La réforme des retraites plombée par le Covid-19

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  • La réforme des retraites plombée par le Covid-19
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    Le premier ministre, Edouard Philippe, lors des questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, le 14 avril. STEPHANE LEMOUTON / AFP

    Au sein de la majorité parlementaire et des organisations syndicales et patronales, beaucoup plaident pour l’abandon du texte.

    La réforme des retraites a résisté à l’une plus longues grèves de notre histoire – six à sept semaines d’arrêt de travail à la SNCF et à la RATP. Succombera-t-elle au Covid-19 ? Depuis plusieurs jours, une petite musique monte dans les allées du pouvoir, instillant l’idée que ce grand dessein du quinquennat pourrait être déclaré mort et enterré.
    Edouard Philippe a contribué à donner corps à une telle hypothèse. Le 3 avril, sur le plateau de TF1, le premier ministre lance : « Nous devons suspendre au maximum les désaccords. Le chef de l’Etat a demandé une union nationale. Il a annoncé la suspension d’un certain nombre de réformes qui n’ont plus lieu d’être dans la situation actuelle. »

    Matignon refuse de commenter plus avant ce dossier, arguant se concentrer exclusivement à la gestion de la crise sanitaire et à la récession économique qui en découle. Idem dans l’entourage du secrétaire d’Etat chargé des retraites, Laurent Pietraszewski.
    Mais nombreux sont ceux qui, au sein de la majorité et du gouvernement, n’hésitent pas à dessiner la perspective d’une fin prochaine de ce projet, approuvé, début mars, en première lecture à l’Assemblée nationale. Une adoption dans la douleur, avec l’aide de l’article 49.3 de la Constitution, qui permet de faire passer un texte sans vote.

    « Notre devoir est de rassembler tous les Français autour d’un petit nombre de priorités, et dans un délai très court, estime Gilles Le Gendre, président du groupe LRM du Palais-Bourbon. Nous devrons donc faire des choix. Entre deux réformes également utiles, il faudra privilégier celle qui rassemble le mieux. »

    La tonalité est la même du côté de Cendra Motin, députée LRM de l’Isère et rapporteuse de l’un des deux textes – le projet de loi organique – instituant le système universel promis par Emmanuel Macron : « Même si nous n’avions pas le choix, tout le monde est traumatisé par le 49.3. Reprendre la réforme telle qu’elle a été votée, ce n’est pas une bonne idée. Et je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de collègues qui aient envie de la défendre telle quelle, même si cela ne veut pas dire qu’il ne faille rien faire. » « Sur ce sujet, je ne sais rien de définitif, glisse un pilier de la majorité. Mais j’ai du mal à croire que ce débat reprenne de sitôt. »

    Confidences saisissantes

    Un ministre se montre beaucoup plus expéditif : « Cette réforme était devenue un boulet et je ne suis pas certain que dans le pays, il y ait volonté pour qu’on y revienne. Cela peut être remis à un prochain quinquennat. » Le même souligne qu’il vaut mieux se focaliser sur l’ « investissement dans les services publics et l’hôpital » . « Plusieurs chantiers sont totalement plombés politiquement, abonde un député LRM. L’assurance-chômage, les retraites : toutes ces réformes doivent être abandonnées. »

    De telles confidences sont saisissantes, comparées à la détermination dont faisait preuve, il y a quelque temps encore, le pouvoir en place. Le 4 mars, M. Philippe assurait que les textes seraient définitivement adoptés « avant l’été » . Après deux longues années de gestation, il ne manquait plus que quelques étapes : l’examen au Sénat et la prise en compte, éventuelle, des recommandations faites par la conférence sur le financement. Cette instance informelle, à laquelle participent les partenaires sociaux, devait formuler, en avril, un « éventail » de recommandations pour – entre autres – apurer le déficit du système de pensions, qui pourrait atteindre 12 milliards d’euros en 2027.

    Cet agenda, dont le gouvernement se prévalait-il y a un mois et demi, semble aujourd’hui dater d’il y a un siècle, voire tenir de la fiction. Car un seul impératif compte, désormais : la lutte contre le Covid-19. Le 16 mars, en même temps qu’il annonçait le confinement de la population, M. Macron a décidé que « toutes les réformes en cours seraient suspendues, à commencer par la réforme des retraites ». De la suspension à la mise en bière, il n’y aurait donc qu’un pas ?

    Négatif, répond, en substance, Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général LRM du projet de loi, pour qui tout n’est qu’une question de patience et de « calendrier ». Si ce chantier ne constitue pas « la priorité des priorités » , il ne faut, à ses yeux, pas le renvoyer aux calendes grecques. « J’ignore si on peut reprendre le texte cet été mais il a été adopté à l’Assemblée nationale et doit poursuivre son chemin au Sénat, assène le député du Val-de-Marne. La crise du coronavirus n’a pas fait disparaître les enjeux sur l’équilibre budgétaire et la simplification portés par la réforme. »

    « Certains doivent être soulagés »

