• Journées d’Action à Dakar : #72h_Push_Back_Frontex

      L’organisation de la société civile sénégalaise Boza Fii a organisé une action de 72 heures dans la banlieue de Dakar au début du mois. Par cette action, ses membres dénoncent la présence de Frontex dans le pays et, plus largement, le régime mondial de mobilité asymétrique. Ici, nous publions le discours prononcé lors de la conférence de presse qui a ouvert les journées d’action. Vous pouvez le regarder en ligne ici.

      "Vous surveillez les frontières, nous vous surveillons

      Nous BOZA FII, nous nous engageons dans le domaine de la fuite et de la migration. Nous soutenons les migrants de retour volontaire, les migrants qui ont été expulsés vers leur pays d’origine et confrontés à un manque total d’assistance. Ainsi que les amis et familles de ceux qui sont disparus en mer méditerranée et aux frontières, dans leur douloureuse quête de réponses. Mais aussi promouvoir le droit à l’identité et à la dignité pour toutes les victimes de nos frontières, et le droit de leurs familles à savoir. Nous voulons œuvrer au meilleur respect des droits de ces personnes, non seulement fragilisées par les drames de la migration mais aussi souvent stigmatisées dans leur propre communauté. Nous souhaitons également encourager la production de connaissances et promouvoir l’objectivité du débat sur les migrations et les échanges internationaux afin d’affronter ensemble les réalités mondiales.

      Nous nous engageons pour lutter contre les politiques frontalières et pour la liberté de circulation de tout un chacun.

      Depuis la création de l’association en septembre 2020 nous avons beaucoup fait des recherches sur le déploiement de frontex au Sénégal. C’est en juin 2022 que nous avons senti l’intérêt de créer des synergies de lutte contre frontex au Sénégal et notre 1ère action 72h PUSH BACK FRONTEX était en fin septembre 2022. L’idée était d’abord de sensibiliser la population sénégalaise du danger de l’agence meurtrière des contrôles des frontières de l’UE (FRONTEX). C’est vrai qu’au Sénégal personne ne parle de Frontex et ne connaissent peut-être pas cette agence que nous considérons criminelle. Nous avons senti cette ignorance de la population dans les politiques migratoires du Sénégal et nous voyons important de faire savoir à notre gouvernement que nous ne sommes pas d’accord pour le déploiement de frontex au Sénégal et de leur faire savoir que nous connaissons ce que frontex fait dans la Méditerranée, dans la mer Egée et dans les frontières.

      Depuis quelques années, des plans de restrictions du droit à la libre circulation sont en phase de briser le tissu socio-économique des communautés à travers une intelligence dénommée " Frontex " savamment déployée en Afrique à travers une certaine cellule dite " des gestions de risques liés à la migration irrégulière " et une présence d’officiers de liaison. La mission de l’équipe conjointe d’investigation composée des éléments de la police espagnole " Guardia Civil ", française et de la gendarmerie nationale sénégalais. Un tels dispositif déployé en Afrique de l’Oouest et particulièrement au Sénégal depuis 2017 avec tout ce qu’il compte comme moyens de dissuasion, de contrôle voire de répression entretenu par un budget faramineux et d’une armée propre composée de milliers d’hommes étrangers à celle du Sénégal dans un tout proche avenir, ne constituent ‘il pas en lui-même la source de tous les risques imaginables ?

      Le programme des journées d’action

      Le renforcement du contrôle aux frontières (mer, terrestre, aérienne) au Sénégal et entre les états de la CEDEAO à travers le système MIDAS (Migration Information and Data Système) spécialisé dans le partage des informations sur la surveillance territoriale à travers des données biométriques initié par l’organisation internationale pour les migrants (OIM) ne saurait etre sans conséquences sur la liberté de circulation, que beaucoup de pays ne font pas partis et le déploiement des garde-côtes nourrissent les débats dans le cercle de la société civile active dans la question du droit à la mobilité des personnes. Cette logique n’a pas laissé indifférent le gouvernement du Sénégal en le poussant à restructurer des ministères et mettre en place des institutions de défense et de promotion des humains tels que le ministère de la justice, la commission nationale des droits des hommes qui bafouent chaque jours les droits des citoyens sénégalais.

      Projection de films à Keur Massa

      Si nous avons inscrit dans notre agenda la question de la libre circulation dans l’espace CEDEAO, ce n’est nullement un fait de hasard. BOZA FII interpelle les consciences de tous les mouvements et les forces vives qui militent pour un monde juste et respectueux des valeurs humains telles que contenues dans les instruments de protection et de la valorisation de l’êtres humains (Loi n°1981/47 du 2 juillet 1981 au Sénégal, la charte africaine des droits de l’homme, les textes de la CEDEAO, le droit à la libre circulation article 12.1, le principe respect de l’égalité dans la procédure d’expulsion article 12.4, l’interdiction de l’expulsion collective non-nationaux article 12.5, de l’Union africaine, de la déclaration universelle des droits de l’homme, et bien d’autres). En dépit de l’existence de tout cet arsenal juridique et institutionnel, au mois de juillet le Sénégal refoule illégalement des ressortissants guinéens. Ce pendant les activités de Frontex au Sénégal impactent depuis des années par un certain nombre de constats qui mettent à rude épreuve la liberté de circulation des personnes à l’intérieure du Sénégal, de ses frontières de manières générale. Les départs au Sénégal vers le nord via le Sahara et par la mer sont une parfaite illustration et les événements du 24 juin 2022 dans les enclaves de Melilla constituent une alerte sans précédent, celle du 14 juin 2023 dans les eaux du Grèce et récemment les naufrages répétitifs du mois de juillet au Sénégal.

      A partir de 2022 pèse la menace d’un accord entre l’Union européenne et la République du Sénégal qui permettrait à l’agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, de s’implanter définitivement dans le pays. Il s’agit d’une avancée importante dans le processus d’externalisation des frontières par la Forteresse Europe, qui concernerait pour la première fois un pays non frontalier. Le premier pas dans cette direction a été fait en février 2022 quand, lors d’une visite à Dakar, YIVA JOHANSON Commissaire européenne chargée des Affaires intérieures, a proposé le déploiement au Sénégal de Frontex pour contrôler le « trafic d’êtres humains » par les embarcations qui partent vers les Canaries. Dans sa déclaration elle affirme qu’avec l’accord du gouvernement sénégalais, l’agence pourrait envoyer des équipements de surveillance des frontières telles que des drones, des navires, et même du personnel frontex pour lutter contre les départs du Sahel.

      Liste des morts aux frontières

      Mais d’après une investigation que nous avons faite frontex a déjà commencé à opérer et exercer sur les côtés Sénégalaises.

      Nous avons questionné quelques personnes qui travaillent dans la marine ainsi que la police Sénégalaise et ils nous ont confirmé qu’il y a des opérations conjointes de Frontex ici.

      Malheureusement rien n’est écrit dans les médias locaux et même dans les plates-formes de communication du gouvernement.

      Frontex est présent au Sénégal (comme en Mauritanie) depuis presque vingt ans. Le 20 juin 2006 Frontex a communique à Madrid le début de l’opération Héra, qui a démarré en juillet de la même année. Sous la coordination de la Guardia Civil et de la Policia Nacional espagnoles, Héra a permis à Frontex de commencer à patrouiller et opérer dans les zones maritimes sénégalaises (comme du Cap-Vert et de la Mauritanie). Initialement, l’opération Héra I, qui avait un budget de 370.000 euros, visait simplement à identifier les départs au Sénégal en 2006 Barça ou Barzahk* et la nationalité des personnes arrivant en Espagne pour en faciliter les expulsions par des vols collectifs. C’est avec Héra II que la police frontalière a tôt amplifié son pouvoir : L’opération s’est dotée pour la première fois de 3 bateaux, un hélicoptère et deux avions, pour un budget bien plus significatif de 3.2 millions d’euros. C’est par cette manière qu’après sa création en 2004, Frontex s’est configuré et consolidé comme acteur qui, même en dehors de l’Europe, identifie, bloque, emprisonne et déporte les personnes qui cherchent à rejoindre l’Europe par la route atlantique. A l’époque, la France et l’Espagne avaient permis l’insertion de Frontex sur le sol sénégalais en s’offrant de l’héberger au niveau logistique dans les structures militaires françaises à Dakar.

      En 2017, Frontex a lancé le projet AFIC (Communauté du renseignement Afrique-Frontex) en 8 pays africains : Cote d’Ivoire, Gambie, Ghana, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal et Togo. Maintenant ce réseau compte la participation de 29 pays africains. Sous prétexte de « collecter et d’analyser des données sur la criminalité transfrontalière et soutenir les autorités impliquées dans la gestion des frontières. En 2019 au port de Dakar, dans le siège du Commissariat spécial de police du port de Dakar, frontex et le gouvernement du Sénégal ont inaugurés la cellule d’analyse des risques qui est censée collecter des données stratégiques pour la gestion de la sécurité des frontières. On sait très bien que les risques dont on parle ne sont pas les morts en mer, mais plutôt le fait que des citoyens africains puissent rejoindre le territoire européen.

      En plus, dès 2020, réside stablement auprès de l’Office de l’Union Européenne à Dakar une liaison officiée de Frontex. Et l’état du Sénégal continue de médiatiser le blocage de départs collectifs en pirogue grâce au dispositif Frontex.

      C’est d’ailleurs sur ces présupposées qu’ils ont mis en place un programme spécifique, qui s’est conclu à Décembre 2022

      Pour revenir à l’actualité, donc, le 7 juin 2022 la Commission européenne a rédigé une « Fiche action sur le Sénégal : renforcement de la coopération avec l’agence Frontex », qui préparait les directives pour négocier l’accord que le Consul d’Europe a soumis à l’Etat du Sénégal pour validation. Ces directives prévoient que les officiers de Frontex seront autorisés à porter des armes et à les utiliser. En outre, on voudrait garantir aux membres du corps de Frontex une immunité totale vis-à-vis de la juridiction pénale et civile de la République du Sénégal. C’est la police coloniale qui revient claire et nette en Afrique. Permettez-nous de vous rappeler certains points essentiels de l’accord avec frontex. Le déploiement de frontex au Sénégal est donc un risque et non une solution pour le pays. En fait, cette installation pourrait également empiéter sur la souveraineté d’un pays et entraînera encore plus de violations des droits des senegalais.

      Le déploiement de Frontex sur la façade maritime pourrait entraver ces libertés professionnelles aux pécheurs sénégalais et du CEDEAO acquises depuis 1979 sous prétexte de lutter contre le trafic de migrants. On peut également dire l’installation de Frontex sur la route du Sahara à partir du Sénégal et de la Mauritanie afin de compléter le contrôle sur les zones territoriales d’Afrique du Nord. Cela semble être une suite logique du cadre opérationnel de la stratégie d’externalisation des frontières de l’Union européenne. Ces mécanismes d’intervention de la part de l’Union européenne ne sont pas nouveaux. La lutte contre la pêche illégale a déjà été utilisée comme prétexte. Les accords entre le Sénégal et l’union Européenne ont substantiellement modifié le modèle de pêche artisanale et ont diminué les captures et les revenus des pêcheurs artisanaux qui représentent 17% de la population active sénégalaise. Ce sont les bateaux de l’Union européenne et de la Chine qui semblent profiter aujourd’hui des ressources de cette côte. Cela pousse de nombreux pêcheurs sénégalais à se rendre en Mauritanie et en Guinée Bissau dans des situations qui entrainent souvent des conflits entre communautés. Il faut se demander comment Frontex, dans ce contexte, pourrait- il intervenir face à ces différents acteurs. Il y a un fort risque de push back contre les pêcheurs artisanaux au motif qu’ils transportent des migrants. On court également le risque que Frontex devienne une sorte de « bras armé » pour les bateaux de pêche de l’Union européenne.

      Commémor’action (prières)

      Depuis 2021, la Guardia Civil espagnole a déployé des navires et des hélicoptères sur les côtes du Sénégal et de la Mauritanie, dans le cadre de l’opération « Hera » mise en place dès 2006 (l’année de la « crise des pirogues ») grâce à des accords de coopération militaire avec les deux pays africains, et en coordination avec Frontex.

      Ainsi nous comptons faire cet événement chaque année au Sénégal jusqu’à l’abolition définitive de Frontex.

      Nous ferons jaillir la lumière, au grand jour que la politique migratoire de Frontex en Afrique et particulièrement au senegal n’est que la face cachée de l’iceberg.

      Cette campagne a pour but de faire comprendre aux populations que l’agence européenne des soi-disant garde-côtes (Frontex) se déploie au Sénégal et de dénoncer comment l’UE collabore avec nos régimes complices tuant les personnes dans la méditerranée et dans les pays de transits."

      *Barça ou Barzahk (Barçelone ou la Mort) était le slogan des migrant*es lors de la « crise des pirogues » de 2006
      https://migration-control.info/fr/blog/journee-daction-a-72h-push-back-frontex

      #commémoraction #commémoration #mémoire #morts_aux_frontières #Dakar

    • OPEN PRESS DEPLOIEMENT DE FONTEX AU SENEGAL

      Boza fii était à sa deuxième édition du Push Back Frontex. Un évènement qui s’est déroulé du 10 au 12 aout à la commune de Dalifort Foirail (Dakar) sous le thème de : Laisser les personnes mourir ou les tuer ne doit pas être un moyen de #dissuasion.
      Au cours de ces 72h, un programme bien défini a été mis en place par l’association Boza fii, dans le cadre de sa lutte contre le déploiement Frontex au Sénégal et les formes d’externalisation des frontières de l’UE. Ce programme a débuté le jeudi 10 aout par une conférence de presse à laquelle la presse nationale et internationale ainsi que beaucoup d’organisation œuvrant pour le respect des droits de l’homme ont été conviés. Lors de cette conférence de presse plusieurs sujets sur la migration ont été abordés, notamment l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes côtes FRONTEX. L’ordre du jour était de discuter des questions concernant Frontex et son déploiement au Sénégal et d’apporter des éclaircissements depuis son implantation dans le pays jusqu’à nos jours.

      https://www.youtube.com/watch?v=gwL9FgjDxiM


      #Boza_fii

    • #Commission_LIBE, janvier 2024 :

      Victoire ! Adoption en Commission LIBE du rapport qui récuse le déploiement de Frontex au Sénégal.
      Le Sénégal ne veut pas de cet accord, mais l’UE veut le contraindre pour mener à bien son abject projet d’Europe forteresse. Une nouvelle atteinte grave aux droits des exilé•es.

      https://nitter.cz/DamienCAREME/status/1752763595144757520

  • Alert: #Tunisia security forces abused & collectively expelled 20+ West/Central African nationals to a remote area at the Tunisia-#Libya border. (03.07.2023)

    Includes a girl 16 yrs old, 2 pregnant women (1 in very bad condition), 2 registered asylum seekers. They need urgent help.

    2/ Tunisian security forces beat the migrants, threw away their food, smashed their phones, & dropped them on the Libya side of the border, they said.

    They fled back to the Tunisia side after encountering armed men. Spent the night in the desert. Still at risk.
    https://pbs.twimg.com/media/F0Hf8uoX0AE1oQU?format=jpg&name=medium

    3/ Group includes people from Cameroon, Mali, Guinea, Côte d’Ivoire, Chad. 6 women, 1 girl, others men - in initial group.

    Based on my last convo with them, more people may have been expelled overnight. They said 1 man has died - impossible to confirm for now but very worrisome

    4/ These migrants & asylum seekers, including at least 1 child & 2 pregnant women (one ill & bleeding), are stranded in a closed, militarized Tunisia-Libya border zone.⚠️

    We informed UN agencies but #Tunisia authorities have not yet granted access for them to help these people

    5/ Update: just heard from the group of 20 expelled people at #Tunisia-#Libya border. Still stranded. They don’t know if other migrants have been expelled separately. They have no food, only eating when ppl passing by (those trying to cross border) give them bits of bread/water

    6/ #Tunisia expulsions - another update: more migrants reportedly have now been expelled to #Libya border, in addition to the first group of 20. Seeking to verify info/details

    7/ 🚨 Alert: over 100 more African migrants & asylum seekers expelled today by #Tunisia to #Libya border zone (Ben Gardane area). Includes at least 12 children ages 6 months to 5 yrs. This is in addition to the 20 expelled Sun, July 2. They gave permission for me to share videos

    8/ #Tunisia expulsion of 100+ migrants to #Libya border: Since they gave permission to share, here is another video. This one taken by the 1st group - 20 ppl - expelled July 2 (they note the date in the vid). Shows they were forced to sleep overnight on the ground in the desert.

    https://twitter.com/LozSeibert/status/1675865936853696512

    #migrations #asile #réfugiés #Tunisie #Libye #frontières #désert #abandon #refoulements #désert

    –—

    En 2015:
    Refugees left behind in Tunisia’s desert
    https://seenthis.net/messages/351913

    –—

    ajouté à la métaliste “Les ’#left-to-die' dans le désert du Sahara”:
    https://seenthis.net/messages/796051#message1013185

    ping @_kg_

    • En Tunisie, des Subsahariens expulsés de #Sfax, sur le rivage de la Méditerranée, vers le désert

      Selon les témoignages recueillis par « Le Monde », des dizaines de migrants présents dans la ville portuaire ont été emmenés par les forces de sécurité à la frontière libyenne.

      « Nous sommes sur une plage au milieu du désert. » Mercredi 5 juillet vers 10 heures du matin, Ismaël, un jeune Ivoirien installé en Tunisie depuis 2019, vient d’envoyer au Monde sa localisation exacte, grâce à l’application de messagerie instantanée WhatsApp. Le repère placé sur la carte fait la jonction entre la Tunisie, à gauche, la Libye, à droite, et en face, la mer Méditerranée. La nuit précédente, Ismaël et des dizaines d’autres ressortissants d’Afrique subsaharienne ont été transférés de force de la ville portuaire de Sfax (centre-est) vers ce no man’s land, une zone tampon située à proximité du poste-frontière de Ras Jdir, à quelque 350 kilomètres de la deuxième ville du pays.

      Dans une vidéo transmise au Monde vers 17 h 30 par Isaac, un ressortissant guinéen également déplacé dans la nuit de mardi à mercredi, plusieurs dizaines de personnes – voire quelques centaines selon trois témoins sur place – sont toujours amassées sur cette plage, dont des femmes, des enfants et des nourrissons. « On boit l’eau de la mer, on n’a rien mangé depuis hier », alerte une des femmes, son bébé dans les bras, sous le soleil.

      Militaires et agents de la garde nationale nient ces transferts forcés. « Si les migrants sont là-bas, c’est qu’ils doivent venir de Libye », assure l’un d’eux, présent dans la zone frontalière. Les autorités, elles non plus, ne reconnaissent pas ces rafles de migrants. Seul un député, Moez Barkallah, a évoqué ces opérations. Dans une déclaration à l’agence tunisienne de presse, la TAP, il s’est félicité que plus d’un millier de migrants subsahariens aient été expulsés, depuis l’Aïd-el-Kébir, vers les régions frontalières de la Libye et de l’Algérie. Des pays qui, selon lui, parrainent ces opérations.
      Violents affrontements à Sfax

      Les témoignages de ces migrants sont de plus en plus nombreux. D’après Ismaël et ses compagnons, des policiers sont venus les chercher dans leur quartier de Sfax et les ont fait monter à bord de leurs véhicules, sous les acclamations de certains habitants, en leur promettant de les mettre « en sécurité » dans la capitale, Tunis. Mais, au lieu d’aller vers le nord, ils ont roulé vers le sud et le désert.

      Cette opération fait suite à des journées d’extrême tension consécutives à la mort d’un Tunisien, lundi 3 juillet, tué dans une rixe avec des migrants subsahariens, selon le porte-parole du parquet de Sfax. Trois hommes, de nationalité camerounaise, selon les autorités, ont été arrêtés. Dans la foulée, certains quartiers de Sfax ont été le théâtre de violents affrontements. Des habitants tunisiens se sont regroupés pour s’attaquer aux migrants et les déloger. « On ne les veut plus chez nous, on va s’en occuper nous-mêmes, assure l’un d’eux, torse nu, son tee-shirt sur la tête pour masquer son visage, dans une vidéo partagée sur Facebook. Sortez tous, nous allons reprendre nos maisons. »

      Mardi, dans un communiqué, le président tunisien, Kaïs Saïed, a affirmé que son pays refuse d’être « une zone de transit ou d’accueil pour les arrivants de plusieurs pays africains ». A l’intention de l’Union européenne, qui veut obtenir de la Tunisie qu’elle empêche les départs en Méditerranée, il a ajouté que son pays « ne protège que ses propres frontières ».

      Cela fait des mois que la défiance s’installe dans la ville portuaire, où les migrants sont de plus en plus nombreux, y attendant de pouvoir embarquer à bord d’un bateau pour l’Europe. Fin février 2023, alors qu’une campagne contre les migrants subsahariens lancée par le Parti nationaliste tunisien était largement diffusée sur les réseaux sociaux et dans les médias, la haine s’est exacerbée après le discours de Kaïs Saïed accusant des « hordes de migrants clandestins » d’être source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ».
      Partir vers l’Europe

      Dans les semaines qui ont suivi, des organisations de défense des droits humains ont recensé des dizaines d’agressions, d’expulsions et de licenciements de migrants. Le gouvernement tunisien s’est défendu de tout « racisme », évoquant « une campagne orchestrée et de source bien connue ».

      Déjà difficiles, les conditions de vie d’Ismaël, le jeune Ivoirien, se sont encore détériorées. Les manifestations contre les migrants à Sfax se sont multipliées, de même que les accusations de crimes et de violences, reprises une nouvelle fois par le chef de l’Etat. A à peine 30 ans, Ismaël n’a alors plus eu qu’une idée en tête : partir vers l’Europe. Il a tenté de le faire une première fois à la fin de l’hiver, mais son aventure a échoué après l’interception de son bateau par la garde maritime. Il a alors été relâché à Sfax, où il pensait faire profil bas, en attendant des jours meilleurs.

      Depuis que les informations sur les expulsions de migrants ont circulé, mercredi, des dizaines d’autres Subsahariens se sont regroupés dans les gares ferroviaires et les stations de bus pour fuir Sfax. Le soir même, la tension est redescendue d’un cran dans les rues de la ville. Dans un petit parc du centre-ville, près d’une mosquée, des dizaines de migrants sont regroupés, des femmes dorment, quelques-uns discutent, deux sont blessés à la tête.

      Leurs discussions sont rythmées par les sirènes de la police ou le bruit de motards tunisiens qui semblent faire des rondes. « Les policiers sont là pour nous protéger », se rassure Abdallah, même s’il craint d’être attaqué à tout moment. Expulsés de chez eux, empêchés de traverser la mer vers l’Europe, ils attendent de pouvoir fuir la ville ou retrouver des conditions de vie « acceptables ».

      Depuis le sud du pays, alors que le soleil s’apprête à se coucher, Ismaël rappelle, apeuré. « Beaucoup de militaires sont arrivés près de l’endroit où nous sommes, on ne sait pas ce qu’ils vont nous faire », précise-t-il.

      https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/06/en-tunisie-des-subsahariens-expulses-de-sfax-vers-le-desert_6180768_3212.htm

    • „Wenn euch euer Leben lieb ist, geht“

      In Tunesien zwingen Privatleute Mi­gran­t:in­nen und Geflüchtete aus ihren Wohnungen, der Staat setzt sie dann in der Wüste ab – bei 40 Grad im Schatten.

      TUNIS/SFAX taz | Viele Menschen in der langen Schlange vor dem Bahnhof von Sfax sind stumm. In den Gesichtern der meist aus Westafrika kommenden Mi­gran­t:in­nen sind noch ihre Erlebnisse der letzten Stunden geschrieben. In der Nacht auf Mittwoch hatten mit Knüppeln und Messern bewaffnete Jugendliche in der zweitgrößten Stadt Tunesiens Hunderte Mi­gran­t:in­nen aus ihren angemieteten Wohnungen gezwungen und in Gruppen auf die Hauptstraßen getrieben.

      Die von den Angreifern in den sozialen Medien geteilten Videos zeigen verschreckte Menschen mit erhobenen Händen, die von Passanten bedroht und unter üblen Beschimpfungen in Richtung Bahnhof und den Taxistationen getrieben werden. „Ihr müsst Sfax verlassen, eure Answesenheit hier wird nicht mehr akzeptiert. Wenn euch euer Leben lieb ist, dann geht“, erklärt ein bärtiger Mann einer auf dem Boden kauernden Gruppe aus der Elfenbeinküste auf Französisch.

      Anlass der Kampagne ist wohl der Tod eines Tunesiers, der bei einer Auseinandersetzung mit drei Kamerunern am Montag ums Leben kam.

      Dass Mi­gran­t:in­nen mit Gewalt vertrieben werden, passiert in Tunesien nicht zum ersten Mal. Kais Saied hatte bei einem Treffen mit Generälen und Ministern des Nationalen Sicherheitsrats im Februar die aus Libyen Geflohenen oder ohne Visum aus Westafrika Eingereisten als Verschwörung gegen die arabische und islamische Kultur des Landes bezeichnet. Die illegale Migration müsse beendet werden, sagte der 2019 mit überwältigender Mehrheit gewählte Präsident damals. Daraufhin gab es eine erste Welle der gewalttätigen Vertreibung von Mi­gran­t:in­nen, viele von ihnen landeten in Sfax, das bis jetzt als Zufluchtsort galt.
      Die Frustration vieler Tunesier schlägt in Hass um

      Viele Mi­gran­t:in­nen arbeiten als Service- oder Reinigungskraft in Cafés oder in Büros. Mit der Bezahlung unter dem Mindestlohn geben sie sich zufrieden und ermöglichen damit vielen Firmen das Überleben in der seit der Coronapandemie anhaltenden Wirtschaftskrise.

      Doch die Frustration der Tu­ne­sie­r:in­nen über den politischen und wirtschaftlichen Stillstand im Land nutzt die Splitterbewegung Nationale Partei Tunesiens geschickt dafür, Hass gegen Fremde zu befeuern. Zwar ist die Kriminalitätsrate kaum gestiegen – obwohl die Zahl der in Sfax lebenden libyschen Familien und westafrikanischen Mi­gran­t:in­nen stark gewachsen ist. Doch viele in Sfax stimmen der gewaltsamen Verteibung zu.

      „In einigen Stadtteilen sind sie nun in der Mehrheit“, beschwert sich der Gemüsehändler Mohamed Baklouti. Der 48-jährige Familienvater verkauft am Beb-Jebli-Platz im Zentrum von Sfax Obst und Gemüse. Wenige Meter weiter hatten sich – nach den ersten Vertreibungen im Februar – endlich wieder Händler aus der Elfenbeinküste und Ghana getraut, ihre Waren anzubieten. „Wir akzeptieren sie, weil sie das verdiente Geld dazu nutzen, weiter nach Europa zu reisen“, sagte Baklouti noch letzte Woche, vor den Vertreibungen.

      Nun sind die Westafrikaner weg. In Bussen werden sie offenbar von der Staatsmacht an die libysche Grenze gefahren und im Niemandsland abgesetzt. Augenzeugen aus dem Grenzort Ben Guarden berichten von Müttern und Kindern, die bei 40 Grad im Schatten auf eine Weiterreisemöglichkeit warten.
      „Ich weiß nicht, wohin es geht“

      Im Zug von Sfax nach Tunis saßen am Donnerstag zahlreiche Menschen mit Schürfwunden. Tu­ne­sie­r:in­nen reichen den meist ohne ihre Habseligkeiten oder Geld fliehenden Menschen Wasserflaschen. Doch auf der Strecke, in der Stadt Mahdia, stoppte die Polizei den Zug und lud Mi­gran­t:in­nen in Busse. „Ich weiß nicht, wohin es geht“, so ein Ghanaer beim Einsteigen.

      Ein gemeinsamer Besuch von EU-Kommissionschefin Ursula von der Leyen, dem niederländischen Premier Frank Rutte und seiner italienischen Amtskollegin Giorgia Meloni Mitte Juni zeigte, was Europa von Tunesien erwartet: Die Küstenwache und Sicherheitskräfte sollen die in diesem Jahr stark gestiegene Zahl von Booten mit Migranten aus Tunesien eingrenzen, im Gegenzug könnte bald eine Milliarde Euro von Brüssel nach Tunis fließen.

      Meloni hoffte zudem darauf, westafrikanische Mi­gran­t:in­nen mit abgelehntem Asylantrag nach Tunesien zurückschicken zu können. Die blutige Vertreibung der Menschen aus Sfax dürfte Melonis Plan durchkreuzen – denn ein sicheres Drittland ist Tunesien damit nicht mehr.

      https://taz.de/Gewalt-gegen-Migrantinnen-in-Tunesien/!5942175

    • Tunisie : la chasse aux migrants irréguliers reprend son cours

      Un tribunal de la deuxième ville tunisienne de Sfax a indiqué mercredi que quatre Tunisiens ont été arrêtés et inculpés pour avoir hébergé des migrants illégaux, rapporte le média local « Tunisie Numérique ».

      Le porte-parole du tribunal de première instance de Sfax aurait indiqué que 33 migrants illégaux ont été arrêtés et quatre autres Tunisiens également détenus pour les avoir hébergés.

      Les migrants illégaux, a ajouté le tribunal, ont loué un bâtiment entier pour leur séjour avant de prendre la mer en direction des côtes sud de l’Europe. Les arrestations font suite aux instructions du président Kais Saied de renforcer l’ordre et de renforcer la loi dans la ville de Sfax qui a été un théâtre de tensions entre les migrants subsahariens et certains résidents tunisiens de la ville.

      La mêlée a éclaté en début de semaine et a entraîné la mort d’un Tunisien de 38 ans qui aurait été tué à l’arme blanche par trois Subsahariens. La police a arrêté des dizaines de personnes. 34 Subsahariens ont également été arrêtés pour entrer et séjour irrégulier en Tunisie. Le pays est utilisé comme transit par des milliers de migrants désireux d’atteindre les côtes méridionales de l’Europe.

      « 1.200 migrants subsahariens expulsés depuis le 28 juin »

      Depuis le 28 juin, la Tunisie a renvoyé vers les frontières avec la Libye et l’Algérie environ 1.200 migrants sans papiers venus d’Afrique subsaharienne. C’est ce qu’a révélé Moez Barkallah, député de Sfax, à l’agence “Tap”. Il a expliqué que les migrants étaient renvoyés par groupes de 200 et que quatre bus partaient chaque jour de Sfax pour les transporter. Il a aussi espéré “que trois à quatre mille migrants soient expulsés d’ici à la fin de la semaine”. Selon lui, “il y a environ 7.000 ressortissants d’Afrique subsaharienne qui vivent légalement en Tunisie, dont six mille sont des demandeurs d’asile et sept mille autres sont des migrants irréguliers”. Il a ajouté que plus de cent députés avaient signé une pétition pour demander au Premier ministre, Najla Bouden, de tenir une séance plénière pour expliquer la stratégie et la législation du gouvernement sur la question des migrants et la situation à Sfax.

      https://maroc-diplomatique.net/tunisie-la-chasse-aux-migrants-irreguliers-reprend-son-cours

    • #Interview with Ahlam Chemlali

      Sfax a veritable ’pressure cooker’ sparked by migration policy and political, socio-economic crises

      Racial tensions in the Tunisian coastal city of Sfax flared into violence targeting migrants from sub-Saharan Africa, dozens of whom were forcibly evicted from the city or fled, witnesses said Wednesday. Amid the disturbances late Tuesday, police detained some migrants and deported them as far as the Libyan border more than 300 kilometres (over 200 miles) away, according to a local rights group. The latest unrest started after the funeral of a 41-year-old Tunisian man who was stabbed to death Monday in an altercation between locals and migrants, which led to the arrests of three suspects from Cameroon. As tensions escalate considerably between exasperated Tunisians and African migrants seeking a better life, FRANCE 24 is joined by Ahlam Chemlali, Visiting Scholar at Yale University and PhD Fellow at the Danish Institute for International Studies (DIIS).

      https://www.france24.com/en/video/20230705-sfax-a-veritable-pressure-cooker-sparked-by-migration-policy-and-

    • #Achille_Mbembe on racism in #Tunisia.

      LA TUNISIE : LA HONTE

      Le traitement infligé aux Africains du sud du Sahara en Tunisie est criminel, et les autorités de ce pays doivent être tenus pour responsables de chacune des morts qui en découlera.

      Qu’il ne fasse l’objet d’aucune sanction ni de la part des gouvernements africains, ni des grandes institutions continentales est scandaleux.

      Maillon en haillons d’une machine dévorante et infernale mise en place par l’Europe, l’Etat tunisien participe cyniquement au projet, piloté par l’Europe, de transformation du continent africain en une colonie de damnés fermée à double tour sur elle-même.
      L’on prétend ainsi régler les deux épouvantails que sont l’immigration illégale et la bombe démographique que serait devenu le continent.

      Dans cette funeste course, elle rejoint la Libye et d’autres États maghrébins déterminés à se démarquer du reste du continent et à jouer le rôle de cordons sanitaires de l’Europe. Contre des miettes (un milliard d’euros pour la Tunisie), ils contribuent ainsi, à travers ces chasses punitives, à la cristallisation du nouveau régime global de gouvernement des migrations concocté par l’Europe. Mais elle se rapproche aussi, a maints égards, de l’Afrique du Sud. Championne de l’encampement et de la déportation des Africains, l’Afrique du sud n’est en effet pas en reste, elle qui est désormais gangrenée jusqu’aux plus hauts niveaux de l’Etat par l’esprit de xénophobie .

      L’urgence d’un consensus sur la régulation des mobilités intra-continentales n’a donc jamais été aussi criante. L’Afrique doit moderniser et mutualiser ses frontières internes. Au lieu de multiplier des camps, elle doit se transformer en un vaste espace de circulation pour ses gens. Plusieurs propositions concrètes existent. Il faut les mettre à l’œuvre si l’on veut qu’avant la fin de ce siècle émerge un nouveau régime spatial africain - celui-là qui garantit à tous un droit inconditionnel à la mobilité et empêche que des Africains soient traités comme des étrangers en Afrique.

      https://twitter.com/MedDhiaH/status/1677383506325020673

    • Human Rights Watch appelle la Tunisie à mettre fin aux « expulsions collectives » de migrants vers le désert

      Des centaines de Subsahariens se trouvent en situation très précaire dans une zone désertique dans le sud du pays, près de la frontière libyenne.

      L’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) a exhorté vendredi 7 juin la Tunisie à mettre fin aux « expulsions collectives » de migrants africains vers une zone désertique près de la frontière libyenne.

      Des centaines de migrants d’originaire d’Afrique subsaharienne se trouvent en situation très précaire dans une zone désertique dans le sud de la Tunisie, après avoir été chassés ces derniers jours de la ville de Sfax (centre-est) sur fond de vives tensions avec la population locale qui réclamait leur départ, selon des témoignages recueillis par l’AFP.

      Un déferlement de violence s’est abattu mardi et mercredi sur ces migrants après que l’un d’eux a tué un habitant de la ville lors d’une rixe. « Les forces de sécurité tunisiennes ont expulsé collectivement plusieurs centaines de migrants et demandeurs d’asile africains noirs, dont des enfants et des femmes enceintes, depuis le 2 juillet 2023 vers une zone tampon éloignée et militarisée à la frontière entre la Tunisie et la Libye », a déclaré HRW dans un communiqué.
      Un discours de plus en plus xénophobe

      « De nombreuses personnes ont rapporté des violences de la part des autorités lors de leur arrestation ou de leur expulsion », a ajouté l’ONG. Elle a appelé le gouvernement tunisien à « mettre fin aux expulsions collectives et permettre d’urgence l’accès humanitaire » à ces migrants qui ne disposent que « de peu de nourriture et d’aucune assistance médicale », a déclaré dans le communiqué Lauren Seibert, chercheuse sur les droits des réfugiés à HRW.

      Des migrants interrogés par l’ONG ont affirmé que « plusieurs personnes étaient mortes ou avaient été tuées dans la zone frontalière entre le 2 et le 5 juillet, dont certaines auraient été abattues ou battues par l’armée tunisienne ou la garde nationale », selon le communiqué de HRW, qui précise toutefois ne pas être en mesure de confirmer ces allégations faute d’accès à la zone.

      HRW a appelé la Tunisie à « enquêter sur les forces de sécurité impliquées dans les abus et à les traduire en justice ». « Les migrants africains et les demandeurs d’asile, y compris des enfants, sont désespérés de sortir de la zone frontalière dangereuse et de trouver de la nourriture, des soins médicaux et la sécurité », a ajouté Mme Seibert : « Il n’y a pas de temps à perdre ».

      Un discours de plus en plus ouvertement xénophobe à l’égard de ces migrants s’est répandu depuis que le président tunisien, Kaïs Saïed, a pourfendu en février l’immigration clandestine, la présentant comme une menace démographique pour son pays.

      https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/07/human-rights-watch-appelle-la-tunisie-a-mettre-fin-aux-expulsions-collective

    • Tunisia expulsions: Refugees and migrants stuck on Libyan border

      Twelve hundred migrants including pregnant women and 29 children are stranded there with little food, water or shelter.
      All were rounded up in Tunisia and bussed to the border, but Libyan border guards are refusing to let them in.
      The foreign ministers of both countries have discussed what they call the ‘irregular migration’.
      Human Rights Watch accuses Tunisia of violating international law by ‘collective expulsions’ of black migrants mostly from sub-Saharan Africa.
      And says they need immediate humanitarian aid.

      Al Jazeera’s Malik Traina joins us live from the city of Zuwara, about 30 kilometres from the Libyan border with Tunisia for the latest updates.
      And Amine Snoussi is a journalist and political analyst and joins us from Tunis for his analysis.

      https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=whUfQV2Yt90&feature=youtu.be

    • Support Sub-Saharan African in Tunisia

      We are raising a fund to support sub-Saharan migrant and refugees in Tunisia after the violent attacks and the discrimination they faced in Sfax( south of Tunisia).

      They have been chased from their houses, they lost their jobs and had to move to another city. Also, some of them are injured and need medical care (More details in the video).

      We are collecting funds to ensure that the most vulnerable persons can have a roof, food and the bare minimum of a safety and dignity.

      Thank you !

      https://www.gofundme.com/f/support-subsaharan-african-in-tunisia

      #donation

    • Growing tensions in Sfax sparked by Tunisian govt’s inflammatory rhetoric targeting African migrants

      Racial tensions in the Tunisian coastal city of Sfax flared into violence targeting migrants from sub-Saharan Africa, dozens of whom were forcibly evicted from the city or fled. Amid the disturbances late Tuesday, police detained some migrants and deported them as far as the Libyan border more than 300 kilometres (over 200 miles) away, according to a local rights group. For in-depth analysis and a deeper perspective on the unfolding unrest gripping Tunisia’s financial hub and port city, FRANCE 24’s Genie Godula is joined by Katleen Maes. Director Human Mobility Hub Norwegian Refugee Council.

      https://www.youtube.com/watch?v=xJzrYeqb-tA

    • jeudi, 06 juillet 2023

      Stop à la chasse aux migrant.e.s en Tunisie et aux expulsions vers les frontières ! Aide et évacuation pour les personnes expulsées vers le no man’s land à la frontière tuniso-libyenne !

      Alarme Phone Sahara dénonce fortement les attaques racistes, la chasse aux migrant.e.s et les expulsions massives aux frontières de la Libye et d’Algérie qui se sont intensifiés en Tunisie depuis fin juin 2023.

      Dans la ville portuaire de Sfax, la violence raciste contre les migrant.e.s subsaharien.ne.s s’est intensifiée après l’arrestation de plusieurs personnes accusées d’avoir tué un homme tunisien lors d’une altercation. Selon de nombreux rapports, cet acte a été l’occasion pour des groupes de la population et la police de s’en prendre à grande échelle aux personnes Noires. Les personnes concernées racontent qu’elles ont été brutalement battues et attaquées à coups de pierres et que des groupes d’agresseurs ont pénétré violemment jusque dans les logements de migrant.e.s et ont même violé des femmes et des jeunes filles. Plusieurs centaines de personnes ont fui la ville en train en direction de Tunis et des centaines d’autres ont été arrêtées pour être expulsées.

      Cependant, les arrestations massives et les expulsions massives de Sfax, ainsi que de petites localités jusqu’aux environs de Tunis, ont commencé déjà avant la mort violente de l’homme tunisien :

      Selon la déclaration d’un député de Sfax, la Tunisie a renvoyé l’Algérie environ 1.200 migrants sans papiers vers les frontières avec la Libye et l’Algérie entre le 28 Juin et le 6 Juillet 2023. Il a expliqué que les migrant.e.s étaient expulsé.e.s par groupes de 200 personnes et que quatre bus partaient chaque jour de Sfax pour les transporter. Il avait aussi espéré “que trois à quatre mille migrants soient expulsés d’ici à la fin de la semaine”.

