• Coronavirus : une « guerre des masques » sur les tarmacs entre l’Etat et les collectivités locales
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/10/coronavirus-l-etat-tente-d-eteindre-sa-guerre-des-masques-avec-les-collectiv


    Des masques arrivant de Chine sont déchargés à l’aéroport de Toulouse-Blagnac, le 5 avril. REMY GABALDA / AFP

    Le gouvernement, qui réquisitionne des masques de protection achetés par les collectivités, a reconnu « une méthode inopportune » face à la colère des présidents de région.

    « Tout le monde commande des masques, mais plus personne ne veut le dire par peur de les voir réquisitionnés par l’Etat. » Président (Les Républicains, LR) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de l’association Régions de France, Renaud Muselier résume à sa façon la situation ubuesque qui entoure l’arrivée des masques de protection sanitaire achetés par les collectivités locales, et éléments essentiels dans la lutte contre le Covid-19.

    La « guerre des masques », comme l’a nommée le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a démarré le 2 avril sur le tarmac de l’aéroport Bâle-Mulhouse (Haut-Rhin). Puis elle s’est enflammée trois jours plus tard au même endroit, lorsque les soldats des 516e et 511e régiments du train sont venus saisir manu militari quatre millions de masques de protection sanitaire, dont ceux commandés par la région Bourgogne-Franche-Comté et le département des Bouches-du-Rhône.

    Le conflit était, jeudi 9 avril, au menu de la vidéoconférence réunissant, notamment, les présidents des trois grandes associations d’élus locaux – mairies, départements et régions –, le ministre de la santé, Olivier Véran, sa collègue de la cohésion entre les territoires, Jacqueline Gourault, et M. Castaner. Une téléréunion au cours de laquelle le gouvernement a reconnu « une méthode inopportune » et a promis aux collectivités de ne plus se servir sans prévenir dans leurs commandes.

    « Pas question de guerre des masques »

    En première ligne de la contestation, la présidente (PS) de Bourgogne-Franche-Comté, Marie-Guite Dufay, a été appelée par un conseiller de l’Elysée mercredi. « Il m’a dit que tout cela était malvenu et maladroit », raconte l’élue. Au même moment, interpellé lors de la séance des questions d’actualité au Sénat par Jérôme Durain (PS, Saône-et-Loire), Christophe Castaner a pris ses distances. « Il n’est pas question de guerre des masques entre les collectivités et l’Etat », lui a-t-il assuré.
    Jeudi, auditionné à l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur s’est montré encore plus explicite : « La méthode a été mauvaise, j’ai rappelé tout cela (…) aux préfets en disant expressément que c’était une méthode que je trouvais inopportune, parce que ce n’était pas conforme à l’esprit dans lequel nous devons travailler avec les collectivités locales. » Quelques heures plus tard, il tenait le même discours face aux représentants des élus locaux. « Il a promis que cela ne se renouvellerait plus. J’ai tendance à lui faire confiance », assure Renaud Muselier, qui regrette toutefois « qu’aucune doctrine claire sur la gestion de l’arrivée des masques » ne soit sortie de la réunion.

    A Besançon, siège de son hôtel de région, Marie-Guite Dufay et ses collaborateurs respirent. En attente d’une prochaine livraison à l’aéroport belge de Liège, ils cherchaient une façon efficace de contourner le Grand-Est, sa préfète de région, Josiane Chevalier, et son agence régionale de santé (ARS), sources administratives de leurs maux. Après avoir imaginé de réorienter le vol vers l’aéroport de Dole-Jura, puis y avoir renoncé car ce dernier n’est pas équipé pour décharger un Airbus A340-400, certains pensaient faire entrer les colis par les Hauts-de-France. Mais après la « consigne » de M. Castaner, cela ne sera pas nécessaire.

