètres de la crise en quelques clics, mais aussi de choisir le degré de priorité que l’évaluation accorde aux personnes défavorisées.

    Tribune. Est-il vraiment utile de prolonger le confinement ? De garder un confinement partiel jusqu’à l’arrivée d’un vaccin ? Serait-il préférable de tester à grande échelle comme l’ont fait les Coréens ? Et, au final, n’en fait-on pas trop, au risque de payer un coût économique excessif ?

    On peut comprendre le rôle et l’importance des paramètres de la crise pandémique et économique que nous vivons avec un modèle assez simple pour entrer dans un tableau Excel. Un tel tableau, réalisé à l’université de Princeton, est librement téléchargeable sur le site https://sites.google.com/site/marcfleurbaey/Home/covid.

    Chaque utilisateur peut modifier à sa guise les paramètres du modèle (taux de transmission et de létalité du virus, comportement de précaution de la population, capacité hospitalière, dates d’arrivée des traitements efficaces et d’un vaccin, valeur de la vie), ainsi que l’ampleur du confinement et des opérations de test au cours de chaque semaine, sur deux ans.

    « Aplatir la courbe » est essentiel

    Le modèle permet de comparer la valeur des vies sauvées à une estimation sommaire du coût économique des politiques de confinement. Le modèle s’applique pour le moment à trois pays : France, Royaume-Uni et Etats-Unis.

    Il y a trop d’incertitude sur des données importantes pour faire des prévisions sérieuses aujourd’hui, mais avec un tel outil on peut mieux saisir la mécanique de la transmission du virus, et des façons de l’arrêter. Voici quelques leçons qui ressortent de cet exercice, tous les chiffres cités ci-dessous se référant au cas français.

    Tout d’abord, le modèle confirme très clairement qu’« aplatir la courbe » est essentiel car les capacités hospitalières seraient débordées (jusqu’à 500 % ou plus) en cas d’arrivée brutale d’une vague de malades. Cette importance croît avec l’écart de mortalité entre malades pris en charge à l’hôpital et malades non pris en charge, qui n’est pas encore bien estimé mais est vraisemblablement grand d’après l’expérience italienne.

    Ensuite, la différence entre la dynamique spontanée de la pandémie et les résultats de la politique actuelle de précaution est considérable. On peut vraiment diviser la mortalité par dix ou même vingt. Ceux qui diront qu’on en a fait trop quand on verra que les chiffres finaux ne sont pas très différents d’une forte grippe saisonnière seront dans l’erreur. Les morts évitées n’apparaîtront pas dans les statistiques officielles, mais ce modèle en donne une idée.

    Réduction d’activités non essentielles

    Avec les caractéristiques du virus estimées à ce jour (par l’équipe d’Imperial College sur les données européennes), on pourrait avoir au moins 400 000, et même près d’un million de morts en France, même en tenant compte des précautions prises spontanément par la population quand la mortalité augmente.

    Le modèle montre aussi comment le « serpent » des courbes de la pandémie est très sensible à la durée du confinement. Arrêter le confinement trois ou quatre semaines trop tôt peut tout changer pour les mois qui suivent, et même augmenter la mortalité finale d’environ 50 % à 80 % selon la contagiosité du virus. En effet, le virus a besoin de deux choses pour prospérer : un grand nombre de personnes infectieuses pour se répandre, et un grand nombre de personnes non immunisées pour l’héberger.

    Allonger le confinement garde un grand nombre de personnes sans immunité, ce qui est dangereux et peut provoquer une reprise de la vague, mais il diminue considérablement la dissémination du virus dans l’environnement. Si on parvenait à bloquer tout contact pendant le temps qu’il faut pour que chaque famille ait éliminé le virus, le problème serait réglé. C’est malheureusement trop difficile et coûteux. Mais plus on s’approche de cet objectif, plus on prive le virus de l’accès à de nouveaux hôtes.

    Vaut-il mieux quelques périodes brèves de confinement sévère ou bien maintenir, après la première phase actuelle, un confinement partiel pour les activités non essentielles, jusqu’à l’arrivée d’un vaccin ? C’est plus difficile à dire, car cela dépend à la fois de la contagiosité du virus et du coût économique des différentes formes plus ou moins brutales du confinement. Si l’on peut trouver des formes de réduction d’activités non essentielles qui ne sont pas trop coûteuses économiquement, il serait dommage de s’en priver. Encourager le télétravail paraît particulièrement recommandé.