    Président du groupe MoDem de l’Assemblée nationale, Patrick Mignola considère que l’ambition initiale « reste plus que jamais d’actualité » , du fait de « l’objectif de justice sociale » qu’elle poursuit. « L’une des intentions de départ est d’augmenter les petites pensions des agriculteurs, des indépendants et d’améliorer celles des femmes, très présentes dans les professions qui sont montées en première ligne contre l’épidémie, souligne le député de Savoie. Cette volonté de réparation doit se traduire par des mesures, inscrites dans les prochaines lois de finances pour 2021. »

    Les avis sont partagés, parmi les technocrates qui connaissent la thématique sur le bout des doigts. L’un d’eux pense que l’affaire est entendue. « La réforme des retraites est une des premières victimes – et pas la plus grave – du Covid-19, tranche-t-il. Je me demande à quel point ça arrange l’exécutif. Leur histoire était mal partie. Certains doivent être soulagés… » Un autre trouve, au contraire, que la crise actuelle « valide totalement l’idée d’un système universel » , parce qu’elle concourt à l’instauration d’un « pilotage globalisé » et permet une solidarité entre toutes les catégories d’actifs.

    Du côté des partenaires sociaux, la volonté est de tourner la page – y compris chez les syndicats dits « réformistes », qui soutiennent ou regardent avec bienveillance le principe d’un système universel. « Le sujet, quand on sortira de la crise, ce sera celui de la cohésion sociale, de l’emploi, de l’évolution du travail, de la lutte contre les inégalités, indique le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. Nous ne mobiliserons pas notre énergie sur la question des retraites. Il est exclu de se mettre sur la figure pour ce dossier, ça n’aurait pas de sens. »

    Le président de la CFTC, Cyril Chabanier, « doute » , pour sa part, que « l’on redémarre là-dessus à l’automne, compte tenu de toutes les autres questions qui se poseront à ce moment-là, qu’il s’agisse de la probable montée du chômage, du creusement de la dette publique ou de la dégradation des comptes de la Sécu » .

    « La réforme n’ira pas au bout »

    Au sein des confédérations hostiles à la réforme, le propos est encore plus définitif. « L’urgence, dans les mois qui viennent, n’est pas de remettre de la controverse sur ce sujet » , dit Yves Veyrier, le dirigeant de FO. « Il ne faut absolument pas ressortir ce projet de l’armoire, il y aura bien d’autres problèmes à gérer, renchérit François Hommeril, le président de la CFE-CGC. Sinon, ça tiendrait de la provocation. » « La réforme n’ira pas au bout » , prophétise Catherine Perret, la numéro deux de la CGT.

    Même le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, juge que, « très franchement, ce n’est pas la priorité. Quand l’épidémie aura été maîtrisée, dans un contexte de récession inédite, le sujet numéro un sera de faire survivre les entreprises et de sauver les emplois » .
    « Il me semble que l’on aura bien d’autres choses à faire que de reprendre cette réforme qui n’était, à l’origine, pas motivée par l’urgence mais par un choix politique d’une organisation plus équitable du système » , enchaîne Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises.

    « Je le dis sans hésitation : cette réforme est morte » , certifie Alain Griset, président de l’Union des entreprises de proximité, pour qui il convient de construire « une sorte d’union nationale » , plutôt que d’alimenter la discorde.
    Le projet sera-t-il exhumé sous une autre forme un peu plus tard ? Des figures de la majorité veulent le croire. « Je suis convaincu que les fondements de la réforme – créer un système universel par points –, sont bons, défend Stanislas Guerini, délégué général de LRM. Le projet de refondation que l’on devra proposer pour l’après-crise nous permettra peut-être de lui donner davantage de sens encore, en liant le sujet des retraites à celui des mutations du marché du travail. Dans ce cadre, je pense qu’il faut rester très ouverts sur le calendrier. »

    « Tout le monde est redevenu keynésien »

    Tôt ou tard, la question devra de nouveau être débattue. Avant la présidentielle ? L’initiative serait plus que téméraire, « mais vous verrez que dans deux ans, on fera la retraite à 65 ans [au lieu de 62, aujourd’hui], parce qu’il y aura besoin de faire des économies… » , pronostique un député macroniste. Un autre, issu de l’aile droite de la majorité, suggère d’ailleurs de ne pas attendre : « A titre personnel, j’arrêterais cette réforme de retraites à points et je ferais une réforme avec une mesure d’âge ! » Précisément ce que souhaitait au départ M. Philippe.

    L’idée fait bondir le numéro un d’une centrale syndicale : « Vous pensez qu’en sortant de la crise, il y en a qui vont proposer 65 ans ? Il faudrait être dingo ! » M. Roux de Bézieux, dont l’organisation a toujours défendu une disposition de ce type, ne plaide pas en ce sens, du moins pas à court terme : « Les problèmes financiers n’ont pas disparu avec le Covid mais la crise va nous mobiliser à 100 % et durablement. »

    « Pour le moment, tout le monde est redevenu keynésien donc pendant un ou deux ans, on va laisser couler, décrypte une source proche du dossier. Mais après la présidentielle on fera les comptes et on s’apercevra que les déficits sont beaucoup plus élevés que prévu… » Avec le risque que la volonté du retour à l’équilibre prenne le pas sur les grands principes portés par M. Macron avant son arrivée à l’Elysée.

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