Une étude publiée par une équipe d’épidémiologistes donne pour la première fois une photographie de l’épidémie en France et souligne « l’impact massif » du confinement sur la propagation du virus.
Le 11 mai, lorsque le confinement commencera à être progressivement levé en France métropolitaine, 3,7 millions d’habitants, soit 5,7 % de la population, auront déjà été en contact avec le SARS-CoV-2. Une prévalence de l’infection très loin des 70 % qui seraient nécessaires pour obtenir une protection collective par la seule immunité de groupe. Voilà ce que révèle la première « photographie » de l’épidémie réalisée par des chercheurs de l’Institut Pasteur, de Santé publique France et de l’Inserm.Mis en ligne mardi 21 avril,
►https://hal-pasteur.archives-ouvertes.fr/pasteur-02548181
leurs résultats et leurs prévisions montrent « l’impact massif qu’a eu le confinement en France sur la propagation du SARS-CoV-2 » . Selon leurs calculs, le nombre d’individus contaminés par chaque personne infectée est passé de 3,3 avant la mise en place du confinement le 17 mars à 0,5, soit une réduction de 84 %.
En Ile-de-France, 12 % de la population immunisée
Le fait que moins de 6 % de la population seulement ait pu développer des défenses immunitaires contre le nouveau coronavirus pose un problème majeur. « Nos résultats suggèrent fortement que, sans un vaccin, l’immunité de groupe sera insuffisante à elle seule pour éviter une seconde vague à la fin du confinement. Des mesures de contrôle efficaces devront être maintenues au-delà du 11 mai » , concluent-ils.
Cette proportion varie d’une région à l’autre. En Ile-de-France ou dans le Grand-Est, les régions les plus touchées, les épidémiologistes estiment le taux d’immunisation à 12 % en moyenne, mais elle chute à moins de 2 % en Nouvelle-Aquitaine, en Bretagne ou en Pays de la Loire. Elle oscille entre 5 % et 6 % dans les régions où le SARS-CoV-2 a davantage circulé comme les Hauts-de-France, la Bourgogne-Franche-Comté ou encore la Corse. « Il y a encore pas mal d’incertitudes sur ces chiffres, avec des fourchettes assez larges » , précise l’épidémiologiste de l’Institut Pasteur Simon Cauchemez, auteur principal de l’étude. « Mais qu’on soit à 5 % ou à 10 %, cela ne change pas grand-chose pour la suite » , ajoute-t-il.
Pour obtenir ces chiffres, les scientifiques ont utilisé deux jeux de données : le nombre de décès dans les hôpitaux en France, et l’enquête menée à bord du Diamond-Princess, ce navire de croisière mis en quarantaine au large des côtes japonaises. Tous les passagers à bord avaient été testés, ce qui a permis de connaître la proportion des personnes infectées par le SARS-Cov-2 finalement décédées. 1 décès pour 200 personnes infectées
Ces informations, qu’ils ont croisées et corrigées pour tenir compte notamment de la structure d’âge, leur ont permis de déterminer le taux de létalité du Covid-19 : 0,53 %, soit un chiffre proche des 0,5 % à 0,7 % avancés dans d’autres études à partir des données chinoises. A partir de là, il a suffi aux épidémiologistes de « remonter le temps ». « Si vous avez 100 morts et que la probabilité de mourir lorsqu’on est infecté est de 0,5 %, on peut en déduire le nombre de personnes infectées au départ » , explique Simon Cauchemez.
Ces estimations varient cependant beaucoup selon l’âge et le sexe : le taux de létalité n’est que de 0,001 % chez les moins de 20 ans, mais s’élève à 8,3 % chez les plus de 80 ans. Quel que soit l’âge, les hommes présentent un risque supérieur à celui des femmes d’hospitalisation pour le Covid-19, de passage en réanimation et de décès.
Pour préciser leur tableau de l’épidémie, les épidémiologistes ont aussi calculé la probabilité pour une personne infectée d’être hospitalisée. Selon leurs calculs, elle s’élève à 2,6 %, ce qui est bien inférieur à une première estimation de 4,5 % réalisée sur la base des données chinoises. Une fois hospitalisés, une minorité des patients doivent être admis dans un service de réanimation : c’est le cas de 18,2 % d’entre eux, après un délai moyen d’hospitalisation d’un jour et demi. Sans surprise, la probabilité de devoir aller en réanimation augmente avec l’âge, avec un « plafond » à 70 ans. Au-delà, les malades sont plus rarement transférés dans ces unités-là, car les chances de guérison sont très faibles.En analysant les délais entre l’hospitalisation et le décès du patient, les chercheurs ont clairement distingué deux sous-populations : des personnes décédant moins d’un jour après leur entrée à l’hôpital représentant 15 % des décès ; et les 85 % restants, des personnes mourant un peu plus de treize jours après leur admission en moyenne.
Après le 11 mai, 1 300 nouveaux cas par jour
Les données recueillies jusqu’au 14 avril indiquent un impact spectaculaire du confinement sur le nombre d’admissions quotidiennes en réanimation : il s’élevait à 700 à la fin du mois de mars et n’atteignait plus que 200 à la mi-avril. Au 11 mai, les chercheurs estiment qu’il y aura dans ces unités entre 1 370 et 1 900 lits occupés, contre plus de 5 600 aujourd’hui.
A partir du 11 mai, « il faudra faire quasi aussi bien que le confinement sans le confinement » , souligne Simon Cauchemez, en précisant que ces modélisations ne donnent pas d’indication sur l’efficacité des mesures qui peuvent être utilisées seules ou en combinaison pour ralentir l’épidémie : fermeture des écoles, télétravail, fermeture des lieux publics. Dans la mesure où, lors du confinement, tout le monde reste à la maison, « il sera difficile de différencier celles qui ont été les plus efficaces » .
La contribution des enfants à la transmission, qui a été bien mesurée pendant des épidémies de grippe, reste ainsi incertaine. Il faudra attendre le résultat d’enquêtes de terrain, avec un dépistage systématique de la population pour mieux apprécier l’impact de différentes mesures de distanciation sociale, dans les régions où elles ont été mises en place avant le confinement du pays.
La reconstitution précise de cette chaîne de transmission permettra en revanche d’alerter en temps réel les autorités sur la dynamique de l’épidémie. « L’objectif est de pouvoir dire plusieurs semaines à l’avance : si on continue sur cette trajectoire, voilà ce à quoi il faut s’attendre en nombre d’admissions, explique Simon Cauchemez. Cela permettra de savoir s’il faut renforcer les mesures de contrôle ou au contraire si on peut les relâcher. » Le nombre d’admissions en réanimation étant un indicateur « tardif » – compte tenu du délai entre l’infection et l’aggravation de la maladie –, de nouvelles données, comme les appels au 15, devraient être intégrées à l’avenir pour disposer d’un indicateur « avancé ».