    Coût économique moindre

    Le modèle montre aussi l’intérêt de tester de façon précoce les personnes pour réduire la période pendant laquelle elles sont contagieuses et au contact d’autres personnes. Si l’on pouvait diminuer progressivement, jusqu’à 50 %, l’exposition au virus que les personnes infectieuses imposent à leurs contacts, ce serait un atout considérable, permettant de diviser par cinq la mortalité finale. En outre, le coût économique de cette politique est bien moindre que l’arrêt provoqué par le confinement généralisé et aveugle.

    Enfin, le modèle propose une évaluation du coût sociétal de la crise, en intégrant à la fois la mortalité et le coût économique, ainsi que les inégalités sociales face à la mortalité et à la perte de revenu. Mettre un chiffre sur la valeur des années de vie perdues paraît choquant à première vue, mais cela est nécessaire pour faire les arbitrages en matière de sécurité publique, et chacun de nous fait cet arbitrage en décidant de prendre les risques usuels de la vie courante.
    Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Le coût intégral d’un mois de confinement pourrait atteindre 150 milliards d’euros »
    Que disent les chiffres ? Les politiques de précaution en cours en valent vraiment la peine, quelle que soit la méthode retenue. Un calcul brut du nombre d’années de vie perdues, évaluées chacune à environ 100 000 euros, donne une perte due à la mortalité de 20 % à 40 % d’une année de produit intérieur brut (PIB), selon les scénarios de virulence. Le calcul le plus complet estime le bien-être des différentes catégories sociales (quintiles de revenu) sur l’ensemble de la vie et la façon dont il est réduit par cette crise : les victimes du virus, qui sont en moyenne des personnes âgées, perdent néanmoins près de 30 % de bien-être sur l’ensemble de leur vie à cause de cette #mortalité_prématurée.

    Le modèle permet de choisir le degré de priorité que l’évaluation accorde aux personnes défavorisées, et donc de saisir l’intérêt d’un système de santé qui couvre bien les moins riches (impliquant une mortalité moins inégale entre catégories sociales) et de politiques économiques qui répartissent le coût du confinement plus équitablement.

    Marc Fleurbaey est spécialisé dans l’économie du bien-être et de l’économie normative. Il est coauteur du « Manifeste pour le progrès social » (La Découverte, 2019).

  • Tribune de la faim. « Privés de jobs, cloîtrés, les étudiants les plus démunis sont tenaillés par la faim et l’angoisse »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/15/universite-prives-de-jobs-cloitres-les-etudiants-les-plus-demunis-sont-tenai

    Ils et elles sont des milliers actuellement confinés dans des conditions dramatiques, dénoncent dans une tribune au « Monde » plus d’un millier d’universitaires.

    Tribune. La faim. Vous avez bien lu. C’est elle qui menace les étudiants restés confinés dans les logements de leur centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) ou dans leurs studios de location. Depuis un mois déjà, restaurants universitaires, épiceries solidaires et autres relais d’alimentation habituels ont fermé leurs portes. Les campus déserts prennent l’allure de no man’s land.

    Les étudiants qui le pouvaient ont rejoint leur famille. Mais pas les étrangers, pas ceux qui vivent loin de leurs proches ou « en rupture de ban », pas les précaires enfin. Tous ceux-là sont restés isolés, parfois sans connexion Internet, voire sans ordinateur – à plusieurs kilomètres du premier supermarché, s’il peut encore leur être utile. Privés de leurs jobs étudiants, ils n’ont d’autre choix que de rester cloîtrés, tenaillés par la faim. La faim et l’angoisse. Celle qui naît du sentiment d’avoir été oublié de tous.

    Comment en sommes-nous arrivés là ? Les Crous se félicitent d’avoir adopté des « dispositifs d’urgence » : distributions de bons d’achat dématérialisés, prises de contact par téléphone, mises à disposition de paniers repas… En réalité, tributaires de leurs méthodes de recensement et d’évaluation sociale, de tels dispositifs ont moins apaisé la faim que la mauvaise conscience.

