« Il est temps de relocaliser et de lancer une réindustrialisation verte de l’économie française »

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  • Gaël Giraud : « Il est temps de relocaliser et de lancer une réindustrialisation verte de l’économie française »
    Par Eugénie Bastié | 10 avril 2020 à 13:53,
    https://www.lefigaro.fr/vox/economie/gael-giraud-il-est-temps-de-relocaliser-et-de-lancer-une-reindustrialisatio

    FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - L’économiste et ancien directeur de l’Agence française de développement (AFD) nous donne ses pistes pour sortir après le confinement de la plus grave crise économique depuis 1945. Il plaide pour un retour massif de l’Etat dans l’économie et l’annulation d’une partie de notre dette.

    • Gaël GIRAUD.- Le discours du 12 mars dernier du président de la République reprenait un thème présent depuis longtemps dans ses allocutions —la mise “hors marché” des biens communs, et la santé en est un — et semblait faire un réquisitoire contre sa propre politique. Le sens qu’il convient de donner à une parole est inséparable des actes qui l’accompagnent. Attendons les actes.

      On accuse volontiers les « dogmes néolibéraux » ou l’austérité budgétaire d’avoir ruiné les systèmes de santé des pays occidentaux. Cependant on voit aussi que les pays qui s’en sortent le mieux tels la Corée du sud, Taïwan, Singapour ou l’Allemagne sont aussi ceux qui disposent d’un Etat moderne, de finances publiques saines, d’une industrie puissante. Par railleurs, la France semble dépenser plus que la moyenne des pays de l’UE dans le système de santé. Faut-il vraiment accuser l’austérité ?

      Un peu de comptabilité nationale ne fait jamais de mal : la contribution des administrations publiques à la valeur ajoutée, et donc au PIB, est de l’ordre de 18,2% en France. Elle n’augmente quasiment pas depuis 1983. Les fameux 56,6% brandis trop souvent proviennent d’une erreur consistant à confondre la valeur ajoutée avec les dépenses de fonctionnement : les dépenses des ménages et des entreprises non financières représentent 150% du PIB mais cela n’inquiète personne, à juste titre, car tout le monde sait que ce ratio n’a pas de sens. Quant à nos dépenses publiques de santé, près des deux tiers alimentent la dépense privée : ce sont des revenus des professionnels de santé libéraux, des cliniques privées et des laboratoires pharmaceutiques.

      La Corée du sud, Taïwan et le Vietnam (dans une version non-démocratique) démontrent qu’un secteur public puissant étroitement articulé à un secteur industriel qui ne rêve pas de se délocaliser en Chine ou en Europe de l’Est sont les clefs du succès économique et sanitaire.

      Notre fiasco sanitaire me paraît d’abord dû à une culture comptable qui confond toujours la gestion de “bon père de famille” avec celle d’une Nation
      Alors quelles sont les raisons de notre fiasco sanitaire ?

      Notre fiasco sanitaire me paraît d’abord dû à une culture comptable qui confond toujours la gestion de “bon père de famille” avec celle d’une Nation : non, la macro-économie n’est pas de la micro-économie élargie car les dépenses des uns y font les revenus des autres (ce qui n’est pas vrai pour un ménage ou une entreprise). Et qui confond gestion intelligente avec réduction toujours et partout de la dépense publique à (très) court terme. Le stock (de masques), la réserve (d’enzymes) ne sont pas des immobilisations inutiles, de l’argent public dormant. Le budget de l’Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires (EPRUS) créé en 2007 a été, depuis lors, divisé par dix. Résultat : par delà les morts, nous allons prendre au moins dix points supplémentaires de ratio dette publique sur PIB (un autre ratio qui n’a pas de sens) et cela fera hélas la démonstration que, jugé à l’aune de ses propres critères, cet “esprit comptable” conduit à sa propre défaite face au réel : la nécessaire explosion de la dépense publique et la destruction partielle de notre appareil productif pour sauver des vies. Mais ce n’est pas aujourd’hui l’heure des comptes. L’urgence est à la solidarité nationale avec nos compatriotes qui meurent chez eux, dans nos hôpitaux ou nos Ehpads et avec tous ceux qui souffriront de séquelles à vie. Cela doit passer par la réquisition des cliniques privées (comme en Espagne), la production de ventilateurs pour sauver des vies (comme aux Etats-Unis), de masques et matériel de dépistage sans lesquels aucun déconfinement ordonné n’est possible. (...)