    Quiproquo tendu

    Comme d’autres chefs d’exécutifs régionaux, départementaux ou communaux, Mme Dufay, face à la détresse des personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des soignants à domicile, a commandé 2 millions de masques chirurgicaux à trois plis et 50 000 de type FFP2 à la Chine, le 25 mars. Ce premier stock doit arriver en début de semaine prochaine à Liège.
    En parallèle, afin de diversifier ses sources d’approvisionnement, l’élue se joint à la région Grand-Est pour une seconde commande de 2 millions de masques. Sauf que, malgré des délais plus courts de livraison, rien ne se passe comme prévu. A Shanghaï, les colis, dont certains sont également destinés aux Bouches-du-Rhône, ont été fractionnés pour être livrés en plusieurs rotations successives.
    A l’arrivée de l’avion, le 2 avril, la préfète de la région Grand-Est, Josiane Chevalier, choisit donc d’emporter ce qui correspond à la commande de l’Etat pour son ARS. Elle se sert pour cela dans les paquets destinés aux collectivités locales. En outre, elle décide que le solde doit rester dans le Grand-Est.

    « Sur les deux millions de masques que j’attendais, mon transporteur n’en a récupéré que 300 000. Et personne ne m’a prévenue », fulmine la présidente (LR) des Bouches-du-Rhône, Martine Vassal. Son homologue de la région Bourgogne-Franche-Comté ne reçoit pas plus d’appels. Mme Dufay ne disposant pas de toutes les informations à cet instant, un quiproquo tendu entre elle et le président (LR) de la région Grand-Est, Jean Rottner, s’ensuit, vite soldé. Ce dernier, servi, propose à sa collègue de rétablir l’équilibre à l’arrivée du second vol, attendu le 5 avril.

    La veille, sur « proposition de l’ARS Grand-Est » et de son directeur général, Christophe Lannelongue, limogé mercredi en conseil des ministres pour un autre motif, le préfet du Haut-Rhin, Laurent Touvet, a pris un arrêté de réquisition. M. Castaner, six jours plus tard, paraît l’ignorer puisqu’il nie l’existence d’un tel texte contraignant, déclarant aux députés que le haut fonctionnaire « a usé de son droit de tirage prioritaire ». La réalité du document sera toutefois confirmée, jeudi 9 avril, par L’Est Républicain, qui le publie sur son site, photos à l’appui.

    « Scandale d’Etat »

    La colère de Mme Dufay est partagée aussitôt par Martine Vassal, qui attendait une seconde livraison de deux millions de masques. L’élue marseillaise parle d’un « scandale d’Etat » et interroge le gouvernement sur les réseaux sociaux : « La vie des habitants de notre territoire vaut-elle moins que celle de nos compatriotes de la région Grand-Est ? »

    Près d’une semaine plus tard, la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône se dit encore « furax » de la façon dont sa collectivité a été traitée. « Nous n’avons plus aucun masque de protection en stock », dénonce l’élue marseillaise, qui chiffre les besoins de son département à 600 000 pièces par semaine. « Bien sûr que le Grand-Est vit une situation préoccupante et que nous sommes solidaires, mais l’Etat n’a cherché aucune collaboration, poursuit Mme Vassal. La préfète a récupéré 7,2 millions de masques en une semaine. Qu’est-ce qu’elle va en faire ? C’est un excès de zèle ! »
    L’élue provençale a exigé que le prochain vol transportant les commandes passées par sa collectivité se pose directement sur l’aéroport de Marseille-Provence. Il est attendu pour ce vendredi 10 avril, avec, à son bord, des colis à destination de la région Bourgogne-Franche-Comté. Marie-Guite Dufay, elle, demande qu’au-delà de son cas l’Etat édicte une doctrine nationale unique pour en finir avec ce qu’elle appelle « une loterie » qui décide du sort des commandes selon qu’elles passent par les mains de tel ou tel fonctionnaire.

    La tension sur l’approvisionnement pourrait aussi baisser naturellement avec la mise en place du pont aérien avec la Chine, souhaité par le gouvernement. Mathieu Friedberg, directeur général de Ceva Logistics, filiale du groupe CMA CGM, annonce ainsi l’arrivée de quatre millions de masques de protection en cette fin de semaine à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Puis, dans la nuit du 11 au 12 avril, celle de son premier avion-cargo chargé de seize millions de masques. « Des cargaisons qui sont déjà dans nos hangars à Shangaï, précise le logisticien, dont la moitié est à destination des collectivités locales et l’autre commandée par des acteurs privés. »

  • Coronavirus : le quotidien sous tension des employés des pompes funèbres
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/10/travail-a-la-chaine-peur-au-ventre-le-quotidien-sous-tension-des-employes-de

    Considérée comme non prioritaire, la profession manque de protections et les opérateurs sont débordés par le nombre de décès dus au coronavirus qu’ils doivent gérer.

