• Y a-t-il vraiment trop de films français ? - Cinéma - Télérama.fr
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    Question : et si le modèle de la subvention cela marchait bien ? En finir avec les discours sur « l’argent gaspillé » alors que c’est la création qui va faire bouger le cinéma et permettre l’éclosion de bons films.

    A rapprocher de ces discours qui veulent supprimer toute activité subventionnée utile à la société pour faire le panégéryque des blockbusters et autre succès. Le care, la constitution d’une société résiliente, cela passe par de l’argent versé au travers de la redistribution sociale. C’est vrai pour l’hôpital et c’est vrai pour l’école, et c’est vrai pour la culture,et plein d’autres choses nécessaires à la société qui ne sont pour autant pas de purs marchés.

    En ces temps troublés par de récentes mutations industrielles (les plateformes de vidéo en ligne par abonnement ou SVOD type Netflix), qui modifient en profondeur notre relation aux films, le cinéma français résiste donc plutôt bien. Mais les Cassandre sont formelles : c’est la crise. D’Éric Neuhoff et son pamphlet naphtaliné (Très) Cher Cinéma français (Albin Michel) à la députée La République en marche Marie-Ange Magne, dont le rapport au vitriol attaquait les trop nombreux films subventionnés à la rentabilité indigne de la start-up nation, en passant par la reine Catherine Deneuve en personne (« Beaucoup des films qui sortent en salles n’y ont pas forcément leur place », assurait-elle au Monde en avril 2019), les griefs pleuvent.
    “Le cinéma français est le poumon du cinéma d’auteur international.” Le président de l’Association française des cinémas d’art et d’essai

    S

    erge Toubiana, qui a dirigé la Cinémathèque française pendant près de quinze ans et qui est désormais à la tête d’Unifrance, organisme chargé de la promotion et de l’exportation du cinéma français dans le monde, rappelle quelques faits historiques pour expliquer la vigueur de notre cinéma national, jalousée par nos voisins : « Il y a eu en France un gigantesque effort collectif, public et privé, pour encourager et faciliter l’accès des jeunes aux métiers du cinéma. Cela date des années Jack Lang, première moitié des années 1980, avec la création de la Fémis [cette école supérieure prenant la suite de l’ancienne Idhec, ndlr], l’aide accrue aux financements du cinéma, que ce soit via l’avance sur recettes, la participation active des Régions, le développement des Sofica [sociétés d’investissement privé dans le cinéma et l’audiovisuel, qui bénéficient d’avantages fiscaux], et bien sûr l’apport de Canal+ [créé en novembre 1984] et celui des chaînes publiques et privées. Ces nombreuses incitations ont contribué à renforcer la filière et permis de maintenir un niveau de production élevé et diversifié. J’ai toujours pensé qu’il fallait un grand nombre de films pour qu’éclosent les talents. Il faut des mauvais films pour qu’il y en ait de bons ou de très bons. »

    Statistiques et contresens économique

    Stéphane Auclaire et William Jehannin épinglent à leur tour la députée LREM : « Ce qui étonne Marie-Ange Magne, au fond, c’est qu’il y ait moins de monde dans une galerie d’art contemporain que dans un centre commercial, moins de public dans une salle de concert de musique nouvelle que dans un stade. Ridicule ! S’attaquer comme elle le fait aux films qui font dans l’absolu moins de 50 000 entrées (et pourquoi pas 10 000 ou 500 000, quelle définition pour ce curseur ?), c’est s’attaquer frontalement à la part la plus artistique, la part la plus neuve du cinéma, celle qui trace peut-être les pistes d’un avenir. C’est dangereux, et même un contresens sur le plan économique, si on considère que les films les plus rentables sont aussi souvent ceux qui coûtent le moins cher… Le rapport Magne traduit assez bien la tendance comptable et statistique dans laquelle certains voudraient inscrire le cinéma : il s’attaque à la différence. Les 15 000 curieux qui ont vu Ne croyez surtout pas que je hurle, de Frank Beauvais, un exploit compte tenu de l’exigence de ce film magnifique, ne compteraient donc pas ? Il faudrait les jeter avec le film qu’on prétend ne plus vouloir faire ? »

    Et François Aymé, de l’Afcae, de renchérir : « Si l’on appliquait à la lettre ce principe de rentabilité, il faudrait fermer les bibliothèques, les opéras, les centres culturels, les musées… La raison d’être de l’exception culturelle, c’est justement qu’une œuvre ne se réduit pas à sa dimension commerciale. » Les détracteurs du modèle français aiment diffuser l’idée (fausse) d’un cinéma sous perfusion. Encore un mensonge ! La part des aides publiques dans le financement des films français est, selon le CNC, de 20 %, contre 48 % en moyenne dans les autres pays européens. La part la plus importante vient du préachat des films par les chaînes de télévision.

    Partant du principe qu’un cinéphile responsable s’éduque dès ses premiers contacts avec le cinéma, François Aymé, de l’Afcae, propose de « remplacer le coûteux et inefficace Pass Culture [le dispositif du ministère octroie 500 euros à chaque jeune de 18 à 19 ans résidant en France pour les dépenser en propositions et biens culturels] par la mise en place d’un réseau national de médiateurs culturels pour les publics jeunes, afin de stimuler leur esprit critique. Sans public curieux, la diversité des films est condamnée à moyen terme ».

    #Subventions #Economie_culture #Cinéma