ACTION = VIE
"Vous savez tout ce que les victoires obtenues contre le sida doivent à la révolution du rapport entre savoirs et pouvoirs : les malades étaient alors, dans leur grande majorité, des marginalisé·e·s (homosexuels, détenu·e·s, héroïnomanes, personnes trans, travailleurs et travailleuses du sexe, immigré·e·s d’Afrique sub-saharienne…). Dès les premières années, ces malades ont pris la parole, ont revendiqué le savoir dont ils et elles étaient les dépositaires, ont imposé leur participation à la décision publique. Ils se sont regroupés en associations et, ensemble, nous avons construit la politique de lutte contre le sida.
Avec vous et vos collègues, sous la pression constante des malades, celle que rappelle le film partout célébré 120 battements par minute, nous avons érigé la lutte contre le sida en paradigme et modèle de lutte contre les épidémies. La seule lutte efficace : celle qui lie de manière indissociable santé publique et droits humains, qui refuse de confier le pouvoir aux seuls scientifiques ou aux seuls politiques, qui fait de la participation des citoyens et de l’inclusion des populations minoritaires, démunies ou ostracisées, la clef du succès.
(...)
Le vocabulaire guerrier et la scénographie militaire que nous impose le pouvoir face à cette épidémie-ci paraît un ironique retournement de l’histoire pour nous qui déclarions, face au silence assourdissant de l’Etat d’alors, « le sida, c’est la guerre » et « sida : mobilisation générale ». Un retournement en trompe-l’œil : venue d’en haut, sans les contreparties qu’une réelle mobilisation générale aurait dû imposer (anticipation, approvisionnement, réquisition des stocks et chaînes de production…), cette drôle de guerre est juste une politique qui pénalise, culpabilise, exclut. Elle met au ban des publics qui, parce qu’ils sont les plus en difficulté pour se protéger, devraient au contraire être au cœur de la façon dont nous pensons la riposte à l’épidémie."
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