    La mobilisation de la société civile

    Leurs rouages se sont empêtrés dans des monceaux de formulaires et de pièces justificatives, interdisant à nombre d’étudiants d’accéder aux soutiens auxquels ils ont droit. Aux lourdeurs administratives et au manque de moyens, humains et financiers, s’est ajoutée l’absence d’information claire et accessible : serveurs saturés, standards téléphoniques occupés, aucun affichage papier sur les campus, assistantes sociales en sous-effectif…

    Pis, loin de prendre la mesure de l’urgence, le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) aggrave les conditions de vie des plus vulnérables en exonérant de loyer seulement les étudiants qui ont pu regagner leur foyer familial. Tous ceux qui n’ont pu faire autrement que de rester sont mis en demeure de payer. Or, ce sont précisément les plus démunis, ceux que le confinement plonge dans la déréliction.

    Face à cette incurie, la société civile s’est mobilisée. Sur le campus bordelais, par exemple, un collectif composé d’étudiants, de doctorants et de maîtres de conférences s’est constitué pour venir en aide aux étudiants. Grâce aux dons recueillis en ligne, le collectif « Solidarité continuité alimentaire Bordeaux » a livré près de 800 colis alimentaires, sur environ 950 demandes enregistrées. Son action courageuse, menée dans le respect des mesures sanitaires, a été couverte par la presse.

    Besoin d’une aide d’urgence organisée par le gouvernement

    Des actions comparables prennent forme ailleurs. Comble de malchance, la cagnotte en ligne ouverte par le collectif a été bloquée, le gestionnaire du site arguant de mesures de sécurité. Ce blocage a contraint les bénévoles à œuvrer sur leurs deniers personnels, puis à suspendre leurs activités, le 10 avril. Depuis, les demandes continuent d’affluer, sans aucune réponse possible. Certains étudiants ont maintenant passé plusieurs jours sans manger…

    Ce qui est fait pour les sans-domicile-fixe et dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ne l’est toujours pas pour ces invisibles. Question aux universités : pourquoi n’ont-elles pas débloqué d’urgence leurs fonds de solidarité étudiants ? Même si certaines universités ont déjà mis en place des actions d’aide sociale, elles ne sauraient, vu l’ampleur des besoins, se substituer à une aide d’urgence organisée par le gouvernement.

    Quand les pouvoirs publics responsables ne répondent plus et que les bonnes volontés sont dans l’impasse, comment éviter l’escalade ? Isolés, sous-alimentés, incapables de payer leur loyer, a fortiori de continuer d’étudier, certains ont perdu tout espoir. Comment les empêcher de craquer ? Des cas de suicide ou de décès sur les campus ont été déjà été signalés dans la presse. Ces tragédies augurent-elles de la catastrophe à venir ? Que faire pour empêcher le pire d’arriver ?

    Porter assistance aux étudiants

    Les solutions ne peuvent venir que des responsables au plus haut niveau : ceux qui ont entre leurs mains le pouvoir de décider. Autrement dit, le Cnous et le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, dont il dépend. C’est à eux qu’il revient d’agir vite, c’est eux que nous interpellons !

    Nous proposons les mesures suivantes : l’annulation immédiate de tous les loyers Crous ; la simplification et l’accélération de toutes les procédures d’aide alimentaire, financière, et informatique, associée à une communication sur le terrain ; la mise en œuvre d’une assistance psychosociale adaptée ; enfin, et il s’agit du simple bon sens, la subordination de la « continuité pédagogique » à la certitude de pouvoir manger à sa faim.

    Car exiger d’étudiants qu’ils continuent d’apprendre et d’être évalués le ventre vide n’est pas seulement absurde, mais cruel et inhumain. C’est ajouter à la peur du lendemain l’angoisse d’échouer. Face à cette pression intolérable, c’est la vie de milliers d’étudiants qui est aujourd’hui menacée. Comme notre président s’y est engagé dans son allocution du 13 avril, il revient au gouvernement de leur porter assistance. Maintenant.

