« Les leçons du Sras n’ont pas été tirées »

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    Corée ou à Taïwan, qui ont tiré les leçons de 2003 et du Sras. Taïwan a commencé à faire des tests à partir du 11 janvier dernier, dès que la Chine a livré le séquençage du Sras-2. Certes, ces pays ont sans doute des capacités plus grandes que les nôtres à remonter les itinéraires des gens contaminés et à suivre leurs déplacements, mais notre manque d’humilité et notre méconnaissance du reste du monde nous rendent imperméables à ce que font ces pays considérés comme des démocraties imparfaites et des lieux exotiques. Si on avait été plus attentifs début janvier à ce qui se passait en Chine et aux mensonges des années Sras, on aurait certainement aujourd’hui beaucoup moins de morts, de gens confinés et une économie qui pourrait fonctionner.

    Une autre leçon importante est que même si on sait beaucoup de choses sur les liens entre santé animale et santé humaine, nous n’en avons pas tiré toutes les conséquences. Les pays frontaliers de la Chine ont, eux, bien compris qu’il y avait là un véritable sujet, que l’urbanisation galopante, la destruction des écosystèmes et l’ouverture des routes de la soie qui détruisent les jungles nous rapprochent des chauves-souris et des virus qu’elles abritent. En outre, la Chine n’a pas régulé les marchés d’animaux sauvages comme elle était censée le faire en 2004 et n’a pas ratifié la Convention de Washington de 1973 sur le commerce des espèces menacées d’extinction, dont le pangolin, suspecté d’être l’hôte du virus, fait partie. Le 24 février, elle vient d’interdire tout commerce et consommation d’animaux sauvages mais elle ne dit rien de leur usage en médecine traditionnelle. Ce non-respect des conventions internationales est peut-être une des raisons pour lesquelles nous n’arrivons pas à avoir de données exactes sur le point de départ de l’épidémie et sur ce fameux marché de Wuhan.

    Les pays frontaliers de la Chine ont aussi conscience que celle-ci n’est pas transparente. On a commencé par dire que, contrairement à l’épidémie de Sras, la Chine avait joué la transparence, mais en réalité on voit bien que le chiffre des morts du Covid-19 est sans doute complètement sous-estimé. Une différence importante par rapport à 2003 est que la Chine est aujourd’hui toute-puissante et que personne n’ose la contredire, même quand elle fait de la propagande. Nous sommes éblouis par la puissance chinoise, et cela nous fait perdre notre sens critique. Quand les autorités ont annoncé qu’elles construisaient, à Wuhan, deux hôpitaux supplémentaires, tout en expliquant n’avoir que quelques centaines de cas de coronavirus, cela aurait dû nous alerter.

    Quelles différences faites-vous entre 2003 et aujourd’hui concernant le rôle de l’OMS ?

    Gro Harlem Brundtland en 2009. © DR Gro Harlem Brundtland en 2009. © DR
    Énormes. Il y a eu un véritable affaiblissement du système des Nations unies et du multilatéralisme, et la capacité d’action des agences onusiennes a beaucoup diminué en dépit du renforcement des règlements internationaux. Il faut aussi constater que la carrure du directeur général de l’OMS est importante. À l’époque du Sras, la Dr Gro Harle Brundtland, qui avait été première ministre de Norvège et également à l’origine de la Conférence de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement, était extrêmement qualifiée et capable de mobiliser ses troupes et le monde entier. Elle parlait directement et frontalement aux chefs d’État et savait taper du poing sur la table, même face à une Chine récalcitrante mais moins puissante qu’aujourd’hui.

    Ce qu’on peut dire, c’est que le succès obtenu sur le Sras est dû à l’incroyable coopération de presque tous les gouvernements, des organisations internationales, des bailleurs de fonds, et ce sous le leadership et la neutralité de l’OMS. Aujourd’hui, l’OMS n’a émis qu’une seule recommandation fin février sur le trafic international, recommandation qui n’a été suivie d’aucun effet et je ne vois aucune équipe internationale qui se rende en Chine pour mieux comprendre ce qui s’est passé. La mission conjointe OMS-Chine qui a passé quelques jours en Chine en février, dont un seul à Wuhan, n’a certainement pu voir que la surface des choses et ce que les autorités chinoises voulaient bien montrer. Je ne pense pas qu’en 2003, la Chine aurait pu ainsi imposer sa version de l’histoire. Mais l’OMS est aussi ce que les États en font, les États ont repris la main, et c’est le chacun pour soi.

    Comment jugez-vous le calendrier des mesures adoptées par la France pour contrer l’épidémie ?

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    J’ai passé peu de ma carrière en France, mais je suis effarée par la manière dont les dispositifs de santé publique ont dysfonctionné, alors qu’on a déjà connu des épidémies importantes. Lorsque l’OMS a sorti fin janvier la liste de l’augmentation des cas pays par pays, il était encore temps de réagir. Il y a vraiment eu des signaux qui n’ont pas été entendus. Qu’il s’agisse du premier foyer d’épidémie en Haute-Savoie, de celui de Creil ou de Mulhouse, dépister à grande échelle, comme en Corée, aurait été la solution raisonnable, mais nous n’avions pas assez de tests, de masques et autres matériels de protection, c’est révoltant.

    Maintenant, il n’y a plus qu’à rester confinés et j’espère que les politiques et les scientifiques collaborent au niveau international et avec l’OMS pour décider des prochaines stratégies, et mettre au point des médicaments et des vaccins qui devraient être traités comme des biens communs hors du profit, mais peut-être est-ce un rêve…

    Je me souviens qu’au moment du Sras, beaucoup d’équipes sont venues au Viêtnam nous aider et apprendre de notre gestion de la crise. J’ai vu passer beaucoup de gens très qualifiés, mais quasiment personne de France, je ne sais pas vraiment pourquoi. Les intérêts nationaux ? Les intérêts économiques et la volonté de découvrir le virus et le vaccin les premiers ? Ou le sentiment qu’on peut faire mieux tout seul… Peut-être que le moment difficile que nous traversons pourra nous faire réfléchir à nos déterminismes. Car si les émergences de virus sont inévitables, les épidémies ne le sont pas.

    #Coronavirus #SRAS #OMS #Epidémie