      Des centaines de personnes piégé.e.s dans le no man’s land à la frontière tuniso-libyenne

      ©APNEWS - photo prise par un migrant ivoirien agé 29 ans

      Les rapports d’un groupe d’environ 600 personnes qui se sont adressées par téléphone portable aux médias et institutions internationaux pour demander de l’aide après avoir été expulsées vers une plage située dans le no man’s land entre les frontières tunisienne et libyenne sont particulièrement alarmants. Ils sont coincés sans accès à l’eau et à la nourriture parce que les forces de sécurité tunisiennes ne les laissent pas partir et que les forces libyennes, de leur côté, ne laissent pas passer les gens. Même des personnes humanitaires extérieurs qui tentent d’apporter de l’eau et de la nourriture n’ont pas été autorisés à passer auprès des personnes. Selon les témoignages des personnes concernées, certaines ont commencé à boire de l’eau de mer par désespoir. Par ailleurs, des témoignages non confirmés à ce jour indiquent que deux personnes soient déjà décédées sur la plage du no man’s land.

      ©Les Observateurs, France 24 - Vidéo transmise par Adama (pseudonyme).

      La politique raciste en Tunisie et l’externalisation des frontières Européennes

      Les chasses aux migrant.e.s et les expulsions massives en Tunisie sont la conséquence directe d’une politique et d’une ambiance racistes, alimentées entre autres par le président tunisien Kais Saied depuis février 2023. Mais ils sont également la conséquence directe de l’externalisation du régime frontalier des Etats de l’UE, qui exigent de l’Etat tunisien qu’il joue le rôle de gardien des portes de l’Europe et empêche à tout prix les migrant.e.s de passage ainsi que les citoyen.ne.s tunisien.ne.s d’entrer en Europe.

      Ainsi, les accords entre l’UE et la Tunisie sur le contrôle migratoire contribuent directement à l’escalade du racisme, présent également dans la société tunisienne, et signalent à l’État tunisien qu’il est souhaitable de renvoyer des milliers de personnes vers les frontières et le no man’s land.

      Enfin, nous tenons à rappeler que la chasse aux migrant.e.s et aux réfugié.e.s, encouragée par le régime frontalier européen, et les expulsions massives de personnes vers les frontières et le désert ne sont pas des problèmes exclusivement tunisiens, mais concernent également, sous des formes spécifiques, le Maroc, l’Algérie et la Libye.

      Alarme Phone Sahara demande :

      Arrêt immédiat de la chasse aux migrant.e.s, de la violence raciste et des expulsions massives en Tunisie !

      Aide et évacuation immédiate pour les personnes expulsées aux frontières tuniso-algérienne et tuniso-libyenne, surtout pour les centaines de personnes piégées dans le no man’s land à la frontière tuniso-libyenne !

      Diffusez les appels, les rapports et les témoignages des personnes concernées de la chasse aux migrant.e.s et des expulsions massives en Tunisie largement dans le publique internationale !

      Rapports d’actualité sur les événements en Tunisie :

      https://maroc-diplomatique.net/tunisie-la-chasse-aux-migrants-irreguliers-reprend-son-cours

      https://apnews.com/article/migrants-tunisia-africa-europe-7186b742643a77e5b17376c7db7dac60

      Rapport de la situation alarmante des centaines de personnes piégées dans le no man’s land à la frontière tuniso-libyenne :

      https://observers.france24.com/fr/afrique/20230706-tunisie-libye-expulsion-video-sfax

      Rapports sur les personnes qui fuirent la ville de Sfax suite aux attaques racistes :

      https://youtu.be/RSAzYaqkSbs

      https://youtu.be/jeEZ7-Zrj1A

      Vidéo d’arrestation violente de migrant.e.s à Sfax :

      https://twitter.com/nissssim/status/1676328508098768897

      Rapports par refugees in Tunisia sur twitter :

      https://twitter.com/refugeestunisia/status/1676563378196692992?s=12&t=7ooqNDUWXAo1yw4XzaJbkQ

      https://twitter.com/RefugeesTunisia/status/1676213810640609280?t=RnEDkXhIwRBk_R_AGNelyw&s=09

      https://alarmephonesahara.info/fr/blog/posts/stop-a-la-chasse-aux-migrant-e-s-en-tunisie-et-aux-expulsions-ve

      #APS #Sfax

    • Flüchtende an der Grenze zu Libyen: Tunesien deportiert Migranten

      1.200 Menschen harren in einer militärischen Sperrzone aus. Tunesiens Präsident Saied weist Kritik zurück. Hilfsorganisationen sind alarmiert.

      SFAX taz | In einer militärischen Sperrzone zwischen der tunesischen und libyschen Grenze warten mehr als 1.200 Migranten seit Tagen verzweifelt auf Hilfe. Sie waren während der aktuellen Welle von Übergriffen in der tunesischen Hafenstadt Sfax aus ihren Wohnungen vertrieben worden. In Gruppen von bis zu 50 Angreifern waren tunesische Jugendliche durch die Straßen der Stadt gezogen. Sie nahmen den aus West- und Zentralafrika kommenden Menschen Telefone, Geld und Dokumente ab.

      Seit letztem Mittwoch werden die Mi­gran­ten in Bussen an die libysche sowie an die algerische Grenze gefahren. Nach Angaben des aus Sfax stammenden Parlamentsabgeordneten Moez Barkallah schicken die Behörden täglich mehrere Gruppen in das Niemandsland an der libyschen Grenze beim Grenzübergang Ras Jadir.

      Viele der nach Sfax gekommenen Menschen waren zuvor aus Libyen geflohen oder von Schleppern aus Algerien in den tunesischen Grenzort Kasserine gebracht worden. Mit dem Transport der Mi­gran­ten imitiert Tunesien nun die von den EU-Innenministern aktuell angestrebte europäische Asylpolitik: Zukünftig soll es demnach möglich sein, abgelehnte Asylbewerber aus einem EU-Mitgliedsstaat in das Land zu schicken, aus dem sie eingereist waren, auch wenn sie nicht von dort stammen.

      Das Vorgehen Tunesiens, die Menschen in der Wüste auszusetzen, hat offenbar schon zum Tod mehrerer Menschen geführt. Mi­gran­ten in Tunesien stehen mit der täglich größer werdenden Gruppe an der Grenze zu Libyen in Kontakt. Sie berichteten von mindestens acht Todesfällen aufgrund von Dehydrierung und Schwäche. Einem Reporter von Al Jazeera gelang es, in das Sperrgebiet zu gelangen und mit den Gestrandeten zu sprechen. Bis auf die libyschen Grenzbeamten hätte ihnen niemand Wasser oder Lebensmittel gebracht, berichtet der Reporter Malik Traina.

      Temperaturen über 40 Grad

      Die Gruppe harrt am Strand aus und wird von tunesischen und libyschen Beamten an der Weiterreise in die libysche Hauptstadt Tripolis oder der Rückkehr nach Sfax gehindert. Libysche Grenzbeamte berichteten der taz von heftigem Streit mit den tunesischen Kollegen. Man beherberge mehrere Hunderttausend Mi­gran­ten und sei bisher nie auf die Idee gekommen, diese ohne Vorankündigung nach Tunesien zu schicken.

      Der Reporter Traina und Mi­gran­ten, die mit der Gruppe in Kontakt stehen, appellieren an Hilfsorganisationen, der Gruppe so schnell wie möglich Hilfe zukommen zu lassen. Derzeit herrschen in dem Gebiet Temperaturen von über 40 Grad Celsius. Human Rights Watch forderte Tunesien auf, „dringend humanitären Zugang“ zu den Betroffenen zu ermöglichen, die „wenig Nahrung und keine medizinische Hilfe“ hätten.

      Tunesiens Präsident Kais Saied wies Kritik am Samstagabend zurück. „Diese Migranten werden menschlich behandelt, ausgehend von unseren Werten und Charakterzügen“, sagte Saied. Dieses Verhalten stünde im Gegensatz „zu dem, was koloniale Kreise und ihre Agenten verbreiten“. Mit Blick auf die Migranten sagte er: „Tunesien ist keine möblierte Wohnung zum Verkauf oder zur Miete.“

      Bislang völlig unklar ist, warum die tunesischen Behörden die Menschen ohne Absprache mit Hilfsorganisationen deportieren. In Sfax trauen sich nach dem Abflauen der jüngsten Welle der Gewalt gegen Migranten einige nun wieder auf die Straße. Am Freitag forderten mehrere Hundert Menschen mit selbst gemalten Plakaten, ein Ende der Übergriffe und in ihre Heimat ausgeflogen zu werden.

      Hassan Gierdo aus Guinea zeigt auf eine offene Wunde an seinem Unterschenkel. „Jemand hat mit einem Knüppel auf mich eingeschlagen, als ich bereits zusammen mit einem Dutzend anderer zusammengetriebener Menschen auf dem Boden lag. Ich habe kein Geld für einen Arzt und öffentliche Krankenhäuser behandeln uns nicht“, sagt der 24-Jährige. „Man will es uns unmöglich machen, in Tunesien zu bleiben, auch wenn das unser Leben in Gefahr bringt“, glaubt Gierdo.

      https://taz.de/Fluechtende-an-der-Grenze-zu-Libyen/!5943278

    • Tunisia moves hundreds of migrants from desolate border area

      https://www.reuters.com/resizer/RR32b6PLI-TKquPsj8UVRVpNL4k=/960x0/filters:quality(80)/cloudfront-us-east-2.images.arcpublishing.com/reuters/QW3G66MGQRJSLMOK7OGLAOYGHE.jpg

      TUNIS, July 11 (Reuters) - Tunisia has moved hundreds of migrants to shelters in two towns, a local rights group said on Tuesday, after criticism of conditions in a desolate Sahara military area on the border with Libya, where the government transferred them last week.

      Struggling with high numbers of mainly sub-Saharan African migrants seeking to leave the north African country for Europe, President Kais Saied has responded with measures local and international rights groups say are endangering lives.

      “Hundreds of people who were on the Libyan border were transferred finally to shelter centres in Medenine and Tataouine towns after difficult times they spent there in the intense heat”, Ramadan Ben Omar, an official at the non-governmental Tunisian Forum for Economic and Social Rights, told Reuters.

      The interior ministry did not respond to a request for comment.

      The government moved the migrants to the site at the Libyan border following an outbreak of violence in the coastal city of Sfax earlier in July, rights groups said, where travellers and residents clashed.

      The disturbances between migrants and residents in Sfax lasted a week and one Tunisian was killed. Residents complained of disorderly behaviour by migrants and migrants complained of racist harassment.

      Thousands of undocumented migrants have flocked to Sfax in recent months with the goal of setting off for Europe in boats run by human traffickers, leading to an unprecedented migration crisis for Tunisia.

      While overall irregular migration to Europe is up about 12% this year, it more than doubled in the central Mediterranean region, according to data from Europe’s border agency in May.

      The sharp rise in attempted crossings from Tunisia is partly attributable to a crackdown ordered by Saied on migrants from sub-Saharan Africa living in the country illegally.

      Earlier this year, Saied claimed a conspiracy to change Tunisia’s racial makeup. His statement was followed by reports of racist attacks, and by rising numbers of Black Africans resident in Tunisia seeking to leave for Europe.

      Tunisia is now under pressure from Europe to stop migrants departing from its coasts. European countries are considering a package of financial support to help the economy and to deal with migration.

      https://www.reuters.com/world/africa/tunisia-moves-hundreds-migrants-desolate-border-area-2023-07-11

    • A Ellouza, port de pêche tunisien, la mort, l’errance et les retours contraints des migrants qui rêvent d’Europe

      Ce village situé au nord de Sfax n ?est qu ?à 150 km de Lampedusa. Un point de départ à haut risque pour les migrants subsahariens qui tentent de rallier l ?Europe. Dimanche, une nouvelle embarcation a fait naufrage au large des côtes tunisiennes ; une personne a été tuée et une dizaine d ?autres sont portées disparues.

      Monia Ben Hamadi (Ellouza (Tunisie), envoyée spéciale) | Publié le 10/07/2023

      Après cinq heures de mer, Yannick pose finalement pied sur la terre ferme. Mais du mauvais côté de la Méditerranée. Ce Camerounais de 30 ans, avec des dizaines d ?autres migrants subsahariens, vient, jeudi 6 juillet, d ?être intercepté par les garde-côtes tunisiens au large d ?Ellouza, petit village de pêcheurs à 40 km au nord de Sfax. Envolés les 2 500 dinars (800 euros) que lui a coûtés la traversée vers Lampedusa (Italie).

      Sur la plage, une unité de la garde nationale est déjà en poste pour les accueillir. Les agents tentent de contenir les quelques villageois, curieux, venus assister au débarquement. Hommes, femmes, enfants et nourrissons sont ainsi contraints de quitter leur bateau de fortune, devant des spectateurs amusés ? ou au moins habitués ? et face à une police sur les nerfs. Un gendarme, tendu, prend son téléphone pour demander des renforts. « Vous nous laissez seuls, personne n ?est arrivé », reproche-t-il à son interlocuteur. « C ?est tous les jours comme ça, plusieurs fois par jour », maugrée-t-il en raccrochant.

      Les uns après les autres, les migrants quittent le bateau. « Venez ici. Asseyez-vous. Ne bougez pas », crient les agents des forces de l ?ordre qui retirent le moteur de l ?embarcation de métal et éloignent les bidons de kérosène prévus pour assurer la traversée d ?environ 150 km qui séparent Ellouza de Lampedusa. Migrants subsahariens, villageois tunisiens et agents de la garde nationale se regardent en chien de faïence. Dans l ?eau, le petit bateau des garde-côtes qui a escorté les migrants surveille l ?opération. La présence inattendue de journalistes sur place ne fait qu ?augmenter la tension. Yannick, accompagné de son frère cadet, s ?inquiète. « Est-ce qu ?ils vont nous emmener dans le désert, ne les laissez pas nous emmener », supplie-t-il.

      Violents affrontements

      Depuis une semaine, des centaines de migrants subsahariens ont été chassés de Sfax vers une zone tampon désertique bordant la mer, près du poste frontière avec la Libye de Ras Jdir. D ?autres ont été expulsés à la frontière algérienne. Ces opérations font suite aux journées d ?extrême tension qui ont suivi la mort d ?un Tunisien, lundi 3 juillet, tué dans une rixe avec des migrants subsahariens, selon le porte-parole du parquet de Sfax.

      Trois hommes, de nationalité camerounaise, d ?après les autorités, ont été arrêtés. Dans la foulée, des quartiers de Sfax ont été le théâtre de violents affrontements. Des Tunisiens se sont regroupés pour s ?attaquer aux migrants et les déloger de leur habitation. Yannick et son petit frère faisaient partie des expulsés. Les deux hommes ont fui la ville au milieu de la nuit, parcourant des dizaines de kilomètres à pied pour se réfugier dans la « brousse », près d ?Ellouza.

      La région de Sfax est depuis devenue le théâtre d ?un étrange ballet. Toute la journée et toute la nuit, dans l ?obscurité totale, des groupes de migrants subsahariens errent sur les routes communales entourées de champs d ?oliviers et de buissons. « A chaque fois, quelques personnes étaient chargées des courses, de l ?eau et un peu de nourriture. Il fallait transporter le tout à pied sur plusieurs kilomètres », raconte Yannick. Lui et son petit frère de 19 ans ont dormi deux nuits dehors, avant que leur grande s ?ur, qui a réussi à rejoindre la France des années auparavant, ne leur paie leur traversée, prévue le 6 juillet à midi.

      « Commerçants de la mort »

      Ce jour-là, près du port d ?Ellouza, Hamza, 60 ans, repeignait son petit bateau en bois bleu et blanc. Ce pêcheur expérimenté ne cache pas son émotion face au drame dont son village est le théâtre. Lui-même a dû s ?improviser pêcheur de cadavres depuis quelque temps. Des corps sans vie se coincent parfois dans ses filets. « Une fois, j ?ai trouvé la moitié du corps d ?une femme mais elle était dans un état de décomposition tel que je n ?ai pas trouvé par où la tenir. Je l ?ai laissée là. Je n ?ai pas pu dormir pendant des jours », dit-il, la voix tremblante.

      Dimanche 9 juillet, une nouvelle embarcation a fait naufrage au large de cette région : une personne est morte et une dizaine d ?autres sont portées disparues. En plus des cadavres, les épaves des bateaux métalliques qui servent à la traversée des migrants déchirent souvent les filets des pêcheurs. « Je n ?ai pas les moyens de racheter des filets tous les mois », regrette Hamza.

      Le long de la côte autour d ?Ellouza, les bateaux métalliques échoués et rongés par la rouille sont innombrables. Ces bateaux, de « très mauvaise qualité » selon le pêcheur, sont construits en quantités importantes et coûtent moins cher que ceux en bois, les pneumatiques ou les barques en plastique qui servaient auparavant à la traversée. « Ce sont des commerçants de la mort », accuse Hamza en pointant aussi bien les passeurs que les politiques migratoires européennes et les autorités tunisiennes.

      « Je retenterai ma chance »

      La Commission européenne a annoncé en juin le déblocage de 105 millions d ?euros « pour lutter contre les passeurs [et] investir dans le contrôle maritime des frontières par les Tunisiens », sans compter la coopération bilatérale venant de Paris ou Rome. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, durant le premier semestre, près de 30 000 migrants sont arrivés à Lampedusa en provenance de Tunisie.

      Sur les rochers recouverts d ?algues, des centaines de pneus de voiture, servant à amarrer les navires, jonchent la côte. Depuis la falaise, on aperçoit le corps en début de décomposition d ?un migrant. Un autre à quelques mètres. Et puis un autre encore, en contrebas, devenu squelette. Personne n ?a cherché à les enterrer, ni à savoir qui ils étaient. Ils font partie des « disparus » en mer. Des chiens rôdent. Le paysage est aussi paradisiaque qu ?infernal.

      Débarqué vers 17 heures, Yannick sera finalement relâché sur la plage avec son groupe. « C ?est grâce à vous, si vous n ?étiez pas restés, ils nous auraient embarqués et emmenés à la frontière », assure-t-il. Le soir même, avec son frère, ils ont parcouru à pied les dizaines de kilomètres qui séparent Ellouza de Sfax. Cette fois dans l ?autre sens. Après être arrivé à la gare ferroviaire à 3 heures du matin, Yannick a convaincu un vieil homme de leur acheter des tickets pour Tunis.

      Ils sont finalement arrivés sains et saufs dans la capitale. « Il faut que je trouve du travail mais la situation est plus acceptable ici », dit-il. Malgré cette expérience, Yannick est toujours convaincu qu ?un avenir meilleur l ?attend de l ?autre côté de la Méditerranée. « Quand j ?aurai l ?argent, je retenterai ma chance, promet-il. Retourner au pays n ?est pas une option. »

      https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/10/a-ellouza-port-de-peche-tunisien-la-mort-l-errance-et-les-retours-contraints

    • Sfax, triste reflet d’une impasse politique entre Tunis et l’Europe – Jeune Afrique

      Par Frida Dahmani
      8–10 Minuten

      En l’absence de réponse gouvernementale satisfaisante et de révision des politiques publiques, la pression migratoire à Sfax (Centre Est) déclenche une crise qui s’étend à tout le pays, ce que nul n’avait anticipé malgré l’arrivée, ces derniers mois, d’un nombre important de migrants irréguliers dans la région.

      L’assassinat d’un Tunisien par des Subsahariens, le 4 juillet, a ravivé les braises du ressentiment des habitants de la ville, d’ordinaire laborieuse et calme, qui est aussi le second pôle économique du pays vers lequel convergent toutes les routes du sud. Ici, on se trouve à seulement 200 kilomètres de Lampedusa (Italie). Près de 25 000 migrants y auraient trouvé emploi et logement, le plus souvent dans des conditions précaires, en attendant de tenter le voyage vers l’eldorado européen.

      Les propos tenus en février 2021 par le président Kaïs Saïed ont stigmatisé la communauté subsaharienne et déclenché un déferlement de haine raciale. Depuis, malgré quelques tentatives de rapatriement vers leur pays d’origine, le nombre de candidats à la migration n’a cessé d’augmenter, mettant l’agglomération de Sfax en difficulté. La société civile a bien tenté d’alerté sur les risques liés au phénomène, mais il semble que personne n’avait évalué les dangers ni compris les risques de débordements ou d’implosion.
      À LireEn Tunisie, des ONG dénoncent un « discours haineux » contre les migrants africains

      Comme souvent, c’est sur les réseaux sociaux que le déchaînement est le plus violent, certains appelant sans équivoque les citoyens à « partir à la reconquête de leur territoire », tout en fustigeant l’inaction supposée de l’État. L’escalade de violence de ces derniers jours n’a fait qu’ajouter à la confusion, en l’absence d’une réelle communication des autorités à même de désamorcer la désinformation qui prévaut. Entre esquive, non-dits et omerta, quelle est la réalité de la crise migratoire ?
      Une position intenable

      Prise en tenailles entre une Europe qui souhaite qu’elle devienne son garde-frontières, une partie de sa propre population qui aspire à migrer et un flux de ressortissants subsahariens difficile à contenir, la Tunisie peine à trouver un cap sur la question migratoire. La levée des visas avec certains pays africains depuis 2015 a facilité l’accès au territoire tunisien, avec des dépassements de séjour incontrôlables.

      Le conflit libyen a aussi contribué à faire du pays l’une des voies migratoires africaines les plus logiques pour gagner le nord, ce qui, historiquement, correspond au parcours de la traite négrière du XVIIIe siècle. Les esclavagistes d’hier ont cédé la place à un réseau de complicités mafieuses entre passeurs et relais qui tiennent les rênes de la migration irrégulière en plus d’autres trafics.

      L’accord avec l’Union européenne

      Les visites de hauts responsables européens se sont multipliées ces dernières semaines à Tunis, tant Bruxelles semble vouloir faire du pays un allié privilégié. Ou, comme le résume avec agacement le président Kaïs Saïed, l’un de ses « garde-frontières ». Mais au-delà de l’aide financière et des appuis budgétaires annoncés par l’UE, le contenu de l’accord que les Européens tentent de négocier reste un secret bien gardé.

      Qui discute, de quoi et avec qui ? Nul ne le sait : Olivier Várhelyi, Commissaire européen à la Politique de Voisinage et à l’Élargissement, a reporté par deux fois un déplacement prévu à Tunis depuis le 12 juin. La présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, a, elle, annulé une visite prévue le 6 juillet. Il semble que Tunis renâcle à accepter les conditions de l’UE et souhaite percevoir des dédommagements plus conséquents que ceux qui lui sont proposés en contrepartie du renvoi vers son sol de migrants irréguliers, supposés être arrivés en Italie depuis la Tunisie.

      La réalité de la migration

      Pour une partie des responsables européens, Italiens en tête, la Tunisie est un sujet de préoccupation prioritaire car elle est considérée comme l’un des points de départ privilégiés des migrants africains (Tunisiens compris) souhaitant passer clandestinement en Europe. Pourtant, les chiffres fournis par le département italien de la sécurité publique racontent une histoire légèrement différente : du 1er janvier au 7 avril 2023, 28 886 migrants ont atteint les côtes italiennes. Parmi eux, 16 637 arrivaient de Libye, 12 000 de Tunisie. Pour ce qui est des nationalités d’origine, on dénombrait 5 084 Ivoiriens, 3 921 Guinéens, 2 778 Pakistanais, 2 085 Bengalais, 2 051 Égyptiens, 1 462 Camerounais, 1 164 Syriens, 990 Maliens, 884 Burkinabé. Et 2 110 Tunisiens.

      La composition de ce contingent interroge dans la mesure où, contrairement à ce que les autorités italiennes laissent entendre, le flux des Maghrébins est loin d’être le plus important. L’Italie et l’UE persistent pourtant à mettre la pression sur la Tunisie alors que la Libye, d’où les départs sont bien plus nombreux, ne fait pas l’objet des mêmes avertissements. Il faut dire qu’à la différence de la Tunisie, la Libye est un important fournisseur d’hydrocarbures pour l’Italie. Par ailleurs, l’UE et Rome n’interpellent pas non plus les pays d’origine des migrants. Dans les relations diplomatiques entre Abidjan ou Conakry et Rome, la migration est loin de figurer en tête de l’ordre du jour.

      Une avalanche de fausses informations

      En l’absence de réelles précisions sur la crise qui frappe Sfax, les fausses informations comblent les vides. On peut ainsi lire que, pour diminuer de la pression sur la ville, les autorités auraient décidé de répartir les migrants dans différents gouvernorats du pays. Une rumeur que rien ne confirme. Au contraire, certains migrants qui ont tenté de quitter Sfax pour Tunis, et d’autres qui ont été arrêtés par les forces de l’ordre, ont été conduits par bus aux frontières libyenne et algérienne.

      Des internautes accusent l’Algérie de vouloir déstabiliser la Tunisie en favorisant le passage en masse de migrants depuis son territoire, photos de Subsahariens regroupés dans des bus à l’appui. Vérification faite, il s’agit d’images bien plus anciennes prises dans une zone proche du Mali.

      Les manquements de la Tunisie

      En 2011 déjà, le conflit libyen avait entrainé un flux migratoire sans précédent vers la Tunisie. Avec près d’un million de personnes, les capacités d’accueil avaient été mises à rude épreuve. Pourtant le pays avait su, avec l’appui d’organismes internationaux, s’organiser pour gérer cette situation sans précédent. Hélas, il n’a pas mis à profit les enseignements de cette expérience pour mettre à jour un corpus juridique obsolète, dans lequel ni le statut de réfugiés ni celui de demandeur d’asile n’est clairement défini et encadré.

      À ce flou juridique vient s’ajouter le fait que la Tunisie de 2023, frappée par une crise économique sévère et des difficultés à lever des financements sur la scène internationale, peine à gérer les migrants irréguliers et n’a aucune opportunité d’insertion à leur offrir. Suite à la crise provoquée, au printemps, par ses propos sur les migrants subsahariens, le président Saïed avait appelé à l’application de la loi. Mais depuis, aucune communication officielle n’a été faite pour expliquer aux personnes concernées les conditions dans lesquelles elles peuvent demander leur régularisation, ou les délais à respecter.

      Sans aide internationale, la situation paraît aujourd’hui inextricable. Et laisse la place à un discours populiste et souverainiste dans lequel il ne saurait être question de solutions.

      https://www.jeuneafrique.com/1461227/politique/sfax-triste-reflet-dune-impasse-politique-entre-tunis-et-leurope

    • En Algérie, l’errance des migrants subsahariens menacés d’expulsion

      Ni le rejet violent dont ils sont victimes en Tunisie ni le racisme qu’ils subissent de la part des Algériens ne les dissuadent de transiter par le pays pour rallier l’Europe.

      Assis au milieu d’un amas de tissus, le visage d’Osman Issa brille de sueur. Un ventilateur rafraîchit à peine son atelier de 8 mètres carrés en cette journée d’été étouffante du mois de juillet. De sa table de couture, un karakou (tenue algéroise traditionnelle) au-dessus de la tête, Osman se remémore sa traversée du désert pour venir en Algérie voilà vingt-six ans. « J’ai décidé de quitter le Niger sous les encouragements de mon frère qui avait fait la traversée avant moi », raconte-t-il dans un dialecte algérien presque parfait. A son arrivée en 1997, Osman, brodeur de qualité, s’était lancé avec un certain succès dans le commerce de tenues traditionnelles. Désormais, il possède cet atelier de couture dans un quartier populaire d’Alger.

      Alors que le débat sur la place des migrants subsahariens dans les pays nord-africains a été relancé par les événements en Tunisie et les opérations de refoulement à la frontière des autorités algériennes, lui affirme avoir trouvé sa place. « En trois décennies, je n’ai pas été victime d’un acte raciste qui m’a fait regretter d’être venu », promet-il. Comme la plupart des migrants subsahariens, Osman ne considérait pas l’Algérie comme un point d’ancrage, mais un lieu de transit vers l’Europe. « J’ai tenté de traverser à trois reprises, mais j’ai échoué. » Désormais marié à une Algérienne et père de trois enfants, il bénéficie d’une carte de résidence et n’envisage plus de partir vers l’Europe ou de rentrer au Niger, sauf pour les visites familiales.

      « J’avoue qu’il m’a été très difficile de régulariser ma situation, même après mon mariage. Je me compare souvent à mon frère qui est parti en Belgique bien après moi. Il a déjà sa nationalité. Moi, je sais que je ne l’aurai pas. La nationalité algérienne ? Il ne faut pas demander l’impossible », reconnaît-il, sans nier le racisme ambiant. Quand il n’en est pas témoin lui-même, des récits lui arrivent des migrants qu’il emploie : « Ils ont pour but de partir en Europe. Les passeurs demandent jusqu’à 3 000 euros. Ce qui représente trois ans de travail acharné pour un migrant. D’autres préfèrent rentrer dans leur pays avec cette somme et tenter le visa pour l’Europe. Dans les deux cas, cet argent ne peut être amassé qu’en Algérie. C’est ici qu’il y a du travail. »
      « Pour l’amour de Dieu ! »

      A la sortie de l’atelier d’Osman, le wagon climatisé du tramway offre une échappatoire à la canicule. « Une aumône pour l’amour de Dieu ! », supplie une jeune migrante subsaharienne depuis le fond du train. Alors que l’enfant fraie son chemin, certains passagers piochent dans leurs poches pour lui tendre quelques sous, d’autres ne masquent pas leur exaspération. La scène fait désormais partie du quotidien algérois. Les migrants sont d’ailleurs désormais qualifiés par les locaux de sadaka (aumône).

      A Alger, la vie des migrants subsahariens n’a pas été perturbée par les événements récents en Tunisie. Depuis le 3 juillet, après la mort à Sfax d’un Tunisien dans une bagarre avec des migrants, des autochtones ont fait la chasse aux Subsahariens et les autorités en ont expulsé par centaines de la ville où le drame a eu lieu. Même ceux en situation régulière ne sont pas épargnés. Depuis plusieurs semaines, de nombreux Sfaxiens manifestaient contre l’augmentation du nombre de candidats à l’exil vers l’Europe arrivés d’Algérie.

      Ceux-ci franchissaient majoritairement la frontière au niveau de la région montagneuse de Kasserine, dans le centre ouest de la Tunisie. Un trajet périlleux : neuf migrants y ont perdu la vie à la mi-mai, « morts de soif et de froid », selon la justice tunisienne.

      C’est dans cette même zone que 150 à 200 personnes ont été refoulées par les autorités tunisiennes, selon les estimations de Human Rights Watch (HRW), en plus des 500 à 700 migrants abandonnés dans la zone frontalière avec la Libye. « Ce sont des estimations que nous avons établies après être entrés en contact avec les migrants et après avoir identifié leur localisation, explique Salsabil Chellali, la directrice de HRW pour la Tunisie. Les migrants expulsés du côté algérien se sont dispersés après avoir été contraints à marcher pendant plusieurs kilomètres. »
      « Propos racistes »

      Ces groupes de migrants comptent des enfants et des femmes enceintes. L’une d’elles a accouché aux portes de l’Algérie, comme en atteste une vidéo reçue par Le Monde. D’après HRW, un groupe de migrants, refoulés à la frontière libyenne, a été secouru et pris en charge dans des villes du sud tunisien. D’autres, aux frontières libyennes et algériennes, errent encore dans le désert, attendant aide et assistance.

      Les propos du président tunisien Kaïs Saïed en février, dénonçant des « hordes de migrants clandestins », source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », ont eu un effet désinhibant, notamment sur des influenceurs et des artistes populaires en Algérie. La
      chanteuse de raï Cheba Warda a ainsi dit soutenir le plan d’expulsion du président Tebboune alors qu’aucun discours n’avait été tenu par ce dernier.

      En juin, l’influenceuse algérienne Baraka Meraia, suivie par plus de 275 000 personnes, a dénoncé le racisme anti-Noirs dont elle a aussi été victime. Originaire d’In Salah, à plus de mille kilomètres au sud d’Alger, la jeune femme a dit avoir été prise à plusieurs reprises pour une migrante subsaharienne. Dans une vidéo, elle est apparue en larmes pour raconter le comportement d’un contrôleur de tramway algérois. « Ce n’est pas la première fois que j’entends des propos racistes, relatait-elle. Parmi toutes les personnes qui ont assisté à la scène, aucune n’a réagi. »
      « Ils errent dans le désert »

      En plus des actes et des propos racistes auxquels ils sont exposés, les migrants vivent sous la menace des opérations d’expulsion. Selon l’ONG Alarm Phone Sahara, qui leur vient en aide, l’Algérie a renvoyé plus de 11 000 personnes vers le Niger entre janvier et avril 2023. Les opérations sont toujours en cours, d’après la même source, et s’opèrent au rythme minimum d’un convoi par semaine depuis 2018. « Ces expulsions s’opèrent sur la base d’un accord avec le Niger. Toutefois, l’Algérie ne prend pas en considération la nationalité des migrants qu’elle refoule », raconte Moctar Dan Yayé, le responsable de communication d’Alarm Phone Sahara.

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      Selon lui, les migrants sont acheminés jusqu’à Tamanrasset, à l’extrême sud algérien, puis à la frontière avec le Niger. De ce no man’s land, les refoulés doivent marcher environ 15 km pour atteindre le village d’Assamaka, où l’opération de tri commence. « Nous sommes tombés sur des Yéménites et même sur un migrant du Costa Rica. Ceux-là, comme les autres Africains, ne sont pas pris en charge par le Niger. Parfois, l’Organisation mondiale des migrations (OIM) se charge de les renvoyer chez eux. Dans le cas contraire, ils errent dans le désert en essayant de rentrer en Algérie », rapporte Moctar Dan Yayé. Selon Alarm Phone Sahara, plus de 7 500 migrants expulsés restent bloqués à Assamaka.

      Malgré cette menace de reconduite et les discours incendiaires du président tunisien, ceux-ci gardent les yeux rivés sur la Méditerranée, comme ces deux jeunes Sénégalais, Aliou et Demba*, rencontrés en avril à Tamanrasset. Après avoir traversé le Mali et le Niger, leur errance les a amenés dans cet îlot urbain, planté en plein désert, où ils n’ont trouvé que quelques labeurs sur des chantiers, payés tout juste 1 000 dinars la journée, à peine 7 euros. Demba espérait alors rejoindre la Tunisie, sans crainte que les propos de son dirigeant n’affecte son ambition. Il y a seulement trois mois, il était persuadé que les migrants ne risquaient pas l’expulsion de la Tunisie, contrairement à l’Algérie. Le seul problème qui se posait alors à ses yeux et à ceux de son ami était de trouver l’argent pour payer les passeurs.

      *Les prénoms ont été changés à la demande des interviewés.

      Ténéré Majhoul(Alger, correspondance) et Nour Bahri(Tamanrasset, Algérie, envoyée spéciale)

      https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/12/en-algerie-l-errance-des-migrants-subsahariens-menaces-d-expulsion_6181703_3

    • Deportierte Migranten in Tunesien: Wo sind die aus Sfax Vertriebenen?

      Mirco Keilberth
      6–7 Minuten

      Von vielen aus der tunesischen Stadt deportierten Migranten aus Subsahara-Afrika fehlt jede Spur. Einige wurden offenbar in der Wüste ausgesetzt.

      Gestrandete afrikanische Migranten aus Tunesien an einem Strand in der Nähe der libyschen Grenze Foto: ap

      TUNIS taz | Das Schicksal von über tausend aus der Hafenstadt Sfax deportierten Mi­gran­ten ist eine Woche nach den gewaltvollen Vertreibungen noch immer unklar. Am Montag letzter Woche kam ein 41-jähriger Tunesier bei Auseinandersetzungen zwischen Migranten aus Subsahara-Afrika und Jugendlichen aus Sfax ums Leben. In der darauffolgenden Nacht begannen die Ausschreitungen gegen die Migranten: Sie wurden aus ihren Wohnungen getrieben, geschlagen, bedroht. Täglich transportieren die Behörden Migranten in Bussen aus der 330.000 Einwohner zählenden Stadt.

      An einem Strandabschnitt direkt neben dem libysch-tunesischen Grenzübergang Ras Jadir stieß am letzten Donnerstag Malik Traina, ein Reporter des katarischen TV-Senders Aljazeera, auf 700 aus Sfax deportierte Migranten, die ohne Wasser und Nahrungsmittel dort ausgesetzt worden waren.

      Libysche Grenzbeamte belieferten die Gruppe mit dem Nötigsten, ließen sie aber nicht – wie von den Behörden in Sfax wohl erhofft – über die Grenze. Man habe selber über 700.000 Migranten im Land aufgenommen, erklärt ein Grenzbeamter gegenüber der taz. „Tunesien will seine sozialen Probleme auf dem Rücken der Migranten und Nachbarländer lösen. Das ist ein gefährlicher Präzedenzfall“, so der Beamte aus der nordwestlibyschen Hafenstadt Zuwara weiter.

      Die Videos der bei über 40 Grad in der sengenden Sonne Gestrandeten sorgten weltweit für Empörung. Die Unnachgiebigkeit der von der Aktion völlig überraschten libyschen Beamten führte zunächst zu einem Nachgeben der tunesischen Behörden. Nachdem am Wochenende Helfer des Roten Halbmondes die lebensbedrohliche Entkräftung der Vertriebenen bestätigten, wurde die Mehrheit mit Bussen in verschiedene Orte Südtunesiens gefahren.
      Unter den im Freien Ausgesetzten sind auch Kinder

      In Ben Guerdane, nahe der Grenze, stehen seitdem 70 Migranten unter Polizeischutz. In Tataouine und Medenine, weiter im Landesinneren gelegen, wurden weitere Gruppen untergebracht.

      Libyscher Grenzbeamter

      „Tunesien will seine sozialen Probleme auf dem Rücken der Migranten lösen“

      Viele der Betroffenen würden in ihre Heimat zurückreisen wollen, so Vertreter des Roten Halbmonds. Deren Rückflug würde man zusammen mit der internationalen Organisation für Migration (IOM) organisieren.

      Doch die humanitäre Krise ist damit nicht zu Ende. Die in der Seenotrettung aktive Zivilorganisation Alarm Phone berichtet von weiteren Bussen aus Sfax, die am Dienstag Migranten bei Ras Jadir im Freien absetzten. Unter den dort Verblieben sind mindestens 30 Kinder.

      Völlig unklar ist zur Zeit der Verbleib von bis zu 250 Migranten, die in zwei Gruppen aus Sfax an die algerisch-tunesische Grenze im westtunesischen Tozeur gefahren wurden. Offenbar wurden auch sie nach der Zerstörung ihrer Telefone ohne Wasser und Nahrungsmittel ausgesetzt. In Tozeur herrschten am letzten Wochenende auch nachts noch Temperaturen von 38 Grad, am Tag klettern sie auf knapp 50 – das macht das Grenzgebiet zu einer der derzeit heißesten Regionen der Erde.
      Kontakt zu einer Gruppe Migranten ist abgebrochen

      Tunesische Aktivisten sowie Alarm Phone haben offenbar zu den auf die algerische Seite geflohenen Migranten jeglichen Kontakt verloren. Wahrscheinlich sind die Batterien der bei den Migranten verbliebenen Telefone mittlerweile leer. Menschenrechtsaktivisten aus Djerba wurden bei dem Versuch, die beiden Gruppen zu orten, von der tunesischen Polizei festgesetzt.

      In Sfax übernachten viele der aus ihren Wohnungen Vertriebenen weiter auf den Straßen. Und in den Verstecken an einem Strandabschnitt nördlich der Stadt warten weiterhin mehrere tausend Menschen auf die Überfahrt nach Europa.
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      https://taz.de/Deportierte-Migranten-in-Tunesien/!5943662

    • 13 juillet 2023
      Traitements inhumains et dégradants envers les africain·e·s noir·e·s en Tunisie, fruits du racisme institutionnel et de l’externalisation des politiques migratoires européennes

      Les organisations soussignées expriment leurs vives inquiétudes et leur indignation quant à la situation délétère en Tunisie, tout particulièrement ces derniers jours dans la ville de Sfax. Depuis la mort d’un ressortissant Tunisien, présumément aux mains de ressortissants d’origine subsaharienne, survenue le 3 juillet 2023 lors d’une échauffourée [1], cette ville est le théâtre d’affrontements entre une partie de la population chauffée à blanc par des campagnes de haine sur les réseaux sociaux, et des exilé·e·s en provenance d’Afrique subsaharienne installé·e·s dans cette ville, pris·es pour cibles. Cela s’ajoute aux graves événements racistes et xénophobes qu’a déjà connus le pays en mars 2023 [2], ayant notamment entraîné la mort de trois personnes d’origine Subsaharienne.

      Le discours raciste et haineux, véritable « pousse-au-crime », prononcé par le Président tunisien en février 2023 [3] n’a fait qu’encourager ces exactions, et accorder un blanc-seing aux graves violences exercées à l’encontre des personnes exilées. Et c’est bien l’attitude des autorités locales et nationales qui est en cause, laissant libre court aux fausses informations qui pullulent sur les réseaux sociaux, mais également aux violences de certains groupes – policiers, militaires ou issus de la population –, à l’égard des personnes exilées noires, férocement attaquées et violentées en toute impunité [4] .