    Premiers signataires : Etienne Balibar, professeur émérite de philosophie politique, université Paris-10-Nanterre ; Ludivine Bantigny, maîtresse de conférences en histoire contemporaine, université de Rouen ; Marc Crépon, directeur de recherches en philosophie, CNRS/ENS/PSL ; Pierre Antoine Fabre, directeur d’études, EHESS ; Bernard Friot, professeur émérite de sociologie, université Paris-10-Nanterre ; Mathilde Larrère, maîtresse de conférences en histoire politique du XIXe siècle, université Gustave-Eiffel ; Frédéric Le Roux, professeur des universités, mathématiques, Sorbonne université ; Jean-Claude Monod, directeur de recherches au CNRS) ; Willy Pelletier, sociologue, université de Picardie, coordinateur général de la fondation Copernic ; Guislaine Refrégier, maîtresse de conférences en biologie, université Paris-Saclay ; Marina Seretti, maîtresse de conférences en philosophie, université Bordeaux-Montaigne ; Nathalie Sigot, professeure d’économie, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne ; Barbara Stiegler, professeure de philosophie politique, université Bordeaux-Montaigne ; Constance Valentin, CR CNRS Physique, université de Bordeaux ; Michelle Zancarini-Fournel, professeure émérite d’histoire, université Claude-Bernard-Lyon-1.
    La liste complète des signataires est accessible en cliquant sur ce lien
    https://sites.google.com/view/signataires-tribune-de-la-faim/accueil

    « Les prochaines semaines risquent d’être très compliquées » : confinés et sans job, la vie sur le fil des étudiants précaires, Alice Raybaud, 01 avril 2020
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/04/01/les-prochaines-semaines-risquent-d-etre-tres-compliquees-confines-et-sans-jo

    Alors que près de la moitié des jeunes financent leurs études grâce à des petits boulots, nombreux sont ceux qui se retrouvent en difficultés financières depuis le début du confinement. Des aides se déploient.

    Trois kg de féculents, des conserves et des produits d’hygiène. Tel est le contenu des paniers qui sont distribués, depuis le 18 mars, à des centaines d’étudiants bordelais confinés dans leurs cités universitaires. Gantés, masqués et toujours un par un, ce sont des doctorants, post-doctorants et maîtres de conférences des universités de la métropole qui se chargent bénévolement de la livraison : une urgence face à la situation de « détresse » de certains jeunes, alertent-ils par le biais de leur collectif, Solidarité : continuité alimentaire Bordeaux.

    Suspension des loyers

    « Avec la fermeture des restaurants universitaires, on s’est rendu compte que certains étudiants n’avaient pas mangé depuis quarante-huit heures, raconte un des membres du collectif. Plus que la continuité pédagogique, l’enjeu est surtout, aujourd’hui, celui de la continuité alimentaire. » Le collectif, qui a lancé une cagnotte en ligne, recense à ce jour plus de 650 demandes sur le campus et a effectué 460 livraisons de paniers, principalement dans les logements Crous.
    « Plus que la continuité pédagogique, l’enjeu est surtout, aujourd’hui, celui de la continuité alimentaire », un membre du collectif bordelais
    Au niveau national, 40 % des étudiants qui résident dans des logements du Crous sont restés sur place, indique le Centre national des œuvres universitaires. Ce public déjà fragile ne bénéficiera pas de la suspension des loyers, annoncée pour tous ceux qui ont quitté les lieux pour rejoindre leur famille, et qui ne paieront donc plus leur logement à partir du 1er avril et jusqu’à leur retour.

    « Pour la majorité des étudiants qui nous contactent, la perte d’un job ou d’un stage est venue se rajouter à une vulnérabilité antérieure, ce qui rend leurs dépenses courantes très compliquées », observe-t-on du côté du collectif bordelais, qui demande la suppression des loyers Crous pour tous. Les étudiants aux emplois souvent précaires sont en effet parmi les premiers à pâtir du confinement. Ces pertes de revenus viennent fragiliser des budgets déjà sur le fil, dans un contexte où près d’un étudiant sur deux travaille pour financer ses études, et où un sur cinq vit déjà sous le seuil de pauvreté (IGAS, 2015).

