Bérengère Stassin, (cyber)harcèlement. Sortir de la violence, à l’école et sur les écrans
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En France, 5 à 6 % des élèves du premier et du second degré sont victimes de harcèlement scolaire. C’est par ce chiffre éloquent que débute l’ouvrage de Bérengère Stassin, où l’auteure investigue les transformations du phénomène en lien avec l’émergence du cyberharcèlement. Elle apporte une contribution essentielle aux réflexions dans ce domaine, en nous livrant tout d’abord une synthèse de la littérature existante sur le sujet de la violence entre enfants, longtemps invisibilisé, ainsi qu’une définition précieuse du harcèlement scolaire, de la cyberviolence et du cyberharcèlement – dont elle étudie l’ensemble des manifestations. Si le harcèlement scolaire commence à faire l’objet de recherches en sciences humaines et sociales dans les années 1970, ce n’est qu’à l’aube des années 2010 qu’il devient un problème public. En effet, son prolongement via les médias sociaux attire l’attention des pouvoirs publics tandis que l’on découvre les chiffres des premières enquêtes de victimation. Par la richesse des exemples mentionnés, les chapitres I à III balayent un certain nombre de mythes et apportent un lot de résultats marquants. Non, le harcèlement et la cyberviolence ne sont pas qu’une affaire de jeunes, qui prendrait magiquement fin à l’issue du lycée : la violence se poursuit dans l’enseignement supérieur et dans le monde professionnel. Et elle n’affecte pas de la même manière les différents groupes sociaux, se colorant notamment d’une dimension genrée et d’une homophobie qu’il convient de prendre en compte. Une fois ces constats dressés, une partie conséquente du livre (chapitre IV) se consacre à un inventaire des moyens de lutte à disposition des acteurs de la prévention. S’appuyant sur les outils de l’éducation aux médias et à l’empathie, l’auteure montre la nécessité d’impliquer directement les jeunes dans ce processus, nous invitant aussi à dépasser les discours technicistes et catastrophistes en rappelant la richesse et la diversité de leurs activités en ligne.
Cherchant à établir si les violences en ligne ne sont « qu’un “vieux vin […] dans une nouvelle bouteille” » (p. 91), l’auteure de l’ouvrage astucieusement nommé (cyber)harcèlement, situe à la fois le phénomène dans une logique de rupture et de continuité avec le harcèlement scolaire. D’un côté, les cyberviolences apparaissent comme le prolongement logique de rapports de sociabilité préexistants, constituant la trace d’une violence entre jeunes que personne ne voulait voir. Mais par les canaux de diffusion originaux qu’elle emprunte (smartphones, médias sociaux…), cette violence se prolonge en dehors du temps scolaire et pénètre le lieu du foyer, qui pouvait autrefois constituer un espace de répit et de repos. Reprenant à son compte le concept de chambre d’écho, Bérengère Stassin montre aussi très bien et à travers plusieurs cas concrets l’amplification démesurée des phénomènes violents que le web peut parfois induire.
Pour lutter contre le harcèlement et le cyberharcèlement à l’école, Bérengère Stassin passe en revue les outils de l’éducation à l’empathie, couplés à ceux de l’éducation aux médias et à l’information. S’attachant à décrypter le rôle des émotions dans le déclenchement des violences, elle déconstruit l’image de tyran tout-puissant associée à la figure du bully (p. 136) : « Bien qu’il renvoie l’image de quelqu’un de fort et sûr de lui, le meneur souffre souvent, de par son histoire personnelle, d’une faille narcissique et d’une faible estime de lui-même ». Ses agissements sont liés à son incapacité de se mettre à la place d’autrui, et ceux des suiveurs, motivés par la peur des sanctions normatives exercées par le groupe. C’est dans le cas de ces derniers que la marge de manœuvre des équipes éducatives est la plus grande, certains d’entre eux pouvant changer de comportement une fois repérés. Le choix de conclure son ouvrage par un volet consacré à l’éducation aux médias dénote le caractère engagé et émancipatoire des recherches conduites par Bérengère Stassin, qui mobilise une approche compréhensive des cultures juvéniles. Après avoir souligné les nombreux risques des médias sociaux, elle rappelle la richesse des usages développés par les jeunes en ligne : le prolongement d’une sociabilité entre pairs et l’acquisition d’une forme d’autonomie, la recherche d’informations et d’apprentissages, la prescription et la création culturelles, ou encore la construction identitaire via l’appartenance à des communautés etc. Pour la chercheuse, « il ne s’agit donc pas de condamner les pratiques des adolescents ou le manque de recul que certains peuvent avoir, mais de renforcer leurs compétences numériques et de leur apprendre à publier et à partager de l’information de manière réfléchie et responsable » (p. 150).