Dans les hôpitaux parisiens, des soignants se plaignent de ne pas être assez nourris - Page 1

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  • Contre le coronavirus, les premières lignes sont des femmes
    17 AVRIL 2020 PAR CÉCILE ANDRZEJEWSKI
    https://www.mediapart.fr/journal/france/170420/contre-le-coronavirus-les-premieres-lignes-sont-des-femmes?onglet=full

    Alors que le discours politique se veut martial, la réalité de la lutte contre la pandémie s’incarne non pas dans de virils guerriers mais dans des professions majoritairement féminines. Lesquelles sont pourtant souvent invisibles, et toujours très mal payées. Témoignages.

    « Ce qui fait tenir la société, c’est d’abord une bande de femmes, parce que les femmes sont majoritaires dans les équipes soignantes – même si nous saluons aussi avec autant de gratitude les hommes – parce que les femmes sont majoritaires aux caisses des supermarchés, parce que les femmes sont majoritaires dans les équipes qui nettoient les établissements qui travaillent encore, et qu’elles sont souvent majoritaires dans la fonction publique qui tient encore. » En ce lundi 13 avril, sur France Inter, Christiane Taubira donne le ton. Et décrit formellement ce que beaucoup de Français constatent dans leur quotidien confiné : dans la lutte contre la pandémie, la première ligne se révèle majoritairement féminine.

    Dans le sillage de l’ancienne garde des Sceaux, le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) écrit : « Les personnes qui assurent aujourd’hui majoritairement la survie quotidienne de notre pays en termes de santé, en contact direct avec les malades, que ce soit les infirmièr.es, les aides-soignant.es ou le personnel assurant la restauration ou le ménage, à l’hôpital ou dans les Ehpad, ce sont des femmes. Les personnes qui permettent aujourd’hui majoritairement que l’accès aux denrées alimentaires et aux biens de première nécessité soit possible, en tant que caissières dans les supermarchés ou dans les magasins de détail, en contact direct avec le public, ce sont des femmes. »

    Les chiffres parlent d’eux-mêmes : elles représentent presque 98% des aides à domicile et des aides ménagères (selon les chiffres de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles – UNA), 89 % des aides-soignantes (selon la DREES – direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), 88 % des infirmières (chiffres du Syndicat national des professionnels infirmiers), près de 80 % des caissières (d’après la DREES)…

    « À chaque fois, me vient en tête cette image qu’on voyait récemment dans les manifestations, de dames avec un bandana rouge, qui se retroussent les manches, en bleu de travail… Rosie la riveteuse ! Ça me fait un peu penser à ça, à cette armée de femmes », remarque Élodie Binet, infirmière libérale dans le Var. « Le sexe faible n’est pas toujours celui qu’on croit, s’amuse Alix Casse, une de ses collègues d’Arcachon. C’est quelque chose de presque ancestral, autrefois les infirmières étaient des nonnes, on le ressent encore aujourd’hui. De même dans la cellule familiale : soigner, prendre soin, s’occuper de, ont toujours été des rôles féminins. Ça a perduré dans ces métiers-là. »

    À Paris, un supermarché de quartier, à la Porte de Vanves. © Georges Gonon-Guillermas / Hans Lucas via AFP
    À Paris, un supermarché de quartier, à la Porte de Vanves. © Georges Gonon-Guillermas / Hans Lucas via AFP
    Ces métiers sont regroupés dans le domaine qu’on appelle le « care » (ou soin, sollicitude en français). Une théorie qui trouve son origine dans le travail de deux chercheuses américaines : Carol Gilligan et Joan Tronto.

    « Au départ, l’éthique du care s’intéresse au sentiment d’attention et au souci des autres, explique Sandra Laugier, professeure de philosophie à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Même si ce n’est pas réservé aux femmes, socialement, ce sont surtout elles qui se retrouvent en situation de s’occuper des autres – des enfants, des malades, des personnes âgées… –, et de développer ces capacités. L’autre dimension du care renvoie à une activité. Et donc à un travail. Il ne s’agit pas simplement d’un sentiment mais aussi d’un domaine d’activité de la vie sociale qui permet à la société de se maintenir en temps normal, qui rend la vie quotidienne possible, mais qu’on ne voit pas, qu’on tient pour acquis. Là, d’un coup, ces métiers deviennent visibles, le concept du care se matérialise. Et les gens deviennent reconnaissants. »

    De fait, en ce moment, « quand tu te fais contrôler par la police, ils te disent “courage” ; au drive, ils te font des courses spéciales parce que tu es soignante ; la boulangerie nous offre les chocolatines ; tu as presque des gens qui t’applaudissent quand tu vas au supermarché », s’étonne Sabrina, infirmière en Ehpad.