      Nombre de témoignages, notamment des premier.e.s concerné·e·s, d’associations de la société civile en Tunisie mais aussi de médias étrangers, font ainsi état de graves violations des droits humains à leur encontre : interpellations violentes et arbitraires, défenestrations, agressions à l’arme blanche… Ces acteurs dénoncent une véritable « chasse aux migrant·e·s » et des rafles, suivies du renvoi forcé d’un millier de personnes aux frontières avec la Libye ou l’Algérie, l’objectif des autorités tunisiennes semblant être de regrouper à ces frontières les exilé·e·s originaires d’Afrique subsaharienne pour les y abandonner sans assistance aucune ni moyens de subsistance, y compris s’agissant de demandeur·euse d’asile. Des rafles précédées ou s’accompagnant d’expulsions arbitraires de leurs domiciles, de destructions ou de vols de leurs biens, de traitements inhumains et dégradants, ainsi que de violences physiques [5]. Des violations des droits commises par des forces publiques et/ou des milices privées largement documentées, mais qui restent à ce jour sans condamnation pour leurs auteurs de la part des tribunaux ou des autorités étatiques.

      Tout cela intervient dans un contexte de crise sans précédent en Tunisie, touchant tous les domaines : économique, social, politique, institutionnel, financier… Une crise accentuée par les pressions et le marchandage de l’Union européenne (UE), qui entend via un partenariat « renforcé », mais inégal en matière migratoire, imposer à la Tunisie l’externalisation des contrôles frontaliers et de la gestion migratoire [6]. Cette politique répressive passe par le renvoi depuis les pays européens de tou·te·s les exilé.e.s dépourvu.e.s de droit au séjour ayant transité par la Tunisie, ainsi désignée comme « pays sûr », contrairement à la Libye. Ceci, au motif de faire de la Tunisie le garde-frontière de l’UE, en charge de contenir les migrations « indésirables » et de les éloigner le plus possible du territoire européen, en échange d’une aide financière conséquente venant à point nommé (au moins 900 000 €). Le tout malgré les inquiétudes suscitées par la dérive autoritaire observée en Tunisie [7] et au mépris de l’État de droit et des droits fondamentaux des personnes exilées en Tunisie.
      Une crise également aggravée par l’ambiguïté des autorités algériennes, qui instrumentalisent la question migratoire pour des motifs politiques en déroutant les personnes d’origine subsaharienne de l’Algérie – qui compte des frontières terrestres avec les pays d’Afrique subsaharienne – vers la Tunisie, qui n’en a pas.

      Nous exprimons notre entière solidarité avec toutes les victimes des violences, quelle que soit leur nationalité, condamnons cette violence raciste d’où qu’elle vienne, et exprimons notre indignation face au silence assourdissant et complice des autorités tunisiennes.
      Nous enjoignons la Tunisie à assumer les responsabilités qui lui incombent en protégeant de toute exaction les exilé·e·s sur son territoire, en mettant un terme à ces violences racistes et aux refoulements opérés en toute illégalité aux frontières tunisiennes, et à se conformer au droit international.

      Enfin, nous dénonçons avec la plus grande vigueur les pressions exercées par l’UE sur la Tunisie dans le cadre d’une coopération inégale et marchandée en vue d’imposer à ce pays méditerranéen sa politique ultrasécuritaire en matière d’immigration et d’asile, au mépris du droit international et des droits des personnes exilées.

      Voir la liste des signataires en pièce jointe

      Notes

      [1] « À Sfax, la mort d’un Tunisien lors de heurts avec des migrants fait craindre des violences », 5 juillet 2023, France24, https://www.france24.com/fr/afrique/20230705-%C3%A0-sfax-la-mort-d-un-tunisien-lors-de-heurts-avec-des-migrant

      [2] « Tunisie : La violence raciste cible les migrants et réfugiés noirs », 10 mars 2023, Human Rights Watch, https://www.hrw.org/fr/news/2023/03/10/tunisie-la-violence-raciste-cible-les-migrants-et-refugies-noirs

      [3] « Tunisie. Le discours raciste du président déclenche une vague de violence contre les Africain·e·s Noirs », 10 mars 2023, Amnesty International, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/03/tunisia-presidents-racist-speech-incites-a-wave-of-violence-against-black-a

      [4] « Tunisie : à Sfax, les exilés subsahariens subissent la violence de la population », France Info 7 juillet 2023, https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/tunisie/tunisie-a-sfax-les-exiles-subsahariens-subissent-la-violence-de-la-popu

      [5] « Human Rights Watch dénonce des expulsions de migrants vers le désert en Tunisie : "C’est une question de vie ou de mort" », 8 juillet 2023, Human Rights Watch, https://information.tv5monde.com/afrique/human-rights-watch-denonce-des-expulsions-de-migrants-vers-le-

      [6] « Pourquoi l’UE veut renforcer son partenariat avec la Tunisie », 11 juin 2023, L’Express & AFP : https://www.lexpress.fr/monde/pourquoi-lue-veut-renforcer-son-partenariat-avec-la-tunisie-5KUG3YXCSNCWFF2

      [7] « En Tunisie, Kaïs Saïed est seul contre tous », 18 juin 2022, Courrier international : https://www.courrierinternational.com/article/analyse-en-tunisie-kais-saied-est-seul-contre-tous

      https://migreurop.org/article3192.html?lang_article=fr

    • Traitements inhumains et dégradants envers les africain⋅es noir⋅es en Tunisie, fruits du racisme institutionnel et de l’externalisation des politiques migratoires européennes

      Les organisations soussignées expriment leurs vives inquiétudes et leur indignation quant à la situation délétère en Tunisie, tout particulièrement ces derniers jours dans la ville de Sfax. Depuis la mort d’un ressortissant tunisien, présumément aux mains de ressortissants d’origine subsaharienne, survenue le 3 juillet 2023 lors d’une échauffourée [1], cette ville est le théâtre d’affrontements entre une partie de la population chauffée à blanc par des campagnes de haine sur les réseaux sociaux, et des exilé⋅es en provenance d’Afrique subsaharienne installé⋅es dans cette ville, pris⋅es pour cibles. Cela s’ajoute aux graves événements racistes et xénophobes qu’a déjà connus le pays en mars 2023 [2], ayant notamment entraîné la mort de trois personnes d’origine Subsaharienne.

      Le discours raciste et haineux, véritable « pousse-au-crime », prononcé par le Président tunisien en février 2023 [3] n’a fait qu’encourager ces exactions, et accorder un blanc-seing aux graves violences exercées à l’encontre des personnes exilées. Et c’est bien l’attitude des autorités locales et nationales qui est en cause, laissant libre court aux fausses informations qui pullulent sur les réseaux sociaux, mais également aux violences de certains groupes – policiers, militaires ou issus de la population –, à l’égard des personnes exilées noires, férocement attaquées et violentées en toute impunité [4].

      Nombre de témoignages, notamment des premier⋅es concerné⋅es, d’associations de la société civile en Tunisie mais aussi de médias étrangers, font ainsi état de graves violations des droits humains à leur encontre : interpellations violentes et arbitraires, défenestrations, agressions à l’arme blanche… Ces acteurs dénoncent une véritable « chasse aux migrant⋅es » et des rafles, suivies du renvoi forcé d’un millier de personnes aux frontières avec la Libye ou l’Algérie, l’objectif des autorités tunisiennes semblant être de regrouper à ces frontières les exilé⋅es originaires d’Afrique subsaharienne pour les y abandonner sans assistance aucune ni moyens de subsistance, y compris s’agissant de demandeur⋅euse d’asile. Des rafles précédées ou s’accompagnant d’expulsions arbitraires de leurs domiciles, de destructions ou de vols de leurs biens, de traitements inhumains et dégradants, ainsi que de violences physiques [5]. Des violations des droits commises par des forces publiques et/ou des milices privées largement documentées, mais qui restent à ce jour sans condamnation pour leurs auteurs de la part des tribunaux ou des autorités étatiques.

      Tout cela intervient dans un contexte de crise sans précédent en Tunisie, touchant tous les domaines : économique, social, politique, institutionnel, financier… Une crise accentuée par les pressions et le marchandage de l’Union européenne (UE), qui entend via un partenariat « renforcé », mais inégal en matière migratoire, imposer à la Tunisie l’externalisation des contrôles frontaliers et de la gestion migratoire [6]. Cette politique répressive passe par le renvoi depuis les pays européens de tou⋅tes les exilé⋅es dépourvu⋅es de droit au séjour ayant transité par la Tunisie, ainsi désignée comme « pays sûr », contrairement à la Libye. Ceci, au motif de faire de la Tunisie le garde-frontière de l’UE, en charge de contenir les migrations « indésirables » et de les éloigner le plus possible du territoire européen, en échange d’une aide financière conséquente venant à point nommé (au moins 900 000 €). Le tout malgré les inquiétudes suscitées par la dérive autoritaire observée en Tunisie [7] et au mépris de l’État de droit et des droits fondamentaux des personnes exilées en Tunisie.
      Une crise également aggravée par l’ambiguïté des autorités algériennes, qui instrumentalisent la question migratoire pour des motifs politiques en déroutant les personnes d’origine subsaharienne de l’Algérie – qui compte des frontières terrestres avec les pays d’Afrique subsaharienne – vers la Tunisie, qui n’en a pas.

      Nous exprimons notre entière solidarité avec toutes les victimes des violences, quelle que soit leur nationalité, condamnons cette violence raciste d’où qu’elle vienne, et exprimons notre indignation face au silence assourdissant et complice des autorités tunisiennes. Nous enjoignons la Tunisie à assumer les responsabilités qui lui incombent en protégeant de toute exaction les exilé⋅es sur son territoire, en mettant un terme à ces violences racistes et aux refoulements opérés en toute illégalité aux frontières tunisiennes, et à se conformer au droit international.

      Enfin, nous dénonçons avec la plus grande vigueur les pressions exercées par l’UE sur la Tunisie dans le cadre d’une coopération inégale et marchandée en vue d’imposer à ce pays méditerranéen sa politique ultrasécuritaire en matière d’immigration et d’asile, au mépris du droit international et des droits des personnes exilées.

      http://www.gisti.org/article7056

    • La Tunisie et la Libye s’accordent sur une répartition des migrants bloqués à la frontière

      Les deux pays ont indiqué jeudi avoir trouvé un accord pour se répartir les exilés bloqués depuis plus d’un mois dans une zone désertique près du poste frontière de Ras Jdir. InfoMigrants a pu contacter Kelvin. Bloqué à la frontière, ce jeune Nigérian a été envoyé à Tataouine dans un centre de l’Organisation mondiale pour les migrations.

      Après plus d’un mois de souffrance, les exilés bloqués à la frontière entre la Tunisie et la Libye vont enfin pouvoir quitter cet espace inhospitalier. La Tunisie et la Libye ont annoncé jeudi 10 août s’être entendus pour se répartir l’accueil des 300 migrants africains bloqués près du poste frontière de Ras Jdir.

      C’est le ministère de l’Intérieur libyen qui a le premier annoncé la conclusion de cet accord bilatéral « pour une solution consensuelle, afin de mettre fin à la crise des migrants irréguliers, bloqués dans la zone frontalière ». « On s’est mis d’accord pour se partager les groupes de migrants présents sur la frontière », a indiqué de son côté un porte-parole du ministère tunisien.

      Un communiqué officiel tunisien a souligné le besoin d’une « coordination des efforts pour trouver des solutions qui tiennent compte des intérêts des deux pays ».

      « La Tunisie va prendre en charge un groupe de 76 hommes, 42 femmes et 8 enfants », a précisé à l’AFP le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Faker Bouzghaya. Les Libyens prendront en charge le reste des migrants bloqués, environ 150, selon le porte-parole officiel tunisien.

      Les autorités libyennes ont annoncé dans un communiqué jeudi qu’"il n’y avait plus aucun migrant irrégulier dans la zone frontalière" après l’accord. « Des patrouilles sont organisées en coordination » entre les deux pays pour « sécuriser la frontière ».

      Côté tunisien, « le transfert du groupe a eu lieu [mercredi] dans des centres d’accueil à Tataouine et Médénine avec la participation du Croissant rouge » tunisien, a ajouté Faker Bouzghaya.
      « Nous avons reçu de l’eau et de la nourriture »

      Un transfert confirmé par Kelvin, un migrant nigérian, en contact avec InfoMigrants. « Nous avons tous été rapatriés hier soir [mercredi 9 août] en Tunisie. Nous sommes à Tataouine, dans un centre de l’OIM, a déclaré le jeune homme. Nous avons reçu de l’eau et de la nourriture. Nous allons bien, les enfants vont déjà mieux. Les malades n’ont pas encore été à l’hôpital, ils sont avec nous... ». Selon lui, l’OIM aurait indiqué aux personnes qu’elles pouvaient rester dans ce centre pendant deux mois. « Je ne sais pas si c’est vrai », met en garde le jeune Nigérian.

      Début juillet, InfoMigrants avait pu entrer en contact avec Kelvin. Ce dernier affirmait avoir été raflé à Sfax, dans le centre-est de la Tunisie, forcé de monter dans un « grand bus » affrété par les autorités tunisiennes, et lâché dans le désert avec « au moins 150 personnes ».

      Trois semaines plus tard, le jeune homme a participé à une manifestation avec d’autres exilés bloqués à la frontière. « Nous avons manifesté pour interpeller les autorités car on nous traite comme des animaux, mais le président tunisien ne veut pas répondre à nos appels », dénonçait-il alors.
      Au moins 27 personnes mortes à la frontière

      Jusqu’à 350 personnes ont été bloquées à Ras Jedir, parmi lesquelles 12 femmes enceintes et 65 enfants et mineurs, selon des sources humanitaires qui ont indiqué à l’AFP que l’essentiel des aides (nourriture, eau, soins médicaux) leur avait été apportée depuis le 20 juillet par le Croissant rouge libyen, soutenu par les agences onusiennes.

      Les arrestations et les envois de migrants vers cette zone frontalière ont débuté après la mort le 3 juillet à Sfax (centre-est) d’un Tunisien lors d’une rixe avec des migrants. Selon des sources humanitaires interrogées par l’AFP, « au moins 2 000 ressortissants subsahariens » ont été « expulsés » par les forces de sécurité tunisiennes et déposés dans des zones désertiques aux frontières libyenne et algérienne.

      Depuis début juillet, « au moins 27 migrants » sont morts dans le désert tuniso-libyen et « 73 sont portés disparus », a indiqué jeudi à l’AFP une source humanitaire. Et jusqu’à « hier [mercredi], tous les deux jours une centaine de migrants continuaient d’arriver de Tunisie et à être secourus par les Libyens dans la zone d’Al Assah ».

      Les personnes ont été abandonnées sans eau, ni nourriture, en plein soleil dans cette zone aride, sans que ni l’Union européenne, ni l’Union africaine ne conteste cette situation.

      Le 12 juillet, le Croissant rouge tunisien (CRT) a mis à l’abri environ 630 personnes récupérées à Ras Jdir et en a pris en charge environ 200 autres, refoulées initialement vers l’Algérie, selon des ONG.

      Parmi les personnes retrouvées mortes se trouvent des femmes et des enfants. Sur une vidéo des garde-frontières libyens relayée par le compte Twitter Refugees in Libya, on peut voir un homme mort allongé par terre, contre un enfant. Tous les deux gisent l’un contre l’autre, sur le sable, le désert tout autour d’eux. Deux autres personnes, décédées, figurent aussi dans la vidéo. « Aujourd’hui c’est encore un père sans visage, son fils et deux autres compagnons dont la vie a été injustement volée », commente le compte.

      La photo d’une femme et de sa petite fille a, elle, fait le tour des réseaux sociaux. Identifiées par Refugees in Libya, Fati, 30 ans, et Marie, 6 ans, sont mortes de soif après leur abandon à cet endroit par les autorités tunisiennes. Ce « crime » est « commis contre des gens qui cherchent une meilleure vie, une deuxième chance ». « Comment pouvons-nous détourner le regard ? », s’est insurgé le porte-parole du compte, David Yambio.

      https://www.infomigrants.net/fr/post/50985/la-tunisie-et-la-libye-saccordent-sur-une-repartition-des-migrants-blo

    • Une délégation de l’UE refusée en Tunisie

      https://www.youtube.com/watch?v=dybtce0H4cI

      La Tunisie a interdit d’entrée sur son territoire une délégation du Parlement européen, provoquant de vives réactions des eurodéputés qui ont pour certains réclamé la suspension de l’accord migratoire conclu entre l’UE et Tunis. Les précisions de Lilia Blaise, correspondante de France 24 en Tunisie.

    • Septembre 2023 :
      Tunisie : plusieurs centaines de migrants chassés du centre de Sfax

      Les forces de sécurité tunisiennes ont expulsé dimanche quelque 500 migrants subsahariens d’une place dans le centre de Sfax, deuxième ville du pays, après les avoir chassés de leurs logements début juillet. Cette expulsion fait partie d’une vaste campagne sécuritaire menée par les autorités contre les migrants irréguliers.

      La tension persiste dans la deuxième ville de Tunisie. Quelque 500 migrants originaires d’Afrique subsaharienne ont été expulsés dimanche 17 septembre par les forces de sécurité tunisiennes d’une place dans le centre de Sfax après avoir été chassés de leurs logements début juillet, a indiqué une ONG.

      « Les forces de sécurité ont évacué dimanche matin une place sur laquelle environ 500 migrants étaient rassemblés dans le centre de Sfax », a indiqué à l’AFP Romdane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), une ONG qui suit de près le dossier de la migration en Tunisie. Selon lui, les migrants « ont été dispersés par petits groupes en direction de zones rurales et vers d’autres villes ».

      Les autorités mènent depuis samedi une vaste campagne sécuritaire contre les migrants clandestins, originaires pour la plupart de pays d’Afrique subsaharienne. Elles ont annoncé l’arrestation de près de 200 migrants subsahariens « qui s’apprêtaient à effectuer une traversée clandestine » vers les côtes européennes.

      À la suite d’un discours incendiaire en février du président Kaïs Saïed sur l’immigration clandestine, des centaines de migrants subsahariens ont perdu leur travail et leur logement en Tunisie. Des agressions ont été recensées et plusieurs milliers ont dû être rapatriés par leurs ambassades.

      Début juillet, des centaines d’autres ont été chassés de la ville de Sfax et expulsés par les forces de sécurité tunisiennes, notamment vers une zone frontalière désertique avec la Libye où au moins 27 sont morts et 73 portés disparus.

      https://www.infomigrants.net/fr/post/51869/tunisie--plusieurs-centaines-de-migrants-chasses-du-centre-de-sfax

    • Tunisia expels hundreds of sub-Saharan African migrants from Sfax amid crackdown

      Tunisian authorities expelled hundreds of sub-Saharan African migrants from the port of Sfax Sunday after they were thrown out of their homes during unrest in July, a rights group said.

      “The security forces on Sunday evacuated a square where some 500 migrants were assembled in the centre of Sfax,” Romdane Ben Amor, spokesman for the FTDES non-government organisation, told AFP.

      He said the migrants were “dispersed in small groups towards rural areas and other towns”.

      Since Saturday, authorities in Tunisia have been cracking down on illegal migrants, most of whom are from sub-Saharan African countries.

      According to authorities, around 200 migrants “who were preparing to make the clandestine boat trip” towards Europe were arrested.

      Tunisia is a major gateway for migrants and asylum-seekers attempting perilous sea voyages in hopes of a better life in the European Union.

      Racial tensions flared in Tunisia’s second city of Sfax after the July 3 killing of a Tunisian man following an altercation with migrants.

      Humanitarian sources say that at least 2,000 sub-Saharan Africans were expelled or forcibly transferred by Tunisian security forces to desert regions bordering Libya and Algeria.

      Xenophobic attacks targeting black African migrants and students increased after an incendiary speech in February by President Kais Saied.

      He alleged that “hordes” of illegal migrants were causing crime and posing a demographic threat to the mainly Arab North African country.

      Hundreds of migrants lost their jobs and housing after his remarks.

      At least 27 people died and 73 others were listed as missing after being expelled into desert areas bordering Libya in July.

      https://www.france24.com/en/africa/20230917-tunisia-expels-hundreds-of-sub-saharan-african-migrants-amid-crac

    • ‘I had to drink my own urine to survive’: Africans tell of being forced into the desert at Tunisia border

      As EU prepares to send money as part of €1bn deal, people trying to reach north African country detail border ‘pushbacks’

      Migrants from sub-Saharan Africa have spoken of their horror at being forcibly returned to remote desert regions where some have died of thirst as they attempt to cross the border into Tunisia.

      As the European Union prepares to send money to Tunisia under a €1bn (£870m) migration deal, human rights groups are urging Brussels to take a tougher line on allegations that Tunisian authorities have been pushing people back to deserted border areas, often with fatal results.

      According to an official from a major intergovernmental organisation, Tunisian authorities relocated more than 4,000 people in July alone to military buffer zones at the borders with Libya and Algeria.

      “About 1,200 people were pushed back to the Libyan border in the first week of July alone,” said the source, who was speaking on condition of anonymity. By late August, the source added, their organisation knew of seven people who had died of thirst after being pushed back.

      An NGO working with refugees puts the estimate at between 50 and 70. The Guardian could not independently verify the figure.

      The new claim comes in stark contrast to the picture painted last month by Tunisia’s interior minister, Kamel Fekih, who conceded that “little groups of six to 12 people” were being pushed back, but denied any mistreatment or form of “collective deportation”.

      It is likely to increase pressure on European lawmakers to raise human rights concerns with the Tunisian authorities as they push ahead with a deal aimed at stemming irregular migration. The agreement is increasingly coming under fire, with the German foreign minister, Annalena Baerbock, last week saying human rights and the rule of law had not been “given suitable consideration”.

      In a series of interviews conducted with nearly 50 migrants in Sfax, Zarzis, Medenine and Tunis, the majority confirmed having been forcibly returned to the desert between late June and late July.

      “In early July, the Tunisian police captured us in Sfax,’’ said Salma, a 28-year-old Nigerian woman. “My two-year-old son and I were taken by some policemen and pushed back into the desert at the Libyan border. My husband was captured by other border guards and I don’t know what happened to him. I haven’t heard from him since then because while they were pushing us back I lost my phone.’’

      Michael, 38, from Benin City, Nigeria, said: “They pushed me back three times to the desert, the last time at the end of July … The Tunisian border guards beat us, stole our money and cellphones. In the desert we had no water. I had to drink my own urine to survive.”

      The Guardian also spoke to Pato Crepin, a Cameroonian whose wife and daughter, Fati Dosso and six-year-old Marie, died in mid-July in a remote part of the Libyan desert after being pushed back by Tunisian authorities. “I should have been there in their place,” said Crepin, who has since been sent back, again, to Libya.

      While the border with Libya has long been the focus of such activity, the border with Algeria, which is less controlled, is also seeing people pushed back into its vast no man’s land, reports indicate.

      Fifteen people interviewed by the Guardian said they had been forced back to the Algerian border.

      “They arrested me in Tunis and took me near Kasserine, a border town near Algeria,” said Djibril Tabeté, 22, from Senegal. “They left us at a few kilometres from the border. Then we were ordered to climb a hill. On the other side was Algeria. Problem is when the Algerian guard finds you, they push you to Tunisia. Tunisians push you, Algerians do the same. People die there.”

      Reports of Tunisia removing people to the desert emerged in July, when photos suggesting that asylum seekers were dying of thirst and extreme heat after allegedly being pushed back by Tunisian authorities started circulating on social media. After the allegations, Tunisia’s government faced intense criticism from the international press but denied any wrongdoing.

      “At the beginning, Tunisia dismissed reports of forced returns,” said Hassan Boubakri, a geography and migration professor at the universities of Sousse and Sfax, as well as a migration consultant for the government. “But little by little, they publicly admitted that some sub-Saharans were blocked on the Tunisian-Libyan border. The question is, who put them there? The Tunisian authorities did.”

      According to figures from Italy’s interior ministry, more than 78,000 people have arrived in Italy by crossing the Mediterranean from north Africa since the beginning of the year, more than double the number of arrivals during the same period in 2022.

      The majority, 42,719, departed from Tunisia, indicating that the country has surpassed Libya as the main departure point for migrants.

      The “strategic partnership” signed between the EU and Tunis in July, reached after weeks of negotiations, envisaged money being sent to the north African country to combat human traffickers, tighten borders, and support Tunisia’s struggling economy.

      The first payment of €127m would be disbursed “in the coming days”, a European Commission spokesperson, Ana Pisonero, said last week.

      https://www.theguardian.com/world/2023/sep/28/tunisia-border-africans-forced-into-desert-eu-deal-europe-violent-treat

    • Tunisia: African Migrants Intercepted at Sea, Expelled

      Apparent Policy Shift Endangers Migrants, Asylum Seekers, Children

      The Tunisian National Guard collectively expelled over 100 migrants from multiple African countries to the border with Algeria between September 18 and 20, 2023, Human Rights Watch said today. Those expelled, which included children and possibly asylum seekers, had been intercepted at sea and returned to Tunisia by the Coast Guard, part of the National Guard.

      These operations may signal a dangerous shift in Tunisian policy, as authorities had previously usually released intercepted migrants in Tunisia after disembarkation. The EU signed with Tunisia on July 16 a memorandum of understanding to increase funding to the Tunisian security forces, including the Coast Guard, to stem irregular sea migration to Europe.

      “Only two months after the last inhumane mass expulsions of Black African migrants and asylum seekers to the desert, Tunisian security forces have again exposed people to danger by abandoning them in remote border areas, without food or water,” said Salsabil Chellali, Tunisia director at Human Rights Watch. “The African Union and governments of the people affected should publicly condemn Tunisia’s abuse of fellow Africans, and the European Union should halt all funding to authorities responsible for abuse.”

      Some migrants also said that National Guard agents beat them and stole their belongings, including phones, money, and passports.

      On September 22, the European Commission announced that it would imminently provide €67 million to Tunisia to manage migration, without any clear benchmarks to ensure that Tunisian authorities protect the rights of migrants and asylum seekers. It is unclear how Tunisian President Kais Saied’s public rejection of the funding on October 2 will affect the deal.

      Between September 20 and October 3, Human Rights Watch interviewed a 38-year-old Cameroonian man, a 17-year-old Guinean boy, and an 18-year-old and two 16-year-old boys from Senegal. All had been irregularly staying in Tunisia. The five said that they were among a large group of people of various African nationalities bused to the Algerian border, directly after being intercepted at sea.

      These latest expulsions of migrants to remote border regions follow security forces’ collective expulsions in July to the Libyan and Algerian borders of over 1,300 migrants and asylum seekers, including children. They remained without adequate food and water. According to Libyan authorities, at least 27 people died at the border.

      The Guinean boy and three Senegalese people interviewed said they were intercepted at sea by the Tunisian Coast Guard on September 17, hours after their boat left the coast near Sfax, heading toward Italy. They said their boat carried about 40 passengers, including 15 women and infants. One of the children interviewed said the Coast Guard created waves around their boat to force them to stop, then took them and intercepted migrants from other boats back to shore in Sfax.

      Those interviewed said that once they disembarked, security force members asked for everyone’s documents and appeared to register the information of some of those who carried identification. However, one of the 16-year-olds said officers tore up his passport.

      They said that the National Guard held about 80 people for several hours on September 17, with little water and no food or medical screenings, and confiscated all phones and passports, except for those that some people managed to hide. The officers removed SIM and memory cards and checked that people had not filmed the interception, and kept some phones and passports, two interviewees said. The 18-year-old Senegalese said that an officer slapped him and one of his friends who they accused of filming the interception. He also said that when he got his phone back, it had been reset and wiped of data.

      On the evening of September 17, the National Guard loaded the group onto buses and drove them for 6 hours to somewhere near the city of Le Kef, about 40 kilometers from the Algerian border. There, officers divided them into groups of about 10, loaded them onto pickup trucks, and drove toward a mountainous area. The four interviewees, who were on the same truck, said that another truck with armed agents escorted their truck. The interviewees said road signs indicated they were still in the Le Kef region, which Tunisian nationals they met near the border confirmed to them.

      The officers dropped their group in the mountains near the Tunisia-Algeria border, they said. The Guinean boy said that one officer had threatened, “If you return again [to Tunisia], we will kill you.” One of the Senegalese children said an officer had pointed his gun at the group.

      The four managed to leave the border area and returned to Tunisia’s coastal cities a few days later.

      Separately, the Cameroonian left Sfax by boat with his wife and 5-year-old son in the evening of September 18. The Coast Guard intercepted their boat, carrying about 45 people including 3 pregnant women and the child, on the morning of September 19. The Cameroonian said that when his group refused to stop, the Coast Guard drove in circles around them, creating waves that destabilized their boat, and fired teargas toward them, causing panic. The passengers cut their engine and were then boarded onto the Coast Guard vessel, he said.

      The Coast Guard returned them to Sfax, where they joined other people who had been intercepted. The Cameroonian said that security force members beat everyone in his group after they disembarked – sometimes using truncheons – “because we didn’t cooperate and stop at sea,” the man said the officers had told them.

      Officers confiscated their phones, erasing and resetting some and never returning others, and took money and passports, he said. As he had managed to hide his phone, he shared with Human Rights Watch photos and videos, as well as records of his tracked GPS location from the coast to the border.

      On the evening of September 19, the Cameroonian man was among a group of, by his estimate, about 300 people who the National Guard drove in four buses to different destinations. The man said the only food passengers in his bus received was a piece of bread during the eight-hour journey. When they reached a National Guard station in the Le Kef region, officers transferred the people on his bus onto pickup trucks and drove them to a location near the Algeria border.

      The man and his family were among fifty people in three pickups who were dropped at the same location, he said. He could not account for what happened to the others. National Guard officers pointed guns at them and ordered them to cross the Algerian border, he said. The group tried to cross but Algerian military officers fired warning shots. The next day, the Tunisian National Guard again pushed them back toward the border.

      The group was eventually able to leave the area. On September 24, however, the Tunisian National Guard near Le Kef chased them, which caused the group to scatter. The Cameroonian said that he and his son were among a group that reached Sfax by walking for nine days. His wife reached Sfax on October 6, he said.

      It is not clear whether the Tunisian authorities continue to carry out expulsions after interceptions as of October.

      In transferring migrants or asylum seekers to the border and pushing them toward Algeria, Tunisian authorities attempted collective expulsions, which are prohibited by the African Charter on Human and Peoples’ Rights. Authorities violated due process rights by failing to allow people to challenge their expulsion.

      Authorities also disregarded their obligations to protect children. As a party to the Convention on the Rights of the Child, Tunisia is obliged to respect children’s rights to life and to seek asylum, freedom from discrimination, and to act in their best interests; including by implementing age determination procedures and family tracing, providing appropriate guardians, care, and legal assistance to unaccompanied migrant children.

      The European Commission should suspend all funding for migration control purposes to the Tunisian National Guard and Navy pledged under the July agreement, Human Rights Watch said. The Commission should carry out a priori human rights impact assessments and set clear benchmarks to be met by Tunisian authorities before committing any migration management support.

      https://www.hrw.org/news/2023/10/10/tunisia-african-migrants-intercepted-sea-expelled

  • Activist roundtable 24.11.2022 : Contesting border externalisation in West Africa | Table ronde des militant-e-s : Contester l’externalisation des frontières en Afrique de l’Ouest
    https://migration-control.info/en/discussion-24-11-2022

    [français ci-dessous] Contesting border externalisation in West Africa: Local challenges, strategies and visions Online discussion on 24th November 2022, 5 pm – 7 pm CET [Niamey, Lagos, Berlin], 4 – 6 pm [Dakar] EU border externalisation policies are an increasing feature of the migratory and[…]

  • Le président tunisien prône des « #mesures_urgentes » contre l’immigration subsaharienne

    Lors d’une réunion, mardi, du Conseil de sécurité nationale, le président tunisien, #Kaïs_Saïed, a tenu un discours très dur au sujet de « #hordes des #migrants_clandestins » en provenance d’Afrique subsaharienne, dont la présence est selon lui source de « #violence, de #crimes et d’#actes_inacceptables », insistant sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration.

    Il a en outre soutenu que cette immigration clandestine relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ».

    Il a appelé les autorités à agir « à tous les niveaux, diplomatiques sécuritaires et militaires » pour faire face à cette immigration et à « une application stricte de la loi sur le statut des étrangers en Tunisie et sur le franchissement illégal des frontières ». « Ceux qui sont à l’origine de ce phénomène font de la traite d’êtres humains tout en prétendant défendre les droits humains », a-t-il encore dit, selon le communiqué de la présidence.

    « Discours haineux »

    Cette charge de Kaïs Saïed contre les migrants subsahariens survient quelques jours après qu’une vingtaine d’ONG tunisiennes ont dénoncé jeudi la montée d’un « #discours_haineux » et du racisme à leur égard. Selon ces organisations « l’État tunisien fait la sourde oreille sur la montée du discours haineux et raciste sur les réseaux sociaux et dans certains médias ». Ce discours « est même porté par certains partis politiques, qui mènent des actions de propagande sur le terrain, facilitées par les autorités régionales », ont-elles ajouté.

    Dénonçant « les violations des droits humains » dont sont victimes les migrants, les ONG ont appelé les autorités tunisiennes « à lutter contre les discours de #haine, la #discrimination et le #racisme envers eux et à intervenir en cas d’urgence pour garantir la dignité et les droits des migrants ».

    La Tunisie, dont certaines portions de littoral se trouvent à moins de 150 kilomètres de l’île italienne de Lampedusa, enregistre très régulièrement des tentatives de départ de migrants, en grande partie des Africains subsahariens, vers l’Italie.

    https://www.infomigrants.net/fr/post/47002/le-president-tunisien-prone-des-mesures-urgentes-contre-limmigration-s
    #Tunisie #migrations #migrants_sub-sahariens #anti-migrants #grand_remplacement #démographie

    ping @_kg_

    • Dans un contexte tendu, certains Tunisiens viennent en aide aux migrants subsahariens

      Après les propos du président Kaïs Saïed, les autorités ont averti : toute personne qui hébergerait des personnes étrangères sans carte de résidence ou déclaration au commissariat violerait la loi. L’avertissement vaut aussi pour les employeurs qui font appel à des travailleurs étrangers non déclarés. Ainsi, de nombreux migrants subsahariens en situation irrégulière se retrouvent expulsés et sans travail du jour au lendemain. Des Tunisiens tentent de les aider en organisant des collectes.

      Samia, dont le prénom a été changé pour préserver son anonymat, est en train de charger une voiture de vêtements et repas, résultats de collectes auprès de Tunisiens, solidaires avec les Subsahariens mis à la rue ces derniers jours.

      « Pour les personnes mises à la rue, malheureusement, il faut des repas prêts. Pour les personnes qui sont chez elles, de la viande des pâtes, du riz, des féculents… Des choses pour tenir, surtout qu’il fait un peu froid. Et puis, du lait pour les bébés, des couches et des lingettes, des produits d’hygiène intime… »

      Un geste de solidarité qui passe par le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux, afin d’aider à la fois les migrants en attente d’un rapatriement chez eux et ceux qui restent cloîtrés sans pouvoir aller au travail.

      « La situation, elle, est très alarmante. Elle est très alarmante et elle peut dégénérer rapidement. Alors, j’entends et je comprends très bien que les gens sont contraints d’appliquer la loi. Mais c’est un peu court comme analyse. On peut donner un peu de temps aux personnes pour s’organiser. On peut leur donner une trêve parce qu’il fait froid, et on ne peut pas jeter des familles à la rue. Ça, c’est vraiment affligeant, parce qu’il y a des bébés en très bas âge qui sont à la rue avec les températures qu’il fait », poursuit Samia.

      Elle et son association aident une centaine de personnes, dont des migrants en sit-in depuis deux jours, devant l’organisation internationale pour les migrations.

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      L’analyse de l’historienne Sophie Bessis

      RFI : Comment le pays en est arrivé là ?

      Sophie Bessis : « La première chose, c’est, pour remonter loin dans l’histoire, il y a quand même une vieille tradition raciste anti-Noir en Tunisie qui n’a pas disparu, même si dans les années 1960 et 1970, le panafricanisme qui était à l’honneur avait un petit mis sous boisseau cette vieille tradition qui vient d’une tradition esclavagiste et du fait que les populations noires nationales ont toujours été marginalisées. La Tunisie est en crise actuellement. La recherche de bouc-émissaire est toujours un compagnon d’une population en crise. Nous avons en Tunisie un parti nationaliste, il faudrait se poser la question sur ce qu’il représente et pourquoi. Et la question la plus importante est pourquoi les plus hautes autorités de l’État ont repris cette rhétorique qui est d’un racisme absolument primaire. Ce sont les stéréotypes racistes les plus éculés que l’on retrouve dans toutes les extrêmes droites du monde. »

      À quel point l’externalisation de la sécurité des frontières européennes a-t-elle joué dans le discours des autorités ?

      Il y a une progression des droites européennes qui est tout à fait alarmante en ce qui concerne la question migratoire et il y a une influence réelle disons et les moyens de pression des pays européens sur des pays comme la Tunisie dont vous connaissez l’ampleur de la crise économique, monétaire, financière et sociale donc il n’est pas impossible du tout qu’une partie de cette chasse anti-migrants soient dues aussi à ces pressions anti-européennes. En revanche, là où il faut se poser une question, c’est pourquoi cette violence ? Parce que malheureusement, la politique anti-migrants est devenue quelque chose de banale dans le monde d’aujourd’hui, mais la violence à la fois de la parole publique et la violence des gens contre les Subsahariens oblige aujourd’hui à se poser des questions, sur l’État de la société tunisienne et de son appareil dirigeant.

      L’Union africaine a réagi, qualifiant les propos du président de « choquants » et appelant au calme, mais quel impact pourrait avoir ces déclarations sur la diplomatie tunisienne en Afrique ?

      Il y a une boussole qui a été perdue, il y a une boussole qui est cassée aujourd’hui en Tunisie et j’espère que les pairs africains de la Tunisie et en particulier les pays dont sont originaires une bonne partie des migrants Subsahariens, sera plus ferme à l’égard de la Tunisie.

      https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230228-dans-un-contexte-tendu-certains-tunisiens-viennent-en-aide-aux-migrants

    • Étudiant congolais en Tunisie : « Je ne sors plus, je reste confiné chez moi »

      Marc* a 22 ans et vit en Tunisie depuis un an. Muni d’un visa étudiant, ce jeune homme congolais s’est installé à Tunis dans l’espoir de finaliser son cursus universitaire avant de rentrer dans son pays d’origine. Mais depuis le discours anti-migrants du président tunisien, Marc ne sort plus de chez lui de peur de se faire agresser ou embarquer par la police.

      Le 21 février, le président tunisien Kaïs Saïed n’a pas mâché ses mots à l’égard des quelque 21 000 Africains subsahariens vivant en Tunisie. Les accusant d’être source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », le chef de l’État a évoqué la mise en place de « mesures urgentes » pour lutter contre ces « clandestins ». Depuis, dans ce pays frappé par une grave crise économique, un vent de panique souffle parmi les personnes noires - tunisiennes comme immigrées, avec ou sans papiers. Ces derniers jours, les cas de personnes victimes d’attaques verbales et physiques, expulsées manu militari de leur appartement ou arrêtées arbitrairement dans la rue par les forces de l’ordre, se sont multipliées.

      Marc est, pour l’heure, épargné. Étudiant depuis un an à Tunis, installé dans un quartier résidentiel de la capitale et muni d’un titre de séjour étudiant, Marc n’est pas un « clandestin ». Pourtant, son statut ne le protège pas des agressions.
      « Je suis à l’abri chez moi, mais jusqu’à quand ? »

      "Je ne sors plus de chez moi. Je reste confiné. Ces derniers jours, je ne vais plus en cours. J’ai trop peur. Dans la rue, on entend souvent les mêmes phrases : ’Rentrez chez vous ! Rentrez chez vous !’. Comment voulez-vous que j’arrive à l’arrêt de bus ou au métro [au tramway, ndlr] pour aller étudier ? J’ai peur de me faire agresser verbalement ou physiquement sur le trajet.

      J’ai entendu parler de camarades expulsés de chez eux, juste à cause de leur couleur de peau. Certains étaient en règle, d’autres non. Ce n’est pas un papier administratif, mon statut d’étudiant, qui va me protéger. Moi, pour l’instant, on ne me jette pas dehors. Je vis en colocation avec trois autres étudiants congolais. Je suis à l’abri, mais jusqu’à quand ?

      Des dizaines de Subsahariens, dont des familles avec enfants, campent actuellement devant les ambassades de leur pays. Certains y ont trouvé refuge après avoir été chassés de chez eux. Selon les chiffres cités par les ONG, plus 20 000 ressortissants d’Afrique subsaharienne vivent en Tunisie, soit moins de 0,2% de la population totale.

      Il y a eu des attaques à l’arme blanche aussi. Un de mes amis a reçu un coup de couteau alors qu’il sortait d’une épicerie.

      Le discours du président a eu un retentissement terrible. Il y a toujours eu du racisme en Tunisie. Il y a toujours eu des arrestations, il y a toujours eu des contrôles dans la rue de manière arbitraire, mais c’était moins violent. Par exemple, moi, avant, les autorités pouvaient m’arrêter dans la rue, des agents contrôlaient mon identité sur place et ils me laissaient repartir cinq minutes après.
      « On ne prend plus les transports en commun, on prend des taxis »

      Désormais, on arrête les gens et on les embarque directement au poste de police, on peut les mettre en cellule plusieurs jours sans raison. Pour la première fois, il y a quelques jours, des agents m’ont arrêté dans la rue, ils n’ont pas voulu me laisser aller en cours, alors que je leur montrais mes papiers en règle. Ils m’ont embarqué au poste. J’ai eu tellement peur. Ils ont vérifié mon passeport, ma carte d’étudiant et ils m’ont laissé repartir. J’ai eu de la chance.

