Les leçons de Wuhan pour enrayer l’épidémie

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  • Les leçons de Wuhan pour enrayer l’épidémie
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    Des gardes en combinaison à l’entrée de l’hôpital Leishenshan de Wuhan, le 11 avril. Le site a été construit en dix jours au pic de l’épidémie alors que les hôpitaux de la ville ne pouvait faire face à l’afflux de malades. Il peut accueillir 1400 malades. GILLES SABRIE POUR « LE MONDE »

    Après avoir tardé à réagir, les autorités ont mis en place un confinement strict et isolé de tous les malades.

    Un grand hall, quelques panneaux de contreplaqué pour former des unités, et des lits en fer : le secret de Wuhan pour juguler l’épidémie de Covid-19 n’est pas très impressionnant. Chaque lit a un numéro, deux prises de courant, une table d’écolier et une grande boîte en plastique pour ranger les effets personnels des patients. C’est tout. Mais, par leur simplicité, ces sites, stades, salles de concert ou centres d’exposition transformés en hôpitaux de campagne en quelques jours, ont permis à Wuhan de traiter en masse les personnes présentant des symptômes mineurs de la maladie, soit 85 % à 90 % des cas. Une stratégie permettant à la fois de prendre en charge les malades bénins avec relativement peu de moyens, tout en les isolant de la société, mettant fin à la dynamique des contaminations, notamment intrafamiliales.

    Malgré une réponse tardive à l’épidémie, à la fois due aux incertitudes scientifiques face à un virus nouveau et à une volonté politique d’en minorer la portée, Wuhan a repris le contrôle sur l’épidémie rapidement. En un mois environ, la situation, qui paraissait désespérée, a été inversée. Le 23 janvier, la ville de 11 millions d’habitants était placée en quarantaine, suivie quelques jours plus tard par toute la province du Hubei et ses 56 millions d’âmes. A partir du 20 février, la courbe des nouvelles contaminations s’infléchissait clairement. Début mars, la ville ne déclarait plus qu’une dizaine de nouveaux cas par jour.

    Le docteur Zhao Yan, Français d’origine chinoise, est le directeur adjoint de l’hôpital Zhongnan, un hôpital d’élite de la ville où l’on envoie les patients les plus graves, et médecin référent du consulat de France à Wuhan. Dans son hôpital, les premiers cas arrivent début janvier, dont un patient habitant à proximité du marché aux fruits de mer de Huanan, premier « cluster » de l’épidémie. Mais, à l’époque, les autorités assurent encore que la maladie ne se transmet pas entre humains. « C’était désespérant, témoigne le docteur Zhao. Nous voyons défiler des malades, nous suspectons très fort que c’est cette maladie, qu’elle est infectieuse, et on nous dit “Non, ce n’est pas contagieux”. »

    Répartis en fonction de l’état

    Le 20 janvier, les autorités chinoises annoncent que la maladie se transmet bien entre humains, et le président déclare que la situation est « grave ». « Il y a eu un avant et un après cette annonce de Xi Jinping : à partir de là, c’est le branle-bas de combat. En Chine, le plus difficile c’est de faire connaître les problèmes. Une fois que le gouvernement a décidé qu’il y a un problème, ça va très vite », explique le docteur Zhao.

    Très vite et très fort : la première phase de quarantaine, lors de laquelle les habitants peuvent continuer à sortir faire les courses, donne des résultats mitigés. La construction de deux hôpitaux en une dizaine de jours, très médiatisée, paraît même dérisoire face à l’afflux de patients : ils comptent 2 600 lits en tout, alors que, chaque jour, plus de 3 000 nouveaux cas sont détectés. La ville change de stratégie : la quarantaine est durcie, plus aucune sortie n’est autorisée après le 14 février. Une économie de guerre se met en place avec l’approvisionnement des habitants par les comités de résidents.
    Parallèlement, à partir du 8 février, une campagne est lancée pour « interner tous ceux qui doivent être internés » : une formule militaire dont les modalités consistent à évaluer la santé de tous les habitants de Wuhan par des visites systématiques des comités de résidents, armés de thermomètres, et d’embarquer tous ceux qui présentent le moindre symptôme. Ils seront testés, et répartis en fonction de leur état, entre les hôpitaux pour les cas sérieux, les hôpitaux de campagnes pour les cas bénins mais confirmés, et les hôtels pour les personnes ayant été en contact avec des patients confirmés. Dans la ville, une quinzaine de ces hôpitaux de campagne sont installés en quelques jours. Au départ, les patients se plaignent du froid et de la nourriture, une bagarre a même lieu dans l’un des centres. « Il y a eu des cafouillages au début, c’est normal, mais ensuite, les patients étaient très satisfaits », assure Zhao Yan, dont l’hôpital a la responsabilité de l’un de ces centres.

    Deux conditions sont nécessaires pour y être admis : être testé positif, et ne pas présenter de symptômes sérieux. Les médecins, qui arrivent en renfort de toutes les provinces de Chine, examinent les patients à la chaîne. Rapidement, les sites sont de mieux en mieux équipés : Wi-Fi de rigueur pour occuper les malades, et scanner pour les examiner – des machines sont apportées dans des conteneurs, prêtes à l’emploi. Outre l’isolement des malades, ces sites permettent aussi le triage : les patients dont les symptômes empirent sont repérés plus vite que s’ils restaient chez eux, et peuvent être envoyés vers les hôpitaux référents.

    Ouvert le 7 février, l’hôpital de campagne (fangcang yiyuan, littéralement « hôpital préfabriqué ») du centre d’expositions du district Dongxihu compte 1 500 lits. « Ces structures de campagne répondent à deux objectifs. D’abord, isoler les patients Covid-19, ne pas les laisser contaminer la communauté ou les hôpitaux. Deuxièmement, apporter des soins aux patients, qui ont peur, toussent, ont de la fièvre », explique Zhang Junjian, professeur de neurologie à l’université de Wuhan, et directeur du site. Le responsable assure que le centre, fermé le 8 mars, n’a connu aucun décès ni aucune contamination du personnel. Il a été conservé en l’état, par précaution, car l’épidémie n’est pas entièrement terminée, et pour donner à voir cet ingrédient essentiel de la méthode chinoise qui a permis de stopper l’épidémie à un stade avancé, expliquent les autorités, lors d’une visite de presse organisée le 9 avril.

    Philippe Klein, directeur d’une clinique traitant les expatriés à Wuhan, installée au sein de l’hôpital de l’Union, voudrait que la France s’inspire de l’exemple de la métropole chinoise. « C’est la méthode que je voudrais voir appliquer en France pour arrêter le brassage de la population », insiste-t-il. Consulté par la maire de Paris, Anne Hidalgo, qu’il a aidée à établir son plan de déconfinement, il est également contacté par Emmanuel Macron le 21 mars. « Depuis, je vois que les choses ne bougent pas », regrette celui qui a exercé comme généraliste en France pendant vingt ans, et qui appelle à « agir rapidement, et brutalement ». Le professeur Zhang Junjian partage cette conclusion : « Vu d’ici, on ne comprend pas trop pourquoi on ne porte toujours pas de masque dans autant de pays. La leçon de Wuhan, c’est de confiner, confiner, confiner. Et ensuite, tester, tester, tester. »