    « On ne sera jamais vu comme des héros même si on prend des risques et qu’on est en première ligne. » Entre deux mises en bière, Baptiste Santilly ne camoufle guère le ressentiment que partage largement sa profession, submergée par l’épidémie de Covid-19 dans plusieurs régions. Opérateur funéraire à Pantin (Seine-Saint-Denis), dans l’un des départements les plus touchés par la crise sanitaire, le jeune homme reconnaît être « sur les rotules ». « A dix ou douze heures de travail par jour, il ne faudrait pas que ça dure deux mois », assure M. Santilly alors que les pompes funèbres de la Seine-Saint-Denis sont saturées.

    A Mulhouse (Haut-Rhin), l’un des principaux foyers épidémiques, un « transporteur » abonde, sous le couvert de l’anonymat en raison de son statut d’intermittent :
    « C’est de l’abattage. Tout est chamboulé. Les délais d’inhumation peuvent atteindre quinze jours dans des salons mal réfrigérés. On pousse les murs. »
    Au-delà des problèmes de stockage et de conservation des corps, la crise a profondément bouleversé les pratiques des opérateurs funéraires. Ils sont désormais contraints de mettre les proches des défunts à distance et de limiter le nombre de participants aux cérémonies, notamment dans les cimetières.

    « Ce travail à la chaîne et cette mise à distance sont aux antipodes de notre métier fondé sur l’empathie à l’égard des familles », dit avec regret Richard Feret, directeur général délégué de la Confédération des pompes funèbres et de la marbrerie, premier syndicat patronal du secteur. A l’accélération des cadences dans les funérariums s’est ajoutée la « trouille », comme l’admet M. Feret, de la « contamination ». « Nos gars vont au travail avec la peur au ventre », dit Philippe Martineau, responsable du réseau coopératif Le Choix funéraire.

    Des erreurs de diagnostic

    Sous la pression des fédérations syndicales du secteur, le gouvernement a encadré plus drastiquement les pratiques funéraires (interdiction des toilettes mortuaires sur les corps atteints ou probablement atteints du Covid-19, ainsi que des soins de conservation) et imposé la mise en bière immédiate des défunts contaminés ou suspectés de l’être, par un décret du 2 avril. Mais les opérateurs appréhendent souvent « la zone grise », ces situations où l’incertitude plane sur la cause d’un décès, notamment dans les Ehpad et à domicile, ou sur la santé des proches.

    Les médecins sont censés apporter des clarifications et ordonner une mise en bière immédiate, avec fermeture du cercueil, lorsqu’ils remplissent le certificat de décès et cochent la case Covid-19. Parfois, des erreurs de diagnostic sont commises par les praticiens. En atteste la mésaventure de ce transporteur de la Seine-Saint-Denis (qui a requis l’anonymat) confiné chez lui depuis quinze jours après avoir « manipulé une vieille dame contaminée en Ehpad ».

    « Il y avait marqué “non-Covid” sur le certificat, et j’ai manipulé le corps sans protection. Or, le médecin a rappelé le funérarium trois heures après pour dire qu’il s’était trompé et que la dame était positive », raconte cet opérateur funéraire qui a, depuis, « perdu le goût et l’odorat et a souvent du mal à respirer ». « C’est très tendu en ce moment pour la profession. Cela l’est plus qu’en 2003, lors de la canicule. On n’avait alors pas peur d’être contaminé. Là, c’est un peu comme il y a trente-cinq ans, en pleine épidémie de VIH », ajoute-t-il.