      Pour d’autres Noirs, ça se passe moins bien. Ils peuvent rester 3, 4, 5 jours au poste.

      Pour vous dire la vérité, pour aller travailler ou aller étudier, les ressortissants noirs ne marchent plus sur les trottoirs, ne prennent plus les transports en commun. Ils prennent des taxis.

      Cette situation a poussé des centaines de personnes à vouloir rentrer dans leurs pays. L’ambassade de Côte d’Ivoire a lancé une campagne de recensement de ses ressortissants souhaitant rentrer au pays. L’ambassade du Mali propose également à ses ressortissants de s’inscrire pour un « retour volontaire ». L’ambassade du Cameroun a, elle aussi, indiqué, dans un communiqué, que ses ressortissants pouvaient se « rapprocher de la chancellerie pour tout besoin d’information ou procédure dans le cadre d’un retour volontaire ». Marc souhaite, lui aussi, rentrer dans son pays.

      J’ai tellement peur que j’ai contacté les agents de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) pour qu’ils m’aident à rentrer chez moi [via le programme de ’retours volontaires’, ndlr], mais pour l’instant personne ne m’a répondu. Je ne comprends pas… En cette période difficile, on devrait avoir le soutien des instances internationales. Mais on n’a rien. C’est le silence radio."

      Si certains migrants ont réussi à rentrer chez eux via leurs ambassades ces dernières heures, des dizaines d’autres errent entre les bureaux du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) et ceux de l’OIM, à Tunis. Beaucoup sont de Sierra Leone, de Guinée Conakry, du Cameroun, du Tchad ou du Soudan, des pays parfois sans ambassade dans la capitale tunisienne. Arrivés illégalement, ils se sont retrouvés, après les propos de Kaïs Saïed, soudainement à la rue et privés des emplois informels grâce auxquels ils survivaient.

      *Le prénom a été changé

      https://www.infomigrants.net/fr/post/47231/etudiant-congolais-en-tunisie--je-ne-sors-plus-je-reste-confine-chez-m

    • Racisme en Tunisie. « Le président a éveillé un monstre »

      Depuis quelques jours, la Tunisie est le théâtre d’une furieuse poussée de racisme contre les populations subsahariennes, déclenchée notamment par les récentes déclarations du président Kaïs Saïed. Du sud du pays à la capitale, Tunis, la crainte d’une escalade est grande.

      « Regarde ce qu’ils nous font, c’est terrible ! Comme si on n’était pas vraiment des hommes. » Sur l’écran du smartphone que me tend l’homme qui s’indigne ainsi, Adewale, deux hommes à la peau noire recroquevillés sur un canapé sont menacés par des assaillants encapuchonnés, armés de ce qui ressemble à des couteaux. Les victimes roulent des yeux terrifiés et psalmodient des suppliques. En réponse, leurs agresseurs hurlent, miment des coups. Puis la vidéo TikTok s’arrête et laisse place à une autre : elle montre des hommes et des femmes qui marchent dans la rue en criant des slogans, la mine hostile. « Ça ce sont des gens qui manifestaient contre la présence des Subsahariens dans le pays. Je ne comprends pas pourquoi ils nous détestent tant. »

      Adewale parle d’une voix lasse. Il l’a dit plusieurs fois pendant l’entretien : il n’en peut plus. De sa situation bloquée. De sa vie fracturée. De l’atmosphère viciée de ces derniers jours. Ce jeune Nigérian né à Benin City a beau avoir tout juste 30 ans, il a déjà derrière lui tout un passé de drames. Plus tôt, il m’avait raconté les larmes aux yeux comment sa femme est morte lors d’une tentative de fuir la Libye et de rejoindre l’Europe en bateau. Diminuée par les mauvais traitements endurés en Libye, malade, elle est décédée après un jour de traversée. « C’était le 27 mai 2017, je ne l’oublierai jamais », répète-t-il. Il explique avoir dû faire croire qu’elle s’était assoupie sur ses genoux pour éviter que son corps ne soit jeté à la mer par les autres voyageurs.

      Lui a été récupéré deux jours plus tard par un navire de gardes-côtes tunisiens alors qu’il dérivait au large de Sfax avec ses compagnons d’infortune. Depuis, il survit dans ce pays, obsédé par la perte de sa compagne dont il visite et fleurit régulièrement la tombe. Impossible pour lui de rentrer au Nigeria : la famille de sa compagne décédée le tient pour responsable et lui aurait signifié son arrêt de mort.

      À plusieurs reprises, Adewale me montre des photos personnelles pour mieux illustrer son propos. Défilent des portraits de sa défunte femme souriante, barrés d’un grand « RIP » coloré, suivis de clichés de sa tombe en béton ornée de fleurs. Puis ce sont des images où on le voit travailler sur un chantier de Zarzis, la ville où il réside désormais. Adewale me prend à témoin : c’est un bon travailleur, un ouvrier du bâtiment acharné, levé à l’aube, qui accepte de bosser au noir pour un salaire de misère. Depuis six ans qu’il réside en Tunisie, il n’a pas démérité. Comme tous ses camarades, ajoute-t-il. Alors aujourd’hui il tombe des nues : « Il y a peu de temps, j’ai été agressé dans la rue, à côté de chez moi. Un homme m’a donné un coup de poing dans l’estomac en me disant de rentrer dans mon pays. Tu imagines ? Dans ces cas-là, il ne faut surtout pas répondre sinon tout le monde se rue sur toi. C’est pour ça que je n’ai pas réagi. Mais je ne comprends pas cette haine. »

      Une version arabe du « #grand_remplacement »

      Zarzis n’est pourtant pas l’épicentre des violences racistes qui se déchaînent en Tunisie depuis plusieurs jours. Située dans le sud-est de la Tunisie, à moins de 100 kilomètres de la frontière libyenne, cette ville côtière d’environ 70 000 habitants est réputée plutôt « ouverte », avec une communauté de pêcheurs qui se sont parfois distingués par leur aide apportée aux embarcations de personnes exilées en détresse. Elle abrite aussi depuis peu un cimetière verdoyant nommé « Jardin d’Afrique », ou « Paradis d’Afrique », inauguré en 2021, qui se veut le symbole du respect accordé aux dépouilles des personnes décédées en mer.

      Mais à Zarzis comme ailleurs en Tunisie, la situation est tendue. Le déclencheur ? Un discours du président Kaïs Saïed le mardi 21 février 2023 lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, qui a déchaîné ou réveillé chez certains une forme de racisme latent. Entre deux saillies sur les « violences, [...] crimes et actes inacceptables » prétendument commis par les « hordes » de personnes exilées clandestines, celui qui, depuis juillet 2021, s’est arrogé tous les pouvoirs, a déclaré que la migration correspondait à une « entreprise criminelle [...] visant à changer la composition démographique de la Tunisie ». L’objectif du complot ? En faire un pays « africain seulement » afin de dénaturer son fond identitaire « arabo-musulman ». Une traduction en arabe de la théorie du « grand remplacement » prônée en France par Renaud Camus, Éric Zemmour et leurs émules. Rodant déjà sur les réseaux sociaux, et portées par le Parti nationaliste tunisien, un mouvement relativement confidentiel jusqu’à ce début d’année, ces thèses ont soudain jailli au grand jour, entraînant une vague de violences qui s’est ressentie jusqu’à Zarzis.

      Adewale raconte ainsi qu’il se fait régulièrement insulter, qu’il ne peut plus se rendre au travail, et que plusieurs de ses amis subsahariens ont été mis à la porte de chez eux par leurs bailleurs pour la seule raison qu’ils étaient noirs. Il ajoute que lui a de chance : le sien est venu toquer à sa porte pour lui dire de le prévenir s’il avait des problèmes. Il n’empêche : il se terre chez lui. Et de dégainer encore une fois son smartphone pour me montrer une énième vidéo TikTok, ce réseau social devenu avec Facebook le vecteur principal du racisme – mais aussi la première source d’information des exilés. « Ça c’était à Sfax hier, explique Adewale, des jeunes ont attaqué un immeuble où vivaient des Subsahariens, et tout le monde a été mis dehors. » Sur l’écran, des hommes, des femmes et des enfants sont assis sur le trottoir avec leurs affaires, l’air désemparé. « Il y a des gens terribles ici », ajoute Adewale.

      « Une forme de psychose qui s’installe »

      Rencontrés à Zarzis, Samuel et Jalil vivent eux aussi dans la peur depuis le discours du 21 février. Ils ne sont pas d’origine subsaharienne, mais ils craignent que les temps à venir soient dramatiques pour les personnes exilées vivant en ville : « On conseille aux migrants qu’on suit de ne pas sortir, ou alors seulement au petit matin, pour aller faire les courses, parce qu’on ne sait pas comment ça peut tourner », explique Jalil. Il ne cache pas craindre une criminalisation de leur activité : « Les policiers savent qu’on assiste les personnes en transit ici. Dans le climat politique actuel, il y a forcément une forme de psychose qui s’installe. »

      L’entretien avec ces deux militants locaux a été fixé par WhatsApp, après vérification de ma situation : est-ce que les autorités savent que je suis journaliste ? Non ? J’en suis bien sûr ? Rendez-vous est finalement donné dans une sorte de villa touristique baroque, à quelques kilomètres du centre-ville. « C’est un peu notre cachette », dit Jalil, souriant de ce terme incongru. Tous deux expliquent en s’excusant que la situation politique les force à prendre des précautions dont ils préféreraient se passer. Âgés d’une quarantaine d’années, Samuel et Jalil s’emploient depuis des années à assister les nombreuses personnes exilées qui atterrissent dans la ville. Ils ont constaté que, bien avant l’envolée raciste du président, les personnes subsahariennes se voyaient déjà appliquer un traitement différencié : « On les accompagne s’ils doivent aller à l’hôpital, car sinon on ne les prend pas en charge. Et quand ils se font agresser, ce n’est même pas la peine pour eux de se rendre à la police, car elle n’enregistrera pas leur plainte. »

      C’est par le biais de ces deux militants que je rencontre leurs amis Yacine et Nathan. Le premier vient du Mali, le second de Côte d’Ivoire. Tous les deux sont passés par la Libye, qu’ils décrivent comme un enfer, entre sévices physiques et travail forcé. Interrogés sur la période passée là-bas, ils éclatent d’un rire nerveux. « C’est notre manière d’évacuer ces moments, explique Yacine. Personne ne peut comprendre l’horreur de ce pays pour un Noir s’il ne l’a pas vécu. »

      Quand ils ont finalement réussi à prendre la mer, après de longs mois d’errance et de labeur, ils ont été récupérés par un navire des gardes-côtes tunisiens, qui les a déposés à Zarzis. Ils ont ensuite été convoyés à Médenine puis à Djerba, où ils ont travaillé dans le bâtiment. De retour à Zarzis, ils ne pensent qu’à une chose : prendre la mer pour l’Europe. Et tant pis si pour cela ils doivent tenter la traversée sur un « iron boat », ces bateaux de métal conçus à la va-vite et qui ont sur certains rivages remplacé les navires en bois ou en résine – une évolution des conditions de navigation qui a provoqué de nombreux drames, ces embarcations de fortune prenant l’eau à la moindre vague.
      Des centaines de morts dans l’indifférence

      Plus de 580 personnes sont mortes en 2022 après avoir pris la mer depuis la Tunisie, dans l’indifférence de la communauté internationale. Pour Yacine et Nathan, qui ont déjà tenté la traversée depuis la Tunisie trois fois – pour se voir à chaque fois ramenés à quai par les gendarmes tunisiens des mers –, il existerait cependant des moyens concrets pour assurer une traversée plus sûre : « Il suffit de bien s’organiser, d’utiliser des applications pour connaître la météo dans les trois jours qui arrivent, et de regarder la hauteur des vagues. Après, tu te confies à Dieu. » Davantage que les éléments, ils craignent les hommes : « Le vrai problème, ce sont les gardes-côtes, qui se montrent violents et dangereux, au point de parfois faire couler les bateaux ».

      À Zarzis, une ville endeuillée par le terrible naufrage du 21 septembre 2022 au cours duquel 18 Tunisiens se sont noyés dans des circonstances troubles semblant impliquer les gardes-côtes, la question ne laisse pas la population insensible. De nombreuses manifestations ont eu lieu, notamment pour exiger des enquêtes sur les circonstances du drame. Début septembre a également été organisée une « commémorAction » réunissant Tunisiens et familles de disparus venus de divers pays africains. Mais dans le contexte actuel, la critique des politiques migratoires se retourne parfois contre les migrants, explique Jalil : « Certains disent que les jeunes Tunisiens sont morts à cause des Subsahariens, parce que le comportement violent des gardes-côtes serait dû à la volonté d’endiguer avant tout le départ des personnes noires. »

      Après plusieurs années passées en Tunisie, Yacine et Nathan assurent que le racisme était déjà sensible avant le discours du président. Refoulements à l’hôpital, loyers plus chers, charges d’électricité gonflées et travail sous-payé les poussent à considérer qu’eux et leurs camarades seraient en fait de pures aubaines pour ce pays. Pas dupes, ils font mine de s’étonner d’un traitement différencié avec des étrangers plus clairs de peau : « On s’est rendu compte que certains étrangers n’étaient pas concernés par les insultes et les mauvais traitements, notamment les Syriens, les Bangladais ou les Marocains. Peut-être que c’est la couleur de peau qui fait la différence ? Il faut dire qu’on est plus visuels ! »

      « Ici, c’est chez nous »

      Si l’ironie est de mise, la gravité aussi. Car les deux amis s’accordent à dire que le discours de Kaïs Saïed a jeté de l’huile sur le feu. Selon Nathan, « jouer sur la haine peut être très efficace, il suffit de voir ce qui se passe sur les réseaux sociaux ». Il s’inquiète logiquement du ralliement d’une partie de la population à cette croisade numérique. S’il a l’habitude de craindre la police, ne pas pouvoir marcher dans la rue ou se rendre à la boutique pour faire ses courses lui semble bien plus grave. Quant aux débordements, ils sont déjà là, s’indigne Yacine :

      Depuis le discours du président, on entend des insultes tout le temps. On te dit : « Ici, c’est chez nous. » Ça peut aussi passer par des petits gestes, quelqu’un à l’arrière d’un taxi qui s’étale de tout son long et ne te laisse qu’un bout de banquette, sans que tu puisses rien dire. Et parfois c’est grave : il y a quelques mois, un jeune Guinéen a été lapidé pour avoir changé une chaîne de télé dans un café. Des jeunes Tunisiens l’ont attendu à l’extérieur. Il a perdu un œil. J’ai peur que ce genre d’événements se reproduise bien plus souvent.

      Aux environs de Zarzis et dans la ville même, la plupart des personnes subsahariennes sont clandestines, n’ont aucune intention de rester en Tunisie et ont les yeux rivés sur la mer – à l’image d’Adewale, de Yacine et de Nathan. Pour beaucoup de celles et ceux passés par la Libye, ils n’ont de toute façon plus de papiers d’identité, les divers exploiteurs de misère croisés dans ce pays les leur ont confisqués. Mais les 21 000 ressortissants de pays subsahariens qui vivent en Tunisie sont tous plus ou moins logés à la même enseigne, qu’ils soient « légaux » ou « illégaux ».

      À Sfax, deuxième ville du pays secouée par plusieurs nuits de violences racistes dont le bilan est encore incertain, la tension imprègne les rues. Interrogés sur les derniers événements, certains Tunisiens déplorent les violences qu’ils attribuent à des jeunes écervelés agissant en bandes. « Ce sont des crétins qui se montent la tête sur Internet », estime un vieil homme rencontré à la terrasse d’un café. Mais d’autres assument un discours dont il ressort qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que les victimes l’ont sans doute un peu cherché.

      Quant aux principaux concernés qui osent sortir de chez eux, certains ne croient plus vraiment au dialogue. À l’extérieur de la casbah de Sfax, en bordure de la large avenue des Martyrs, quelques exilés ont dressé les étals d’un petit marché africain – épices, fruits et légumes du pays. Interrogé, un jeune homme aux yeux tristes confie avoir « très peur des jours qui arrivent ». Il me renvoie vers un trio de femmes, apparemment chargées des communications. Tout en remballant leurs sacs de provisions, elles assurent ne pas vouloir témoigner : « On ne veut plus parler, on a trop parlé ! Et ça ne change rien ! C’est de pire en pire ! »

      « Les Noirs n’ont plus de valeur ici ! »

      Devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis, par contre, les langues se délient. Cela fait quelques jours que le lieu excentré en banlieue est un point de rassemblement pour les Ivoiriens désemparés. Certaines familles dorment même sous des tentes, dressées sur un terre-plein à proximité du bâtiment, après qu’elles ont été expulsées de leur habitation. Tous ici affirment être arrivés par avion en Tunisie, donc par la voie légale. Leur désenchantement est immense.

      Parmi la grosse cinquantaine de présents, certains sont venus tenter de faire avancer leur situation administrative – qu’il s’agisse de rester dans le pays ou de le quitter. Beaucoup s’indignent de la question des « pénalités » que le gouvernement tunisien entend faire payer aux personnes désirant rentrer chez elles – et qui, selon la durée du séjour, peuvent atteindre de fortes sommes. Les autorités marchent sur la tête, s’accordent-ils : elles veulent qu’ils partent mais font tout pour que ce ne soit pas possible…

      Au-delà des épineuses questions administratives, les discours tenus ici sont unanimes : le racisme a explosé dans des proportions effrayantes. Prendre les transports en commun revient ainsi à s’exposer à de forts risques d’agression. Les témoignages s’enchaînent. « Moi je suis terrée chez moi depuis bientôt une semaine. C’est la première fois que je sors », dit l’une. « Des jeunes ont cassé ma porte en pleine nuit pour m’expulser de chez moi », s’émeut un autre, qui montre les contusions sur son visage et sur son cou en expliquant avoir été frappé. « J’étais dans le métro avec mes deux enfants quand des jeunes nous ont crié : “Rentrez chez vous, les singes !” », déplore une mère de famille, le petit dernier agrippé à son dos.

      Alors que plusieurs d’entre eux évoquent les rafles policières menées jusqu’à la sortie des crèches et la situation des personnes maintenues en prison, l’un d’eux sort un smartphone pour montrer les images passablement floues d’un homme noir insulté et frappé par ce qui ressemble à des policiers – « ils le torturent ». Puis c’est une autre où des Tunisiens crient « on n’est pas des Africains ! ». Enfin, une dernière qui déclenche des cris outrés quand l’orateur déclare : « Les Noirs n’ont plus de valeur ici ! »
      « Le feu vert à tous les débordements racistes »

      Face à ce déferlement de haine en ligne, les réactions sont contrastées. Un homme me déclare que le jour où il rentrera au pays il s’en prendra aux riches Tunisiens installés en Côte d’Ivoire – œil pour œil. Mais d’autres insistent pour imputer la responsabilité des violences à une minorité haineuse. « Beaucoup de Tunisiens m’ont aidé depuis que je suis arrivé », tient à témoigner Ismaël, jeune étudiant en informatique. Il parle d’une voix posée, évoque en souriant les délires administratifs qu’il a rencontrés jusqu’ici pour tenter de régulariser sa situation. Comme d’autres, il tempère, tente d’entrevoir une porte de sortie pour continuer à vivre dans ce pays qu’il dit aimer. Puis il se ravise : « En fait, je ne sais plus trop quoi penser. Le président a éveillé un monstre, et les derniers jours ont fait trop mal. »

      Une certitude : en pleine dérive autoritaire, le régime de Kaïs Saïed a libéré un fléau qui laissera des traces. « Il a donné le feu vert à tous les débordements racistes, qu’ils soient l’œuvre de la population ou des forces armées », explique un opposant tunisien, vétéran du renversement de Zine El-Abidine Ben Ali, en 2011, qui parle de « fascisme » pour désigner le pouvoir en place. « C’est un basculement très dangereux, contre lequel il va falloir lutter de toutes nos forces. »

      Inquiets, quelques centaines de manifestants se sont donné rendez-vous le 25 février pour dénoncer les discours et les violences racistes dans les rues de Tunis. Une initiative qui ne pèse pour l’instant pas lourd face à l’alliance de la parole présidentielle et des emballements racistes sur les réseaux sociaux.

      https://afriquexxi.info/Racisme-en-Tunisie-Le-president-a-eveille-un-monstre

    • Tunisie : des centaines de ressortissants d’Afrique subsaharienne rapatriés vers le #Mali et la #Côte_d’Ivoire

      Le président de la République tunisienne, Kaïs Saïed, a affirmé, le 21 février, que la présence dans le pays de « hordes » d’immigrés clandestins provenant d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes ».

      Des migrants subsahariens en attente de prendre un vol de rapatriement vers leur pays d’origine, au consul du Mali à Tunis, le 4 mars 2023. FETHI BELAID / AFP

      Quelque 300 Maliens et Ivoiriens ont quitté la Tunisie, samedi 4 mars, à bord de deux avions rapatriant des ressortissants d’Afrique subsaharienne cherchant à fuir des agressions et des manifestations d’hostilité après une violente charge du président, Kaïs Saïed, contre les migrants en situation irrégulière.

      Le 21 février, M. Saïed a affirmé que la présence en Tunisie de « hordes » d’immigrés clandestins provenant d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes » et relevait d’une « entreprise criminelle » visant à « changer la composition démographique » du pays.

      Samedi, « on a fait embarquer 133 personnes » parmi lesquelles « 25 femmes et 9 enfants ainsi que 25 étudiants » dans l’avion qui a quitté la Tunisie vers 11 heures, a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) un diplomate malien. Deux heures plus tard, un autre appareil devant rapatrier 145 Ivoiriens a décollé de Tunis, selon l’ambassadeur ivoirien en Tunisie, Ibrahim Sy Savané.

      Discours « raciste et haineux »

      Le discours présidentiel, condamné par des ONG comme « raciste et haineux », a provoqué un tollé en Tunisie, où les personnes d’Afrique subsaharienne font état depuis d’une recrudescence des agressions les visant et se sont précipitées par dizaines à leurs ambassades pour être rapatriées.

      Devant l’ambassade du Mali, surchargés de valises et ballots, tous ont dit fuir un climat lourd de menaces. « Les Tunisiens ne nous aiment pas, donc on est obligés de partir, mais les Tunisiens qui sont chez nous doivent partir aussi », a dit à l’AFP Bagresou Sego, avant de grimper dans un bus affrété par l’ambassade pour l’aéroport.

      Arrivé il y a quatre ans, Abdrahmen Dombia a interrompu ses études de mastère en pleine année universitaire : « La situation est critique ici, je rentre parce que je ne suis pas en sécurité. » Baril, un « migrant légal », s’est dit inquiet pour ceux qui restent. « On demande au président, Kaïs Saïed, avec beaucoup de respect de penser à nos frères et de bien les traiter », explique-t-il.
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      Selon le gouvernement ivoirien, 1 300 ressortissants ont été recensés en Tunisie pour un retour volontaire. Il s’agit d’une part importante de la communauté ivoirienne, qui, avec environ 7 000 personnes, est la plus importante d’Afrique subsaharienne en Tunisie, à la faveur d’une exemption de visa à l’arrivée.

      Quelque trente étudiants ivoiriens, en situation régulière, font partie des rapatriés. « Ils ne se sentent pas à l’aise, certains ont été victimes d’actes racistes, certains sont en fin d’études, d’autres les ont interrompues », a précisé à l’AFP par téléphone depuis l’aéroport Michael Elie Bio Vamet, président de l’Association des étudiants ivoiriens en Tunisie. « Il y a des agressions presque tous les jours, des menaces, ou bien ils sont mis dehors par leurs bailleurs, ou agressés physiquement », a-t-il ajouté.

      « Déferlement de haine »

      Pour la plupart issus de familles aisées, des dizaines d’étudiants d’Afrique subsaharienne étaient inscrits dans des universités ou des centres de formation en Tunisie. Apeurés, beaucoup sont déjà repartis par leurs propres moyens, selon leurs représentants.

      L’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (AESAT) a documenté l’agression, le 26 février, de « quatre étudiantes ivoiriennes à la sortie de leur foyer universitaire » et d’« une étudiante gabonaise devant son domicile ». Dès le lendemain du discours de M. Saïed, l’AESAT avait donné comme consigne aux étudiants subsahariens « de rester chez eux » et de ne plus « aller en cours ». Cette directive a été prolongée au moins jusqu’au 6 mars.

      Des Guinéens rentrés par le tout premier vol de rapatriement mercredi ont témoigné auprès de l’AFP d’un « déferlement de haine » après le discours de M. Saïed.
      Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En Tunisie, le tournant répressif du régime de Kaïs Saïed

      Bon nombre des 21 000 ressortissants d’Afrique subsaharienne recensés officiellement en Tunisie, pour la plupart en situation irrégulière, ont perdu du jour au lendemain leur travail et leur logement. Des dizaines ont été arrêtés lors de contrôles policiers, certains sont encore en détention. D’autres ont témoigné auprès d’ONG de l’existence de « milices »qui les pourchassent et les détroussent.

      Cette situation a provoqué l’afflux de centaines de personnes à leurs ambassades pour être rapatriées. D’autres, encore plus vulnérables car issues de pays sans ambassade à Tunis, ont rejoint un campement improvisé devant le siège de l’Office international pour les migrations (OIM), où elles dorment dans des conditions insalubres.

      Selon l’ambassadeur ivoirien, la Tunisie a promis de renoncer à réclamer aux personnes en situation irrégulière des pénalités (80 dinars, soit 25 euros par mois de séjour irrégulier) qui, pour certains, dépassaient 1 000 euros

      https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/04/des-centaines-de-ressortissants-d-afrique-subsaharienne-rapatries-de-tunisie
      #renvois #expulsions #rapatriement #retour_au_pays

    • La Tunisie rongée par les démons du racisme

      L’éruption d’hostilité aux Africains subsahariens encouragée par le président Kaïs Saïed s’ajoute à la régression autocratique et entache encore un peu plus l’image de la Tunisie à l’étranger.

      Il est bien loin, le temps où la Tunisie inspirait hors de ses frontières respect et admiration. Chaque semaine qui passe entache un peu plus l’image de ce pays qui brilla jadis d’une flamme singulière dans le monde arabo-musulman. Que reste-t-il du prestige que lui conférait son statut d’avant-garde en matière de libertés publiques, de pluralisme politique, de droits de femmes et de respect des minorités ? Le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs à la faveur d’un coup de force en juillet 2021, lui impose désormais un tournant répressif, conservateur et xénophobe des plus préoccupants. La Tunisie en devient méconnaissable.

      Dans cette affaire, tout est lié : le retour à l’autocratie va de pair avec la crispation identitaire, les deux se nourrissant d’un prétendu « complot » contre l’Etat et la patrie. L’une des illustrations les plus déprimantes de cette régression est la récente vague de racisme anti-Noirs qui secoue le pays. Dans la foulée de la déclaration du 21 février du président Saïed, qui a fustigé des « hordes de migrants clandestins » associées à ses yeux à un « plan criminel » visant à « modifier la composition démographique » du pays en rupture avec son « appartenance arabo-islamique », l’hostilité se déchaîne contre les étudiants et les immigrés issus de l’Afrique subsaharienne.

      Ces derniers sont chaque jour victimes d’agressions physiques et verbales à Tunis et dans d’autres centres urbains. Le discours conspirationniste du chef de l’Etat, aux accents de type « grand remplacement », a libéré un racisme enfoui au tréfonds de la société tunisienne, héritage de l’esclavage en Afrique du Nord, aux séquelles psychologiques durables.
      L’embarras prévaut

      L’éruption de cette xénophobie cautionnée au plus haut niveau de l’Etat a obscurci la perception de la Tunisie à l’étranger. M. Saïed a beau avoir tenté de nuancer ses propos en précisant qu’il visait les immigrants en situation irrégulière, le mal est fait. Ses brigades de fidèles, dont certains sont affiliés à un Parti nationaliste tunisien aux discours et aux méthodes dignes de l’extrême droite européenne, traquent les Subsahariens. Les Tunisiens les plus progressistes avouent leur « honte » et tentent d’organiser dans l’adversité un front « antifasciste ». La consternation règne aussi dans de nombreuses capitales du continent. L’Union africaine a « condamné » les « déclarations choquantes » du président Saïed.
      Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Le régime de Kaïs Saïed en Tunisie n’a pas changé de nature, mais de degré de répression »

      Dans les capitales européennes, c’est plutôt l’embarras qui prévaut. Si les chancelleries ne manquent pas d’exprimer occasionnellement leur « préoccupation » face au recul de l’Etat de droit en Tunisie, elles n’ont pas réagi à la charge présidentielle contre les migrants subsahariens. Et pour cause : M. Saïed répond plutôt positivement aux appels de l’Europe – au premier chef de l’Italie – à mieux verrouiller ses frontières maritimes afin d’endiguer les traversées de la Méditerranée.

      Le cadenassage de « l’Europe forteresse », qui contribue à fixer en Afrique du Nord des candidats à l’exil européen, n’est pas étranger aux tensions migratoires dont cette région est le théâtre. Cherche-t-on à ménager M. Saïed afin d’éviter qu’il « lève le pied » sur la surveillance de son littoral ? Si telle était l’arrière-pensée, elle ajouterait le cynisme à un dossier déjà suffisamment dramatique.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/04/la-tunisie-rongee-par-les-demons-du-racisme_6164127_3232.html

    • En Tunisie, le douloureux retour au pays des exilées subsahariennes

      Elles ont tout quitté pour venir en Tunisie, trouver un travail et subvenir aux besoins de leur famille dans leur pays. Souvent exploitées ou livrées à elles-mêmes durant leur parcours de vie en Tunisie, des femmes migrantes subsahariennes racontent comment elles ont quitté ou vont quitter le pays, après les propos du président Kaïs Saïed sur son intention de contrer le phénomène migratoire, source de violences et de crimes selon ses mots. Témoignages.

      À l’entrée de l’aéroport de Tunis Carthage, ce samedi 4 mars, l’aube commence à pointer et Mireille fait les cent pas. Emmitouflée dans une écharpe rouge pour se réchauffer, elle se confie : « J’ai vraiment hâte que tout ça se finisse. » Ivoirienne, elle attend, fébrile, avec une centaine d’autres de ses compatriotes en file indienne, valises à la main, le premier vol de rapatriement vers Abidjan, une opération lancée par l’ambassade peu après les propos polémiques de Kaïs Saïed du 21 février sur les migrants subsahariens.

      Dimanche soir, la Présidence de la République et celle du gouvernement tunisien ont tenté d’apaiser le ton tout en disant s’étonner de la « campagne liée au prétendu racisme en Tunisie » et rejette ces accusations. Mais elles ajoutent mettre en place des mesures pour les résidents subsahariens en Tunisie, notamment avec l’octroi de cartes de séjour d’un an pour les étudiants. Le gouvernement a également annoncé faciliter les départs volontaires pour ceux qui le souhaitent et un numéro vert pour signaler les violations de leurs droits.

      Après ses déclarations, qualifiées de « racistes » par de nombreuses associations, beaucoup de migrants ont été expulsés de chez eux par leur propriétaire, et ont perdu leur travail. Les agressions dans la rue se sont multipliées et les chancelleries de plusieurs pays ont décidé d’affréter des avions pour permettre des rapatriements à leurs ressortissants. Près de 2 000 Ivoiriens candidats au départ ont déjà été recensés en moins d’une semaine par l’ambassade et, chaque jour, la liste s’allonge. La Guinée a rapatrié une cinquantaine de ressortissants. Le Mali, 154.

      Depuis 2020, une étude de l’Observatoire national pour la lutte contre la violence à l’égard des femmes en partenariat avec le Fonds des Nations unies pour les questions de santé sexuelle et reproductive (UNFPA), note une « recrudescence » de la présence des femmes migrantes dans les centres d’accueil de femmes victimes de violences. « Les violences faites aux femmes migrantes sont difficilement condamnées et prises en charge par l’État en raison du statut irrégulier des femmes, de leur accès limité aux services en raison de la peur d’être dénoncées ou encore d’être expulsées du pays », peut-on lire dans le rapport.

      Aujourd’hui, le retour précipité au pays, le risque d’une expulsion brutale de leur logement ou d’une agression sont devenus une préoccupation quotidienne de la grande majorité des femmes subsahariennes en Tunisie, déjà souvent exposées à des violences et à la vulnérabilité économique. Mediapart a donné la parole à trois d’entre elles.
      Quatre ans en Tunisie et un traumatisme

      Mireille a été particulièrement choquée par ses derniers jours passés dans le pays. Cette coiffeuse de formation qui avait laissé, quatre ans plus tôt, ses trois enfants en Côte d’Ivoire pour tenter de soutenir financièrement sa famille, n’a vécu que des désillusions. « Dès que je suis arrivée, mes contacts sur place m’ont mise dans le circuit de femmes de ménage. Je gagnais 450 dinars par mois (135 euros) et je travaillais 12 heures par jour, j’ai eu sans arrêt des problèmes de santé à cause des produits nettoyants qu’on nous faisait utiliser et je ne sens plus mon dos », raconte-t-elle.

      Très vite, elle regrette d’être venue mais se rend compte que les pénalités pour avoir excédé sa durée de séjour dans le pays sont lourdes, 80 dinars par mois, à payer à la police des frontières. Ces pénalités sont plafonnées à 3 000 dinars (900 euros) depuis 2017. « Alors, comme d’autres, je me suis retrouvée coincée et j’ai continué de travailler pour tenter d’économiser et de payer mon retour », dit-elle.

      Dans une étude publiée en 2020 par l’ONG Terre d’asile en Tunisie sur le parcours des femmes migrantes, la précarité et la vulnérabilité de femmes comme Mireille étaient déjà dénoncées. L’une des conclusions de l’étude invitait l’État tunisien à « travailler au développement de conditions d’accueil pour les femmes migrantes qui leur permettraient de s’autonomiser, notamment au moyen de l’accès à un travail décent et à un séjour régulier, et d’accéder véritablement à leurs droits », peut-on lire dans la conclusion de l’étude basée sur les témoignages d’une vingtaine de femmes. « Cette autonomisation leur permettra d’être moins vulnérables aux violences, aux arnaques et à la précarité, tout en leur donnant toutes les chances de s’intégrer au sein de la société tunisienne. »

      Pour Mireille, l’intégration a fini en traumatisme. Deux jours après le communiqué de la présidence sur les Subsahariens, sa maison a été mise à sac par deux jeunes Tunisiens dans la nuit du 23 février. « J’étais en train de cuisiner et j’ai entendu des coups à la fenêtre, avec des hommes qui criaient des mots en arabe, au début je n’ai pas compris », raconte-t-elle. Puis elle entend en français : « Les Africains, sortez, on veut plus de vous. »

      Elle prend peur et appelle son employeur, une femme tunisienne avec qui elle s’entend bien. « Elle a tenté de m’aider, raconte-t-elle. Elle voulait que je m’échappe sur la route principale pour passer la nuit chez elle, mais les agresseurs étaient devant ma porte. Il n’y avait aucune échappatoire et mes voisins au-dessus m’ont crié qu’ils étaient armés. »

      La police, alertée aussi par les Subsahariens vivant au-dessus de chez Mireille, arrive sur les lieux mais près d’une heure plus tard. Les deux jeunes ont pu rentrer et saccager toutes les affaires de Mireille, lui voler également une somme de 6 000 dinars (1 800 euros), l’argent qu’elle avait économisé pour rentrer chez elle et pour l’envoyer à sa famille.

      Les migrants en situation irrégulière ne peuvent pas ouvrir de compte en banque et transférer de l’argent à leur famille. L’envoi d’argent se fait surtout par des connaissances qui font des allers-retours, et certains migrants sont obligés d’emmagasiner de l’argent en espèces chez eux, faute de mieux.

      Juste avant que les agresseurs enfoncent la porte, Mireille est hissée par ses voisins à l’aide d’un drap au premier étage de la résidence, en passant par une fenêtre de la cour intérieure qui ne donne pas sur la rue. Jointe au téléphone un jour après son arrivée à Abidjan, elle se rappelle avec émotion ce moment. « Je n’arrête pas de penser jusqu’à maintenant à ce qu’ils m’auraient fait s’ils m’avaient trouvée sur place », témoigne-t-elle d’une voix tremblante.

      Aujourd’hui, elle attend de pouvoir revoir ses enfants dans un centre à Abidjan où ont été dispatchés les premiers rapatriés. « Je ne les ai pas vus depuis quatre ans, le plus important pour moi, c’est de les retrouver, ensuite je réfléchirai à l’après », dit-elle. Elle est partie avec seulement quelques affaires achetées juste avant le départ grâce à des dons.
      L’attente d’un retour, après avoir tout perdu

      Les vidéos de l’incident ont fait le tour des réseaux sociaux et ont alerté sur la recrudescence des agressions envers les Noirs en Tunisie après les propos de Kaïs Saïed, poussant de nombreux migrants à se cloîtrer chez eux ou à tenter de partir au plus vite.

      Devant l’ambassade de Côte d’Ivoire le vendredi 3 mars, Fortune, 33 ans, attend encore d’être convoquée pour faire partie des prochains vols de rapatriement mais un document lui manque, l’extrait de naissance de son enfant, né en Tunisie en 2019. « Lors de sa naissance, je n’ai pas eu l’extrait de naissance, il fallait payer et je n’avais pas d’argent, et ensuite j’avais passé le délai donc j’ai déposé une demande à l’OIM [l’Organisation internationale pour les migrations qui dépend des Nations unies – ndlr] et jusqu’à présent je n’ai pas le document. »

      Elle ne peut pas laisser son fils sur place mais elle se préparait au départ bien avant les propos de Kaïs Saïed. « Dès mon départ vers la Tunisie en 2018, des amies m’avaient avertie du racisme et des mauvais traitements que subissent les Noirs, mais je voulais quand même essayer pour gagner un peu d’argent et financer mes études au pays », dit-elle.

      Elle explique avoir eu de bons employeurs en Tunisie mais, pour elle, les propos de Kaïs Saïed, sont inacceptables. « Il y a différentes manières de dire qu’il faut mieux gérer les flux migratoires irréguliers, je peux comprendre que ça gêne vu que nous sommes tous sans statut légal ici, mais là, dans ses déclarations, j’avais l’impression d’avoir été traité comme un animal », commente-t-elle.

      À ses côtés Naomi, 33 ans, ronge son frein, déprimée. Elle avait investi toutes les économies de son salaire de coiffeuse en Tunisie pour ouvrir son propre salon. Près de 7 000 dinars (2 100 euros) dépensés dans du matériel et une location. « Je comptais sur l’été et les mariages pour gagner de l’argent et l’envoyer au pays », dit-elle. Comme Fortune, elle a tout perdu, la propriétaire lui a demandé de fermer boutique et elle attend devant l’ambassade pour s’enregistrer et partir au plus vite.
      L’impossible régularisation

      Ces deux femmes ont reçu des délais très courts de leurs propriétaires pour quitter leur logement, car les autorités ont annoncé une application stricte de la loi. Un Tunisien ne peut pas louer à un étranger sans lui demander sa carte de résidence ou bien le déclarer dans un commissariat. Une situation d’urgence à laquelle s’ajoute la peur d’être agressée.

      « Là, dès que l’on sort de chez nous, on regarde derrière nous de peur qu’un gosse nous jette des pierres. Cela m’était déjà arrivé avant les propos de Kaïs Saïed mais, désormais, c’est devenu une menace quotidienne », explique Évelyne, 30 ans, qui avait ouvert une crèche dans le quartier de l’Ariana au nord de Tunis pour permettre aux familles subsahariennes qui travaillent de laisser leurs enfants en journée. « Bien sûr que ce n’était pas déclaré, mais comment voulez-vous qu’on fasse ?, demande Évelyne. On dépense de l’argent dans des procédures pour avoir des papiers, et jamais nous n’arrivons à obtenir la carte de résidence. Tout se fait au noir parce que nous n’avons pas d’autre choix, et pendant des années personne n’y a trouvé à redire. »

      La loi tunisienne met sous conditions l’embauche d’un étranger avec la préférence nationale et très peu de migrants arrivent à se régulariser, à l’exception des étudiants.
      Rester et vivre dans la rue, le nouveau fardeau d’Aïcha

      Alors que ces femmes attendent un retour imminent vers leur pays, d’autres n’ont pas d’autre choix que de rester, dans des conditions parfois plus que précaires. Aïcha, 23 ans et originaire de la Sierra Leone, campe avec une centaine d’autres migrants devant le siège de l’OIM depuis une semaine, après avoir été expulsée de son logement.

      Son voyage pour venir en Tunisie en août 2022 par voie terrestre a pris presque trois mois. Durant son périple, elle dit avoir égaré son passeport. « Donc au final, je n’ai jamais pu travailler ici, ou alors des petits jobs ponctuels. En plus je ne parle qu’anglais donc la barrière de la langue était problématique », explique-t-elle. Elle dit attendre que la situation se calme pour voir comment rester dans le pays.