    Maryse* n’en revient pas non plus d’avoir été applaudie par une cliente derrière la caisse de son hypermarché. Aide-soignante dans une clinique, Maëlys* note également le changement d’attitude. Si les patients de son établissement ont toujours montré une certaine reconnaissance, « là, ils donnent vraiment beaucoup, beaucoup de cadeaux. Comme ils savent que c’est nous qui fournissons notre petit déjeuner, on a reçu beaucoup de boîtes de chocolat, de thés, de cafés… »

    « La mairie nous a amené des boissons, des pizzas ; un magasin du coin nous a aussi livré à chacune des chocolats, dit encore Maëlys. Heureusement qu’on a tous ces petits gestes-là, parce que ce n’est pas notre direction qui nous soutient. En tant qu’aides-soignantes, on a toujours été dénigrées, on est là pour le pipi caca. Mais là, c’est encore pire, les cheffes ne viennent pas nous voir, comme si on avait la peste. » Dans sa clinique, les plannings continuent d’être délivrés à la dernière minute, les droits de retrait ont été refusés « par manque de personnel » et celles qui posent des arrêts de travail se le voient vertement reprocher.

    « Une dimension morale très forte dans ces métiers »

    Comme ailleurs, le matériel fait aussi cruellement défaut. Pour Maëlys et ses collègues aides-soignantes, un masque chirurgical par jour – qui donc « ne sert plus à rien après avoir mangé ». Idem pour Sabrina en Ehpad, qui n’a même pas de surblouse alors qu’elle passe dans les chambres de tous les résidents. « L’ARS ne nous fournit que les masques, pour le reste on doit se débrouiller seules », soupire Emma*, responsable, elle aussi en Ehpad.

    Au début du confinement, Isabelle, auxiliaire de vie, n’avait tout simplement ni gel ni masque. Ce n’est que le 9 avril qu’elle a été autorisée à avoir trois masques par employeur et par semaine, pour les bénéficiaires de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) et les personnes de plus de 70 ans. « Je m’occupe aussi d’une personne de moins de 70 ans, officiellement, je n’ai pas le droit à un masque pour elle, alors que je peux lui transmettre le virus. Au début, on nous disait que les masques étaient réservés aux infirmières. »

    Pourtant, les infirmières libérales ont connu la même galère. Élodie Binet a déboursé pas moins de 300 euros de sa poche pour se fournir en matériel médical. Elle n’était « pas loin d’acheter des ponchos imperméables sur Amazon » pour faire office de blouse. L’infirmière Alix Casse et sa collaboratrice, elles, ont bien des masques. Mais doivent passer des appels aux dons sur les réseaux sociaux, « pour que les entreprises du coin nous fournissent un minimum de matériel. On avait réussi à récupérer des visières par une entreprise 3D, mais elles ont été réquisitionnées par les gendarmes… ».

    Pour faire face aux manques, notamment de masques et de surblouses, hôpitaux, collectivités et mairies ont donc fait appel à des couturières. Là encore, des femmes viennent sauver la mise des défaillances publiques.

    Justine fait partie de celles qui ont rejoint l’atelier couture lancé par le CHU de Lille pour fabriquer des surblouses – 6 000 y sont utilisées chaque jour par les soignants. « On voit dans l’atelier qu’il y a beaucoup de femmes, c’est clair qu’elles constituent la première ligne. Mais les hommes prêtent aussi main-forte pour trouver des tissus, les livrer, etc. », précise la couturière bénévole.

    Dans les Hauts-de-France toujours, Chantal passe ses après-midi sur sa machine à coudre à fabriquer des masques pour le personnel d’une résidence pour personnes âgées de sa ville. Après avoir travaillé des années dans une entreprise de nettoyage, Chantal a pourtant les mains et les épaules en compote. Malgré de multiples opérations à chacune de ces articulations, elle n’a pas hésité à répondre à l’appel de sa mairie. « Je ne peux pas coudre autant que je voudrais, regrette-t-elle même. Mais je suis contente de rendre service aux filles de la résidence. » Lesquelles vont donc au boulot sans équipement et sans avoir renoncé à leur « devoir » ou à leur « vocation », comme le définissent nos interlocutrices.