    Certificats de complaisance

    Les 18 000 salariés du secteur redoutent avant tout les interventions à domicile. « Dans les cas de suspicion à domicile, on ne sait pas à l’avance si cela va être évident de manipuler un corps sur place et où vont traîner les vêtements potentiellement contaminés », relève Benoit Hue, opérateur funéraire à Lille. « On a eu un cas de figure où la famille sur place a dit : “Il avait peut-être le Covid, car nous, on l’a.” Le médecin n’avait rien mis sur le certificat », dit M. Martineau.
    Les certificats de complaisance signés par des médecins désireux d’aider la famille à voir le défunt, même en cas de suspicion, sont aussi devenus la hantise des croque-morts.
    Ces situations ambiguës incitent les opérateurs funéraires à redoubler de vigilance. « Il y a moins de portage des cercueils à l’épaule, on utilise des chariots spéciaux tenus par les extrémités. Tout est systématiquement désinfecté. On ne serre plus les mains des familles », énumère M.Feret.

    Ces précautions renvoient à la pénurie en matière d’équipements de protection individuelle (EPI) à laquelle la profession est confrontée. Dans les départements où la préfecture tarde à livrer des stocks de masques, gants et surblouses, le système D prévaut. « Depuis la pandémie H1N1, en 2009-2010, j’avais du matériel. Sans ça, je n’aurais pas pu continuer à travailler, confie Michele Aubry, opératrice funéraire à Strasbourg. J’ai par ailleurs eu des combinaisons de paintball grâce à une association. »

    « Vous n’avez qu’à découper des draps »

    S’il sourit à l’évocation de ses combinaisons « achetées à Leroy Merlin ou Bricomarché », M. Martineau menace « de lancer un appel au secours et au retrait si la préfecture du Nord n’assure pas une livraison d’EPI avant le 14 avril, car [ils] ne pourron[t] plus intervenir pour cette mission de service public ». Malgré l’annonce par le ministère de l’intérieur, le 27 mars, de l’inscription de la profession sur la liste des personnels prioritaires pour les équipements de protection, les commandes successives ont été jusqu’à présent réquisitionnées pour le personnel soignant.
    « Comme ce n’est entériné par aucune loi, aucun décret, il arrive, dans certaines zones, que les agences régionales de santé à qui on demande des blouses nous disent : “Vous n’êtes pas prioritaires, vous n’avez qu’à aller découper des draps” », dit agacée la syndicaliste Florence Fresse, déléguée générale de la Fédération française des pompes funèbres.

    Peu médiatisée, la profession va-t-elle être davantage visible et reconnue au regard des risques encourus ? « Les opérateurs funéraires ont le sentiment de n’être pas pris en considération et, là, ils semblent être devenus des interlocuteurs à part entière, intégrés à la chaîne sanitaire », estime Pascale Trompette, sociologue du marché funéraire et directrice de recherche au CNRS (laboratoire Pacte, université Grenoble-Alpes). « On est au bout d’une chaîne de vie, fait remarquer M. Hue. Mais on est surtout en première ligne. »

    Coronavirus : « Quand on entre dans la chambre mortuaire, c’est un champ de bataille »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/10/coronavirus-quand-on-entre-dans-la-chambre-mortuaire-c-est-un-champ-de-batai

    La responsable de la morgue des hôpitaux Bichat, à Paris, et Beaujon, à Clichy, explique comment elle fait face à l’afflux de patients morts du Covid-19.

    Yannick Tolila-Huet est responsable de la chambre mortuaire des hôpitaux Bichat et Beaujon, respectivement à Paris et Clichy (Hauts-de-Seine), et présidente de la Collégiale des chambres mortuaires de l’AP-HP. Elle décrit le « champ de bataille » que sont devenues les morgues face à l’afflux des patients morts du nouveau coronavirus.

    L’hôpital Bichat est l’un des premiers à avoir pris en charge des patients touchés par le Covid-19. Comment la situation a-t-elle évolué ?

    Le premier patient mort du coronavirus en France – un touriste chinois – était pris en charge ici. On lui avait fait une place VIP en chambre mortuaire pour ne pas risquer de contaminer notre petite équipe. C’était le 14 février. On ne pensait pas que ça prendrait une telle ampleur. Très vite, on a eu de plus en plus de patients touchés et de décès.