    « Difficile de se concentrer sur les cours »

    Depuis septembre, Marion, 20 ans, étudiante en science du langage à la Sorbonne-Nouvelle, encadrait les enfants de sa ville de Grigny (Essonne) sur les temps périscolaires. « Mais comme je suis en “contrat volant”, c’est-à-dire qu’on m’appelle seulement selon les besoins, je ne toucherai rien jusqu’à la réouverture des écoles », déplore la jeune femme, qui vit dans un appartement avec son père, au chômage, son frère et sa sœur. Ses revenus permettaient de payer les factures et la nourriture de la famille. « Les prochaines semaines risquent d’être très compliquées », s’inquiète Marion, qui cherche sans relâche un autre job dans un magasin alimentaire. Alors qu’elle s’occupe des devoirs de sa fratrie confinée et qu’elle a dû composer quelques jours avec une coupure d’électricité, « se concentrer sur les cours à distance est difficile », confie-t-elle.

    Pour Claire (le prénom a été modifié), 21 ans, en master métiers de l’enseignement à Colmar, c’est « le flou ». « A la bibliothèque où je travaille, on nous a promis de faire le maximum pour que notre rémunération soit maintenue, mais rien n’est encore sûr. L’aide aux devoirs, qui me permettait de payer ma nourriture, c’est devenu impossible, confie-t-elle. Il faudra diminuer les frais de courses. » Juliette (le prénom a été modifié), étudiante en lettres modernes de 20 ans, faisait de la garde d’enfant, sans contrat. Un « bon plan », habituellement. « Mais dans cette situation, cela veut dire : pas de compensation, et je n’ai pas d’économies de côté, souffle-t-elle. Heureusement, je suis confinée chez ma famille en Bretagne, avec moins de dépenses. Je regarde pour bosser dans une agence d’intérim, en usine, mais mes parents ne sont pas rassurés à l’idée de me laisser sortir… »

    Aides sociales d’urgence

    Pour répondre à ces situations de #précarité, les Crous s’organisent pour délivrer davantage d’aides ponctuelles. Dix millions d’euros supplémentaires ont été débloqués, mardi 31 mars, par le ministère de l’enseignement supérieur. « Des directives nationales nous permettent de monter nos dotations jusqu’à 560 euros, à destination des étudiants nationaux comme internationaux, et cumulables avec les bourses », explique Claire Maumont, responsable du service social au Crous de Poitiers, qui observe qu’un tiers des dernières demandes émanent d’#étudiants touchés par une perte d’#emploi et jusque-là inconnus de leurs services. Pour elle, « l’enjeu, dans cette période difficile, est de garder le lien avec nos étudiants : nos services réalisent du porte-à-porte dans les cités universitaires, avec médecin et infirmière, pour nous assurer de la #santé et de l’alimentation de nos résidents. »

    Encouragées par des directives ministérielles, certaines universités mettent également en place des #aides_sociales_d’urgence, à partir des fonds de la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). A l’université de Bordeaux, les étudiants en difficulté peuvent par exemple bénéficier d’une aide mensuelle de 200 euros. « On peut décider d’accorder une aide plus importante au cas par cas, et de délivrer des #bons_alimentaires sous forme de carte prépayée en cas d’urgence », précise Anne-Marie Tournepiche, vice-présidente Vie de campus de l’université, qui s’attend à une « augmentation importante des demandes d’aides financières dans les prochains jours ». En outre, les étudiants #autoentrepreneurs pourront bénéficier de l’aide exceptionnelle de 1 500 euros annoncée le mardi 17 mars par le ministère de l’économie.

    Bons alimentaires, aides ponctuelles des universités… Ces mesures ne seront pas suffisantes sur le long terme pour l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). « Ces aides sont aléatoires selon les établissements, et parfois compliquées à obtenir, explique Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant. Quant aux aides du Crous, débloquer dix millions d’euros apportera un nouveau souffle mais ne permettra pas de répondre à toutes les situations si le confinement se poursuit. D’autant qu’il y aura des répercussions sur la longueur, notamment sur les jobs d’été, qui sont essentiels pour de nombreux étudiants. » L’UNEF, qui demande la mobilisation de fonds étatiques plus « massifs » s’inquiète aussi de la situation des #étudiants_étrangers, « pour la plupart non éligibles aux #bourses et ne pouvant accéder à toutes les aides d’urgences, qui comptaient sur un job pour vivre et sont désormais dans une situation catastrophique », rappelle Mélanie Luce.