    « On est là pour prendre soin et préserver la vie, insiste Élodie Binet. Donc, même si j’ai la pétoche, j’y vais. C’est ma responsabilité de ralentir la propagation du virus. » Une réflexion qui fait écho à l’analyse de Sandra Laugier : « Les travailleuses du care ont toutes le réflexe de dire qu’elles ne peuvent pas faire autrement. Il y a une dimension morale très forte dans ces métiers. »

    Comme le rappelle justement Alix Casse, elle aussi infirmière libérale, « on ne fait pas que du soin. On devient un membre de la famille de nos patients, on fait aussi office d’assistante sociale, de réparatrice télé, de femme de ménage, de plombière… C’est tout un accompagnement. Ça n’a l’air de rien, mais pour certains patients, ça représente tout ». « Les familles nous font confiance », renchérit Isabelle. L’auxiliaire de vie apprécie de faire les courses et la causette aux personnes dont elle s’occupe. « Parfois, elles n’ont que nous… »

    Car le care va plus loin que le soin physique, « il permet de maintenir la vie quotidienne, pas seulement la vie biologique », rappelle Sandra Laugier. Des fonctions qui, comme le souligne le HCE, « contribuent à notre survie lors de cette pandémie », mais restent bien trop souvent invisibilisées, mal payées et méprisées.

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    À temps partiel à 80 %, en travaillant les week-ends et avec treize ans d’ancienneté, Maëlys, aide-soignante, touche 1 040 euros par mois. Élodie Binet, infirmière libérale, se déplace parfois à des kilomètres de chez elle pour effectuer des injections rémunérées 7 euros brut. « On ne fait pas ça pour l’argent, sinon on ferait autre chose, ironise Delphine, aide-soignante de nuit en Ehpad. Mais notre métier a une valeur particulière en ce moment, il prend tout son sens. Les personnes âgées comptent sur nous. »
    « Comment se fait-il que tout ce domaine d’activité soit dévalorisé, tenu pour peu de chose ?, interroge la philosophe Sandra Laugier. Tout un domaine de l’activité humaine, extrêmement important, se trouve négligé, n’est pas pris au sérieux. La question revient à celle de la poule et de l’œuf : est-il dévalorisé car occupé par des femmes ou est-il occupé par des femmes car peu valorisé ? Le domaine de la vie domestique n’a jamais été considéré comme important politiquement, il s’agit d’un lieu de travail gratuit. Or, là on s’aperçoit que c’est bien celui-là qui permet l’essentiel. Tout ce qui fait qu’on vit a toujours été assuré par les femmes, tout ce qu’on ne voit pas ou ne veut pas voir d’habitude apparaît au grand jour. Alors que le discours politique reste dominé par les hommes. La structure genrée de la société devient très visible. Le fait qu’on parle plus de ce travail du care, majoritairement féminin, qu’il apparaisse plus, ne change finalement rien aux structures de domination. »

    Alors, à quand une allocution télévisée, à 20 heures, de travailleuses du care ?

    cc @dora_ellen
    #femmes

    • Contrairement à ce que dit l’article ci dessus, les soignantes ne sont pas nourris généreusement l’hopital leur faire crever la dalle dans leur boulot qui consiste à sauver les vieux machos boomers qui ont voté Macron.

      Dans les hôpitaux parisiens, des soignants se plaignent de ne pas être assez nourris
      17 AVRIL 2020 PAR IBAN RAÏS
      https://www.mediapart.fr/journal/france/170420/dans-les-hopitaux-parisiens-des-soignants-se-plaignent-de-ne-pas-etre-asse
      C’est une question cruciale en temps de « guerre » : comment (bien) nourrir ses troupes ? À Paris, Mediapart s’est entretenu avec des infirmières, des aides-soignants, des internes et des médecins, et le constat est sans appel : ils n’ont pas assez à manger. En fait, seule la débrouille des personnels permet de tenir.

      Comment nourrir les troupes quand, comme l’a dit et répété Emmanuel Macron, la nation est « en guerre » face au Covid-19 ? Dans de nombreux hôpitaux parisiens dépendant de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), la détresse des personnels soignants, infirmières, aides-soignants, internes ou médecins, paraît évidente : ils n’ont pas assez à manger.