      « Au pire des cas, je rentrerai, mais vraiment j’aimerais bien rester ici, c’est difficile de repartir après avoir tout laissé dans son pays. J’étais étudiante mais je voulais tenter ma chance ailleurs et beaucoup d’amis m’ont dit qu’en Tunisie il y aurait du travail et des conditions de vie meilleures que chez nous », dit-elle. Son rêve est de suivre une formation pour devenir journaliste.

      « Au pays, on voulait que je me marie avec un homme plus âgé, moi je voulais vraiment avoir une carrière et un avenir », poursuit-elle. Mais en attendant, elle vit dans la rue avec d’autres migrants, cherchant des cafés aux alentours qui acceptent qu’elle utilise leurs toilettes. « Jamais je n’aurais imaginé me retrouver dans une telle situation, j’espère que l’OIM va nous trouver une solution ou au moins un abri. » La Tunisie n’a pas de loi régissant les demandeurs d’asile donc de nombreux migrants dans le cas d’Aïcha ne peuvent se tourner que vers les représentants des Nations unies pour demander un statut de réfugié ou demandeur d’asile.

      Depuis le début de la crise déclenchée par le communiqué de la présidence, les associations et organisations internationales disent être submergées par les appels et situations d’urgence. Une chaîne de solidarité organisée par des Tunisiens a été mise en place sur les réseaux sociaux et via le bouche-à-oreille pour apporter des denrées alimentaires à ces migrants et tenter de trouver des logements provisoires pour certains. Mais ce réseau reste discret de peur de tomber dans le viseur des autorités.

      Face à l’ampleur de la crise, les autorités tunisiennes ont indiqué ce week-end, exonérer des pénalités de séjour les migrants en situation irrégulière souhaitant rentrer dans leur pays « assistés par une instance diplomatique, une organisation internationale ou onusienne », un système qui existe déjà depuis 2018 mais avec une clause d’interdiction de retour sur le territoire tunisien.

      https://www.mediapart.fr/journal/international/050323/en-tunisie-le-douloureux-retour-au-pays-des-exilees-subsahariennes

    • On the racist events in Tunisia – Background and Overview

      Current Situation

      “For several months, a racist campaign against Sub-Saharans in Tunisia has been growing. The president himself subscribed to these racist and conspiracy theories and pointed the finger at the Sub-Saharans, accusing them of being ‚hordes‘ and that sub-Saharan immigration is a ‚criminal enterprise‘ whose goal would be to ‚change the demographic composition of Tunisia‘.“ In the press statement published on the 21 February 2023 following a National Security Council meeting, president Kais Saied resurrected many racist and xenophobic tropes used by other fascist movements. He „ordered security forces to take ‚urgent measures‘. … Many „of the estimated 21,000 sub-Saharan African people in Tunisia – most of whom are undocumented – lost their jobs and housing overnight.“ The Association of African Students and Interns in Tunisia highlights that there is an „ongoing systemic campaign of control and arrests targeting [Black immigration], independently from their status, who are not carrying their residency card with them.“ „In the first three weeks of February, at least 1,540 people were detained, mostly in Tunis and provinces near the Algerian border“.

      The situation has become increasingly violent in the last weeks. In addition to the government forces targeting Black people, „violent attacks perpetrated by citizens, who taunt their victims with racial slurs“ are taking place. Attacked people report about fleeing „pogroming mobs consisting of, they said, 20+ Tunisian young men. ‚We were absolutely running for our lives,‘ said Latisha, who screamed at their son to run faster.“ There are accounts about „[a]rmed mobs“ and rape ‚by these mobs’“. On social media torture videos circulate. „In the suburbs of Tunis, a group of Sub-Saharan Africans have been attacked by young Tunisians who have broken down their doors and set fire to their building. Houses were ransacked.“

      „Everyone who falls under the socially constructed category of ‘African’ – those with or without jobs, those with university classes to attend – are too scared to leave their homes because the racist violence has spread to every street in Tunisia.“ A law from 1968 that criminalizes assistance to „illegal residence“ in Tunisia, is now being applied. Patricia Gnahoré explains „that the evictions started around February 9, when alarmist messages began circulating on social networks: landlords would be facing fines and prison sentences if they housed undocumented Sub-Saharans“. While some people are being supported by friends and activists who try to organize support, many have no choice but to sleep outside, with more than 100 people camping at the International Organization for Migration and in front of different embassies.

      „Guinea [and Mali] and Cote d’Ivoire are repatriating their citizens from Tunisia.“ „However, many people living irregularly in Tunisia have accumulated large sums of outstanding fees over the years, too much for them to pay. While Tunisian authorities are themselves pushing migrants to leave, they still insist on cashing in on those who desperately want to.“

      The African Union highlights that they are in „deep shock and concern at the form and substance of the statement targeting fellow Africans, notwithstanding their legal status in the country.“ The events of the last days strongly impacted Tunisia’s image in the African continent and within the African Union. Furthermore, an AU pan-African conference scheduled for mid-March in Tunis has been postponed. Former Senegalese Prime Minister Aminata Touré even called for Tunisia’s AU membership to be suspended and for the country to be excluded from the Africa Cup.
      Solidarity

      Multiple protests have been taking place in Tunisia with demonstrators denouncing the racist and fascist violence. Already on February 25th „over 1,000 people marched through downtown Tunis to protest what they called Saied’s fascist overtures.“ „Henda Chennaoui, one of the principal figures in the country’s new Front Antifasciste … [highlights that this] ‚the first time in the history of the republic that the president used fascist and racist speech to discriminate against the most vulnerable and the marginalised.’“ Protests in front of Tunisian embassies are being organized around the world, such as in Paris, Berlin as well as Canada.

      In the Front antifasciste – Tunisie activists and associations gather to organize support for Black people in the country. „Tunisian and foreign volunteers brought donations of food, water and blankets, along with some tents to help those displaced. … [However,] associations collecting donations [for migrants] are receiving threats.“
      Political Level

      President Saied is distracting from the political and economic situation in the country. He was elected in Fall 2019 and his governing style has become increasingly authoritarian. „Over the last two weeks, a spate of high-profile arrests has rocked Tunisia, as over a dozen political figures, trade unionists and members of the media have been taken into custody on security or graft charges. Some have been dragged from their homes without warrants; others, put on trial before military courts, despite being civilians. Many are being held in what their lawyers say are inhumane conditions, crammed in cells with scores of prisoners and without beds.“ A terrorism law allows the authorities to hold people „for a maximum of 15 days without charge or consultation with a lawyer“.

      In addition, „Saied has neutered parliament and pushed through a new constitution that gives him near-unlimited control and makes it almost impossible to impeach him.“ This was preceded and enabled by a very volatile situation in the country, as „there was increasing fragmentation within the executive branch, among state institutions, within and between political parties, within civil society, and even between regions of the country.“ The political and economic instability in the country, resulted in wide-spread support of his presidency, which has increasingly shifted to repressive centralization of power.

      The statement and development are connecting to a growing populist discourse. „Saied’s crackdown on undocumented sub-Saharan immigrants has taken place in the context of the rise of the hitherto unknown Parti Nationaliste Tunisien, which has been pushing a racist agenda relentlessly since early February. The party has flooded social media with conspiracy theories and dubiously edited videos that have encouraged Tunisians to report on undocumented neighbours before they can ‚colonise‘ the country – the same conspiratorial language adopted by Saied.“
      Economic Level

      Tunisia „is struggling under crippling inflation and debt worth around 80 percent of its gross domestic product (GDP)“. In addition, there is a shortage of basic foods such as rice, which is putting a lot of pressure on the population. ‘Les Africains’ are used as a scapegoat for the lack of products such as rice. „The rice-crisis is not the first time that populations racialized as ‘African’ are blamed for a social and economic disaster in Tunisia, which in reality is a direct consequence of the state’s abandonment of marginalized communities and the pressures of global capitalism.“ However, since the racist tropes are connecting to a familiar discourse, the „crackdown on immigrants and Saied’s political opponents has … won him favour among many in his working-class political base, who have been at the sharp end of a dire economic crisis.“

      The current events seem to have triggered international responses since Italy now supports Tunisia as it „is seeking to obtain a loan from the IMF due to a severe economic crisis.“ This is being explicitly connected to Europe’s border interests (see section on Externalization & Immigration).

      Ultimately these actions are enhancing the dependencies to Europe and weaken pan-African ties. „Kaïs Saied’s economic incompetence – as well as the refusal of North African governments to prioritize regional and inner-African trade which would allow evading dictates from the Global North and its proxies such as the IMF more effectively – are now once more fueling dynamics that in fact counter pan-African cooperation.“ In fact, the „president’s comments could also have direct consequences for Tunisian companies, which have increasingly expanded into other African countries in recent years. Guinean media report that several wholesalers have suspended imports of Tunisian products. Senegalese and Ivoirian importers want to join the boycott.“

      In addition, according to Human Rights Watch „at least 40 students have been detained so far“. This will have a detrimental impact on the education market, since „[f]or Tunisian private universities, students from other African countries are an essential part of their business model.“

      These factors might have contributed to ​​​​​​the statement posted by the government on Facebook on March 5th, attempting to backpedal the racist campaign and highlighting their „astonishment“ about the violence in the last weeks. Apart from now emphasising „Tunisia’s African identity“ and the significance of the anti-discrimination law from 2018, it announces plans to enhance the legal security of African migrants in Tunisia. Whether and how the statement will be implemented remains to be seen, „It appears likely that Tunisia is now also facing a considerable radicalization of its migration policies. […] Saied’s future migration policies, however, are likely to go beyond the ongoing wave of arrests, and in a worst-case scenario, will go even far beyond.“
      Externalization & Immigration

      „While the European Union’s violent securitization apparatus is indeed responsible for the oppression and murder of sub-Saharan migrants (and Tunisians) in Tunisia, the Tunisian state also contributes to their oppression and murder.“ Many people try to travel to Europe via and from Tunisia. „Its proximity to the EU’s external border has made Tunisia a major hub for migrants. Italy’s coasts are only around 150 kilometers (90 miles) away. Tunisia relaxed visa requirements in 2015, allowing many sub-Saharan and North Africans migrants to move to the country and work. … Authorities frequently turned a blind eye to workers without permits who were saving for a journey to Europe.“ This renders Black migrants very vulnerable to exploitation as well as policy changes.

      Already prior to the current escalation Black people experienced discrimination; Shreya Parikh highlighted in August 2022 that „Sub-Saharan women and men who depend on the labour market have spoken to me of persistent exploitation and racialised violence (both verbal and physical) at workplace.“ This is enhanced and enabled by the uncertain legal situation. „In the case of Tunisia, an im/migration non-policy is deliberately maintained by institutional actors at different levels (border police, internal affairs ministry, private legal agencies promising paper-work) because, among others, it is a lucrative site for corruption.“ This affects mostly Black people. „Most sub-Saharan migrants (like Western European migrants) enter Tunisia as legal migrants because of 3-month visa-free policies; but the Tunisian state forces all migrants to become illegal by its refusal to deliver legal documentation. This means that Tunisia also has European migrants living ‘illegally.’ But in the social and political construction of the ‘illegal migrant,’ white bodies never fit. It is the Black and dark-skinned bodies that are assumed to be illegal and criminal, as is clear from arrests of sub-Saharan migrants who carry residence permits, as well as absence of arrests of European ‘illegal’ migrants.“

      The current developments have to be understood in the context of the externalization of the European border. The Tunisian Forum for Social and Economic Rights (FTDES) highlights that the „European border outsourcing policies have contributed for years to transform Tunisia into a key player in the surveillance of Mediterranean migration routes, including the interception of migrant boats outside territorial waters and their transfer to Tunisia. Discriminatory and restrictive policies in Algeria also contribute to pushing migrants to flee to Tunisia. These policies deepen the human tragedy of migrants in a Tunisia in political and socio-economic crisis.“ Sofian Philip Naceur analyses that „[a]s Saieds government continues to play along as the watchdog for the European border regime, though not without ostentatiously displaying its self-interest in migration control, the Italian government is suddenly soliciting financial support for Tunisia’s deeply troubled public coffers from the EU and the International Monetary Fund (IMF). Interesting timing.“

      So far, the President’s statement has only provoked supportive reactions from European politicians. The French far-right politician, Eric Zemmour, who is one of the most prominent supporters of the conspiracy theory of the „Great Replacement“, supported the statement on Twitter. And the Italian foreign minister Antonio Tajani expressed in a phone call with his Tunisian counterpart that „the Italian government is at the forefront of supporting Tunisia in its border control activities, in the fight against human trafficking, as well as in the creation of legal channels to Italy for Tunisian workers and in the creation of training opportunities as an alternative to migration“ without mentioning the current violence at all. Furthermore, Italy is sending 100 more pick-ups worth more than 3.6 million Euro to reinforce the Tunisian Ministry of the Interior in the fight against ‚irregular‘ immigration.

      Or how Le Monde summarizes: „[The chancelleries] have not reacted to the presidential charge against sub-Saharan migrants. And for good reason: Mr. Said is responding rather positively to calls from Europe – primarily Italy – to better lock its maritime borders in order to stem the flow of migrants across the Mediterranean.“

      https://migration-control.info/on-the-racist-events-in-tunisia-background-overview

      via @_kg_

    • Aggressioni razziste e arresti: così la Tunisia diventa un “hotspot informale” dell’Europa

      I discorsi d’odio del presidente tunisino Saied contro presunte “orde di subsahariani irregolari” che minaccerebbero l’identità “arabo-musulmana” del Paese hanno fatto esplodere la tensione accumulata negli ultimi mesi, tra inflazione e penuria di generi di prima necessità. La “Fortezza Europa”, intanto, gongola. Il reportage

      Ogni mattina a Nadège vengono dati dieci dinari per la spesa. Esce di casa, si incammina fino all’alimentari più vicino e compra il necessario per la famiglia per cui lavora. È l’unico momento in cui le è consentito uscire. Altrimenti, Nadège vive e lavora 24 ore su 24, sette giorni su sette, tra le mura della casa di due persone anziane in un quartiere benestante di Tunisi. La sua paga mensile come domestica è di settecento dinari (225 euro), che diventeranno ottocento (240 euro) se “lavorerà bene”.

      Nadège, assicura, è qui per questo: “Sono venuta in Tunisia per metter da parte qualche soldo da mandare ai miei figli, in Costa d’Avorio”, racconta. Suo cugino, però, lavora nei campi di pomodori in Calabria. Le ha consigliato di partire per l’Italia e cercare lavoro lì. “Il cambio euro-franco Cfa è più conveniente di quello dinaro tunisino-franco Cfa. Guadagnando qualche soldo in Europa posso far vivere degnamente i miei due figli, metter da parte qualcosa e poi tornare da loro una volta che ci saremo sistemati”, spiega la trentenne ivoriana. Tre anni fa, Nadège vendeva sigarette lungo la sterrata che dal suo villaggio portava a Abidjan, ma con i lavori del governo per asfaltare la strada, il suo gabbiotto è stato abbattuto e mai più ricostruito. E lei è rimasta senza nulla.

      Nel 2022 anche Nadège ha tentato di imbarcarsi per Lampedusa da una spiaggia del Sud tunisino. A metà strada, però, la guardia costiera ha intercettato la sua barca e l’ha riportata a riva, nel porto di Sfax. Ha perso tutti i soldi che aveva messo da parte e si è ritrovata punto a capo, in Tunisia, a cercar di nuovo lavoro.

      Come nel caso di buona parte dei cittadini subsahariani presenti nel Paese, molti dei quali -a differenza di Nadège- hanno rinunciato all’idea di imbarcarsi, nessuno le ha mai proposto un contratto. Una volta scaduti i tre mesi di visto, il limite massimo per rimanere in Tunisia, tanti di loro rimangono in situazione di irregolarità accumulando una multa per la permanenza oltre i limiti del visto che aumenta di mese in mese. Dopo anni a lavorare, spesso con paghe misere e giornaliere, molti subsahariani rimangono intrappolati nelle maglie della burocrazia tunisina e, pur volendo tentare di regolarizzarsi e ottenere un permesso di soggiorno per rimanere nel Paese, non ci riescono perché non sono in grado di pagare la multa per lo sforamento del visto, che raggiunge un massimo di 3.000 dinari, mille euro. Ecco come i subsahariani finiscono in una sorta di limbo, bloccati in Tunisia, senza poter raggiungere l’Europa, senza poter tornare indietro. Si ritrovano così a costituire la manodopera in nero di aziende tunisine o estere presenti nel Paese, o di famiglie benestanti, che sfruttano la loro posizione precaria di irregolari per sottopagarli.

      Da metà febbraio di quest’anno Nadège ha dovuto rinunciare anche alla spesa quotidiana per paura di uscire dal cortile di casa. Lei, senza documenti, è oggetto di una campagna d’odio che si diffonde a macchia d’olio in Tunisia. È il 21 febbraio quando, dopo giorni di arresti di esponenti dell’opposizione alle politiche di Kais Saied, un comunicato della presidenza tunisina fa il punto sulla “lotta all’immigrazione irregolare nel Paese”, tema che è stato al centro della visita in Tunisia dei ministeri degli Esteri Antonio Tajani e dell’Interno Matteo Piantedosi di fine gennaio.

      Secondo quel comunicato, la Tunisia sarebbe invasa da “orde di subsahariani irregolari” che minaccerebbero “demograficamente” il Paese e la sua identità “arabo-musulmana”. È stata la miccia che ha fatto esplodere la tensione accumulata negli ultimi mesi, tra inflazione galoppante, impoverimento generale della popolazione e penurie continue di generi di prima necessità. A diffondere queste teorie xenofobe da fine 2022 è il cosiddetto Partito nazionalista tunisino, un gruppo di nicchia riconosciuto nel 2018, che ha intensificato la propria campagna sui social network prendendosela con le persone nere presenti in Tunisia. Non solo potenziali persone migranti in situazione di irregolarità che vorrebbero tentare di imbarcarsi verso l’Italia (come dichiarato dalle autorità), ma anche richiedenti asilo e rifugiati, studenti e lavoratori residenti nel Paese, accusati di “rubare il lavoro”, riprendendo gli slogan classici delle destre europee, spesso usati contro i tunisini stessi.

      Da allora in Tunisia si sono moltiplicate non solo le aggressioni razziste, ma anche gli arresti di cittadini subsahariani senza alcun criterio. Secondo un comunicato della Lega tunisina dei diritti umani, per esempio, otto studenti subsahariani regolarmente residenti nel Paese e iscritti nelle università tunisine sarebbero trattenuti senza alcun motivo nel centro di El-Wuardia, un centro gestito dalle autorità tunisine, non regolamentato, dove è complicato monitorare chi entra e chi esce. L’Associazione degli stagisti ivoriani e l’Aesat, la principale organizzazione degli studenti subsahariani in Tunisia, hanno consigliato alle proprie comunità di non uscire.

      Almeno cinquecento subsahariani si troverebbero invece nella prigione di Bouchoucha (Tunisi), senza che si conoscano le accuse nei loro confronti. A seguito delle misure prese dalla presidenza, molti proprietari di alloggi affittati a cittadini subsahariani hanno chiesto loro di lasciare casa, così come diversi datori di lavoro li hanno licenziati da un giorno all’altro per timore di ritorsioni da parte della polizia nei loro confronti. Centinaia di persone si sono così ritrovate per strada, senza stipendio e senza assistenza, rischiando l’arresto arbitrario, esposti a violenze e aggressioni nelle grandi città.

      In centinaia stanno optando per il rimpatrio nel Paese d’origine chiedendo assistenza per il cosiddetto ritorno volontario, che spesso di volontario ha ben poco. “Torniamo indietro per paura”, è il ritornello che ripetono in molti. Le liste per le richieste dei ritorni volontari gestiti dall’Organizzazione internazionale per le migrazioni (Oim) erano già lunghe prima del 21 febbraio, tanto che decine di persone che si sono registrate mesi fa attendono in tende di fortuna costruite con sacchi di plastica lungo la via che porta alla sede dell’Oim, nel quartiere di Lac 1, dove hanno sede diverse organizzazioni internazionali.

      “Non ci è stato messo a disposizione un foyer per l’accoglienza”, si giustifica una fonte interna all’organizzazione puntando il dito contro le autorità tunisine. La tendopoli di Lac 1 era già stata smantellata dalle forze di polizia a giugno 2022 ma alle persone migranti non è stata data un’alternativa. Qualche settimana dopo, infatti, si è riformata poco lontano. Oggi si ingrandisce di giorno in giorno.

      È qui che da fine febbraio un gruppo di volontari si fa carico di fornire acqua e cibo alle duecento persone presenti, rimaste senza assistenza. L’Oim è l’unica alternativa per chi non dispone di documenti validi, chi si trova nell’impossibilità di pagare la multa di 3.000 dinari o chi non ha un’ambasciata in Tunisia a cui rivolgersi, come per esempio i cittadini della Sierra Leone, la cui rappresentanza è stata delegata all’ambasciata d’Egitto.

      Chi può, invece, ha tentato di chiedere aiuto alla propria ambasciata di riferimento, accampandosi di fronte all’entrata. Il primo marzo è atterrato in Tunisia il ministro degli Esteri della Guinea, che ha promesso ai propri cittadini di stanziare fondi per voli di rimpatrio. Il primo aereo a decollare è stato quello della Costa d’Avorio, partito sabato 4 marzo alle 7 del mattino dall’aeroporto di Tunisi con a bordo 145 persone.

      Era giugno 2018 quando la Commissione europea proponeva ad alcuni Paesi africani, tra cui la Tunisia, l’istituzione di piattaforme regionali di sbarco dove smistare, fuori dai confini europei, le richieste di asilo. La risposta all’epoca fu “No, non abbiamo né le capacità né i mezzi”, per citare l’ambasciatore tunisino a Bruxelles Tahar Chérif. Cinque anni più tardi, l’Ue sembra esser riuscita nella propria missione di trasformare la Tunisia in un informale hotspot europeo.

      https://altreconomia.it/aggressioni-razziste-e-arresti-cosi-la-tunisia-diventa-un-hotspot-infor

    • As the disturbing scenes in Tunisia show, anti-migrant sentiments have gone global

      President Saied is scapegoating his country’s small black migrant population to distract from political failings. Does this sound familiar?

      A little more than 10 years ago, calls for freedom and human rights in Tunisia triggered the Arab spring. Today, black migrants in the country are being attacked, spat at and evicted from their homes. The country’s racism crisis is so severe that hundreds of black migrants have been repatriated.

      It all happened quickly, triggered by a speech by the Tunisian president, Kais Saied, at the end of February. He urged security forces to take urgent measures against migrants from sub-Saharan Africa, who he claimed were moving to the country and creating an “unnatural” situation as part of a criminal plan designed to “change the demographic makeup” and turn Tunisia into “just another African country that doesn’t belong to the Arab and Islamic nations any more”. “Hordes of irregular migrants from sub-Saharan Africa” had come to Tunisia, he added, “with all the violence, crime and unacceptable practices that entails”.

      For scale, the black migrant population in Tunisia is about 21,000 out of a population of 12 million, and yet a sudden fixation with their presence has taken over. A general hysteria has unleashed a pogrom on a tiny migrant population whose members have little impact on the country’s economics or politics – reports from human rights organisations tell of night-time raids and daylight stabbings. Hundreds of migrants, now homeless, are encamped, cowering, outside the International Organization for Migration’s offices in Tunis as provocation against them continues to swirl.

      Josephus Thomas, a political refugee from Sierra Leone, spoke to me from the camp, where he is sheltering with his wife and child after they were evicted from their home and his life savings were stolen. They sleep in the cold rain, wash in a nearby park’s public toilet and sleep around a bonfire with one eye open in anticipation of night-time ambushes by Tunisian youths. So far, they have been attacked twice. “There are three pregnant women here, and one who miscarried as she was running for her life.” Due to the poor sanitation, “all the ladies are having infections”, he says. “Even those who have a UNHCR card”, who are formally recognised as legitimate refugees, are not receiving the help they are entitled to. “The system is not working.”

      Behind this manufactured crisis is economic failure and political dereliction. “The president of the country is basically crafting state policy based on conspiracy theories sloshing around dark corners of the internet basement,” Monica Marks, , a professor of Middle East studies and an expert on Tunisia, tells me. The gist of his speech was essentially the “great replacement” theory, but with a local twist. In this version of the myth, Europeans are using black people from sub-Saharan Africa to make Tunisia a black-inhabited settler colony.

      Confecting an immigration crisis is useful, not only as a distraction from Saied’s failures, but as a political strategy to hijack state and media institutions, and direct them away from meaningful political opposition or scrutiny.

      The speed with which the hysteria spread shows that these attitudes had been near the surface all along. Racism towards black Arabs and black sub-Saharan Africans is entrenched in the Arab world – a legacy of slavery and a fetishised Arab ethnic supremacy. In Arab north Africa, racism towards black people is complicated even further by a paranoia of proximity – being situated on the African continent means there is an extreme sensitivity to being considered African at all, or God forbid, black. In popular culture, racist tropes against other black Arabs or Africans are widespread, portraying them as thick, vulgar and unable to speak Arabic without a heavy accent.

      The movement of refugees from and through the global south has further inflamed bigotries and pushed governments, democratic or otherwise, towards extinguishing these people’s human rights. Local histories and international policies create a perfect storm in which it becomes acceptable to attack a migrant in their home because of “legitimate concerns” about economic insecurity and cultural dilution.

      Globally, there is a grim procession of countries that have made scapegoating disempowered outsiders a central plank of government policy. But there is a new and ruthless cruelty to it in the UK and Europe. The European Union tells the British prime minister, Rishi Sunak, that his small boat plans violate international law, but the EU has for years followed an inhumane migrant securitisation policy that captures and detains migrants heading to its shores in brutal prisons run by militias for profit. Among them are a “hellhole” in Libya and heavily funded joint ventures with the human rights-abusing dictatorship in Sudan.

      Only last week, in the middle of this storm, the Italian prime minister, Giorgia Meloni, had a warm call with her Tunisian counterpart, Najla Bouden Romdhane, on, among other topics, “the migration emergency and possible solutions, following an integrated approach”. This sort of bloodless talk of enforcement at all costs, Marks says, “speaks to the ease with which political elites, state officials, can render fascism part of the everyday political present”.

      So where do you turn if you are fleeing war, genocide and sexual violence? If you want to exercise a human right, agreed upon in principle more than 70 years ago, “to seek and enjoy in other countries asylum from persecution”? The answer is anywhere, because no hypothetical deterrent is more terrifying than an unsafe present.

      You will embark on an inhuman odyssey that might end with a midnight raid on your home in Tunis, a drowning in the Channel, or, if you’re lucky, a stay in Sunak and Macron’s newly agreed super-detention centres. People in jeopardy will move. That is certain. All that we guarantee through cynical deterrent policies is that we will make their already fraught journey even more dangerous.

      https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/mar/13/tunisia-anti-migrant-sentiments-president-saied

    • Immigrés subsahariens, boucs émissaires pour faire oublier l’hémorragie maghrébine

      Les autorités tunisiennes mènent depuis début juillet une campagne contre les immigrés subsahariens accusés d’« envahir » le pays, allant jusqu’à les déporter en plein désert, à la frontière libyenne. Une politique répressive partagée par les pays voisins qui sert surtout à dissimuler l’émigration maghrébine massive et tout aussi « irrégulière », et à justifier le soutien des Européens.

      La #chasse_à_l’homme à laquelle font face les immigrés subsahariens en Tunisie, stigmatisés depuis le mois de février par le discours officiel, a une nouvelle fois mis en lumière le flux migratoire subsaharien vers ce pays du Maghreb, en plus d’ouvrir les vannes d’un discours raciste décomplexé. Une ville en particulier est devenue l’objet de tous les regards : Sfax, la capitale économique (270 km au sud de Tunis).

      Le président tunisien Kaïs Saïed s’est publiquement interrogé sur le « choix » fait par les immigrés subsahariens de se concentrer à Sfax, laissant flotter comme à son habitude l’impression d’un complot ourdi. En réalité et avant même de devenir une zone de départ vers l’Europe en raison de la proximité de celle-ci, l’explication se trouve dans le relatif dynamisme économique de la ville et le caractère de son tissu industriel constitué de petites entreprises familiales pour une part informelles, qui ont trouvé, dès le début de la décennie 2000, une opportunité de rentabilité dans l’emploi d’immigrés subsahariens moins chers, plus flexibles et employables occasionnellement. Au milieu de la décennie, la présence de ces travailleurs, devenue très visible, a bénéficié de la tolérance d’un État pourtant policier, mais surtout soucieux de la pérennité d’un secteur exportateur dont il a fait une de ses vitrines.
      L’arbre qui ne cache pas la forêt

      Or, focaliser sur la présence d’immigrés subsahariens pousse à occulter une autre réalité, dont l’évolution est autrement significative. Le paysage migratoire et social tunisien a connu une évolution radicale, et le nombre de Tunisiens ayant quitté illégalement le pays a explosé, les plaçant en tête des contingents vers l’Europe, aux côtés des Syriens et des Afghans comme l’attestent les dernières #statistiques. Proportionnellement à sa population, la Tunisie deviendrait ainsi, et de loin, le premier pays pourvoyeur de migrants « irréguliers », ce qui donne la mesure de la crise dans laquelle le pays est plongé. En effet, sur les deux principales routes migratoires, celle des Balkans et celle de Méditerranée centrale qui totalisent près de 80 % des flux avec près de 250 000 migrants irréguliers sur un total de 320 000, les Tunisiens se placent parmi les nationalités en tête. Avec les Syriens, les Afghans et les Turcs sur la première route et en seconde position après les Égyptiens et avant les Bengalais et les Syriens sur la deuxième.

      La situation n’est pas nouvelle. Durant les années 2000 — 2004 durant lesquelles les traversées « irrégulières » se sont multipliées, les Marocains à eux seuls étaient onze fois plus nombreux que tous les autres migrants africains réunis. Les Algériens, dix fois moins nombreux que leurs voisins, arrivaient en deuxième position. Lorsque la surveillance des côtes espagnoles s’est renforcée, les migrations « irrégulières » se sont rabattues vers le sud de l’Italie, mais cette répartition s’est maintenue. Ainsi en 2006 et en 2008, les deux années de pics de débarquement en Sicile, l’essentiel des migrants (près de 80 %) est constitué de Maghrébins (les Marocains à eux seuls représentant 40 %), suivis de Proche-Orientaux, alors que la part des subsahariens reste minime.

      La chose est encore plus vraie aujourd’hui. À l’échelle des trois pays du Maghreb, la migration « irrégulière » des nationaux dépasse de loin celle des Subsahariens, qui est pourtant mise en avant et surévaluée par les régimes, pour occulter celle de leurs citoyens et ce qu’elle dit de l’échec de leur politique. Ainsi, les Subsahariens, qui ne figurent au premier plan d’aucune des routes partant du Maghreb, que ce soit au départ de la Tunisie et de la Libye ou sur la route de Méditerranée occidentale (départ depuis l’Algérie et le Maroc), où l’essentiel des migrants est originaire de ces deux pays et de la Syrie. C’est seulement sur la route dite d’Afrique de l’Ouest (qui inclut des départs depuis la façade atlantique de la Mauritanie et du Sahara occidental) que les migrants subsahariens constituent d’importants effectifs, même s’ils restent moins nombreux que les Marocains.
      Négocier une rente géopolitique

      L’année 2022 est celle qui a connu la plus forte augmentation de migrants irréguliers vers l’Europe depuis 2016. Mais c’est aussi celle qui a vu les Tunisiens se placer dorénavant parmi les nationalités en tête de ce mouvement migratoire, alors même que la population tunisienne est bien moins importante que celle des autres nationalités, syrienne ou afghane, avec lesquelles elle partage ce sinistre record.

      Ce n’est donc pas un effet du hasard si le président tunisien s’est attaqué aux immigrés subsahariens au moment où son pays traverse une crise politique et économique qui amène les Tunisiens à quitter leur pays dans des proportions inédites. Il s’agit de dissimuler ainsi l’ampleur du désastre.

      De plus, en se présentant comme victimes, les dirigeants maghrébins font de la présence des immigrés subsahariens un moyen de pression pour négocier une rente géopolitique de protection de l’Europe et pour se prémunir contre les critiques.

      Reproduisant ce qu’avait fait vingt ans plus tôt le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avec l’Italie pour négocier sa réintégration dans la communauté internationale, le Maroc en a fait un outil de sa guerre diplomatique contre l’Espagne, encourageant les départs vers la péninsule jusqu’à ce que Madrid finisse par s’aligner sur ses thèses concernant le Sahara occidental. Le raidissement ultranationaliste que connait le Maghreb, entre xénophobie d’État visant les migrants et surenchère populiste de défiance à l’égard de l’Europe, veut faire de la question migratoire un nouveau symbole de souverainisme, avec les Subsahariens comme victimes expiatoires.
      Déni de réalité

      Quand il leur faut justifier la répression de ces immigrés, les régimes maghrébins parlent de « flots », de « hordes » et d’« invasion ». Ils insistent complaisamment sur la mendicité, particulièrement celle des enfants. Une image qui parle à bon nombre de Maghrébins, car c’est la plus fréquemment visible, et cette mendicité, parfois harcelante, peut susciter de l’irritation et nourrir le discours raciste.

      Cette image-épouvantail cache la réalité d’une importante immigration de travail qui, en jouant sur les complémentarités, a su trouver des ancrages dans les économies locales, et permettre une sorte d’« intégration marginale » dans leurs structures. Plusieurs décennies avant que n’apparaisse l’immigration « irrégulière » vers l’Europe, elle était déjà présente et importante au Sahara et au Maghreb.

      Depuis les années 1970, l’immigration subsaharienne fournit l’écrasante majorité de la main-d’œuvre, tous secteurs confondus, dans les régions sahariennes maghrébines, peu peuplées alors, mais devenues cependant essentielles en raison de leurs richesses minières (pétrole, fer, phosphate, or, uranium) et de leur profondeur stratégique. Ces régions ont connu de ce fait un développement et une urbanisation exceptionnels impulsés par des États soucieux de quadriller des territoires devenus stratégiques et souvent objets de litiges. Cette émigration s’est étendue à tout le Sahel à mesure du développement et du désenclavement de ces régions sahariennes où ont fini par émerger d’importants pôles urbains et de développement, construits essentiellement par des Subsahariens. Ceux-ci y résident et, quand ils n’y sont pas majoritaires, forment de très fortes minorités qui font de ces villes sahariennes de véritables « tours de Babel » africaines.

      À partir de cette matrice saharienne, cette immigration s’est diffusée graduellement au nord, tout en demeurant prépondérante au Sahara, jusqu’aux villes littorales où elle s’est intégrée à tous les secteurs sans exception : des services à l’agriculture et à la domesticité, en passant par le bâtiment. Ce secteur est en effet en pleine expansion et connait une tension globale en main-d’œuvre qualifiée, en plus des pénuries ponctuelles ou locales au gré de la fluctuation des chantiers. Ses plus petites entreprises notamment ont recours aux Subsahariens, nombreux à avoir les qualifications requises. Même chose pour l’agriculture dont l’activité est pour une part saisonnière alors que les campagnes se vident, dans un Maghreb de plus en plus urbanisé.

      On retrouve dorénavant ces populations dans d’autres secteurs importants comme le tourisme au Maroc et en Tunisie où après les chantiers de construction touristiques, elles sont recrutées dans les travaux ponctuels d’entretien ou de service, ou pour effectuer des tâches pénibles et invisibles comme la plonge. Elles sont également présentes dans d’autres activités caractérisées par l’informel, la flexibilité et la précarité comme la domesticité et certaines activités artisanales ou de service.
      Ambivalence et duplicité

      Mais c’est par la duplicité que les pouvoirs maghrébins font face à cette migration de travail tolérée, voire sollicitée, mais jamais reconnue et maintenue dans un état de précarité favorisant sa réversibilité. C’est sur les hauteurs prisées d’Alger qu’on la retrouve. C’est là qu’elle construit les villas des nouveaux arrivants de la nomenklatura, mais c’est là aussi qu’on la rafle. C’est dans les familles maghrébines aisées qu’est employée la domestique noire africaine, choisie pour sa francophonie, marqueur culturel des élites dirigeantes. On la retrouve dans le bassin algéro-tunisien du bas Sahara là où se cultivent les précieuses dattes Deglet Nour, exportées par les puissants groupes agrolimentaires. Dans le cœur battant du tourisme marocain à Marrakech et ses arrière-pays et dans les périmètres irrigués marocains destinés à l’exportation. À Nouadhibou, cœur et capitale de l’économie mauritanienne où elle constitue un tiers de la population. Et au Sahara, obsession territoriale de tous les régimes maghrébins, dans ces pôles d’urbanisation et de développement conçus par chacun des pays maghrébins comme des postes avancés de leur nationalisme, mais qui, paradoxalement, doivent leur viabilité à une forte présence subsaharienne. En Libye, dont l’économie rentière dépend totalement de l’immigration, où les Subsahariens ont toujours été explicitement sollicités, mais pourtant en permanence stigmatisés et régulièrement refoulés.

      Enfin, parmi les milliers d’étudiants subsahariens captés par un marché de l’enseignement supérieur qui en a fait sa cible, notamment au Maroc et en Tunisie et qui, maitrisant mieux le français ou l’anglais, deviennent des recrues pour les services informatiques, la communication, la comptabilité du secteur privé national ou des multinationales et les centres d’appel.
      Un enjeu national

      Entre la reconnaissance de leur utilité et le refus d’admettre une installation durable de ces populations, les autorités maghrébines alternent des phases de tolérance et de répression, ou de maintien dans les espaces de marge, en l’occurrence au Sahara.

      La négation de la réalité de l’immigration subsaharienne par les pays maghrébins ne s’explique pas seulement par le refus de donner des droits juridiques et sociaux auxquels obligerait une reconnaissance, ni par les considérations économiques, d’autant que la vie économique et sociale reste régie par l’informel au Maghreb. Cette négation se légitime aussi du besoin de faire face à une volonté de l’Europe d’amener les pays du Maghreb à assumer, à sa place, les fonctions policières et humanitaires d’accueil et de régulation d’une part d’exilés dont ils ne sont pas toujours destinataires. Mais le véritable motif consiste à éviter de poser la question de la présence de ces migrants sur le terrain du droit. C’est encore plus vrai pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. Reconnaître des droits aux réfugiés, mais surtout reconnaitre leur présence au nom des droits humains pose en soi la question de ces droits, souvent non reconnus dans le cadre national. Tous les pays maghrébins ont signé la convention de Genève et accueilli des antennes locales du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), mais aucun d’entre eux n’a voulu reconnaître en tant que tels des immigrés subsahariens qui ont pourtant obtenu le statut de réfugié auprès de ces antennes.

      En 2013, entre la pression d’une société civile galvanisée par le Mouvement du 20 février et le désir du Palais de projeter une influence en Afrique pour obtenir des soutiens à sa position sur le Sahara occidental, le Maroc avait promulgué une loi qui a permis temporairement de régulariser quelques dizaines de milliers de migrants. Elle devait aboutir à la promulgation d’un statut national du droit d’asile qui n’a finalement pas vu le jour. Un tel statut, fondé sur le principe de la protection contre la persécution de la liberté d’opinion, protègerait également les citoyens maghrébins eux-mêmes. Or, c’est l’absence d’un tel statut qui a permis à la Tunisie de livrer à l’Algérie l’opposant Slimane Bouhafs, malgré sa qualité de réfugié reconnue par l’antenne locale du HCR. C’est cette même lacune qui menace son compatriote, Zaki Hannache, de connaître le même sort.

      https://orientxxi.info/magazine/immigres-subsahariens-boucs-emissaires-pour-faire-oublier-l-hemorragie,6

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    • Tunisie : Pas un lieu sûr pour les migrants et réfugiés africains noirs

      Des forces de sécurité maltraitent des migrants ; l’Union européenne devrait suspendre son soutien au contrôle des migrations

      - La police, l’armée et la garde nationale tunisiennes, y compris les garde-côtes, ont commis de graves abus à l’encontre de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile africains noirs.
      - Pour les Africains noirs, la Tunisie n’est ni un lieu sûr pour le débarquement de ressortissants de pays tiers interceptés ou sauvés en mer, ni un « pays tiers sûr » pour les transferts de demandeurs d’asile.
      - La Tunisie devrait mener des réformes de façon à respecter les droits humains et mettre fin à la discrimination raciale. L’Union européenne devrait suspendre le financement des forces de sécurité destiné au contrôle des migrations, et fixer des critères de référence en matière de droits humains auxquels conditionner son soutien futur.

      La police, l’armée et la garde nationale tunisiennes, y compris les garde-côtes, ont commis de graves abus à l’encontre de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile africains noirs, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Parmi les abus documentés figurent des passages à tabac, le recours à une force excessive, certains cas de torture, des arrestations et détentions arbitraires, des expulsions collectives, des actions dangereuses en mer, des évictions forcées, ainsi que des vols d’argent et d’effets personnels.