    « Les plus précaires au front »

    C’est le cas de Noélia, étudiante péruvienne de 20 ans, en licence d’espagnol à la Sorbonne-Nouvelle. Grâce à un #job de baby-sitter, en contrat étudiant sur une #plate-forme en ligne, elle arrivait jusque-là « plus ou moins » à gérer ses mois. Mais depuis que Noélia ne peut plus entrer en contact avec l’enfant qu’elle gardait, la plate-forme ne lui a facturé aucune heure.

    « Je ne sais pas si j’aurai le droit au #chômage_partiel. J’ai demandé mais n’ai toujours pas reçu de réponse. Je n’ai plus d’économies car j’ai tout dépensé avec une maladie pour laquelle je suis allée à l’hôpital le mois dernier. Heureusement, je suis hébergée par des amis, mais comment est-ce que je vais faire pour continuer à les aider à payer le #loyer et la nourriture ? Et comment être sûre que je pourrai avoir mes papiers français, pour lesquels on m’a demandé de justifier d’un revenu de 650 euros mensuels ? »

    Pour certains étudiants, notamment ceux qui travaillent dans des grandes surfaces, l’arrêt de leur job n’était pas une option. Lucas, 22 ans, a accepté d’augmenter ses heures dans le magasin bio où il travaille. « Cela me permettra de me renflouer », concède-t-il. Solène, 21 ans, a, elle, essayé de faire valoir son #droit_de_retrait dans son magasin de Dourdan (Essonne). « On me l’a refusé, prétextant la mise en place de protections sanitaires. Sinon, c’était l’abandon de poste et je ne peux pas me le permettre, avec le prêt étudiant de 20 000 euros que je viens de contracter. » Solène se rend donc chaque jour au magasin, avec la peur de rapporter le virus chez elle et de contaminer ses proches. Désabusée, elle déplore : « Ce sont les plus précaires, les petits employés, qu’on envoie au front. »

    #confinement #Crous #dette #prêt_étudiant #premiers_de_corvée #premières_de_corvée

  • Economie : « Comment ne pas redémarrer pour tout recommencer ? »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/14/economie-comment-ne-pas-redemarrer-pour-tout-recommencer_6036564_3232.html

    Aujourd’hui, nous n’avons pas choisi de nous arrêter. Mais, comme au début des années 1970, le non-sens – ou plutôt le contresens – de ces modes de vie et de production, la catastrophe vers laquelle ils nous amènent, nous invitent à notre tour à ne plus vouloir redémarrer sans savoir ce qu’il faut redémarrer, ce qu’il faut transformer et ce qu’il faut arrêter absolument.

    Pendant l’épidémie des millions de travailleurs se sont très concrètement interrogés sur l’utilité de leur travail, des millions de personnes se sont interrogés sur l’absence de sens de leur vie d’avant, même si la vie pendant le confinement était difficile. Il nous appartient de faire que ce questionnement s’approfondisse et débouche sur des reconversions très concrètes elles aussi.

    Pendant le confinement, il nous faut continuer ces débats, ces prises de positions, ces échanges sur ce qui ne doit pas continuer comme avant. Il faut trouver les formes pour faire converger ces réflexions. Avec un nouvel agir, mû par le désir de vie et de solidarité nous devons mettre en débat la question de comment terminer le confinement général.

    Ne pas retourner au travail mais retourner dans nos lieux de travail pour y tenir des assemblées où décider de ce que nos productions doivent devenir : être arrêtées ? Réorientées dans un sens soutenable écologiquement, socialement, moralement ; relocalisées en mondialisant autrement, via le développement des coopérations et des solidarités internationales ?

    Ne pas retourner dans les cafés et les restaurants pour relancer la consommation mais pour y tenir aussi des assemblées et en faire les nouveaux « clubs » révolutionnaires de quartier où nous inventerons concrètement le nouveau monde ? Le confinement général doit-il se terminer par une grève générale ? Sortir de chez nous pour ne pas retourner au travail mais dans les rues pour obtenir la démission des pouvoirs en place ?

    Comment ne pas redémarrer pour tout recommencer ? c’est ce dont il faut discuter avant que la folie de nos vies ne nous emprisonne à nouveau.

    #Rêve_général #Jours_heureux