    C’était un peu bizarre, on avait peur de l’inconnu et de ce nouveau truc qui arrivait. Les sons de cloche étaient différents d’un jour à l’autre. Le Haut conseil de la santé publique a présenté un premier avis disant que les défunts pouvaient être présentés à la famille, puis non… C’était ingérable.
    Cela me rappelle les premières années sida. J’étais jeune infirmière, à l’époque, et les mesures étaient draconiennes : vaisselle jetable, draps mis dans des sacs hydrosolubles, etc. Avant de mieux connaître le mode de contagion, on avait l’impression que rien qu’en entrant dans une chambre, on allait attraper ce fameux VIH.

    Parvenez-vous à faire face à l’afflux de décès ?

    On a énormément de morts – j’ai arrêté de compter. Il a fallu agrandir les chambres mortuaires de l’AP-HP en mettant des camions réfrigérés sur les parkings, comme lors de la canicule en 2003. Mais là, c’est encore pire : nos patients arrivent à l’hôpital en insuffisance respiratoire, parfois ils vont mieux, et deux jours après, ils meurent.
    On a vraiment l’impression d’être en guerre. Quand on entre dans la chambre mortuaire, c’est un champ de bataille : on a des civières et des plateaux de présentation avec trente, quarante, cinquante défunts dans des housses mortuaires, en ligne. On reçoit dix patients décédés par jour, qu’on met à côté des dix autres, et ainsi de suite.

    Avez-vous suffisamment de matériel ?

    Nous avons eu très vite des problèmes d’approvisionnement en housses mortuaires, donc il a fallu renoncer à en mettre deux par personne. Le Haut conseil de santé publique a toujours dit qu’une seule suffisait, mais les patients sont lourds et difficiles à manipuler, parfois la housse se déchire, donc c’est potentiellement contaminant pour nos soignants.

    Jeudi on a perdu un de nos agents, un vaguemestre, mort du Covid-19. Il travaillait depuis quarante ans à Bichat. Les soignants ont symboliquement accompagné le brancard jusqu’à la chambre mortuaire. C’est particulier de recevoir quelqu’un qu’on connaît…

    En quoi le protocole de soins mortuaires a-t-il changé avec l’épidémie ?

    Maintenant, on fait les mises en bière immédiates : on met les défunts dans le cercueil et c’est nous qui le fermons – ce que faisaient jusqu’ici les pompes funèbres. D’habitude, on prépare les corps : on les rase, maquille, coiffe, habille, on redonne un peu de couleurs aux joues… On les bichonne pour rendre la mort un peu moins vilaine.
    Maintenant, on ne voit plus le visage des défunts : ils sont déjà dans une housse – blanche ou noire – quand ils arrivent en chambre mortuaire. C’est complètement déshumanisé. Impossible aussi de faire une toilette rituelle, c’est interdit.

    Comment cela se passe-t-il avec les familles ?

    Les visites sont très restreintes. Avec le risque de contagion, on ne peut plus leur présenter le défunt, elles ne voient que le cercueil. C’est traumatisant pour elles et douloureux pour nous. D’habitude, on a toujours un petit mot pour consoler les familles, comme : « Regardez, il a l’air apaisé. » Mais là, que voulez-vous qu’on dise ?
    Les familles qui veulent rapatrier leur mort ne peuvent pas le faire. Elles gardent l’espoir que les frontières s’ouvrent. Les pays demandent un certificat de non-contagion du corps, ce que les médecins ne signent pas avec le Covid-19.

    Comment traversez-vous cette période ?

    J’ai décidé de travailler en chambre mortuaire il y a dix ans, après des années à soigner les vivants atteints du sida et de cancers, parce que je ne supportais plus de voir les patients souffrir. Mais là, m’occuper des morts comme ça, c’est terrible.
    Après les années sida, je ne pensais pas vivre un truc pareil, et voir autant de gens mourir d’un coup. J’ai parfois l’impression que c’est un cauchemar et que je vais me réveiller. Alors on pleure, on rit nerveusement, on est épuisés et débordés, avec l’impression que ça n’en finira jamais.
    Depuis trois jours, le flux a ralenti. Mais quand je rentre de l’hôpital et que je vois tous ces gens dehors, je me dis que ça va repartir comme une traînée de poudre.