      Pourtant, le 16 juillet, l’Union européenne (UE) a annoncé la signature d’un protocole d’accord avec la Tunisie, portant sur un nouveau « partenariat stratégique » et un financement allant jusqu’à un milliard d’euros, dont 105 millions d’euros sont destinés à « la gestion des frontières, [...] des opérations de recherche et sauvetage, […] la lutte contre le trafic de migrants et [...] la politique de retour ». Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a souligné que le partenariat porterait notamment sur « le renforcement des efforts visant à mettre un terme à la migration clandestine ». Le protocole d’accord, qui doit être formellement approuvé par les États membres de l’UE, ne prévoit aucune garantie sérieuse que les autorités tunisiennes empêcheront les violations des droits des migrants et des demandeurs d’asile, et que le soutien financier ou matériel de l’UE ne parviendra pas à des entités responsables de violations des droits humains.

      « Les autorités tunisiennes ont maltraité des étrangers africains noirs, alimenté des attitudes racistes et xénophobes, et renvoyé de force des personnes fuyant par bateau qui risquent de subir de graves préjudices en Tunisie », a déclaré Lauren Seibert, chercheuse au sein de la division Droits des réfugiés et migrants de Human Rights Watch. « En finançant les forces de sécurité qui commettent des abus lors de contrôles migratoires, l’UE partage la responsabilité de la souffrance des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile en Tunisie ».

      Au total, entre 2015 et 2022, l’UE a consacré à la Tunisie entre 93 et 178 millions d’euros pour des objectifs liés aux migrations, dont une partie a renforcé et équipé les forces de sécurité afin de prévenir les migrations irrégulières et d’arrêter les bateaux à destination de l’Europe. L’UE devrait suspendre le financement des forces de sécurité tunisiennes destiné au contrôle des migrations et soumettre tout nouveau soutien à des critères clairs en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Les États membres de l’UE devraient suspendre leur soutien à la gestion des migrations et des frontières dans le cadre du protocole d’accord récemment signé avec la Tunisie, jusqu’à ce qu’une évaluation approfondie de son impact sur les droits humains soit réalisée.

      Outre les abus attestés des forces de sécurité, les autorités tunisiennes n’ont pas assuré de manière adéquate une protection, une justice ou un soutien aux nombreuses victimes d’évictions forcées et d’attaques racistes, et ont même parfois bloqué ces efforts. C’est pourquoi, pour les Africains noirs, la Tunisie n’est ni un lieu sûr pour le débarquement de ressortissants de pays tiers interceptées ou sauvées en mer, ni un « pays tiers sûr » pour les transferts de demandeurs d’asile.

      Depuis mars, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques et en personne avec 24 personnes — 22 hommes, ainsi qu’une femme et une fille — qui vivaient en Tunisie, dont 19 migrant·e·s, quatre demandeur·euse·s d’asile et un réfugié, originaires du Sénégal, du Mali, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, de la Sierra Leone, du Cameroun et du Soudan. Dix-neuf personnes étaient entrées en Tunisie entre 2017 et 2022 : douze de manière irrégulière et sept de manière régulière. Pour cinq personnes interrogées, la date et le mode d’entrée n’étaient pas connus. Certaines des personnes interrogées ne sont pas nommées pour des raisons de sécurité ou à leur demande.

      Human Rights Watch a également mené des entretiens avec quatre représentants de groupes de la société civile en Tunisie — le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), Avocats sans frontières (ASF), EuroMed Rights et Alarm Phone, un réseau de lignes téléphoniques d’urgence —, ainsi qu’un volontaire qui a aidé des réfugiés à Tunis ; Elizia Volkmann, journaliste basée à Tunis ; et Monica Marks, professeure d’université et spécialiste de la Tunisie. Tous les sept avaient interrogé ou aidé des dizaines de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés en Tunisie, et étaient informés des cas d’abus commis par la police ou les garde-côtes ou les avaient documentés.

      Parmi les migrants, demandeurs d’asile et réfugiés interrogés, neuf étaient rentrés dans leur pays à bord de vols de rapatriement d’urgence en mars, tandis que huit étaient restés à Tunis, la capitale tunisienne, ou à Sfax, une ville portuaire située au sud-est de Tunis. Sept d’entre eux faisaient partie des quelque 1 200 Africains noirs expulsés ou transférés de force par les forces de sécurité tunisiennes aux frontières terrestres avec la Libye et l’Algérie au début du mois de juillet.

      Au total, 22 personnes interrogées ont été victimes de violations de leurs droits humains commises par les autorités tunisiennes.

      Bien que les violations documentées aient eu lieu entre 2019 et 2023, elles se sont majoritairement produites après que le président Kais Saied, en février 2023, a ordonné aux forces de sécurité de réprimer la migration irrégulière, associant les migrants africains sans papiers à la criminalité et à un « complot » visant à modifier la structure démographique de la Tunisie. Le discours du président, qualifié de raciste par les experts des Nations Unies, a été suivi d’un déferlement de discours de haine, de discrimination et d’agressions.

      Quinze personnes interrogées ont déclaré avoir subi des violences de la part de la police, de l’armée ou de la garde nationale y compris des garde-côtes. Parmi ces personnes figurent un réfugié et un demandeur d’asile qui ont été battus et ont reçu des décharges électriques lors de leur détention par la police à Tunis. Cinq personnes ont déclaré que les autorités avaient confisqué leur argent ou leurs effets personnels et ne les leur avaient jamais rendus.

      Les sept personnes interrogées expulsées vers les zones frontalières en juillet ont déclaré que l’armée et la garde nationale les avaient laissées dans le désert avec des quantités insuffisantes de nourriture et d’eau. Si certaines ont été réinstallées en Tunisie une semaine plus tard par les autorités tunisiennes, d’autres avaient encore besoin d’aide ou étaient portés disparus.

      Au moins neuf personnes interrogées ont été arrêtées et détenues arbitrairement par la police à Tunis, Ariana et Sfax, apparemment au faciès, en raison de leur couleur de peau. Ces personnes ont déclaré que les policiers n’avaient pas vérifié leurs papiers avant de les arrêter et que, dans la plupart des cas, ils n’avaient pas procédé à une évaluation individuelle de leur statut légal et ne leur avaient pas permis de contester leur arrestation.

      Un Malien de 31 ans interrogé avait une carte de séjour valide lorsque la police l’a arrêté arbitrairement à la mi-2022 à Ariana. « Ils ne m’ont pas demandé si j’avais des documents ou non », a-t-il déclaré. « Mon ami a été arrêté avec moi [...], [c’est] un militaire guinéen venu en Tunisie pour se faire soigner. Il avait un passeport avec un cachet d’entrée [valide] ».

      Cinq personnes ont décrit des abus commis pendant ou après des interceptions et des sauvetages en mer près de Sfax, apparemment par la garde nationale maritime, également appelée garde côtière. Il s’agit notamment de passages à tabac, de vols, de l’abandon d’un bateau à la dérive sans moteur, du renversement d’un bateau, d’insultes et de crachats à l’encontre des survivants.

      Trois représentants de groupes de la société civile interrogés ont également décrit les pratiques de plus en plus problématiques des garde-côtes depuis 2022, notamment des passages à tabac, l’utilisation dangereuse de gaz lacrymogènes, des tirs en l’air, le fait de prendre ou d’endommager les moteurs des bateaux et de laisser les gens bloqués en mer, la création de vagues qui font chavirer les bateaux, des retards dans les sauvetages, et des vols d’argent et de téléphones.

      Human Rights Watch a écrit aux ministères tunisiens des Affaires étrangères et de l’Intérieur le 28 juin pour leur faire part des résultats de ses recherches et leur poser des questions, mais n’a reçu aucune réponse.

      Outre les abus des forces de sécurité, au moins 12 hommes interrogés ont déclaré avoir été victimes d’abus de la part de civils tunisiens : parmi eux, dix ont été agressés ou victimes de vols, et cinq ont été victimes d’évictions forcées par des propriétaires civils. Hormis deux de ces incidents, tous se sont produits après le discours de février du président Saeid.

      Dans les mois qui ont suivi ce discours, et dans le contexte de la détérioration de la situation économique de la Tunisie, de l’aggravation de la répression et de la violence xénophobe, et de l’augmentation des départs de bateaux et des décès en mer, plus d’une dizaine de responsables européens se sont rendues en Tunisie pour discuter d’économie, de sécurité et de migration avec des responsables politiques tunisiens. Le ministre de l’Intérieur allemand a évoqué l’importance des « droits humains des réfugiés » et la « création de voies d’immigration légales », mais peu d’autres ont mentionné publiquement les préoccupations en matière de droits humains. Le ministre de l’Intérieur français a déclaré que la France offrirait à la Tunisie 25,8 millions d’euros pour l’aider à « contenir le flux irrégulier de migrants ».

      Des millions d’euros de financements de l’UE et de financements bilatéraux — notamment de la part de l’Italie — ont déjà permis de soutenir, d’équiper et de former les garde-côtes tunisiens, les « forces de sécurité intérieure » et les « institutions de gestion des frontières terrestres ».

      L’« externalisation » des frontières, qui consiste à empêcher les arrivées irrégulières en confiant les contrôles migratoires à des pays tiers, est devenue un élément central de la réponse de l’UE aux migrations mixtes et a donné lieu à des violations flagrantes des droits humains. De plus, le soutien aux forces de sécurité qui commettent des abus ne fait qu’exacerber les violations des droits humains qui sont à l’origine des migrations.

      « L’UE et le gouvernement tunisien devraient réorienter fondamentalement leur manière d’aborder les défis migratoires », a déclaré Lauren Seibert. « Le contrôle des frontières ne justifie aucunement que les droits soient bafoués et les responsabilités en matière de protection internationale ignorées ».

      Contexte des migrations et de la situation des réfugiés en Tunisie

      La Tunisie est un pays d’origine, de destination et de transit pour les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile. Au premier semestre 2023, elle a dépassé la Libye comme point de départ des bateaux accostant en Italie. Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), sur les 69 599 personnes arrivées en Italie entre le 1er janvier et le 9 juillet par la mer Méditerranée, 37 720 étaient parties de Tunisie, 28 558 de Libye, et les autres de Turquie et d’Algérie.

      Les pays d’origine les plus courants pour les personnes arrivant en Italie étaient, par ordre décroissant, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, la Guinée, le Pakistan, le Bangladesh, la Tunisie, la Syrie, le Burkina Faso, le Cameroun et le Mali. Le Cameroun, le Burkina Faso, le Mali et la Guinée ont été confrontés ces dernières années à des violations généralisées des droits humains liées à des conflits, à des coups d’État ou à des mesures de répression gouvernementales.

      Selon une estimation officielle datant de 2021, 21 000 étrangers originaires de pays africains non maghrébins se trouvent en Tunisie, dont la population est de 12 millions d’habitants. Depuis janvier, le pays a accueilli 9 000 réfugiés et demandeurs d’asile enregistrés. La Tunisie est un État partie aux Conventions des Nations Unies et de l’Afrique relatives au statut des réfugiés, et sa Constitution prévoit le droit à l’asile politique. Cependant, elle ne dispose pas d’une loi ou d’un système national d’asile. C’est le HCR qui effectue l’enregistrement des réfugiés et détermine leur statut.

      Bien que les normes internationales en matière de droits humains découragent la criminalisation de la migration irrégulière, les lois tunisiennes datant de 1968 et de 2004 criminalisent l’entrée, le séjour et la sortie irréguliers d’étrangers, ainsi que l’organisation ou l’aide à l’entrée ou à la sortie irrégulières, sanctionnées par des peines d’emprisonnement et des amendes. La Tunisie n’a pas de base légale explicite pour la détention administrative des immigrants, mais de nombreuses organisations ont documenté des cas de détention arbitraire de migrants africains. Pour plusieurs nationalités africaines, la Tunisie autorise les séjours de 90 jours sans visa avec tampon d’entrée, mais l’obtention d’une carte de séjour peut se révéler difficile.

      Selon le FTDES (un forum non gouvernemental), entre janvier et mai 2023, les autorités tunisiennes ont arrêté plus de 3 500 migrants pour « séjour irrégulier » et intercepté plus de 23 000 personnes tentant de quitter la Tunisie de manière irrégulière. Romdhane Ben Amor, porte-parole du FTDES, a déclaré à Human Rights Watch que la plupart des arrestations de migrants enregistrées ont eu lieu aux abords de la frontière algérienne, mais qu’après le discours du président, des centaines d’entre elles ont également eu lieu à Tunis, à Sfax et dans d’autres villes.

      Expulsions collectives aux frontières avec la Libye et l’Algérie

      Entre le 2 et le 5 juillet 2023, la police, la garde nationale et l’armée tunisiennes ont mené des raids à Sfax et dans ses environs, arrêtant arbitrairement des centaines d’étrangers africains noirs de nombreuses nationalités, en situation régulière ou irrégulière. La garde nationale et l’armée ont expulsé ou transféré de force, sans aucun respect des procédures légales, jusqu’à 1 200 personnes, réparties en plusieurs groupes, vers les frontières libyenne et algérienne.

      Selon cinq personnes interrogées qui ont été expulsées, les autorités ont conduit environ 600 à 700 personnes vers le sud jusqu’à la frontière libyenne, non loin de la ville de Ben Guerdane. Elles en ont conduit des centaines d’autres vers l’ouest, à divers endroits le long de la frontière algérienne, dans les gouvernorats de Tozeur, Gafsa et Kasserine, selon deux personnes expulsées, des représentants des Nations Unies, le FTDES et le réseau Alarm Phone.

      Parmi les centaines de personnes expulsées vers une zone éloignée et militarisée située à la frontière entre la Tunisie et la Libye, se trouvaient au moins 29 enfants et trois femmes enceintes. Au moins six d’entre elles étaient des demandeurs d’asile enregistrés auprès du HCR. Les personnes interrogées ont déclaré avoir été battues et agressées par des membres de la garde nationale ou des militaires pendant leur expulsion ; une jeune fille de 16 ans, notamment, a affirmé avoir été agressée sexuellement. Ces personnes ont ajouté que les agents de sécurité avaient jeté leur nourriture, détruit leurs téléphones et les avaient laissées dans une zone d’où, repoussées par les forces de sécurité des deux pays, elles ne pouvaient ni entrer en Libye ni retourner en Tunisie. Elles ont fourni les positions GPS des endroits où elles se trouvaient du 2 au 4 juillet, ainsi que des vidéos et des photos des personnes expulsées, de leurs blessures, des téléphones brisés, des passeports, des cartes consulaires et des cartes de demandeur d’asile.

      Le 7 juillet, Human Rights Watch a interrogé deux personnes qui avaient été expulsées ou transférées de force vers ou près de la frontière algérienne les 4 et 5 juillet. Elles se trouvaient dans deux groupes différents totalisant 15 personnes dont sept femmes — y compris deux femmes enceintes — et un enfant. Selon leurs dires, elles ont été transportées depuis Sfax dans des bus, forcées de marcher dans le désert sans nourriture ni eau suffisantes, et repoussées par les forces de sécurité algériennes et tunisiennes. Une demandeuse d’asile guinéenne a communiqué la position GPS de son groupe, dans le gouvernorat de Gafsa, tandis qu’un Ivoirien a partagé la position du sien, dans le gouvernorat de Kasserine. Ils ont également fourni des vidéos de leurs groupes marchant dans le désert.

      Dans une déclaration du 8 juillet, le président Saied a qualifié les accusations d’abus commis par les forces de sécurité à l’encontre des migrants de « mensonges » et de « fausses informations ». Le week-end du 8 juillet, les équipes du Croissant-Rouge tunisien ont fourni de la nourriture, de l’eau et une aide médicale à quelques migrants qui se trouvaient aux frontières de l’Algérie et de la Libye, ou à proximité. Il s’agit du seul groupe d’aide humanitaire que les autorités tunisiennes ont autorisé à pénétrer dans la zone frontalière avec la Libye.

      Le 10 juillet, les autorités tunisiennes ont finalement transféré plus de 600 personnes de la frontière libyenne vers des abris de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et d’autres installations à Ben Guerdane, Medenine et Tataouine, selon des représentants des Nations Unies et un Ivoirien qui se trouvait parmi les personnes emmenées à Medenine, qui a fourni sa localisation. Cependant, le 11 juillet, Human Rights Watch s’est entretenu avec deux migrants affirmant qu’ils faisaient partie d’un groupe de plus de cent personnes expulsées toujours bloquées à la frontière libyenne. Ils ont fourni des vidéos et leur localisation.
      Des migrant·e·s aux deux frontières ont déclaré à Human Rights Watch et à d’autres que plusieurs avaient péri ou avaient été tués à la suite d’une expulsion, bien que Human Rights Watch n’ait pas pu confirmer leurs récits de manière indépendante. Le 11 juillet, l’Agence France-Presse a indiqué que les corps de deux migrants avaient été retrouvés dans le désert près de la frontière entre la Tunisie et l’Algérie. Al Jazeera, qui s’est rendu à plusieurs reprises dans la zone frontalière entre la Tunisie et la Libye, a publié des images du 11 juillet montrant deux groupes de migrant·e·s africain·e·s toujours bloqué·e·s — plus de 150 personnes au total — et le corps d’un migrant décédé.

      La Tunisie est un État partie à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ; à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui interdit les expulsions collectives ; ainsi qu’aux Conventions des Nations Unies et de l’Afrique relatives au statut des réfugiés, à la Convention contre la torture et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui interdisent les retours forcés ou les expulsions vers des pays où les personnes risquent d’être torturées, de voir leur vie ou leur liberté menacées, ou de subir d’autres préjudices graves.

      Abus commis par la police

      Outre les personnes expulsées, onze personnes interrogées ont été victimes d’abus de la part de la police à Tunis, à Sfax, à Ariana et dans une ville proche de la frontière algérienne ; parmi celles-ci, au moins huit ont subi des violences. Deux ont déclaré que la police les avait expulsées de force de leur logement. Sept ont fait état d’insultes racistes de la part de la police et l’une d’entre elles a été menacée de mort.

      Sidy Mbaye, un Sénégalais de 25 ans rapatrié en mars, était entré en Tunisie de manière irrégulière en 2021 et travaillait comme vendeur ambulant. Il a décrit les abus commis par la police à Tunis :

      [Le 25 février], je suis allé en ville pour vendre des téléphones, des T-shirts et des tissus au marché [...]. Trois policiers se sont approchés de moi et m’ont demandé ma nationalité. Ils ont dit : « Tu as entendu ce que le président a dit ? Tu dois partir [...] ». Ils ne m’ont demandé aucun document. Ils ont pris toute ma marchandise [...]. J’ai [résisté] [...] ils m’ont durement battu, me donnant des coups de poing et me frappant avec des matraques. Du sang coulait de mon nez [...].

      Ils m’ont emmené au poste de police, m’ont mis dans une cellule et ont continué à me frapper et à m’insulter [...]. Ils ont dit quelque chose sur le fait que j’étais noir [...]. Ils ne m’ont toujours pas demandé de documents. J’y ai passé une journée. Je refusais de partir parce que je voulais récupérer mes affaires, mais j’ai fini par partir. Ils m’ont menacé et m’ont dit : « Si tu reviens et que tu vends encore ces choses, on va te tuer. Quittez le pays immédiatement ». [...] Là où je vivais avec cinq autres Sénégalais, le propriétaire était un policier [...] En revenant, nous avons trouvé nos affaires dehors.

      Papi Sakho, un Sénégalais de 29 ans qui est venu à Tunis de manière irrégulière pour travailler, a été victime de violences et d’une éviction forcée par la police avant d’être rapatrié, en mars :

      Fin février [...], cinq officiers de police sont venus [...]. Nous étions quatre en train de travailler au garage-lavage, moi, deux Gambiens et un Ivoirien. [...] Ils ne nous ont pas demandé nos papiers [...]. Ils nous criaient dessus, nous insultaient [...] Ils m’ont battu durement avec des matraques [...]. L’Ivoirien était blessé et saignait [...] ils ont fermé notre garage [...]. Et c’est nous qui lavions habituellement leurs voitures de police !

      La police nous a alors conduits à notre logement et a averti le propriétaire que nous n’avions plus le droit d’y rester. [...]. Ils ont pris nos bagages et les ont mis dehors [...]. Mon passeport est resté à l’intérieur. La police a pris mes deux téléphones [...]. Les autres m’ont dit que la police avait pris une partie de leur argent.

      Moussa Baldé, mécanicien sénégalais de 30 ans, a déclaré être arrivé en Tunisie en 2021 avec un visa de travail. Il s’est rendu à Tunis en février 2023 pour acheter des pièces détachées. « Un policier a arrêté mon taxi, m’a fait descendre et m’a poussé. Il m’a dit : “Tu es noir, tu n’as pas le droit d’être ici [...]”. Il ne m’a pas demandé mes papiers, il m’a juste indexé à cause de la couleur de ma peau. [Au poste de police,] deux policiers m’ont donné des coups de poing et m’ont frappé. Ils ne m’ont donné à manger qu’une seule fois pendant les deux jours [de détention], et j’ai dormi par terre ». La police ne lui a posé aucune question sur son statut juridique. « Ils m’ont dit : “Nous allons te libérer, mais tu dois quitter le pays” ».

      Abdoulaye Ba, 27 ans, également originaire du Sénégal, vivait à Tunis depuis 2022. En février 2023, la police est venue sur le chantier où il travaillait et a arrêté au moins dix travailleurs, certains avec papiers et certains sans papiers, originaires d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale :

      Il y avait des Tunisiens et des Marocains, mais ils n’ont arrêté que des personnes à la peau noire. Ils nous ont demandé de quel pays nous venions mais n’ont pas demandé nos papiers [...]. Nous avons résisté à l’arrestation et une partie de la ville est sortie [...] et nous jetait des pierres [...]. La police nous a frappés avec des matraques [...] Ils nous ont emmenés dans un poste de police à Tunis et nous ont détenus pendant cinq heures, sans demander à voir nos papiers [...]. Ils nous ont ensuite relâchés et nous ont demandé de quitter la Tunisie. [...] La police a également volé mon iPhone 12, et d’autres ont dit que la police avait pris leur argent.

      Un Malien de 24 ans sans papiers a déclaré qu’avant son rapatriement en mars, il travaillait dans un restaurant à Tunis. En février, la police l’a arrêté alors qu’il rentrait du travail avec un autre Malien, mais n’a procédé à aucune vérification légale. Il a raconté :

      Ils ne m’ont pas demandé mes papiers [...]. S’ils voient un Noir, ils le prennent et l’emmènent dans leur voiture. Pendant l’arrestation, des Tunisiens regardaient et criaient : « Vous, les Noirs, vous devez partir… ». La police a pris l’argent [de mon ami] [...], environ 600 dinars [...]. Ils nous ont gardés pendant quatre jours [au poste de police]. [...] Nous dormions par terre [...]. Ils ne nous donnaient que du pain et de l’eau deux fois par jour. [...] [...] Nous avons trouvé une centaine d’Africains [détenus] là-bas [...]. Ils nous considéraient comme si nous n’étions pas des humains.

      Un Camerounais de 24 ans vivant à Sfax sans papiers a déclaré qu’à plusieurs reprises, début 2023, la police avait fait des descentes dans la maison qu’il partageait avec plusieurs migrants et avait pris leurs téléphones et leur argent.

      Les abus commis par la police ne datent pas seulement de 2023. Un Malien de 31 ans a déclaré qu’en décembre 2021, un groupe de 6 à 8 policiers l’avait trouvé endormi dans une gare et l’avait agressé avant de l’arrêter pour entrée irrégulière, dans une ville proche de la frontière algérienne : « Ils m’ont frappé à plusieurs reprises avec leurs matraques, jusqu’à ce que je tombe, puis ils m’ont donné des coups de pied ».

      Un Malien de 32 ans, rapatrié en mars, a déclaré que la police de Sfax lui avait pris deux de ses téléphones à la mi-2022, en plus de l’argent que transportait son ami. « Les policiers, s’ils voient une personne noire avec un petit sac, ils fouillent le sac. Lorsqu’ils trouvent de l’argent [ou des objets de valeur], ils le prennent », a-t-il témoigné.

      Répression policière contre des réfugiés participant à des manifestations

      Après le discours du président Saeid un grand nombre de réfugiés, de demandeurs d’asile et d’autres personnes devenues sans abri à la suite d’évictions ou craignant pour leur sécurité ont campé devant les bureaux du HCR et de l’OIM au Lac 1, à Tunis. Parmi les personnes qui se trouvaient devant le HCR, certaines ont barricadé la zone et ont commencé à protester. Le 11 avril, après l’entrée de force de plusieurs personnes dans une partie des locaux du HCR, la police est arrivée pour disperser le camp. La police a fait usage de gaz lacrymogènes et de la force, et certaines personnes ont jeté des pierres sur des voitures ou la police.

      « En réaction, la police a fait un usage disproportionné de la violence [...], en particulier compte tenu du fait que des personnes vulnérables se trouvaient là, ainsi que des familles et des jeunes enfants », a déclaré Elizia Volkmann, une journaliste qui s’est rendue sur les lieux plus tard dans la journée. Human Rights Watch a écouté un entretien enregistré par Elizia Volkmann le 11 avril avec un témoin des événements, qui a déclaré avoir vu la police gifler une Soudanaise avant que la situation ne dégénère, et que la police avait battu les gens avec des bâtons et tiré « de nombreux coups de gaz lacrymogène ».

      Un demandeur d’asile soudanais, qui campait devant le bureau du HCR depuis novembre 2022, a déclaré à Human Rights Watch que lui et d’autres avaient barricadé la zone pour se protéger, et que le 10 avril, ils étaient entrés dans les locaux du HCR « pour boire de l’eau et utiliser les toilettes ». Selon ses dires, le 11 avril, « C’est la police qui a commencé les violences. Ils [...] sont venus et ont tiré des gaz [lacrymogènes] sur nous. Et c’était la première fois que les policiers nous jetaient des pierres — j’ai vu deux d’entre eux le faire ». Il a raconté avoir ensuite vu des personnes jeter à leur tour des pierres sur la police. Il a précisé qu’après avoir fui la zone, lui et d’autres ont été battus et arrêtés dans la rue par la police.

      La police a d’abord placé 80 à 100 personnes — dont des femmes et des enfants — en garde à vue au poste de police de Lac 1 et détruit le camp. Plus tard dans la journée, ils ont libéré le demandeur d’asile soudanais, entre autres, mais selon un représentant d’Avocats sans frontières (ASF), ils ont transféré 31 hommes à la prison de Mornaguia au titre de divers chefs d’accusation, notamment pour désobéissance et agression. ASF a fourni une assistance juridique aux accusés, qui ont été libérés fin avril, les charges ayant été abandonnées pour la moitié du groupe et l’autre moitié étant en attente d’une audience en septembre, a déclaré le représentant d’ASF.

      Un demandeur d’asile sierra-léonais, qui campait devant l’OIM et le HCR depuis son expulsion de son appartement en février, figurait parmi les personnes arrêtées. Human Rights Watch a examiné un document officiel confirmant sa libération de la prison de Mornaguia fin avril. Lors de la répression du camp le 11 avril, il a déclaré avoir « vu un [demandeur d’asile] libérien se faire battre par la police [...] il y avait tellement de sang ». Il affirme ne pas avoir participé à des actes de violence, mais a enregistré des vidéos et passé des appels téléphoniques. Il a raconté que la police l’avait attrapé, arrêté et torturé en détention :

      Dans le véhicule de police, un [agent] a commencé à m’étrangler pour me forcer à ouvrir mon téléphone. [...] Ils m’ont emmené au poste de police de Lac 1. Ils ont séparé trois d’entre nous, moi, un [demandeur d’asile] sierra-léonais et le Libérien [blessé] [...].

      [Ils] nous ont placé dans une pièce non ouverte au public, où ils nous ont torturés. Deux [agents en uniforme] ont utilisé [...] un bâton en bois [...] pour nous frapper à la tête, aux chevilles, là où se trouvent les os [...]. Deux [autres agents en uniforme] nous ont transmis des chocs électriques avec des appareils comme des tasers [...]. Un [homme en civil] [...] m’a dit en anglais : « Vous [...]dites que la Tunisie n’est pas sûre [...]. Vous êtes des putains d’immigrés et de réfugiés, vous voulez gâcher notre image » [...] ». Les autres policiers nous ont insultés en arabe [...]. Ils nous ont torturés [...] pendant environ 45 minutes.

      Un réfugié soudanais a également déclaré à Human Rights Watch avoir été battu et avoir reçu des chocs électriques au poste de police de Lac 1, avant d’être transféré à la prison de Mornaguia.

      Un Tunisois qui a aidé plusieurs hommes à obtenir une aide médicale après leur libération de la prison de Mornaguia en mai, a déclaré que deux réfugiés, un Érythréen et un Centrafricain, avaient fait état de l’usage d’armes électriques, telles que des tasers, par la police à leur encontre lors de leur arrestation. Selon ses dires, deux réfugiés érythréens lui avaient également raconté qu’au poste de Lac 1, « la police les [avait] battus [...] hors du champ de la caméra ».

      Le demandeur d’asile soudanais qui a été détenu puis relâché le même jour a déclaré avoir vu plusieurs détenus africains emmenés dans une autre pièce du commissariat et les avoir entendus pleurer de douleur ; plus tard, certains lui ont dit que la police avait utilisé des appareils pour leur administrer des chocs électriques. Les violences policières l’ont convaincu de quitter la Tunisie : « Je demande à des personnes que je connais de m’aider à traverser la mer, à m’éloigner de ce pays ».

      Abus des garde-côtes et interceptions en mer

      Sur les six personnes interrogées par Human Rights Watch qui avaient tenté une ou plusieurs traversées en bateau vers l’Europe, cinq avaient subi des retours forcés de leurs bateaux. De telles mesures de rétention ou de retour forcé des personnes, appelées « pullbacks » en anglais – des actions des autorités visant à empêcher les gens de quitter un pays en dehors des points de passage officiels de la frontière, y compris les retours forcés de bateaux en partance – peuvent constituer une atteinte au droit des personnes à demander l’asile et à quitter tout pays, qu’il s’agisse du leur ou d’un autre, et les piéger dans des situations abusives.

      Cinq personnes interrogées ont également décrit des abus commis par les autorités tunisiennes près de Sfax entre 2019 et 2023, pendant ou après des interceptions en mer (quatre personnes) ou des sauvetages (une personne).

      Salif Keita, un Malien de 28 ans rapatrié en mars, a déclaré avoir tenté une traversée en bateau depuis Sfax en 2019. « Les garde-côtes nationaux ont pris notre moteur et nous ont laissés bloqués en mer », a-t-il relaté. « Nous avons dû casser des morceaux de bois du bateau [...] pour revenir en pagayant ».

      Un Ivoirien de Sfax a tenté un voyage en mer en janvier 2022. Il a déclaré que les garde-côtes avaient intercepté le bateau et avaient frappé les passagers à coups de bâton. Pendant qu’il était en mer, il a également vu un bateau de migrants, qui transportait également des enfants, renversé par des vagues que provoquait un bateau des garde-côtes.

      Un Malien de 32 ans avait également tenté un voyage en mer. Il était entré régulièrement en Tunisie, mais son tampon d’entrée avait expiré. Ne pouvant obtenir de carte de séjour, il a embarqué en décembre 2021 près de Sfax, sur un bateau qui transportait une cinquantaine d’Africains de l’Ouest et du Centre. Les autorités les ont interceptés dans les 15 minutes qui ont suivi leur départ. Il a raconté : « Ils ont pris l’argent ou les téléphones des gens [...]. Ceux qui n’avaient ni l’un ni l’autre, ils ont frappés et insultés. J’ai même vu un [agent] frapper une des femmes [...]. Ils ont pris mon téléphone ».

      Un Camerounais de 24 ans a déclaré qu’en avril 2023, après le retournement de leur bateau près de Sfax, lui et d’autres personnes avaient été secourus par des garde-côtes qui, une fois à terre, s’étaient mis à les insulter, à leur cracher de dessus et à les battre avant de les relâcher.

      Moussa Kamara, un Malien de 28 ans vivant à Sfax, était entré en Tunisie en mai 2022. En décembre 2022, il a embarqué près de Sfax avec environ 25 Africain·e·s de l’Ouest. « Au bout de 30 minutes à peine, les garde-côtes sont arrivés [en positionnant leur bateau à côté du nôtre] et ont dit “Stop !”. Nous ne nous sommes pas arrêtés, alors l’un des gardes a commencé à nous frapper avec un bâton [...]. Ils ont frappé trois hommes, dont moi… Un de mes amis a été blessé ». Les autorités les ont emmenés à Sfax puis les ont relâchés.

      Après cette expérience, Kamara est resté en Tunisie, mais le discours du président Saied et ses conséquences l’ont fait changer d’avis : « J’ai décidé d’essayer encore [un voyage en mer]. Le président nous a dit de quitter le pays. Si je ne pars pas, je ne trouverai pas une maison ou un travail ».

      « Le président a créé un climat d’horreur pour les migrants en Tunisie, si bien que beaucoup se précipitent pour partir », a expliqué Ben Amor, du Forum tunisien, FTDES. « Ces derniers mois, les garde-côtes ont commencé à utiliser des gaz lacrymogènes pour obliger [les bateaux] à s’arrêter [...]. Ils se sont visés sur les migrants qui essaient de les filmer [...] ; ils confisquent les téléphones après chaque opération ».

      Une bénévole d’Alarm Phone à Tunis a déclaré que son équipe avait recueilli des témoignages similaires : « Depuis 2022, il y a des comportements récurrents des garde-côtes tunisiens en attaquant des bateaux[...] ; ils utilisent des bâtons pour frapper les gens, dans certains cas, des gaz lacrymogènes, [...] ils tirent en l’air ou en direction du moteur [...] et parfois [...] ils laissent les gens bloqués [en mer dans des bateaux hors d’usage] ». De nombreuses pratiques de ce type ont été citées dans une déclaration de décembre de plus de 50 groupes en Tunisie, et à nouveau en avril.

      Soutien au contrôle des migrations de l’Union européenne

      Entre 2015 et 2021, l’Union européenne a alloué 93,5 millions d’euros à la Tunisie sur son « Fonds d’affectation spéciale d’urgence pour l’Afrique » (EUTF), qui vise à lutter contre la migration irrégulière, les déplacements et l’instabilité. Ce montant comprend 37,6 millions d’euros destinés à la « gestion des frontières » et à la lutte contre le « trafic de migrants et la traite des êtres humains ». Un document de l’UE de février 2022 indiquait que le financement de la lutte contre le trafic et la traite de migrants « [prévoyait] l’équipement et la formation des agents des forces de sécurité intérieure, ainsi que de la douane tunisienne ».

      Ce document indiquait également que l’UE « désignerait » jusqu’à 85 millions d’euros en tant que somme à allouer à des projets liés à la migration en Tunisie en 2021 et 2022. Il ne précisait pas ce qui avait déjà été dépensé ; cependant, selon un document de l’UE de février 2021, « un programme de soutien très important, financé par l’UE et bénéficiant aux garde-côtes tunisiens, [était] en cours de mise en œuvre ». Sur les 85 millions d’euros, 55 millions auraient pu être alloués au soutien du contrôle des migrations en Tunisie, selon la répartition fournie dans le document de 2022, à savoir : 25 millions d’euros pour la gestion des frontières, y compris le soutien aux garde-côtes ; 6-10 millions d’euros pour le « gouvernance » des migrations et la protection ; 20-25 millions d’euros pour la migration légale et la mobilité du travail ; 12-20 millions d’euro pour la lutte contre le trafic et la traite de migrants ; et 5 millions d’euros pour des retours.

      Le document de 2022 détaille également le soutien bilatéral important apporté à la Tunisie par l’Italie, l’Espagne, la France, l’Allemagne et d’autres États membres de l’UE. En plus de son « fonds pour la coopération migratoire (environ 10 millions d’euros) », l’Italie a fourni des équipements (véhicules, bateaux, etc.) « pour une valeur totale de 138 millions d’euros depuis 2011 », ainsi qu’une « assistance technique liée au contrôle des frontières (2017-2018) [...] pour un total de 12 millions d’euros », qui comprenait un soutien à la police et à la garde nationale tunisiennes. L’Allemagne a également fourni des bateaux et des véhicules, et l’Espagne du matériel informatique.

      Le Programme plurinational 2021 - 2027 sur les migrations pour le voisinage méridional de l’UE, qui englobe la Tunisie, comporte des éléments positifs tels que le soutien à l’élaboration de politiques d’asile, des voies légales de migration et le dialogue avec la société civile, mais il met toujours l’accent sur le soutien aux « mesures répressives » et aux « autorités frontalières et garde-côtes » pour le contrôle des frontières. De plus, les indicateurs de projet sont problématiques, puisqu’ils confondent interceptions et sauvetages en mer (« nombre de migrants interceptés/secourus grâce à des opérations de recherche et de sauvetage en mer » et « sur terre »).

      Les responsables politiques européens ont proposé à plusieurs reprises divers partenariats migratoires à la Tunisie visant notamment à mettre en place des centres de traitement délocalisés et à conclure des accords avec des « pays tiers sûrs », ainsi que des accords susceptibles de permettre le retour des ressortissants de pays tiers ayant transité par la Tunisie.

      Le droit international reconnaît la possibilité de désigner un pays tiers sûr, ce qui permet aux pays d’accueil de transférer des demandeurs d’asile vers un pays de transit ou vers un autre pays qui est en mesure d’examiner équitablement leurs demandes de statut de réfugié et de les protéger de façon adéquate. Les lignes directrices du HCR énumèrent les conditions de ces transferts, y compris le respect des normes du droit des réfugiés et des droits humains et « la protection contre les menaces à leur sécurité physique ou à leur liberté ». La directive sur les procédures d’asile de l’UE exige que les États non-membres de l’UE remplissent des critères spécifiques pour être désignés comme « sûrs », notamment « l’absence de risque de préjudice grave ».

      Compte tenu des abus documentés commis par les forces de sécurité et des attaques xénophobes contre les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés en Tunisie, ainsi que de l’absence d’une loi nationale sur l’asile, il semble que la Tunisie ne réponde pas aux critères de l’UE définissant un pays tiers sûr. Les Africains noirs, en particulier, ne devraient pas être renvoyés ou transférés de force en Tunisie.

      Recommandations

      - Le Parlement européen, dans ses négociations avec le Conseil de l’UE sur le Pacte européen sur la migration et l’asile, devrait chercher à limiter l’utilisation discrétionnaire du concept de « pays tiers sûr » par les différents États membres de l’UE. Les institutions européennes et les États membres devraient convenir de critères clairs pour désigner un pays comme « pays tiers sûr » aux fins du retour ou du transfert de ressortissants de pays tiers, afin de garantir que les États membres de l’UE n’érodent pas les critères de protection dans leur application du concept, et déterminer publiquement si la Tunisie répond à ces critères, en tenant compte des agressions et des abus dont les Africains noirs sont continuellement la cible dans ce pays.
      - L’UE et les États membres concernés devraient suspendre le financement et les autres formes de soutien aux forces de sécurité tunisiennes destinées au contrôle des frontières et de l’immigration, et conditionner toute aide future à des critères vérifiables en matière de droits humains.
      – Le gouvernement tunisien devrait enquêter sur tous les abus signalés à l’encontre des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés commis par les autorités ou les civils ; veiller à ce que les responsables rendent des comptes, notamment par le biais d’actions en justice appropriées ; et mettre en œuvre des réformes et des systèmes de surveillance au sein de la police, de la garde nationale (y compris les garde-côtes) et de l’armée afin de garantir le respect des droits humains, de mettre fin à la discrimination raciale ou à la violence, et de s’abstenir d’attiser la haine raciale ou la discrimination à l’encontre des Africains noirs.

      https://www.hrw.org/fr/news/2023/07/19/tunisie-pas-un-lieu-sur-pour-les-migrants-et-refugies-africains-noirs

      #rapport #HRW #human_rights_watch

    • Von Angst getrieben

      Rassistische Ausschreitungen gegen Schwarze Menschen zwingen immer mehr auf die lebensgefährliche Reise über das Mittelmeer.

      Die Bedingungen, unter denen Schwarze Menschen in Tunesien leben, sind prekär. Insbesondere wenn sie in das Land migriert sind und dort illegalisiert leben, also ohne offiziellen Aufenthaltsstatus und damit meist ohne Zugang zu sozialen Dienstleistungen. Der zunehmend rassistische Diskurs im Land, lässt ihre Situation noch unsicherer werden. Im Herbst 2022 hatte die Nationalistische Partei Tunesiens ihre rassistischen Äußerungen in sozialen Medien massiv verstärkt. Auf ihrer Website spricht sie von „einer Millionen Migranten“ die sich im Land befänden und auf europäisches Geheiß hin vorhätten, das Land zu übernehmen. Die Partei und ihre Hetze spielten bis kürzlich in der politischen Landschaft Tunesiens keine große Rolle. Laut Angaben ihres Vorsitzenden Sofien Ben Sghaïer hat die 2018 gegründete Partei derzeit nur drei Mitglieder. Relevant wurde ihr politisches Denken erst, als es vom tunesischen Präsidenten Kaïs Saïed aufgegriffen und zur Regierungslinie erklärt wurde.