      « La semaine dernière, on n’avait rien. » Laurent, qui a accepté de témoigner sous couvert d’anonymat (voir la Boîte noire de cet article), est interne en réanimation dans l’un des plus grands hôpitaux parisiens. Pendant son seul jour de repos en trois semaines, il raconte pourquoi il se sent abandonné par l’AP-HP. Depuis deux semaines, ses journées sont plus physiques que d’habitude : « Ça fait dix jours qu’on travaille sans compter nos heures. J’ai l’impression que ça fait six mois. Physiquement, c’est très dur. On a réussi à doubler notre capacité de lits en réanimation, le rythme est intenable. »

      L’hôpital Lariboisière, à Paris. © Hugo Passarello Luna/Hans Lucas
      L’hôpital Lariboisière, à Paris. © Hugo Passarello Luna/Hans Lucas
      En temps normal, le personnel médical doit se débrouiller pour se nourrir. L’AP-HP n’a pas obligation de fournir des repas. Le plus souvent, les soignants, des médecins aux brancardiers, en passant par les aides-soignants, apportent eux-mêmes leurs repas. Ils peuvent aussi se restaurer à la cantine de leur hôpital, pour un peu moins de 10 euros. À ce prix-là, ils ont le droit à une entrée, un plat chaud et un dessert.

      À l’hôpital Mondor, à Créteil (Val-de-Marne), un médecin avoue qu’il « préfère les rations servies pendant le service militaire, qui étaient plus nourrissantes… ». Les cuisines des cantines servent patients et personnel médical, sans distinction quant aux plats ou aux quantités dans l’assiette.

      Mais voilà. Alors que les services de réanimation des hôpitaux de l’AP-HP font face à une crise sans précédent, les cantines sont fermées pour garantir la sécurité des employés et ne pas propager le virus, selon la direction de l’AP-HP.

      Sauf que les journées de garde sont plus longues depuis la mi-mars. Plus physiques, plus stressantes aussi. La tradition dans les hôpitaux parisiens veut que l’AP-HP fournisse au personnel médical une collation en milieu d’après-midi, pour aider les corps à tenir ce rythme épuisant.


      Collation pour tenir toute une garde à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, le 31 mars. © DR/Mediapart

      Le nombre de collations, distribuées en salle de repos à 16 heures, n’a pas augmenté. De faible qualité nutritive, ces collations ne sont pas suffisantes pour permettre au personnel soignant d’enchaîner les heures. « Un morceau de pain, un paquet de chips et parfois un yaourt, voilà ce qu’on nous donne pour tenir une journée », explique à Mediapart Claire*, une aide-soignante d’un hôpital de l’est parisien qui préfère, elle aussi, rester anonyme, par peur de représailles professionnelles.
      Préparer la chambre d’un patient suspecté d’être infecté devient, dit-elle, une mission plus longue, plus énergivore : « Ce qui me prenait 20 minutes avant me prend désormais une heure. On a un protocole hyperstrict, ça rallonge tous les gestes. À la peur de contracter le virus en travaillant s’ajoute maintenant la faim. C’est intenable. »

      Sollicitée, l’AP-HP nie. « À aucun moment il n’y a eu de restriction dans les possibilités d’alimentation », indique la direction de la communication, qui reconnaît toutefois « un changement des habitudes de restauration des personnels ».

      À Lariboisière, dans le Xe arrondissement de Paris, les aides-soignants ont fait part à leurs chefs de ces manquements. « On nous a répondu que ça n’était pas la priorité et qu’il fallait serrer les dents », raconte, dépitée, une infirmière.

      Dans un autre hôpital important du centre de Paris, même combat. En temps normal, Sébastien, interne, amène sa propre nourriture. Impossible en ce moment, faute de temps. Les supermarchés ferment à 20 heures.

      Avec l’aide de ses proches, le chef du service réanimation de l’hôpital a activé son réseau pour trouver des solutions. Plusieurs sociétés privées ont répondu à l’appel et fournissent gratuitement l’hôpital depuis plusieurs semaines. C’est le cas d’Uber Eats, Moma Group (une trentaine de restaurants à Paris) et Nestor, une société de livraison de repas.

      Un médecin, qui préfère rester anonyme, ne décolère pas : « Pour nous nourrir, ça va plus vite sur les réseaux sociaux et en suppliant des boîtes privées. L’AP-HP est à la ramasse. »

      Un constat partagé par Jean-Marc Devauchelle, élu du syndicat SUD Santé à l’hôpital Mondor. « La situation n’est pas nouvelle. Mais en ce moment, avec le rythme, la peur, c’est un facteur aggravant. Le peu qu’on nous donne ne nous tient pas au corps. Au niveau nutritif, c’est horrible. Un yaourt Mamie Nova, c’est le Graal. »

      La direction de la communication de l’AP-HP ne reconnaît pour sa part aucun retard à l’allumage, ni aucun manquement dans la fourniture de repas aux personnels soignants de ses 36 hôpitaux. Elle concède seulement avoir « demandé un effort particulier à tous les établissements pour permettre que des encas de grignotage soient rendus disponibles gratuitement et en libre-service 24 heures sur 24 dans les unités de soins ».