    #morts

  • Avec le coronavirus, le retour des « corbeaux »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/10/avec-le-coronavirus-le-retour-des-corbeaux_6036165_3224.html


    ANTOINE MOREAU DUSAUL

    A Paris comme en province, la police reçoit des appels pour dénoncer des manquements, réels ou supposés, aux mesures de confinement. Un phénomène limité, mais révélateur des angoisses de l’époque et du poids du passé.
    Ce mail a sûrement déçu des vocations. La mairie du 20e arrondissement de Paris l’a envoyé à ses administrés, le 19 mars : « La Préfecture de police nous informe recevoir de nombreux appels concernant le non-respect des mesures de confinement prévues par le gouvernement. (…) Cela sature le système d’urgence. Aussi, il est demandé de ne pas appeler le 17 pour signaler ces manquements aux règles de confinement. »

    Quelques jours plus tard, à 18 000 km de la capitale, les autorités de Nouvelle-Zélande ont connu un encombrement semblable, mais sans songer à s’en plaindre. Au contraire : la police locale avait elle-même mis en place une plate-forme numérique appelant à la dénonciation. Assailli de connexions, le site s’est retrouvé hors-service en quelques heures.

    En France, depuis l’annonce du confinement, comme toujours lorsque s’appliquent des mesures de police exceptionnelles – changements de régime, état d’urgence, guerres… –, les autorités notent une hausse significative de ces « signalements ».

    Pourquoi, à la différence de l’administration néo-zélandaise – imitée par des municipalités canadiennes, espagnoles et belges –, la Préfecture de police de Paris tient-elle à les décourager ? D’abord parce que ces dénonciations s’avèrent souvent inutiles, sinon calomnieuses. « Dans le cadre du confinement, les signalements qui désignent des personnes précises nous font en général perdre du temps, confirme un responsable du « 17 » à Saint-Etienne. Ces appels prétendent remplir un devoir civique. En réalité, beaucoup sont liés à des problèmes de voisinage. Quand on se rend sur place, le plus souvent, il n’y a rien. Encore plus quand les signalements sont anonymes – leurs auteurs ignorent que les numéros masqués, en raison de l’urgence absolue de certains appels, n’ont pas de secrets sur notre ligne… »

    A Caen, après un appel anonyme pointant un rassemblement dans le jardin d’une copropriété, les policiers se sont déplacés sans trouver personne à verbaliser. « J’étais remontée chez moi pour coucher mon fils de 8 ans, explique Julia B., l’une des deux femmes visées par la dénonciation. Avec une voisine, nous étions descendues prendre l’air en respectant scrupuleusement les gestes barrières. Je me sentais responsabilisée : mon confinement avait commencé deux semaines avant l’annonce du gouvernement, au retour de mes vacances en Sicile. Mais il est apparemment interdit aux membres de deux foyers différents de se retrouver dans le jardin de l’immeuble. » Cette éducatrice spécialisée de 37 ans connaît-elle la personne qui l’a dénoncée ? « Je pense que c’est une de mes voisines, présume-t-elle. Elle vit seule et ne peut pas me saquer. Nos appartements sont mal insonorisés. Elle me reproche tout le temps de faire du bruit. »

    « Dénonciations délirantes »

    Dans le 10e arrondissement de Paris, avisés d’un « rassemblement de gens non confinés » sur la place Sainte-Marthe, les policiers se sont également déplacés pour rien. Les 80 personnes présentes sur les lieux – des sans-abri venus recueillir des vivres – observaient les distances réglementaires, grâce à des marquages au sol. « Signaler des “gens non confinés”, ça ne manque pas de sel pour des SDF, souffle le président de l’association Entraide et partage avec les sans-logis, qui organise la distribution. D’après les allusions des policiers, je crois savoir qui les a appelés. Une personne seule, excédée par la présence des SDF sous ses fenêtres. »

    Les opérateurs du « 17 » reconnaissent que la solitude favorise les signalements. « C’est aussi un terrain propice aux dénonciations délirantes, relève le responsable du centre d’information et de commandement du département de la Loire. Il arrive qu’on nous demande d’intervenir d’urgence sur des juifs ou des Arabes accusés d’avoir introduit le Covid-19 en France… »

    Délires racistes, règlements de comptes et petites jalousies formaient déjà la toile de fond des « corbeaux » sous l’Occupation. Cette période demeure une référence incontournable en France quand il est question de dénonciation.