      Ein Verständnis dafür, wie dies geschehen konnte, ist möglich, wenn man die politisch-ökonomische Lage betrachtet, die sich seit Juli 2021 stark verändert hatte: Präsident Kaïs Saïed löste damals die Regierung und die Versammlung der Volksvertreter*innen per Staatsstreich auf. Die sozioökonomische Lage ist in Tunesien extrem angespannt. Der Staat steht angesichts gescheiterter Verhandlungen mit dem IWF vor dem Bankrott, die Inflation liegt bei 10 Prozent, die Arbeitslosigkeit bei 15 Prozent und die Jugendarbeitslosigkeit noch weit höher. In diesem Klima finden rassistische Thesen wie die der Nationalistischen Partei Tunesiens Anklang.

      Als der Anti-Schwarze Rassismus in Tunesien dann in Form einer Pressemitteilung von Präsident Saïed am 21. Februar 2023 aufgegriffen wurde – so sprach er von einem „Plan“, der aufgesetzt worden sei, um die „demographische Zusammensetzung Tunesiens zu verändern“ und rief zu „dringenden Maßnahmen“ auf, „um dieses Phänomen zu stoppen“ – eskalierte die Situation. In den Tagen nach der Erklärung griffen vor allem Gruppen marginalisierter junger Männer in verschiedenen Städten gezielt Schwarze Menschen an. Einige wurden schwer verletzt, als ihre Wohnungen oder Häuser angezündet wurden. Eine bis heute unbekannte Zahl von Menschen ist in diesen Tagen verschwunden. Schwarze Menschen verloren von heute auf morgen ihre Arbeit und wurden von ihren Vermieter*innen vor die Tür gesetzt. Viele verließen ihre Wohnungen über Tage nicht mehr, aus Angst, ebenfalls Opfer der Angriffe zu werden. Auch gültige Aufenthaltspapiere schützten Schwarze Menschen nicht vor der Gewalt, zahlreiche Menschen wurden unabhängig von ihrem Aufenthaltsstatus verhaftet, die Angst vor Polizeikontrollen und willkürlichen Festnahmen besteht bis heute.

      Aya Koffi* aus Côte d’Ivoire („Elfenbeinküste“), die seit mehreren Jahren in Tunesien lebt, hat die Angriffe in der Hauptstadt Tunis miterlebt: „Sie griffen die Häuser an, sie griffen die Familien an, sie griffen die Kindertagesstätten an, dort wo die Kinder der Schwarzen waren. Es gab Leute, die mit Babys im Gefängnis landeten, Kinder, die im Gefängnis landeten. Es gab Frauen, die vergewaltigt wurden. Die Tunesier haben die Häuser und Wohnungen der Schwarzen in Brand gesetzt. Jeder versteckte sich. Ich habe mich zwei Wochen lang zu Hause eingesperrt und keinen Fuß vor die Tür gesetzt, weil ich so viel Angst hatte.“
      Schiffsunglücke, Leichen am Strand und anonyme Grabsteine

      Aus Angst um ihr Leben und weil ihnen infolge der rassistischen Übergriffe jede Lebensgrundlage entzogen wurde, haben sich seit Februar 2023 viele illegalisierte und nach Tunesien migrierte Personen aus subsaharischen Ländern für eine Überquerung des Mittelmeers entschieden. Die italienische Insel Lampedusa ist von Teilen der tunesischen Küste nur 150 Kilometer entfernt. Vor allem aus der Hafenstadt Sfax haben die Abfahrten stark zugenommen – und mit ihnen die Todeszahlen. Seit Kaïs Saïed Erklärung sind mehrere Hundert Menschen nach einer Abfahrt von Tunesien im Mittelmeer ertrunken, viele weitere werden vermisst. Immer wieder werden Leichen aus dem Wasser geborgen oder an den Stränden angespült.

      Laut Faouzi Masmoudi, Sprecher des Gerichts in Sfax, hat das Universitätskrankenhaus der Stadt keine Kapazitäten mehr: Allein am 25 April wurden fast 200 Leichen in das Krankenhaus gebracht. Nur wenige Tote können identifiziert werden. Einige von ihnen sind auf dem christlichen Friedhof in Sfax begraben. Die meisten jedoch bleiben anonym: manche bekommen einen Grabstein, auf dem nur das Datum des Leichenfundes steht.

      Aya hat ein solches Schiffsunglück überlebt, ihr Mann kam dabei ums Leben. Eine Mitarbeiterin der Internationalen Organisation für Migration (IOM) bestätigte, dass der Körper ihres Mannes geborgen wurde. Doch trotz Nachfragen bei der IOM und der Botschaft der Côte d’Ivoire und trotz Protesten vor der Leichenhalle konnte Aya den Körper ihres Mannes nicht mehr sehen. Bis heute ist nicht klar, was mit ihm passiert ist. Kein Einzelfall. Aya erzählt von ihrer Nachbarsfamilie in Tunis: „Viele sind aus Angst, nicht mehr in Tunesien bleiben zu können, auf das Meer hinausgefahren. Ganze Familien sind bei Schiffbrüchen ums Leben gekommen. Die Tür meiner Nachbarin, mit der ich alle Freuden geteilt, mit der ich zusammen gegessen habe, bleibt verschlossen. Sie, ihr Mann und ihr Baby werden vermisst. Wir wissen, dass sie mit dem Boot aufgebrochen sind.“

      Infolge der rassistischen Ausschreitungen haben viele Menschen Wohnung und Einkommen verloren. Rund 250 Menschen, hauptsächlich aus subsaharischen Herkunftsländern, hatten deshalb ein Lager vor dem Gebäude des UN-Flüchtlingskommissariats UNHCR in der Hauptstadt Tunis aufgeschlagen. Sie nennen sich „Refugees in Tunisia“ und fordern bis heute ihre Evakuierung in ein sicheres Land. Am 11. April wurde das Protestcamp vor dem UNHCR-Gebäude gewaltvoll durch die tunesische Polizei geräumt und bis zu 150 Menschen festgenommen. Die Räumung wurde nach Angaben des tunesischen Innenministeriums durch das UNHCR-Büro selbst veranlasst. Dabei wurden mehrere Menschen, darunter auch Kinder, durch den Einsatz von Tränengas verletzt. 30 Personen wurden der „öffentlichen Unruhe“ beschuldigt und für mehrere Wochen inhaftiert. Die Festgenommenen berichteten von Schlägen und Folter mit Elektroschocks. Die meisten der Protestierenden harren seit der Räumung des UNHCR-Camps nun vor dem Gebäude der IOM aus, wo sie ohne Zugang zu Wasser und Sanitäranlagen weiterhin für ihre Evakuierung kämpfen.
      Europas Verantwortung

      Am 25. Juli 2022, ein Jahr nach dem Staatsstreich Präsident Kaïs Saïeds, wurde zwar eine neue Verfassung per Referendum bestätigt. Laut Expertise eines tunesischen Juristen mit Spezialisierung auf Menschenrechte, der aus Sicherheitsgründen anonym bleiben will, ähnelt die neue Konstitution im Bereich der kollektiven und individuellen Freiheiten formell der vorherigen, doch in der Praxis werden diese Rechte aktuell stark eingeschränkt: „Der Beweis dafür sind Oppositionelle und Journalist*innen, die derzeit im Gefängnis sitzen, und Menschenrechtsverletzungen im Zusammenhang mit sehr vulnerablen Personen, insbesondere Menschen die nach Tunesien migriert sind. Zusammenfassend kann man also sagen, dass es eine Beschränkung der Menschenrechte gibt.“

      Eine zentrale Rolle für die rassistische Eskalation spielen aber auch die EU und ihre Mitgliedstaaten. Als wichtigste Handelspartnerin beeinflusst die EU die Regierungen der Maghreb-Länder erheblich und nimmt besonders Einfluss auf die Gestaltung ihrer Migrationspolitiken. Bereits seit den 1990er Jahren liegt der Fokus auf Tunesien und seit 2011 übt die EU zunehmend Druck aus, um das Land noch stärker in das EU-Grenzregime zu integrieren und Migrationsbewegungen durch und aus Tunesien langfristig zu beenden. Im Rahmen immer wieder neu aufgelegter Programme wurden seitdem 3 Milliarden Euro gezahlt. Schwerpunkte sind unter anderem der Aufbau „engerer Beziehungen zwischen den beiden Ufern des Mittelmeers und die Steuerung von Migration und Mobilität“. Von 2014 bis 2020 wurden zum Beispiel 94 Millionen ausschließlich für migrationsbezogene Aktivitäten gezahlt, unter anderem für Tunesiens Grenzschutzsystem. Der aktuelle „EU Action Plan“ für das zentrale Mittelmeer aus dem Jahr 2022 nennt als drittes Ziel die „Stärkung der Kapazitäten Tunesiens, Ägyptens und Libyens insbesondere zur Entwicklung gemeinsamer gezielter Maßnahmen zur Verhinderung der irregulären Ausreise, zur Unterstützung eines wirksameren Grenz- und Migrationsmanagements und zur Stärkung der Such- und Rettungskapazitäten unter uneingeschränkter Achtung der Grundrechte und internationalen Verpflichtungen“.

      Von einer „Achtung der Grundrechte“ ist in der Realität wenig zu sehen. Stattdessen unterstützt die EU ein immer autoritäreres Regime, für das die Leben von Menschen, die über das Meer wollen, nichts zählen. Immer wieder sterben Menschen infolge sogenannter „Rettungsaktionen“. Bei diesen fährt die tunesische Küstenwache aus, um Boote zu „retten“, rammt diese jedoch oft, wodurch Menschen ins Meer fallen und ertrinken. Zudem gibt es vermehrt Berichte, denen zufolge Motoren von der Küstenwache konfisziert werden, die Boote mit den Menschen aber weitere Tage auf dem Wasser treiben gelassen werden, wodurch die Todeszahlen steigen. Zugleich sind rassistische Diskurse in Tunesien immer auch von Europa beeinflusst. Es wird wahrgenommen, wie Salvini, Meloni, Le Pen und auch Zemmour sprechen. „It was not Saïed who introduced anti-Black racism to Tunisia“, schreibt Haythem Guesmi, ein tunesischer Wissenschaftler und Schriftsteller in einem Artikel für Al Jazeera. Nicht nur das europäische Grenzregime wird externalisiert, sondern auch der rassistische Diskurs.

      https://www.medico.de/blog/von-angst-getrieben-19095

      #peur

  • OP-ed : La guerre faite aux migrants à la frontière grecque de l’Europe par #Vicky_Skoumbi

    La #honte de l’Europe : les #hotspots aux îles grecques
    Devant les Centres de Réception et d’Identification des îles grecques, devant cette ‘ignominie à ciel ouvert’ que sont les camps de Moria à Lesbos et de Vathy à Samos, nous sommes à court de mots ; en effet il est presque impossible de trouver des mots suffisamment forts pour dire l’horreur de l’enfermement dans les hot-spots d’hommes, femmes et enfants dans des conditions abjectes. Les hot-spots sont les Centres de Réception et d’Identification (CIR en français, RIC en anglais) qui ont été créés en 2015 à la demande de l’UE en Italie et en Grèce et plus particulièrement dans les îles grecques de Lesbos, Samos, Chios, Leros et Kos, afin d’identifier et enregistrer les personnes arrivantes. L’approche ‘hot-spots’ introduite par l’UE en mai 2015 était destinée à ‘faciliter’ l’enregistrement des arrivants en vue d’une relocalisation de ceux-ci vers d’autres pays européens que ceux de première entrée en Europe. Force est de constater que, pendant ces cinq années de fonctionnement, ils n’ont servi que le but contraire de celui initialement affiché, à savoir le confinement de personnes par la restriction géographique voire par la détention sur place.

    Actuellement, dans ces camps, des personnes vulnérables, fuyant la guerre et les persécutions, fragilisées par des voyages longs et éprouvants, parmi lesquels se trouvent des victimes de torture ou de naufrage, sont obligées de vivre dans une promiscuité effroyable et dans des conditions inhumaines. En fait, trois quart jusqu’à quatre cinquième des personnes confinées dans les îles grecques appartiennent à des catégories reconnues comme vulnérables, même aux yeux de critères stricts de vulnérabilité établis par l’UE et la législation grecque[1], tandis qu’un tiers des résidents des camps de Moria et de Vathy sont des enfants, qui n’ont aucun accès à un circuit scolaire. Les habitants de ces zones de non-droit que sont les hot-spots, passent leurs journées à attendre dans des files interminables : attendre pour la distribution d’une nourriture souvent avariée, pour aller aux toilettes, pour se laver, pour voir un médecin. Ils sont pris dans un suspens du temps, sans aucune perspective d’avenir de sorte que plusieurs d’entre eux finissent par perdre leurs repères au détriment de leur équilibre mental et de leur santé.

    Déjà avant l’épidémie de Covid 19, plusieurs organismes internationaux comme le UNHCR[2] avaient dénoncé les conditions indignes dans lesquelles étaient obligées de vivre les demandeurs d’asile dans les hot-spots, tandis que des ONG comme MSF[3] et Amnesty International[4] avaient à plusieurs reprises alerté sur le risque que représentent les conditions sanitaires si dégradées, en y pointant une situation propice au déclenchement des épidémies. De son côté, Jean Ziegler, dans son livre réquisitoire sorti en début 2020, désignait le camp de #Moria, le hot-spot de Lesbos, comme la ‘honte de l’Europe’[5].

    Début mars 2020, 43.000 personnes étaient bloquées dans les îles dont 20.000 à Moria et 7.700 à Samos pour une capacité d’accueil de 2.700 et 650 respectivement[6]. Avec les risques particulièrement accrus de contamination, à cause de l’impossibilité de respecter la distanciation sociale et les mesures d’hygiène, on aurait pu s’attendre à ce que des mesures urgentes de décongestion de ces camps soient prises, avec des transferts massifs vers la Grèce continentale et l’installation dans des logements touristiques vides. A vrai dire c’était l’évacuation complète de camps si insalubres qui s’imposait, mais étant donné la difficulté de trouver dans l’immédiat des alternatives d’hébergement pour 43.000 personnes, le transfert au moins des plus vulnérables à des structures plus petites offrant la possibilité d’isolement- comme les hôtels et autres logements touristiques vides dans le continent- aurait été une mesure minimale de protection. Au lieu de cela, le gouvernement Mitsotakis a décidé d’enfermer les résidents des camps dans les îles dans des conditions inhumaines, sans qu’aucune mesure d’amélioration des conditions sanitaires ne soit prévue[7].

    Car, les mesures prises le 17 mars par le gouvernement pour empêcher la propagation du virus dans les camps, consistaient uniquement en une restriction des déplacements au strict minimum nécessaire et même en deça de celui-ci : une seule personne par famille aura désormais le droit de sortir du camp pour faire des courses entre 7 heures et 19 heures, avec une autorisation fournie par la police, le nombre total de personnes ayant droit de sortir par heure restant limité. Parallèlement l’entrée des visiteurs a été interdite et celle des travailleurs humanitaires strictement limitée à ceux assurant des services vitaux. Une mesure supplémentaire qui a largement contribué à la détérioration de la situation des réfugiés dans les camps, a été la décision du ministère d’arrêter de créditer de fonds leur cartes prépayés (cash cards ) afin d’éviter toute sortie des camps, laissant ainsi les résidents des hot-spots dans l’impossibilité de s’approvisionner avec des produits de première nécessité et notamment de produits d’hygiène. Remarquez que ces mesures sont toujours en vigueur pour les hot-spots et toute autre structure accueillant des réfugiés et des migrants en Grèce, en un moment où toute restriction de mouvement a été déjà levée pour la population grecque. En effet, après une énième prolongation du confinement dans les camps, les mesures de restriction de mouvement ont été reconduites jusqu’au 5 juillet, une mesure d’autant plus discriminatoire que depuis cinq semaines déjà les autres habitants du pays ont retrouvé une entière liberté de mouvement. Etant donné qu’aucune donnée sanitaire ne justifie l’enfermement dans les hot-spots où pas un seul cas n’a été détecté, cette extension de restrictions transforme de facto les Centres de Réception et Identification (RIC) dans les îles en centres fermés ou semi-fermés, anticipant ainsi à la création de nouveaux centres fermés, à la place de hot-spots actuels –voir ici et ici. Il est fort à parier que le gouvernement va étendre de prolongation en prolongation le confinement de RIC pendant au moins toute la période touristique, ce qui risque de faire monter encore plus la tension dans les camps jusqu’à un niveau explosif.

    Ainsi les demandeurs d’asile ont été – et continuent toujours à être – obligés de vivre toute la période de l’épidémie, dans une très grande promiscuité et dans des conditions sanitaires qui suscitaient déjà l’effroi bien avant la menace du Covid-19[8]. Voyons de plus près quelles conditions de vie règnent dans ce drôle de ‘chez soi’, auquel le Ministre grec de la politique migratoire invitait les réfugiés à y passer une période de confinement sans cesse prolongée, en présentant le « Stay in camps » comme le strict équivalent du « Stay home », pour les citoyens grecs. Dans l’extension « hors les murs » du hotspot de Moria, vers l’oliveraie, repartie en Oliveraie I, II et III, il y a des quartiers où il n’existe qu’un seul robinet d’eau pour 1 500 personnes, ce qui rend le respect de règles d’hygiène absolument impossible. Dans le camp de Moria il n’y a qu’une seule toilette pour 167 personnes et une douche pour 242, alors que dans l’Oliveraie, 5 000 personnes n’ont aucun accès à l’électricité, à l’eau et aux toilettes. Selon le directeur des programmes de Médecins sans Frontières, Apostolos Veizis, au hot-spot de Samos à Vathy, il n’y a qu’une seule toilette pour 300 personnes, tandis que l’organisation MSF a installé 80 toilettes et elle fournit 60 000 litres d’eau par jour pour couvrir, ne serait-ce que partiellement- les besoins de résidents à l’extérieur du camp.

    Avec la restriction drastique de mouvement contre le Covid-19, non seulement les sorties du camp, même pour s’approvisionner ou pour aller consulter, étaient faites au compte-goutte, mais aussi les entrées, limitant ainsi dramatiquement les services que les ONG et les collectifs solidaires offraient aux réfugiés. La réduction du nombre des ONG et l’absence de solidaires a créé un manque cruel d’effectifs qui s’est traduit par une désorganisation complète de divers services et notamment de la distribution de la nourriture. Ainsi, dans le camp de Moria en pleine pandémie, ont eu lieu des scènes honteuses de bousculade effroyable où les réfugiés étaient obligés de se battre pour une portion de nourriture- voir la vidéo et l’article de quotidien grec Ephimérida tôn Syntaktôn. Ces scènes indignes ne sauraient que se multiplier dans la mesure où le gouvernement en imposant aux ONG un procédé d’enregistrement très complexe et coûteux a réussi à exclure plus que la moitié de celles qui s’activent dans les camps. Car, par le processus de ‘régulation’ d’un domaine censément opaque, imposé par la récente loi sur l’asile, n’ont réussi à passer que 18 ONG qui elles seules auront désormais droit d’entrée dans les hot-spots[9]. En fait, l’inscription des ONG dans le registre du Ministère s’avère un procédé plein d’embûches bureaucratiques. Qui plus est le Ministre peut décider à son gré de refuser l’inscription des organisations qui remplissent tous les critères requis, ce qui serait une ingérence flagrante du pouvoir dans le domaine humanitaire.

    Car, il faudrait aussi savoir que les réfugiés enfermés dans les camps se trouvent à la limite de la survie, après la décision du Ministère de leur couper, à partir du début mars, les aides –déjà très maigres, 90 euros par mois pour une personne seule- auxquelles ils avaient droit jusqu’à maintenant. En ce qui concerne la couverture sociale de santé, à partir de juillet dernier les demandeurs ne pouvaient plus obtenir un numéro de sécurité sociale et étaient ainsi privés de toute couverture santé. Après des mois de tergiversation et sous la pression des organismes internationaux, le gouvernement grec a enfin décidé de leur accorder un numéro provisoire de sécurité sociale, mais cette mesure reste pour l’instant en attente de sa pleine réalisation. Entretemps, l’exclusion des demandeurs d’asile du système national de santé a fait son effet : non seulement, elle a conduit à une détérioration significative de la santé des requérant, mais elle a également privé des enfants réfugiés de scolarisation, car, faute de carnet de vaccination à jour, ceux-ci ne pouvaient pas s’inscrire à l’école.

    En d’autres termes, au lieu de déployer pendant l’épidémie une politique de décongestion avec transferts massifs à des structures sécurisées, le gouvernement a traité les demandeurs d’asile comme porteurs virtuels du virus, à tenir coûte que coûte à l’écart de la société ; non seulement les réfugiés et les migrants n’ont pas été protégés par un confinement sécurisé, mais ils ont été enfermés dans des conditions sanitaires mettant leur santé et leur vie en danger. La preuve, si besoin est, ce sont les mesures prises par le gouvernement dans des structures d’accueil du continent où des cas de coronavirus ont été détectés ; par ex. la gestion catastrophique de la quarantaine dans une structure d’accueil hôtelière à Kranidi en Péloponnèse où une femme enceinte a été testée positive en avril. Dans cet hôtel géré par l’IOM qui accueille 470 réfugiés de l’Afrique sub-saharienne, après l’indentification de deux cas (une employée et une résidente), un dépistage généralisé a été effectué et le 21 avril 150 cas ont été détectés ; très probablement le virus a été ‘importé’ dans la structure par les contacts des réfugiés et du personnel avec les propriétaires de villas voisines installés dans la région pour la période de confinement et qui les employaient pour divers services. Après une quarantaine de trois semaines, trois nouveaux cas ont été détectés avec comme résultat que toutes les personnes testées négatives ont été placées en quarantaine avec celles testées positives au même endroit[10].

    Exactement la même tactique a été adoptée dans les camps de Ritsona (au nord d’Athènes) et de Malakassa (à l’est d’Attique), où des cas ont été détectés. Au lieu d’isoler les porteurs du virus et d’effectuer un dépistage exhaustif de toute la population du camp, travailleurs compris, ce qui aurait pu permettre d’isoler tout porteur non-symptomatique, les camps avec tous leurs résidents ont été mis en quarantaine. Les autorités « ont imposé ces mesures sans prendre de dispositions nécessaires …pour isoler les personnes atteintes du virus à l’intérieur des camps, ont déclaré deux travailleurs humanitaires et un résident du camp. Dans un troisième cas, les autorités ont fermé le camp sans aucune preuve de la présence du virus à l’intérieur, simplement parce qu’elles soupçonnaient les résidents du camp d’avoir eu des contacts avec une communauté voisine de Roms où des gens avaient été testés positifs [11] » [il s’agit du camp de Koutsohero, près de Larissa, qui accueille 1.500 personnes][12].

    Un travailleur humanitaire a déclaré à Human Rights Watch : « Aussi scandaleux que cela puisse paraître, l’approche des autorités lorsqu’elles soupçonnent qu’il pourrait y avoir un cas de virus dans un camp consiste simplement à enfermer tout le monde dans le camp, potentiellement des milliers de personnes, dont certaines très vulnérables, et à jeter la clé, sans prendre les mesures appropriées pour retracer les contacts de porteurs du virus, ni pour isoler les personnes touchées ».

    Il va de soi qu’une telle tactique ne vise nullement à protéger les résidents de camp, mais à les isoler tous, porteurs et non-porteurs, ensemble, au risque de leur santé et de leur vie. Au fond, la stratégie du gouvernement a été simple : retrancher complètement les réfugiés du reste de la population, tout en les excluant de mesures de protection efficiantes. Bref, les réfugiés ont été abandonnés à leur sort, quitte à se contaminer les uns les autres, pourvu qu’ils ne soient plus en contact avec les habitants de la région.

    La gestion par les autorités de la quarantaine à l’ancien camp de Malakasa est également révélatrice de la volonté des autorités non pas de protéger les résidents des camps mais de les isoler à tout prix de la population locale. Une quarantaine a été imposée le 5 avril suite à la détection d’un cas. A l’expiration du délai réglementaire de deux semaines, la quarantaine n’a été que très partiellement levée. Pendant la durée de la quarantaine l’ancien camp de Malakasa abritant 2.500 personnes a été approvisionné en quantité insuffisante en nourriture de basse valeur nutritionnelle, et pratiquement pas du tout en médicaments et aliments pour bébés. Le 22 avril un nouveau cas a été détecté et la quarantaine a été de nouveau imposée à l’ensemble de 2.500 résidents du camp. Entretemps quelques tests de dépistage ont été faits par-ci et par-là, mais aucune mesure spécifique n’a été prise pour les cas détectés afin de les isoler du reste de la population du camp. Pendant cette nouvelle période de quarantaine, la seule mesure prise par les autorités a été de redoubler les effectifs de police à l’entrée du camp, afin d’empêcher toute sortie, et ceci à un moment critique où des produits de première nécessité manquaient cruellement dans le camp. Ni dépistage généralisé, ni visite d’équipes médicales spécialisées, ni non plus séparation spatiale stricte entre porteurs et non-porteurs du virus n’ont été mises en place. La quarantaine, avec une courte période d’allégement de mesures de restriction, dure déjà depuis deux mois et demi. Car, le 20 juin elle a été prolongée jusqu’au 5 juillet, transformant ainsi de facto les résidents du camp en détenus[13].

    La façon aussi dont ont été traités les nouveaux arrivants dans les îles depuis le début de la période du confinement et jusqu’à maintenant est également révélatrice de la volonté du gouvernement de ne pas faire le nécessaire pour assurer la protection des demandeurs d’asile. Non seulement ceux qui sont arrivés après le début mars n’ont pas été mis à l’abri pour y passer la période de quarantaine de 14 jours dans des conditions sécurisées, mais ils ont été systématiquement ‘confinés en plein air’ à la proximité de l’endroit où ils ont débarqué : les nouveaux arrivants, femmes enceintes et enfants compris, ont été obligés de vivre en plein air, exposés aux intempéries dans une zone circonscrite placée sous la surveillance de la police, pendant deux, trois voire quatre semaines et sans aucun accès à des infrastructures sanitaires. Le cas de 450 personnes arrivées début mars est caractéristique : après avoir été gardées en « quarantaine » dans une zone entourée de barrières au port de Mytilène, elles ont été enfermées pendant 13 jours dans des conditions inimaginables dans un navire militaire grec, où ils ont été obligés de dormir sur le sol en fer du navire, vivant littéralement les uns sur les autres, sans même qu’on ne leur fournisse du savon pour se laver les mains.

    Cet enfermement prolongé dans des conditions abjectes, en contre-pied du confinement sécurisé à la maison, que la plupart d’entre nous, citoyens européens, avons connu, transforme de fait les demandeurs en détenus et crée inévitablement des situations explosives avec une montée des incidents violents, des affrontements entre groupes ethniques, des départs d’incendies à Lesbos, à Chios et à Samos. Ne serait-ce qu’à Moria, et surtout dans l’Oliveraie qui entoure le camp officiel, dès la tombée de la nuit l’insécurité règne : depuis le début de l’année on y dénombre au moins 14 agressions à l’arme blanche qui ont fait quatre morts et 14 blessés[14]. Bref aux conditions de vie indignes et dangereuses pour la santé, il faudrait ajouter l’insécurité croissante, encore plus pesante pour les femmes, les personnes LGBT+ et les mineurs isolés.

    Affronté aux réactions des sociétés locales et à la pression des organismes internationaux, le gouvernement grec a fini par reconnaître la nécessité de la décongestion des îles par le biais du transfert de réfugiés et des demandeurs d’asile vulnérables au continent. Mais il s’en est rendu compte trop tard ; entretemps le discours haineux qui présente les migrants comme une menace pour la sécurité nationale voire pour l’identité de la nation, ce poison qu’elle-même a administré à la population, a fait son effet. Aujourd’hui, le ministre de la politique migratoire a été pris au piège de sa propre rhétorique xénophobe haineuse ; c’est au nom justement de celle-ci que les autorités régionales et locales (et plus particulièrement celles proches à la majorité actuelle), opposent un refus catégorique à la perspective d’accueillir dans leur région des réfugiés venant des hot-spots des îles. Des hôtels où des familles en provenance de Moria auraient dû être logées ont été en partie brûlés, des cars transportant des femmes et des enfants ont été attaqués à coup de pierres, des tenanciers d’établissements qui s’apprêtaient à les accueillir, ont reçu des menaces, la liste des actes honteux ne prend pas fin[15].

    Mais le ministre grec de la politique migratoire n’est jamais en court de moyens : il a un plan pour libérer plus que 10.000 places dans les structures d’accueil et les appartements en Grèce continentale. A partir du 1 juin, les autorités ont commencé à mettre dans la rue 11.237 réfugiés reconnus comme bénéficiaires de protection internationale, un mois après l’obtention de leur carte de réfugiés ! Evincés de leurs logements, ces réfugiés, femmes, enfants et personnes vulnérables compris, se retrouveront dans la rue et sans ressources, car ils n’ont plus le droit de recevoir les aides qui ne leur sont destinées que pendant les 30 jours qui suivent l’obtention de leur carte[16]. Cette décision du ministre Mitarakis a été mise sur le compte d’une politique moins accueillante, car selon lui, les aides, assez maigres, par ailleurs, constituaient un « appel d’air » trop attractif pour les candidats à l’exil ! Le comble de l’affaire est que tant le programme d’hébergement en appartements et hôtels ESTIA que les aides accordées aux réfugiés et demandeurs d’asile sont financées par l’UE et des organismes internationaux, et ne coûtent strictement rien au budget de l’Etat. Le désastre qui se dessine à l’horizon a déjà pointé son nez : une centaine de réfugiés dont une quarantaine d’enfants, transférés de Lesbos à Athènes, ont été abandonnés sans ressources et sans toit en pleine rue. Ils campent actuellement à la place Victoria, à Athènes.

    Le dernier cercle de l’enfer : les PROKEKA

    Au moment où est écrit cet article, les camps dans les îles fonctionnent cinq, six voire dix fois au-dessus de leur capacité d’accueil. 34.000 personnes sont actuellement entassées dans les îles, dont 30.220 confinées dans les conditions abjectes de hot-spots prévus pour accueillir 6 000 personnes au grand maximum ; 750 en détention dans les centres de détention fermés avant renvoi (PROΚEΚA), et le restant dans d’autres structures[17].

    Plusieurs agents du terrain ont qualifié à juste titre les camps de Moria à Lesbos et celui de Vathy à Samos[18] comme l’enfer sur terre. Car, comment désigner autrement un endroit comme Moria où les enfants – un tiers des habitants du camp- jouent parmi les ordures et les déjections et où plusieurs d’entre eux touchent un tel fond de désespoir qu’ils finissent par s’automutiler et/ou par commettre de tentatives de suicide[19], tandis que d’autres tombent dans un état de prostration et de mutisme ? Comment dire autrement l’horreur d’un endroit comme le camp de Vathy où femmes enceintes et enfants de bas âge côtoient des serpents, des rats et autres scorpions ?

    Cependant, il y a pire, en l’occurrence le dernier cercle de l’Enfer, les ‘Centres de Détention fermés avant renvoi’ (Pre-moval Detention Centers, PROKEKA en grec), l’équivalent grec des CRA (Centre de Rétention Administrative) en France[20]. Aux huit centres fermés de détention et aux postes de police disséminés partout en Grèce, plusieurs milliers de demandeurs d’asile et d’étrangers sans-papiers sont actuellement détenus dans des conditions terrifiantes. Privés même des droits les plus élémentaires de prisonniers, les détenus restent presque sans soins médicaux, sans contact régulier avec l’extérieur, sans droit de visite ni accès assuré à une aide judiciaire. Ces détenus qui sont souvent victimes de mauvais traitements de la part de leurs gardiens, n’ont pas de perspective de sortie, dans la mesure où, en vertu de la nouvelle loi sur l’asile, leur détention peut être prolongée jusqu’à 36 mois. Leur maintien en détention est ‘justifié’ en vue d’une déportation devenue plus qu’improbable – qu’il s’agisse d’une expulsion vers le pays d’origine ou d’une réadmission vers un tiers pays « sûr ». Dans ces conditions il n’est pas étonnant qu’en désespoir de cause, des détenus finissent par attenter à leur jours, en commettant des suicides ou des tentatives de suicide.

    Ce qui est encore plus alarmant est qu’à la fin 2018, à peu près 28% des détenus au sein de ces centres fermés étaient des mineurs[21]. Plus récemment et notamment fin avril dernier, Arsis dans un communiqué de presse du 27 avril 2020, a dénoncé la détention en tout point de vue illégale d’une centaine de mineurs dans un seul centre de détention, celui d’Amygdaleza en Attique. D’après les témoignages, c’est avant tout dans les préfectures et les postes de police où sont gardés plus que 28% de détenus que les conditions de détention virent à un cauchemar, qui rivalise avec celui dépeint dans le film Midnight Express. Les cellules des commissariats où s’entassent souvent des dizaines de personnes sont conçus pour une détention provisoire de quelques heures, les infrastructures sanitaires sont défaillantes, et il n’y a pas de cour pour la promenade quotidienne. Quant aux policiers, ils se comportent comme s’ ils étaient au-dessus de la loi face à des détenus livrés à leur merci : ils leur font subir des humiliations systématiques, des mauvais traitements, des violences voire des tortures.

    Plusieurs témoignages concordants dénoncent des conditions horribles dans les préfectures et les commissariats : les détenus peuvent être privés de nourriture et d’eau pendant des journées entières, plusieurs entre eux sont battus et peuvent rester entravés et ligotés pendant des jours, privés de soins médicaux, même pour des cas urgents. En mars 2017, Ariel Rickel (fondatrice d’Advocates Abroad) avait découvert dans le commissariat du hot-spot de Samos, un mineur de 15 ans, ligoté sur une chaise. Le jeune homme qui avait été violement battu par les policiers, avait eu des côtes cassées et une blessure ouverte au ventre ; il était resté dans cet état ligoté trois jours durant, et ce n’est qu’après l’intervention de l’ombudsman, sollicité par l’avocate, qu’il a fini par être libéré.[22] Le cas rapporté par Ariel Rickel à Valeria Hänsel n’est malheureusement pas exceptionnel. Car, ces conditions inhumaines de détention dans les PROKEKA ont été à plusieurs reprises dénoncées comme un traitement inhumain et dégradant par la Cour Européenne de droits de l’homme[23] et par le Comité Européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe (CPT).

    Il faudrait aussi noter qu’au sein de hot-spot de Lesbos et de Kos, il y a de tels centres de détention fermés, ‘de prison dans les prisons à ciel ouvert’ que sont ces camps. Un rapport récent de HIAS Greece décrit les conditions inhumaines qui règnent dans le PROKEKA de Moria où sont détenus en toute illégalité des demandeurs d’asile n’ayant commis d’autre délit que le fait d’être originaire d’un pays dont les ressortissants obtiennent en moyenne en UE moins de 25% de réponses positives à leurs demandes d’asile (low profile scheme). Il est évident que la détention d’un demandeur d’asile sur la seule base de son pays d’origine constitue une mesure de ségrégation discriminatoire qui expose les requérants à des mauvais traitements, vu la quasi inexistence de services médicaux et la très grande difficulté voire l’impossibilité d’avoir accès à l’aide juridique gratuite pendant la détention arbitraire. Ainsi, p.ex. des personnes ressortissant de pays comme le Pakistan ou l’Algérie, même si ils/elles sont LGBT+, ce qui les exposent à des dangers graves dans leur pays d’origine, seront automatiquement détenus dans le PROKEKA de Moria, étant ainsi empêchés d’étayer suffisamment leur demande d’asile, en faisant appel à l’aide juridique gratuite et en la documentant. Début avril, dans deux centres de détention fermés, celui au sein du camp de Moria et celui de Paranesti, près de la ville de Drama au nord de la Grèce, les détenus avaient commencés une grève de la faim pour protester contre la promiscuité effroyable et réclamer leur libération ; dans les deux cas les protestations ont été très violemment réprimées par les forces de l’ordre.

    La déclaration commune UE-Turquie

    Cependant il faudrait garder à l’esprit qu’à l’origine de cette situation infernale se trouve la décision de l’UE en 2016 de fermer ses frontières et d’externaliser en Turquie la prise en charge de réfugiés, tout en bloquant ceux qui arrivent à passer en Grèce. C’est bien l’accord UE-Turquie du 18 mars 2016[24] – en fait une Déclaration commune dépourvue d’un statut juridique équivalent à celui d’un accord en bonne et due forme- qui a transformé les îles grecques en prison à ciel ouvert. En fait, cette Déclaration est un troc avec la Turquie où celle-ci s’engageait non seulement à fermer ses frontières en gardant sur son sol des millions de réfugiés mais aussi à accepte les réadmissions de ceux qui ont réussi à atteindre l’Europe ; en échange une aide de 6 milliards lui serait octroyée afin de couvrir une partie de frais générés par le maintien de 3 millions de réfugiés sur son sol, tandis que les ressortissants turcs n’auraient plus besoin de visa pour voyager en Europe. En fait, comme le dit un rapport de GISTI, la nature juridique de la Déclaration du 18 mars a beau être douteuse, elle ne produit pas moins les « effets d’un accord international sans en respecter les règles d’élaboration ». C’est justement le statut douteux de cette déclaration commune, que certains analystes n’hésitent pas de désigner comme un simple ‘communiqué de presse’, qui a fait que la Cour Européenne a refusé de se prononcer sur la légalité, en se déclarant incompétente, face à un accord d’un statut juridique indéterminé.

    Or, dans le cadre de la mise en œuvre de cet accord a été introduite par l’article 60(4) de la loi grecque L 4375/2016, la procédure d’asile dite ‘accélérée’ dans les îles grecques (fast-track border procedure) qui non seulement réduisaient les garanties de la procédure au plus bas possible en UE, mais qui impliquait aussi comme corrélat l’imposition de la restriction géographique de demandeurs d’asile dans les îles de première arrivée. Celle-ci fut officiellement imposée par la décision 10464/31-5-2017 de la Directrice du Service d’Asile, qui instaurait la restriction de circulation des requérant, afin de garantir le renvoi en Turquie de ceux-ci, en cas de rejet de leurs demandes. Rappelons que ces renvois s’appuient sur la reconnaissance -tout à fait infondée-, de la Turquie comme ‘pays tiers sûr’. Même des réfugiés Syriens ont été renvoyés en Turquie dans le cadre de la mise en application de cette déclaration commune.

    La restriction géographique qui contraint les demandeurs d’asile de ne quitter sous aucun prétexte l’île où ils ont déposé leur demande, jusqu’à l’examen complet de celle-ci, conduit inévitablement au point où nous sommes aujourd’hui à savoir à ce surpeuplement inhumain qui non seulement crée une situation invivable pour les demandeurs, mais a aussi un effet toxique sur les sociétés locales. Déjà en mai 2016, François Crépeau, rapporteur spécial de NU aux droits de l’homme de migrants, soulignait que « la fermeture de frontières de pays au nord de la Grèce, ainsi que le nouvel accord UE-Turquie a abouti à une augmentation exponentielle du nombre de migrants irréguliers dans ce pays ». Et il ajoutait que « le grand nombre de migrants irréguliers bloqués en Grèce est principalement le résultat de la politique migratoire de l’UE et des pays membres de l’UE fondée exclusivement sur la sécurisation des frontières ».

    Gisti, dans un rapport sur les hotspots de Chios et de Lesbos notait également depuis 2016 que, étant donné l’accord UE-Turquie, « ce sont les Etats membres de l’UE et l’Union elle-même qui portent l’essentiel de la responsabilité́ des mauvais traitements et des violations de leurs droits subis par les migrants enfermés dans les hotspots grecs.

    La présence des agences européennes à l’intérieur des hotspots ne fait que souligner cette responsabilité ». On le verra, le rôle de l’EASO est crucial dans la décision finale du service d’asile grec. Quant au rôle joué par Frontex, plusieurs témoignages attestent sa pratique quotidienne de non-assistance à personnes en danger en mer voire sa participation à des refoulements illégaux. Remarquons que c’est bien cette déclaration commune UE-Turquie qui stipule que les demandeurs déboutés doivent être renvoyés en Turquie et à cette fin être maintenus en détention, d’où la situation actuelle dans les centres de détention fermés.

    Enfin la situation dans les hot-spots s’est encore plus aggravée, en raison de la décision du gouvernement Mitsotakis de geler pendant plusieurs mois tout transfert vers la péninsule grecque, bloquant ainsi même les plus vulnérables sur place. Sous le gouvernement précédent, ces derniers étaient exceptés de la restriction géographique dans les hot-spots. Mais à partir du juillet 2020 les transferts de catégories vulnérables -femmes enceintes, mineurs isolés, victimes de torture ou de naufrages, personnes handicapées ou souffrant d’une maladie chronique, victimes de ségrégations à cause de leur orientation sexuelle, – avaient cessé et n’avaient repris qu’au compte-goutte début janvier, plusieurs mois après leurs suspension.

