Mineurs étrangers : à Marseille, la justice rappelle le département et l’Etat à leurs obligations - Page 1

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    20 avril 2020 Par Olivier Bertrand

    https://www.mediapart.fr/journal/international/200420/mineurs-etrangers-marseille-la-justice-rappelle-le-departement-et-l-etat-l

    Le tribunal administratif (TA) de Marseille va aider l’État à tenir (une partie de) ses promesses, au moins dans les Bouches-du-Rhône. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance avait promis il y a un mois que les mineurs non accompagnés (MNA) seraient « mis à l’abri ». Associations et avocats n’ont cessé d’alerter et de demander que des mesures contraignantes soient prises. Dans une décision rendue lundi 20 avril, le juge des référés du TA de Marseille, saisi par Médecins du monde (MDM) et Médecins sans frontières (MSF), enjoint au département des Bouches-du-Rhône et au préfet « d’assurer l’hébergement d’urgence et l’assistance » de mineurs abrités dans des conditions d’hygiène et de sécurité effrayantes dans le squat de Saint-Just, où quelques deux cents personnes se trouvent actuellement hébergées. Parmi ceux-ci, une cinquantaine de jeunes.

    Selon le mémoire en défense du département, « aucune ordonnance de placement provisoire » (OPP) n’a jamais été prononcée pour ces jeunes. C’est un pur mensonge. Des ordonnances ont été rendues pour au moins une dizaine d’entre eux et le conseil départemental ne peut l’ignorer : il a été plusieurs fois condamné par le tribunal administratif parce qu’il refuse de les exécuter. Par exemple, Mamadou (prénom changé), 17 ans, originaire du Mali, a fait l’objet en septembre 2019 d’une OPP par les services du département ; ces derniers n’ont rien fait et le tribunal administratif les a condamnés à cinq reprises pour cela, avec une astreinte qui se monte déjà, pour le seul Mamadou, à 17 000 euros.

    Des migrants affichent une banderole à l’extérieur du squat du foyer Saint-Just en janvier 2019. © Christophe Simon/AFP Des migrants affichent une banderole à l’extérieur du squat du foyer Saint-Just en janvier 2019. © Christophe Simon/AFP

    « Notre dispositif d’accueil est saturé, dit Roger Campariol, directeur général adjoint chargé de la solidarité au conseil départemental des Bouches-du-Rhône. Nous avons multiplié par quatre et demie les capacités de prise en charge des mineurs non accompagnés en cinq ans. De 227 mineurs confiés par le juge en 2015, nous sommes passés à 1 074 début 2020 et cette année 344 places doivent encore être créées. »

    Un salarié du conseil départemental reconnaît les créations de places, mais souligne que le département « tire l’accueil des mineurs étrangers vers le bas » en imposant des tarifs journées pour les hébergeurs plus bas que pour les autres mineurs (au total 4 550 mineurs sont confiés au département au titre de l’aide sociale à l’enfance). Une centaine d’ordonnances de placement provisoire ne sont par ailleurs pas exécutées, ce qui oblige associations et hébergeurs solidaires à assurer le relais. « Ce n’est pas une position ou un principe, assure le directeur. C’est un problème de capacités, notre département connaît l’une des situations les plus critiques avec le Nord et Paris. »

    Ses services font avec les moyens qui leur sont donnés. Or l’accueil des mineurs non accompagnés n’est pas (dans les Bouches-du-Rhône comme ailleurs) une priorité. « Nous parlons ici de cinquante à soixante jeunes, cela n’a rien d’insurmontable, soupire Isabelle, éducatrice et bénévole du Collectif 59 Saint-Just. Si le département ne se donne pas les capacités, c’est parce qu’il croit à la théorie de l’appel d’air, qui n’a aucun sens. Qui peut croire que des mineurs vont se précipiter pour quitter leurs parents et prendre des risques mortels à traverser la Méditerranée sous prétexte qu’on ne les recevrait plus dans des conditions indignes ? »

    Le département accuse le collectif d’entretenir la situation au lieu d’aider à trouver des solutions. « Qu’il nous retire toute possibilité de l’interpeller, réplique la bénévole, nous serons ravis. Je ne suis pas là pour faire de la politique mais pour demander que ces jeunes soient protégés au plus vite car la crise les met encore plus en danger. »

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    C’est l’analyse de la juge « qui décrit très bien dans son ordonnance la gravité de la situation », selon Anaïs Leonhardt, l’une des avocates de MDM et MSF. En revanche les associations regrettent que la magistrate enjoigne au département de prendre en charge les seuls mineurs (parmi la cinquantaine de jeunes recensés, certains viennent d’atteindre la majorité, d’autres n’ont pas été reconnus mineurs mais ont déposé des recours).

    À l’audience, conseil départemental et préfecture se sont renvoyé soigneusement la balle. Selon le département, Martine Vassal, présidente (LR) des Bouches-du-Rhône, a écrit le 26 mars au préfet pour lui demander de procéder « à la réquisition d’hôtels et/ou de bâtiments vacants ». Une demande déjà formulée en mars 2018 et en mars 2019, sans « réponse formelle » pour ces trois courriers, selon Roger Campariol.

    De son côté, le préfet renvoie le département à ses responsabilités en matière d’accueil des mineurs isolés, et conclut son mémoire en écrivant qu’« il n’est pas établi » que les mineurs hébergés à Saint-Just « présentent une situation de vulnérabilité particulière ». Ses services devraient prendre attache avec l’agence régionale de santé, qui a visité le squat en toute fin de semaine dernière. Dans le bâtiment, il n’y avait que quatre W.C. pour deux cents personnes, les jeunes sont jusqu’à huit par chambre (ils se regroupent pour se protéger des adultes), le squat manque de savons, de lessive, n’a pas de gel hydroalcoolique, il dispose d’une cinquantaine de masques reçus de l’hôpital…

    Avant même la crise sanitaire, MSF avait ouvert en janvier trois centres provisoires à Marseille, pour pallier les carences publiques, loger soixante jeunes dans deux auberges de jeunesse et un centre de plongée. Aloys Vimard, coordinateur du projet, déplore la tendance à se reposer sur les associations et sur les militants. Prenant peut-être exemple sur son projet, le département vient de réserver une cinquantaine de places à partir de cette semaine dans un centre de l’UCPA. La décision de justice peut l’aider à aller plus loin. Avec le concours de l’État, puisque le juge enjoint à ce dernier d’aider le département en usant au besoin de son pouvoir de réquisition.