      Depuis le lendemain du confinement, c’est en réalité la débrouille du personnel soignant de l’AP-HP qui lui a permis de manger assez – et correctement. Beaucoup d’entraide, mais aussi des initiatives privées sont ainsi venues pallier les manquements constatés au sein de la structure publique. À l’hôpital Tenon, dans le XXe arrondissement de Paris, une cagnotte, baptisée « le pot solidaire », a été créée par les proches de l’un des chefs du service réanimation de l’hôpital pour pouvoir acheter des repas.

      Dans un tout autre registre, la directrice de cabinet du directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch, Anne Rubinstein, a appelé, le 19 mars, le chef cuisinier de l’Élysée, Guillaume Gomez, avec une idée en tête. Sous la houlette de Guillaume Gomez et de Stéphane Méjanès, un influent journaliste culinaire, l’AP-HP va s’associer à des chefs pour faire livrer des repas aux soignants.

      À grande échelle ? Non. C’est l’AP-HP qui choisit les hôpitaux à livrer, et seulement le dimanche. Dans un document de la cellule de crise de l’AP-HP que Mediapart s’est procuré, il est bien détaillé que « le repas dominical peut à ce titre venir s’insérer dans un quotidien professionnel difficile et […] témoigner [au personnel] tout notre et votre soutien ». Un compte Instagram, « les chefs avec les soignants », et un mot-dièse sont lancés pour l’occasion.

      « C’est clairement une opération de communication de la part de l’AP-HP, même si du côté des chefs, ça part d’un bon sentiment : l’AP-HP ne veut pas institutionnaliser le mouvement pour ne pas laisser croire qu’elle ne nourrit pas son personnel soignant », explique un chef sous couvert d’anonymat.

      Dans un mail envoyé aux associations qui tentent d’aider les soignants en cette période de crise, l’AP-HP demande même aux soignants de refuser des dons dont elle n’est pas à l’origine : « Dans cette période, je vous invite à ne pas accepter de dons alimentaires pour ne pas générer de doublons et de gaspillage. »

      Un médecin en réanimation fulmine : « De quel gaspillage parlent-ils ? Il n’y a même pas un repas ou une collation par personne depuis mi-mars. »

      Grâce aux dons (plus nombreux depuis le début de la crise) à la fondation AP-HP, la structure a pu faire livrer des plateaux repas en urgence, pour contenir la grogne de nombreux hôpitaux.

      Pigeons que le fournisseur du chef Guillaume Sanchez lui a donnés. Ils allaient être jetés... © DR
      Pigeons que le fournisseur du chef Guillaume Sanchez lui a donnés. Ils allaient être jetés... © DR
      Le dimanche 15 mars, le plus jeune chef étoilé de France, Guillaume Sanchez, a pour sa part pris les devants de la crise. L’un de ses fournisseurs, Ecotable, lui a fourni des stocks de nourriture dont la DLC (date limite de consommation) est en passe d’être dépassée : du canard, du veau, du bœuf…
      « Au tout début, je faisais 150 repas par jour, que je livrais ou faisais livrer. » Mais voilà, après avoir posté quelques stories de ses menus sur Instagram, le chef est inondé de messages : « On est fatigués, on a faim, on nous laisse seuls », lui écrit un brancardier. « Nos journées de 12 heures en réanimation Covid sont épuisantes et nos repas laissent à désirer », lui explique un infirmier anesthésiste.

      « Je suis enfermé en cuisine depuis des années et je n’avais aucune idée du calvaire vécu par le personnel médical. Je prends ça en pleine tête », dit le chef dans une vidéo. Finis, donc, les 25 couverts par service… La semaine dernière, le chef a dû sortir parfois plus de 800 repas par jour. Des pressés de légumes, plus pratiques à cuisiner.

      Devant la cadence infernale pour aider une dizaine d’hôpitaux à Paris et en proche banlieue, il a mobilisé son réseau. Aujourd’hui, plus d’une cinquantaine de chefs font partie du collectif, organisé pour trouver des produits de saison, locaux, les cuisiner et livrer.