    « Pendant les années noires, comme aujourd’hui, les délateurs s’abritaient derrière des valeurs civiques : la justice, la salubrité publique, l’intérêt général, analyse Laurent Joly, historien, auteur de Dénoncer les juifs sous l’Occupation (CNRS Éditions, 2017). Ils tentaient de transformer un contentieux personnel – un locataire refusant de payer son loyer ou un mari voyant une maîtresse – en indignation collective. »

    En octobre 1941, l’administration de Vichy adoptait une loi encourageant la dénonciation. Les lettres anonymes, déjà nombreuses, ont redoublé, la plupart motivées par des intérêts personnels, sinon par des manœuvres de sabotage destinées à tromper les services d’enquête. Les fausses pistes se mêlaient aux rancœurs minuscules. La délation finit toujours par échapper au pouvoir qui la suscite. C’est ainsi, ironie de l’histoire, que le régime pétainiste a édicté, en 1943, une loi réprimant la « dénonciation calomnieuse ».

    « Bon sens »

    Face à l’épidémie de Covid-19, le président de la République Emmanuel Macron exalte l’« union sacrée », comme en temps de guerre. Le premier ministre Edouard Philippe, lui, juge « scandaleux » les messages anonymes adressés à certains soignants par leurs voisins.

    En cette période d’exception, les autorités ne redoutent rien tant que les actes de division. Elles savent que les régimes fondés sur la surveillance de tous par tous ne durent pas. Une démocratie aux rouages efficaces n’a pas besoin de policiers de substitution. C’est pourquoi les administrations sont le plus souvent embarrassées par la délation, signe de leur faiblesse.

    Depuis le début du confinement, la Mairie de Paris assure n’en avoir reçu aucune sur son centre d’appels, le « 39 75 ». « Il n’y a que des propositions d’aide et des gestes de solidarité », prétend même le service de presse. Une affirmation contredite par une opératrice, que Le Monde a pu contacter : « Il y a plus de dénonciations que d’habitude, précise-t-elle. Elles sont bien souvent virulentes, mais minoritaires, environ cinq appels sur cent… »

    En France, la délation reste encouragée dans certains domaines, comme celui des impôts. L’administration fiscale promet une indemnisation pour les renseignements pouvant conduire à la découverte d’une fraude. A rebours des idées reçues, ce n’est pas la police qui reçoit le plus de dénonciations dans l’Hexagone, mais les services de Bercy et la Caisse d’allocations familiales. Souvent intimes des personnes qu’ils signalent, ces « aviseurs » placent également leur démarche sous le signe du bien commun et de la justice sociale.

    Où s’arrête la délation ? Où commence le « devoir civique » ? Si la question peut faire l’objet de débats sans fin, la loi, elle, en définit les cas limites.

    Elle oblige tout citoyen à dénoncer les actes terroristes, les atteintes infligées à un mineur ou à des personnes vulnérables – malades, infirmes, femmes enceintes… –, ainsi que les crimes dont il est encore possible de prévenir les effets.

    Depuis l’annonce du confinement, les standardistes des lignes d’urgence tentent, eux aussi, de distinguer l’action citoyenne de la délation intéressée.

    « Il y a ceux qui appellent pour dénoncer des personnes en particulier et ceux qui signalent juste des pratiques prohibées, expliquent les opérateurs du « 17 » de Saint-Etienne. Dans la deuxième catégorie, on sent une forme d’exaspération civique. Parfois même une véritable inquiétude pour ceux qui sont pointés. “Dites-leur qu’ils sont en danger !”, nous a lancé une infirmière qui signalait un rassemblement d’adolescents sur la place Grenette. Pas un instant elle ne pensait faire de la délation. »

    Nazan E., une cadre de 49 ans résidant entre Paris et Vincennes, ne se considère pas, elle non plus, comme une « balance » : « En plein confinement, dans la petite rue que j’habite à Vincennes, il y avait autant de monde qu’à une brocante. J’ai appelé la police municipale pour leur demander d’intervenir. Pour moi, ça relevait du bon sens. J’ai peut-être évité à certaines personnes d’être contaminées. »

    Références à l’Occupation

    Pareil engagement a été galvanisé, ces dernières années, par l’apparition de nouvelles figures revendiquant une démarche citoyenne, telles que les whistleblowers (« lanceurs d’alerte »), les tenants du name and shame » (« nommer et couvrir de honte ») ou encore les partisans du full disclosure (« divulgation totale »), pratique prônée par les hackeurs « éthiques ». Dans le sillage de ces mouvements anglo-saxons, les auteurs de dénonciations s’adressent moins aux autorités qu’à l’opinion publique.