      Le plus urgent, à la sortie du confinement, sera de remettre au #travail le plus grand nombre de nos compatriotes : en pratiquant des tests de dépistage aléatoires groupés pour circonscrire les risques de reprise de la contagion, en généralisant le port du masque pour tous et partout, en renforçant de toute urgence notre système sanitaire. Encore faut-il que les salariés d’hier retrouvent un travail. Le chômage partiel permet de freiner l’hémorragie mais nous n’avons pas encore les chiffres de la débâcle en matière d’emplois. Par ailleurs, le COVID19 peut malheureusement devenir une épidémie saisonnière (comme la grippe) et le réchauffement climatique risque de multiplier les pandémies tropicales. Reconduire le « monde d’hier », fondé sur la thermo-industrie et des économies de court terme faites sur le dos des services publics serait irrationnel. Il faut donc profiter du déconfinement pour inaugurer le « monde de demain ».

      #esprit_comptable #déconfinement #réindustrialisation_verte #marché_intérieur

  • L’un des aspects des politiques néolibérales depuis des décennies, c’est la destruction systématique et volontaire des outils de compétence et d’expertise de l’État.

    C’est notamment un des grands thèmes démontrés par @marclaime au sujet de la gestion de l’eau : la plus grande forme de corruption du système, ce ne sont pas les histoires de valises de billets qui ravissent le Canard enchaîné (ce que Marc qualifie de « vol de sac à main »), mais l’organisation volontaire de l’incompétence des services de l’État, qui se retrouve ainsi pieds et poings liés aux bons conseils (juridiques, techniques et scientifiques, organisationnels…) délivrés par les multinationales de chaque secteur qui, du coup, raflent des contrats de plusieurs centaines de millions voire de milliards d’euros dans des conditions qui leur sont incroyablement favorables, façon racket légalisé sur un service public.

    Et en règle général, les politiques « volontaristes » de libéralisation ont systématiquement été menées en appauvrissant et détruisant tous les centres d’expertise indépendants financés l’État, considérés ou présentés comme des contre-pouvoirs corporatistes et rétrogrades freinant l’émergence d’un marché efficace.

    Je n’ai pas encore vu passer grand chose à ce sujet quant à la crise actuelle. Ce qu’on a vu, c’est tout de même le niveau d’incompétence sidérant de nos responsables politiques, comme si, vraiment, il n’y avait rigoureusement rien d’organisé, dans les structures institutionnelles, pour leur donner des conseils vaguement structurés et cohérents.
    https://seenthis.net/messages/840455
    Je me demande donc si, dans ce domaine-là, on n’est pas aussi en train de payer des années de destruction des centres d’expertise à la fois financés et promus sur fonds publics, mais indépendants et scientifiquement compétents dans leur expertise. Ce qui constituait une caractéristique fondamentale de la démocratie libérale (pouvoirs et contre-pouvoirs, centres d’expertise ne dépendant pas des changements politiques, à l’intérieur même de la structure politique).

    Les financements « à courte vue » de la recherche me semblent entrer dans cette logique. Mais je me demande s’il y a aussi, comme cela a été fait pour la privatisation de la gestion de l’eau, un appauvrissement volontaire et coupable des services de compétence et d’expertise de l’État en matière de décisions et d’évaluation de la santé publique.

    Ou peut-être que non. (Mais vu le niveau interstellaire d’incompétence affiché avec morgue là-haut, j’en doute.)