    Les « corbeaux » seraient-ils devenus des hirondelles ? Certains d’entre eux s’abandonnent à une fièvre accusatrice. En attestent les pages Facebook exhortant à dénoncer les propagateurs du Covid-19 ou des comptes Twitter comme Fallait pas supprimer. Son animateur appelle, depuis le 28 mars, à recenser « tous les fdp [fils de pute] qui ont déserté les grandes villes à l’annonce du confinement. Politiques, journalistes, people… Epluchez les dates de leurs Insta [Instagram], ces cons ne peuvent pas s’empêcher de poster. ». Ajoutant l’insulte à la délation, l’initiative a soulevé une vague d’indignation parmi ses 80 000 abonnés : « J’aurais pas aimé être votre voisine dans les années 1940. » ou « Toi tu aurais vendu du beurre aux Allemands. »

    Toujours le rappel de l’Occupation. « Si la délation est associée à cette période, elle ne correspond pourtant pas au phénomène de masse qu’on imagine communément, tempère l’historien Laurent Joly. Ce sont d’abord les Allemands qui ont forcé ce trait sous l’Occupation pour dénigrer les Français. Reprise par des écrivains de droite soucieux de se dédouaner à la Libération, puis par des journalistes et des réalisateurs engagés à gauche, le mythe de millions de dénonciations s’est solidement installé dans l’imaginaire collectif, loin du véritable ordre de grandeur. »

    Le même effet de loupe semble avoir joué aux premiers jours du confinement. Si les appels aux services de police et de gendarmerie ont explosé – pour l’essentiel, des questions pratiques autour des autorisations de déplacement –, la part des délations est restée marginale. De Bordeaux à Strasbourg en passant par Paris, les standardistes des mairies partagent ce constat. Il n’en reste pas moins que l’anonymat du « corbeau », son parfum de scandale, son goût pour les périodes troubles attirent l’attention et marquent les esprits. « Sous l’Occupation, conclut Laurent Joly, rien ne permet d’affirmer que nous avons été les champions d’Europe de la délation. Il suffit de comparer la France avec des pays comme la Pologne ou la Belgique. »

    Quand elle a vu la police investir son immeuble, à Caen, Julia B. n’a pourtant pas pu s’empêcher de penser au régime de Vichy. Et s’est promis de porter plainte contre la délatrice présumée. Avant de se raviser. La jeune femme s’est souvenue qu’à la Libération de nombreux Français avaient été accusés à tort d’être des « corbeaux ». Pour quelles raisons ? Les mêmes que sous l’Occupation : des rancunes personnelles et des vengeances de voisinage.

  • J’hallucine... chopé sur le direct de mediapart :

    Le préfet de Seine-et-Marne réquisitionne les chasseurs

    Dans un arrêté repéré par le rédacteur en chef de Next Impact, le préfet de Seine-et Marne réquisitionne les chasseurs et garde-chasses, samedi 4 et dimanche 5 avril, afin de « prévenir et signaler aux représentants des forces de l’ordre » les infractions aux règles locales du confinement.

    ici, à 11:47
    https://www.mediapart.fr/journal/international/130320/la-crise-du-coronavirus-en-direct-lavertissement-dagnes-buzyn-avant-daband

    Ehhhh ben... Je les plains les seine-et-marnais⋅es : non seulement ils ou elles vont avoir les condés tatillons sur le dos, mais en plus ils ou elles vont se taper les viandards.

    C’est quoi l’étape d’après ? On les autorise à tirer à vue ?
    #coronavirus #milice #chasseurs #viandards #autoritarisme