    Le dogme de la ‘surveillance agressive’ des frontières

    Les refoulements groupés sont de plus en plus fréquents, tant à la frontière maritime qu’à la frontière terrestre. A Evros cette pratique était assez courante bien avant la crise à la frontière gréco-turque de mars dernier. Elle consistait non seulement à refouler ceux qui essayaient de passer la frontière, mais aussi à renvoyer en toute clandestinité ceux qui étaient déjà entrés dans le territoire grec. Les faits sont attestés par plusieurs témoignages récoltés par Human Rights 360 dans un rapport publié fin 2018 : "The new normality : Continuous push-backs of third country nationals on the Evros river" (https://www.gcr.gr/en/news/press-releases-announcements/item/1028-the-new-normality-continuous-push-backs-of-third-country-nationals-on-the-e). Les « intrus » qui ont réussi à passer la frontière sont arrêtés et dépouillés de leur biens, téléphone portable compris, pour être ensuite déportés vers la Turquie, soit par des forces de l’ordre en tenue, soit par des groupes masqués et cagoulés difficiles à identifier. En effet, il n’est pas exclu que des patrouilles paramilitaires, qui s’activent dans la région en se prenant violemment aux migrants au vu et au su des autorités, soient impliquées à ses opérations. Les réfugiés peuvent être gardés non seulement dans des postes de police et de centres de détention fermés, mais aussi dans des lieux secrets, sans qu’ils n’aient la moindre possibilité de contact avec un avocat, le service d’asile, ou leurs proches. Par la suite ils sont embarqués de force sur des canots pneumatiques en direction de la Turquie.

    Cette situation qui fut dénoncée par les ONG comme instaurant une nouvelle ‘normalité’, tout sauf normale, s’est dramatiquement aggravée avec la crise à la frontière terrestre fin février et début mars dernier[25]. Non seulement la frontière fut hermétiquement fermée et des refoulements groupés effectués par la police anti-émeute et l’armée, mais, dans le cadre de la soi-disant défense de l’intégrité territoriale, il y a eu plusieurs cas où des balles réelles ont été tirées par les forces grecques contre les migrants, faisant quatre morts et plusieurs blessés[26].

    Cependant ces pratiques criminelles ne sont pas le seul fait des autorités grecques. Depuis le 13 mars dernier, des équipes d’Intervention Rapide à la Frontière de Frontex, les Rapid Border Intervention Teams (RABIT) ont été déployées à la frontière gréco-turque d’Evros, afin d’assurer la ‘protection’ de la frontière européenne. Leur intervention qui aurait dû initialement durer deux mois, a été entretemps prolongée. Ces équipes participent elles, et si oui dans quelle mesure, aux opérations de refoulement ? Il faudrait rappeler ici que, d’après plusieurs témoignages récoltés par le Greek Council for Refugees, les équipes qui opéraient les refoulements en 2017 et 2018 illégaux étaient déjà mixtes, composées des agents grecs et des officiers étrangers parlant soit l’allemand soit l’anglais. Il n’y a aucune raison de penser que cette coopération en bonne entente en matière de refoulement, entre forces grecques et celles de Frontex ait cessé depuis, d’autant plus que début mars la Grèce fut désignée par les dirigeants européens pour assurer la protection de l’Europe, censément menacée par les migrants à sa frontière.

    Plusieurs témoignages de réfugiés refoulés à la frontière d’Evros ainsi que des documents vidéo attestent l’existence d’un centre de détention secret destiné aux nouveaux arrivants ; celui-ci n’est répertorié nulle part et son fonctionnement ne respecte aucune procédure légale, concernant l’identification et l’enregistrement des arrivants. Ce centre, fonctionnant au noir, dont l’existence fut révélée par un article du 10 mars 2020 de NYT, se situe à la proximité de la frontière gréco-turque, près du village grec Poros. Les malheureux qui y échouent, restent détenus dans cette zone de non-droit absolu[27], car, non seulement leur existence n’est enregistrée nulle part mais le centre même n’apparaît sur aucun registre de camps et de centres de détention fermés. Au bout de quelques jours de détention dans des conditions inhumaines, les détenus dépouillés de leurs biens sont renvoyés de force vers la Turquie, tandis que plusieurs d’entre eux ont été auparavant battus par la police.

    La situation est aussi alarmante en mer Egée, où les rapports dénonçant des refoulements maritimes violents mettant en danger la vie de réfugiés, ne cessent de se multiplier depuis le début mars. D’après les témoignages il y aurait au moins deux modes opératoires que les garde-côtes grecs ont adoptés : enlever le moteur et le bidon de gasoil d’une embarcation surchargée et fragile, tout en la repoussant vers les eaux territoriaux turques, et/ou créer des vagues, en passant en grande vitesse tout près du bateau, afin d’empêcher l’embarcation de s’approcher à la côte grecque (voir l’incident du 4 juin dernier, dénoncé par Alarm Phone). Cette dernière méthode de dissuasion ne connaît pas de limites ; des vidéos montrent des incidents violents où les garde-côtes n’hésitent pas à tirer des balles réelles dans l’eau à côté des embarcations de réfugiés ou même dans leurs directions ; il y a même des vidéos qui montrent les garde-côtes essayant de percer le canot pneumatique avec des perches.

    Néanmoins, l’arsenal de garde-côtes grecs ne se limite pas à ces méthodes extrêmement dangereuses ; ils recourent à des procédés semblables à ceux employés en 2013 par l’Australie pour renvoyer les migrants arrivés sur son sol : ils obligent des demandeurs d’asile à embarquer sur des life rafts -des canots de survie qui se présentent comme des tentes gonflables flottant sur l’eau-, et ils les repoussent vers la Turquie, en les laissant dériver sans moteur ni gouvernail[28].

    Des incidents de ce type ne cessent de se multiplier depuis le début mars. Victimes de ce type de refoulement qui mettent en danger la vie des passagers, peuvent être même des femmes enceintes, des enfants ou même des bébés –voir la vidéo glaçante tournée sur un tel life raft le 25 mai dernier et les photographies respectives de la garde côtière turque.

    Ce mode opératoire va beaucoup plus loin qu’un refoulement illégal, car il arrive assez souvent que les personnes concernées aient déjà débarqué sur le territoire grec, et dans ce cas ils avaient le droit de déposer une demande d’asile. Cela veut dire que les garde-côtes grecs ne se contentent pas de faire des refoulements maritimes qui violent le droit national et international ainsi que le principe de non-refoulement de la convention de Genève[29]. Ioannis Stevis, responsable du média local Astraparis à Chios, avait déclaré au Guardian « En mer Egée nous pouvions voir se dérouler cette guerre non-déclarée. Nous pouvions apercevoir les embarcations qui ne pouvaient pas atteindre la Grèce, parce qu’elles en étaient empêchées. De push-backs étaient devenus un lot quotidien dans les îles. Ce que nous n’avions pas vu auparavant, c’était de voir les bateaux arriver et les gens disparaître ».

    Cette pratique illégale va beaucoup plus loin, dans la mesure où les garde-côtes s’appliquent à renvoyer en Turquie ceux qui ont réussi à fouler le sol grec, sans qu’aucun protocole ni procédure légale ne soient respectés. Car, ces personnes embarquées sur les life rafts, ne sont pas à strictement parler refoulées – et déjà le refoulement est en soi illégal de tout point de vue-, mais déportées manu militari et en toute illégalité en Turquie, sans enregistrement ni identification préalable. C’est bien cette méthode qui explique comment des réfugiés dont l’arrivée sur les côtes de Samos et de Chios est attestée par des vidéos et des témoignages de riverains, se sont évaporés dans la nature, n’apparaissant sur aucun registre de la police ou des autorités portuaires[30]. Malgré l’existence de documents photos et vidéos attestant l’arrivée des embarcations des jours où aucune arrivée n’a été enregistrée par les autorités, le ministre persiste et signe : pour lui il ne s’agirait que de la propagande turque reproduite par quelques esprits malveillants qui voudraient diffamer la Grèce. Néanmoins les photographies horodatées publiées sur Astraparis, dans un article intitulé « les personnes que nous voyons sur la côte Monolia à Chios seraient-ils des extraterrestres, M. le Ministre ? », constituent un démenti flagrant du discours complotiste du Ministre.

    Question cruciale : quelle est le rôle exact joué par Frontex dans ces refoulements ? Est-ce que les quelques 600 officiers de Frontex qui opèrent en mer Egée dans le cadre de l’opération Poséidon, y participent d’une façon ou d’une autre ? Ce qui est sûr est qu’il est quasi impossible qu’ils n’aient pas été de près ou de loin témoins des opérations de push-back. Le fait est confirmé par un article du Spiegel sur un incident du 13 mai, un push-back de 27 réfugiés effectué par la garde côtière grecque laquelle, après avoir embarqué les réfugiés sur un canot de sauvetage, a remorqué celui-ci en haute mer. Or, l’embarcation de réfugiés a été initialement repéré près de Samos par les hommes du bateau allemand Uckermark faisant partie des forces de Frontex, qui l’ont ensuite signalé aux officiers grecs ; le fait que cette embarcation ait par la suite disparu sans laisser de trace et qu’aucune arrivée de réfugiés n’ait été enregistrée à Samos ce jour-là, n’a pas inquiété outre-mesure les officiers allemands.

    Nous savons par ailleurs, grâce à l’attitude remarquable d’un équipage danois, que les hommes de Frontex reçoivent l’ordre de ne pas porter secours aux réfugiés navigant sur des canots pneumatiques, mais de les repousser ; au cas où les réfugiés ont déjà été secourus et embarqués à bord d’un navire de Frontex, celui-ci reçoit l’ordre de les remettre sur des embarcations peu fiables et à peine navigables. C’est exactement ce qui est arrivé début mars à un patrouilleur danois participant à l’opération Poséidon, « l’équipage a reçu un appel radio du commandement de Poséidon leur ordonnant de remettre les [33 migrants qu’ils avaient secourus] dans leur canot et de les remorquer hors des eaux grecques »[31], ordre, que le commandant du navire danois Jan Niegsch a refusé d’exécuter, estimant “que celui-ci n’était pas justifiable”, la manœuvre demandée mettant en danger la vie des migrants. Or, il n’y aucune raison de penser que l’ordre reçu -et fort heureusement non exécuté grâce au courage du capitaine Niegsch et du chargé de l’unité danoise de Frontex, Jens Moller- soit un ordre exceptionnel que les autres patrouilleurs de Frontex n’ont jamais reçu. Les officiers danois ont d’ailleurs confirmé que les garde-côtes grecs reçoivent des ordres de repousser les bateaux qui arrivent de Turquie, et ils ont été témoins de plusieurs opérations de push-back. Mais si l’ordre de remettre les réfugiés en une embarcation non-navigable émanait du quartier général de l’opération Poséidon, qui l’avait donc donné [32] ? Des officiers grecs coordonnant l’opération, ou bien des officiers de Frontex ?

    Remarquons que les prérogatives de Frontex ne se limitent pas à la surveillance et la ‘protection’ de la frontière européenne : dans une interview que Fabrice Leggeri avait donné en mars dernier à un quotidien grec, il a révélé que Frontex était en train d’envisager avec le gouvernement grec les modalités d’une action communes pour effectuer les retours forcés des migrants dits ‘irréguliers’ à leurs pays d’origine. « Je m’attends à ce que nous ayons bientôt un plan d’action en commun. D’après mes contacts avec les officiers grecs, j’ai compris que la Grèce est sérieusement intéressée à augmenter le nombre de retours », avait-il déclaré.

    Tout démontre qu’actuellement les sauvetages en mer sont devenus l’exception et les refoulements violents et dangereux la règle. « Depuis des années, Alarm Phone a documenté des opérations de renvois menées par des garde-côtes grecs. Mais ces pratiques ont considérablement augmenté ces dernières semaines et deviennent la norme en mer Égée », signale un membre d’Alarm Phone à InfoMigrants. De sorte que nous pouvons affirmer que le dogme du gouvernement Mitsotakis consiste en une inversion complète du principe du non-refoulement : ne laisser passer personne en refoulant coûte que coûte. D’ailleurs, ce nouveau dogme a été revendiqué publiquement par le ministre de Migration et de l’Asile Mitarakis, qui s’est vanté à plusieurs reprises d’avoir réussi à créer une frontière maritime quasi-étanche. Les quatre volets de l’approche gouvernementale ont été résumés ainsi par le ministre : « protection des frontières, retours forcés, centres fermés pour les arrivants, et internationalisation des frontières »[33]. Dans une émission télévisée du 13 avril, le même ministre a déclaré que la frontière était bien gardée, de sorte qu’aujourd’hui, les flux sont quasi nuls, et il a ajouté que “l’armée et des unités spéciaux, la marine nationale et les garde-côtes sont prêts à opérer pour empêcher les migrants en situation irrégulière d’entrer dans notre pays’’. Bref, des forces militaires sont appelées de se déployer sur le front de guerre maritime et terrestre contre les migrants. Voilà comment est appliqué le dogme de zéro flux dont se réclame le Ministre.

    Le Conseil de l’Europe a publié une déclaration très percutante à ce sujet le 19 juin. Sous le titre Il faut mettre fin aux refoulements et à la violence aux frontières contre les réfugiés, la commissaire aux droits de l’homme Dunja Mijatović met tous les états membres du Conseil de l’Europe devant leurs responsabilités, en premier lieu les états qui commettent de telles violations de droits des demandeurs d’asile. Loin de considérer que les refoulements et les violences à la frontière de l’Europe sont le seul fait de quelques états dont la plupart sont situés à la frontière externe de l’UE, la commissaire attire l’attention sur la tolérance tacite de ces pratiques illégales, voire l’assistance à celles-ci de la part de la plupart d’autres états membres. Est responsable non seulement celui qui commet de telles violations des droits mais aussi celui qui les tolère voire les encourage.

    Asile : ‘‘mission impossible’’ pour les nouveaux arrivants ?

    Actuellement en Grèce plusieurs dizaines de milliers de demandes d’asile sont en attente de traitement. Pour donner la pleine mesure de la surcharge d’un service d’asile qui fonctionne actuellement à effectifs réduits, il faudrait savoir qu’il y a des demandeurs qui ont reçu une convocation pour un entretien en…2022 –voir le témoignage d’un requérant actuellement au camp de Vagiohori. En février dernier il y avait 126.000 demandes en attente d’être examinées en première et deuxième instance. Entretemps, par des procédures expéditives, 7.000 demandes ont été traitées en mars et 15 000 en avril, avec en moyenne 24 jours par demande pour leur traitement[34]. Il devient évident qu’il s’agit de procédures expéditives et bâclées. En même temps le pourcentage de réponses négatives en première instance ne cesse d’augmenter ; de 45 à 50% qu’il était jusqu’à juillet dernier, il s’est élevé à 66% en février[35], et il a dû avoir encore augmenté entre temps.

    Ce qui est encore plus inquiétant est l’ambition affichée du Ministre de la Migration de réaliser 11000 déportations d’ici la fin de l’année. A Lesbos, à la réouverture du service d’asile, le 18 mai dernier, 1.789 demandeurs ont reçu une réponse négative, dont au moins 1400 en première instance[36]. Or, ces derniers n’ont eu que cinq jours ouvrables pour déposer un recours et, étant toujours confinés dans l’enceinte de Moria, ils ont été dans l’impossibilité d’avoir accès à une aide judiciaire. Ceux d’entre eux qui ont osé se déplacer à Mytilène, chef-lieu de Lesbos, pour y chercher de l’aide auprès du Legal Center of Lesbos ont écopé des amendes de 150€ pour violation de restrictions de mouvement[37] !

    Jusqu’à la nouvelle loi votée il y a six semaines au Parlement Hellénique, la procédure d’asile était un véritable parcours du combattant pour les requérants : un parcours plein d’embûches et de pièges, entaché par plusieurs clauses qui violent les lois communautaires et nationales ainsi que les conventions internationales. L’ancienne loi, entrée en vigueur seulement en janvier 2020, introduisait des restrictions de droits et un raccourcissement de délais en vue de procédures encore plus expéditives que celles dites ‘fast-track’ appliquées dans les îles (voir ci-dessous). Avant la toute nouvelle loi adoptée le 8 mai dernier, Gisti constatait déjà des atteintes au droit national et communautaire, concernant « en particulier le droit d’asile, les droits spécifiques qui doivent être reconnus aux personnes mineures et aux autres personnes vulnérables, et le droit à une assistance juridique ainsi qu’à une procédure de recours effectif »[38]. Avec la nouvelle mouture de la loi du 8 mai, les restrictions et la réduction de délais est telle que par ex. la procédure de recours devient vraiment une mission impossible pour les demandeurs déboutés, même pour les plus avertis et les mieux renseignés parmi eux. Les délais pour déposer une demande de recours se réduisent en peau de chagrin, alors que l’aide juridique au demandeur, de même que l’interprétariat en une langue que celui-ci maîtrise ne sont plus assurés, laissant ainsi le demandeur seul face à des démarches complexes qui doivent être faites dans une langue autre que la sienne[39]. De même l’entretien personnel du requérant, pierre angulaire de la procédure d’asile, peut être omis, si le service ne trouve pas d’interprète qui parle sa langue et si le demandeur vit loin du siège de la commission de recours, par ex. dans un hot-spot dans les îles ou loin de l’Attique. Le 13 mai, le ministre Mitarakis avait déclaré que 11.000 demandes ont été rejetées pendant les mois de mars et avril, et que ceux demandeurs déboutés « doivent repartir »[40], laissant entendre que des renvois massifs vers la Turquie pourraient avoir lieu, perspective plus qu’improbable, étant donné la détérioration grandissante de rapport entre les deux pays. Ces demandeurs déboutés ont été sommés de déposer un recours dans l’espace de 5 jours ouvrables après notification, sans assistance juridique et sous un régime de restrictions de mouvements très contraignant.

    En vertu de la nouvelle loi, les personnes déboutées peuvent être automatiquement placées en détention, la détention devenant ainsi la règle et non plus l’exception comme le stipule le droit européen. Ceci est encore plus vrai pour les îles. Qui plus est, selon le droit international et communautaire, la mesure de détention ne devrait être appliquée qu’en dernier ressort et seulement s’il y a une perspective dans un laps de temps raisonnable d’effectuer le renvoi forcé de l’intéressé. Or, aujourd’hui et depuis quatre mois, il n’y a aucune perspective de cet ordre. Car les chances d’une réadmission en Turquie ou d’une expulsion vers le pays d’origine sont pratiquement inexistantes, pendant la période actuelle. Si on tient compte que plusieurs dizaines de milliers de demandes restent en attente d’être traitées et que le pourcentage de rejet ne cesse d’augmenter, on voit avec effroi s’esquisser la perspective d’un maintien en détention de dizaines de milliers de personnes pour un laps de temps indéfini. La Grèce compte-t-elle créer de centres de détention pour des dizaines de milliers de personnes, qui s’apparenteraient par plusieurs traits à des véritables camps de concentration ? Le fera-t-elle avec le financement de l’UE ?

    Nous savons que le rôle de EASO, dont la présence en Grèce s’est significativement accrue récemment,[41] est crucial dans ces procédures d’asile : c’est cet organisme européen qui mène le pré-enregistrement de la demande d’asile et qui se prononce sur sa recevabilité ou pas. Jusqu’à maintenant il intervenait uniquement dans les îles dans le cadre de la procédure dite accélérée. Car, depuis la Déclaration de mars 2016, dans les îles est appliquée une procédure d’asile spécifique, dite procédure fast-track à la frontière (fast-track border procedure). Il s’agit d’une procédure « accélérée », qui s’applique dans le cadre de la « restriction géographique » spécifique aux hotspots »,[42] en application de l’accord UE-Turquie de mars 2016. Dans le cadre de cette procédure accélérée, c’est bien l’EASO qui se charge de faire le premier ‘tri’ entre les demandeurs en enregistrant la demande et en effectuant un premier entretien. La procédure ‘fast-track’ aurait dû rester une mesure exceptionnelle de courte durée pour faire face à des arrivées massives. Or, elle est toujours en vigueur quatre ans après son instauration, tandis qu’initialement sa validité n’aurait pas dû dépasser neuf mois – six mois suivis d’une prolongation possible de trois mois. Depuis, de prolongation en prolongation cette mesure d’exception s’est installée dans la permanence.

    La procédure accélérée qui, au détriment du respect des droits des réfugiés, aurait pu aboutir à un raccourcissement significatif de délais d’attente très longs, n’a même pas réussi à obtenir ce résultat : une partie des réfugiés arrivés à Samos en août 2019, avaient reçu une notification de rendez-vous pour l’entretien d’asile (et d’admissibilité) pour 2021 voire 2022[43] ! Mais si les procédures fast-track ne raccourcissent pas les délais d’attente, elles raccourcissent drastiquement et notamment à une seule journée le temps que dispose un requérant pour qu’il se prépare et consulte si besoin un conseiller juridique qui pourrait l’assister durant la procédure[44]. Dans le cas d’un rejet de la demande en première instance, le demandeur débouté ne dispose que de cinq jours après la notification de la décision négative pour déposer un recours en deuxième instance. Bref, le raccourcissement très important de délais introduits par la procédure accélérée n’affectait jusqu’à maintenant que les réfugiés qui sont dans l’impossibilité d’exercer pleinement leurs droits, et non pas le service qui pouvait imposer un temps interminable d’attente entre les différentes étapes de la procédure.

    Cependant l’implication d’EASO dépasse et de loin le pré-enregistrement, car ce sont bien ses fonctionnaires qui, suite à un entretien de l’intéressé, dit « interview d’admission », établissent le dossier qui sera transmis aux autorités grecques pour examen[45]. Or, nous savons par la plainte déposée contre l’EASO par les avocats de l’ONG European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), en 2017, que les agents d’EASO ne consacrait à l’interrogatoire du requérant que 15 minutes en moyenne,[46] et ceci bien avant que ne monte en flèche la pression exercée par le gouvernement actuel pour accélérer encore plus les procédures. La même plainte dénonçait également le fait que la qualité de l’interprétation n’était point assurée, dans la mesure où, au lieu d’employer des interprètes professionnels, cet organisme européen faisait souvent recours à des réfugiés, pour faire des économies. A vrai dire, l’EASO, après avoir réalisé un entretien, rédige « un avis (« remarques conclusives ») et recommande une décision à destination des services grecs de l’asile, qui vont statuer sur la demande, sans avoir jamais rencontré » les requérants[47]. Mais, même si en théorie la décision revient de plein droit au Service d’Asile grec, en pratique « une large majorité des recommandations transmises par EASO aux services grecs de l’asile est adoptée par ces derniers »[48]. Or, depuis 2018 les compétences d’EASO ont été étendues à tout le territoire grec, ce qui veut dire que les officiers grecs de cet organisme européen ont le droit d’intervenir même dans le cadre de la procédure régulière d’asile et non plus seulement dans celui de la procédure accélérée. Désormais, avec le quadruplication des effectifs en Grèce continentale prévue pour 2020, et le dédoublement de ceux opérant dans les îles, l’avis ‘consultatif’ de l’EASO va peser encore plus sur les décisions finales. De sorte qu’on pourrait dire, que le constat que faisait Gisti, bien avant l’extension du domaine d’intervention d’EASO, est encore plus vrai aujourd’hui : l’UE, à travers ses agences, exerce « une forme de contrôle et d’ingérence dans la politique grecque en matière d’asile ». Si avant 2017, l’entretien et la constitution du dossier sur la base duquel le service grec d’asile se prononce étaient faits de façon si bâclée, que va—t-il se passer maintenant avec l’énorme pression des autorités pour des procédures fast-track encore plus expéditives, qui ne respectent nullement les droits des requérants ? Enfin, une fois la nouvelle loi mise en vigueur, les fonctionnaires européens vont-ils rédiger leurs « remarques conclusives » en fonction de celle-ci ou bien en respectant la législation européenne ? Car la première comporte des clauses qui ne respectent point la deuxième.

    La suspension provisoire de la procédure d’asile et ses effets à long terme

    Début mars, afin de dissuader les migrants qui se rassemblaient à la frontière gréco-turque d’Evros, le gouvernement grec a décidé de suspendre provisoirement la procédure d’asile pendant la durée d’un mois[49]. L’acte législatif respectif stipule qu’à partir du 1 mars et jusqu’au 30 du même mois, ceux qui traversent la frontière n’auront plus le droit de déposer une demande d’asile. Sans procédure d’identification et d’enregistrement préalable ils seront automatiquement maintenus en détention jusqu’à leur expulsion ou leur réadmission en Turquie. Après une cohorte de protestations de la part du Haut-Commissariat, des ONG, et même d’Ylva Johansson, commissaire aux affaires internes de l’UE, la procédure d’asile suspendue a été rétablie début avril et ceux qui sont arrivés pendant la durée de sa suspension ont rétroactivement obtenu le droit de demander la protection internationale. « Le décret a cessé de produire des effets juridiques à la fin du mois de mars 2020. Cependant, il a eu des effets très néfastes sur un nombre important de personnes ayant besoin de protection. Selon les statistiques du HCR, 2 927 personnes sont entrées en Grèce par voie terrestre et maritime au cours du mois de mars[50]. Ces personnes automatiquement placées en détention dans des conditions horribles, continuent à séjourner dans des établissements fermés ou semi-fermés. Bien qu’elles aient finalement été autorisées à exprimer leur intention de déposer une demande d’asile auprès du service d’asile, elles sont de fait privées de toute aide judiciaire effective. La plus grande partie de leurs demandes d’asile n’a cependant pas encore été enregistrée. Le préjudice causé par les conditions de détention inhumaines est aggravé par les risques sanitaires graves, voire mortels, découlant de l’apparition de la pandémie COVID-19, qui n’ont malheureusement pas conduit à un réexamen de la politique de détention en Grèce ».[51]

    En effet, les arrivants du mois de mars ont été jusqu’à il y a peu traités comme des criminels enfreignant la loi et menaçant l’intégrité du territoire grec ; ils ont été dans un premier temps mis en quarantaine dans des conditions inconcevables, gardés par la police en zones circonscrites, sans un abri ni la moindre infrastructure sanitaire. Après une période de quarantaine qui la plupart du temps durait plus longtemps que les deux semaines réglementaires, ceux qui sont arrivés pendant la suspension de la procédure, étaient transférés, en vue d’une réadmission en Turquie, à Malakassa en Attique, où un nouveau camp fermé, dit ‘le camp de tentes’, fut créé à proximité de de l’ancien camp avec les containeurs.

    700 d’entre eux ont été transférés au camp fermé de Klidi, à Serres, au nord de la Grèce, construit sur un terrain inondable au milieu de nulle part. Ces deux camps fermés présentent des affinités troublantes avec des camps de concentration. Les conditions de vie inhumaines au sein de ces camps s’aggravaient encore plus par le risque de contamination accru du fait de la très grande promiscuité et des conditions sanitaires effrayantes (coupures d’eau sporadiques à Malakassa, manque de produits d’hygiène, et approvisionnement en eau courante seulement deux heures par jour à Klidi)[52]. Or, après le rétablissement de la procédure d’asile, les 2.927 personnes arrivées en mars, ont obtenu–au moins en théorie- le droit de déposer une demande, mais n’ont toujours ni l’assistance juridique nécessaire, ni interprètes, ni accès effectif au service d’asile. Celui-ci a rouvert depuis le 18 mars, mais fonctionne toujours à effectif réduit, et est submergé par les demandes de renouvellement des cartes. Actuellement les réfugiés placés en détention sont toujours retenus dans les même camps qui sont devenus des camps semi-fermés sans pour autant que les conditions de vie dégradantes et dangereuses pour la santé des résidents aient vraiment changé. Ceci est d’autant plus vrai que le confinement de réfugiés et de demandeurs d’asile a été prolongé jusqu’au 5 juillet, ce qui ne leur permet de circuler que seulement avec une autorisation de la police, tandis que la population grecque est déjà tout à fait libre de ses mouvements. Dans ces conditions, il est pratiquement impossible d’accomplir des démarches nécessaires pour le dépôt d’une demande bien documentée.

    Refugee Support Aegean a raison de souligner que « les répercussions d’une violation aussi flagrante des principes fondamentaux du droit des réfugiés et des droits de l’homme ne disparaissent pas avec la fin de validité du décret, les demandeurs d’asile concernés restant en détention arbitraire dans des conditions qui ne sont aucunement adaptées pour garantir leur vie et leur dignité. Le décret de suspension crée un précédent dangereux pour la crédibilité du droit international et l’intégrité des procédures d’asile en Grèce et au-delà ».

    Cependant, nous ne pouvons pas savoir jusqu’où pourrait aller cette escalade d’horreurs. Aussi inimaginable que cela puisse paraître , il y a pire, même par rapport au camp fermé de Klidi à Serres, que Maria Malagardis, journaliste à Libération, avait à juste titre désigné comme ‘un camp quasi-militaire’. Car les malheureux arrêtés à Evros fin février et début mars, ont été jugés en procédure de flagrant délit, et condamnés pour l’exemple à des peines de prison de quatre ans ferme et des amendes de 10.000 euros -comme quoi, les autorités grecques peuvent revendiquer le record en matière de peine pour entrée irrégulière, car même la Hongrie de Orban, ne condamne les migrants qui ont osé traverser ses frontières qu’à trois ans de prison. Au moins une cinquantaine de personnes ont été condamnées ainsi pour « entrée irrégulière dans le territoire grec dans le cadre d’une menace asymétrique portant sur l’intégrité du pays », et ont été immédiatement incarcérées. Et il est fort à parier qu’aujourd’hui, ces personnes restent toujours en prison, sans que le rétablissement de la procédure ait changé quoi que ce soit à leur sort.

    Eriger l’exception en règle

    Qui plus est la suspension provisoire de la procédure laisse derrière elle des marques non seulement aux personnes ayant vécu sous la menace de déportation imminente, et qui continuent à vivre dans des conditions indignes, mais opère aussi une brèche dans la validité universelle du droit international et de la Convention de Genève, en créant un précédent dangereux. Or, c’est justement ce précédent que M. Mitarakis veut ériger en règle européenne en proposant l’introduction d’une clause de force majeure dans la législation européenne de l’asile[53] : dans le débat pour la création d’un système européen commun pour l’asile, le Ministre grec de la politique migratoire a plaidé pour l’intégration de la notion de force majeure dans l’acquis européen : celle-ci permettrait de contourner la législation sur l’asile dans des cas où la sécurité territoriale ou sanitaire d’un pays serait menacée, sans que la violation des droits de requérants expose le pays responsable à des poursuites. Pour convaincre ses interlocuteurs, il a justement évoqué le cas de la suspension par le gouvernement de la procédure pendant un mois, qu’il compte ériger en paradigme pour la législation communautaire. Cette demande fut réitérée le 5 juin dernier, par une lettre envoyée par le vice-ministre des Migrations et de l’Asile, Giorgos Koumoutsakos, au vice-président Margaritis Schinas et au commissaire aux affaires intérieures, Ylva Johansson. Il s’agit de la dite « Initiative visant à inclure une clause d’état d’urgence dans le Pacte européen pour les migrations et l’asile », une initiative cosignée par Chypre et la Bulgarie. Par cette lettre, les trois pays demandent l’inclusion au Pacte européen d’une clause qui « devrait prévoir la possibilité d’activer les mécanismes d’exception pour prévenir et répondre à des situations d’urgence, ainsi que des déviations [sous-entendu des dérogations au droit européen] dans les modes d’action si nécessaire ».[54] Nous le voyons, la Grèce souhaite, non seulement poursuivre sa politique de « surveillance agressive » des frontières et de violation des droits de migrants, mais veut aussi ériger ces pratiques de tout point de vue illégales en règle d’action européenne. Il nous faudrait donc prendre la mesure de ce que laisse derrière elle la fracture dans l’universalité de droit d’asile opérée par la suspension provisoire de la procédure. Même si celle-ci a été bon an mal an rétablie, les effets de ce geste inédit restent toujours d’actualité. L’état d’exception est en train de devenir permanent.

    Une rhétorique de la haine

    Le discours officiel a changé de fond en comble depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Mitsotakis. Des termes, comme « clandestins » ont fait un retour en force, accompagnés d’une véritable stratégie de stigmatisation visant à persuader la population que les arrivants ne sont point des réfugiés mais des immigrés économiques censés profiter du laxisme du gouvernement précédent pour envahir le pays et l’islamiser. Cette rhétorique haineuse qui promeut l’image des hordes d’étrangers envahisseurs menaçant la nation et ses traditions, ne cesse d’enfler malgré le fait qu’elle soit démentie d’une façon flagrante par les faits : les arrivants, dans leur grande majorité, ne veulent pas rester en Grèce mais juste passer par celle-ci pour aller ailleurs en Europe, là où ils ont des attaches familiales, communautaires etc. Ce discours xénophobe aux relents racistes dont le paroxysme a été atteint avec la mise en avant de l’épouvantail du ‘clandestin’ porteur du virus venant contaminer et décimer la nation, a été employé d’une façon délibérée afin de justifier la politique dite de la « surveillance agressive » des frontières grecques. Il sert également à légitimer la transformation programmée des actuels CIR (RIC en anglais) en centres fermés ‘contrôlés’, où les demandeurs n’auront qu’un droit de sortie restreint et contrôlé par la police. Le ministre Mitarakis a déjà annoncé la transformation du nouveau camp de Malakasa, où étaient détenus ceux qui sont arrivés pendant la durée de la suspension d’asile, un camp qui était censé s’ouvrir après la fin de validité du décret, en camp fermé ‘contrôlé’ où toute entrée et sortie seraient gérées par la police[55].

    Révélateur des intentions du gouvernement grec, est le projet du Ministre de la politique migratoire d’étendre les compétences du Service d’Asile bien au-delà de la protection internationale, et notamment aux …expulsions ! D’après le quotidien grec Ephimérida tôn Syntaktôn, le ministre serait en train de prospecter pour la création de trois nouvelles sections au sein du Service d’Asile : Coordination de retours forcés depuis le continent et retours volontaires, Coordination des retours depuis les îles, Appels et exclusions. Bref, le Service d’Asile grec qui a déjà perdu son autonomie, depuis qu’il a été attaché au Secrétariat général de la politique de l’Immigration du Ministère, risque de devenir – et cela serait une première mondiale- un service d’asile et d’expulsions. Voilà comment se met en œuvre la consolidation du rôle de la Grèce en tant que « bouclier de l’Europe », comme l’avait désigné début mars Ursula von der Leyden. Voilà ce qu’est en train d’ériger l’Europe qui soutient et finance la Grèce face à des personnes persécutées fuyant de guerres et de conflits armés : un mur fait de barbelés, de patrouilles armés jusqu’aux dents et d’une flotte de navires militaires. Quant à ceux qui arrivent à passer malgré tout, ils seront condamnés à rester dans les camps de la honte.

    Que faire ?

    Certaines analyses convoquent la position géopolitique de la Grèce et le rapport de forces dans l’UE, afin de présenter cette situation intolérable comme une fatalité dont on ne saurait vraiment échapper. Mais face à l’ignominie, dire qu’il n’y aurait rien ou presque à faire, serait une excuse inacceptable. Car, même dans le cadre actuel, des solutions il y en a et elles sont à portée de main. La déclaration commune UE-Turquie mise en application le 20 mars 2016, n’est plus respectée par les différentes parties. Déjà avant février 2020, l’accord ne fut jamais appliqué à la lettre, autant par les Européens qui n’ont pas fait les relocalisations promises ni respecté leurs engagements concernant la procédure d’intégration de la Turquie en UE, que par la Turquie qui, au lieu d’employer les 6 milliards qu’elle a reçus pour améliorer les conditions de vie des réfugiés sur son sol, s’est servi de cet argent pour construire un mur de 750 km dans sa frontière avec la Syrie, afin d’empêcher les réfugiés de passer. Cependant ce sont les récents développements de mars 2020 et notamment l’afflux organisé par les autorités turques de réfugiés à la frontière d’Evros qui ont sonné le glas de l’accord du 18 mars 2016. Dans la mesure où cet accord est devenu caduc, avec l’ouverture de frontières de la Turquie le 28 février dernier, il n’y plus aucune obligation officielle du gouvernement grec de continuer à imposer le confinement géographique dans les îles des demandeurs d’asile. Leur transfert sécurisé vers la péninsule pourrait s’effectuer à court terme vers des structures hôtelières de taille moyenne dont plusieurs vont rester fermées cet été. L’appel international Évacuez immédiatement les centres d’accueil – louez des logements touristiques vides et des maisons pour les réfugiés et les migrants ! qui a déjà récolté 11.500 signatures, détaille un tel projet. Ajoutons, que sa réalisation pourrait profiter aussi à la société locale, car elle créerait des postes de travail en boostant ainsi l’économie de régions qui souvent ne dépendent que du tourisme pour vivre.

    A court et à moyen terme, il faudrait qu’enfin les pays européens honorent leurs engagements concernant les relocalisations et se mettent à faciliter au lieu d’entraver le regroupement familial. Quelques timides transferts de mineurs ont été déjà faits vers l’Allemagne et le Luxembourg, mais le nombre d’enfants concernés est si petit que nous pouvons nous pouvons nous demander s’il ne s’agirait pas plutôt d’une tentative de se racheter une conscience à peu de frais. Car, sans un plan large et équitable de relocalisations, le transfert massif de requérants en Grèce continentale, risque de déplacer le problème des îles vers la péninsule, sans améliorer significativement les conditions de vie de réfugiés.

    Si les requérants qui ont déjà derrière eux l’expérience traumatisante de Moria et de Vathy, sont transférés à un endroit aussi désolé et isolé de tout que le camp de Nea Kavala (au nord de la Grèce) qui a été décrit comme un Enfer au Nord de la Grèce, nous ne faisons que déplacer géographiquement le problème. Toute la question est de savoir dans quelles conditions les requérants seront invités à vivre et dans quelles conditions les réfugiés seront transférés.

    Les solutions déjà mentionnées sont réalisables dans l’immédiat ; leur réalisation ne se heurte qu’au fait qu’elles impliquent une politique courageuse à contre-pied de la militarisation actuelle des frontières. C’est bien la volonté politique qui manque cruellement dans la mise en œuvre d’un plan d’urgence pour l’évacuation des hot-spots dans les îles. L’Europe-Forteresse ne saurait se montrer accueillante. Tant du côté grec que du côté européen la nécessité de créer des conditions dignes pour l’accueil de réfugiés n’entre nullement en ligne de compte.

    Car, même le financement d’un tel projet est déjà disponible. Début mars l’UE s’est engagé de donner à la Grèce 700 millions pour qu’elle gère la crise de réfugiés, dont 350 millions sont immédiatement disponibles. Or, comme l’a révélé Ylva Johansson pendant son intervention au comité LIBE du 2 avril dernier, les 350 millions déjà libérés doivent principalement servir pour assurer la continuation et l’élargissement du programme d’hébergement dans le continent et le fonctionnement des structures d’accueil continentales, tandis que 35 millions sont destinés à assurer le transfert des plus vulnérables dans des logements provisoires en chambres d’hôtel. Néanmoins la plus grande somme (220 millions) des 350 millions restant est destinée à financer de nouveaux centres de réception et d’identification dans les îles (les dits ‘multi-purpose centers’) qui vont fonctionner comme des centres semi-fermés où toute sortie sera règlementée par la police. Les 130 millions restant seront consacrés à financer le renforcement des contrôles – et des refoulements – à la frontière terrestres et maritime, avec augmentation des effectifs et équipement de la garde côtière, de Frontex, et des forces qui assurent l’étanchéité des frontières terrestres. Il aurait suffi de réorienter la somme destinée à financer la construction des centres semi-fermés dans les îles, et de la consacrer au transfert sécurisé au continent pour que l’installation des requérants et des réfugiés en hôtels et appartements devienne possible.

    Mais que faire pour stopper la multiplication exponentielle des refoulements à la frontière ? Si Frontex, comme Fabrice Leggeri le prétend, n’a aucune implication dans les opérations de refoulement, si ses agents n’y participent pas de près ou de loin, alors ces officiers doivent immédiatement exercer leur droit de retrait chaque fois qu’ils sont témoins d’un tel incident ; ils pouvaient même recevoir la directive de ne refuser d’appliquer tout ordre de refoulement, comme l’avait fait début mars le capitaine danois Jan Niegsch. Dans la mesure où non seulement les témoignages mais aussi des documents vidéo et des audio attestent l’existence de ces pratiques en tous points illégales, les instances européennes doivent mettre une condition sine qua non à la poursuite du financement de la Grèce pour l’accueil de migrants : la cessation immédiate de ces types de pratiques et l’ouverture sans délai d’une enquête indépendante sur les faits dénoncés. Si l’Europe ne le fait pas -il est fort à parier qu’elle n’en fera rien-, elle se rend entièrement responsable de ce qui se passe à nos frontières.

    Car,on le voit, l’UE persiste dans la politique de la restriction géographique qui oblige réfugiés et migrants à rester sur les îles pour y attendre la réponse définitive à leur demande, tandis qu’elle cautionne et finance la pratique illégale des refoulements violents à la frontière. Les intentions d’Ylva Johansson ont beau être sincères : une politique qui érige la Grèce en ‘bouclier de l’Europe’, ne saurait accueillir, mais au contraire repousser les arrivants, même au risque de leur vie.

    Quant au gouvernement grec, force est de constater que sa politique migratoire du va dans le sens opposé d’un large projet d’hébergement dans des structures touristiques hors emploi actuellement. Révélatrice des intentions du gouvernement actuel est la décision du ministre Mitarakis de fermer 55 à 60 structures hôtelières d’accueil parmi les 92 existantes d’ici fin 2020. Il s’agit de structures fonctionnant dans le continent qui offrent un niveau de vie largement supérieur à celui des camps. Or, le ministre invoque un argument économique qui ne tient pas la route un seul instant, pour justifier cette décision : pour lui, les structures hôtelières seraient trop coûteuses. Mais ce type de structure n’est pas financé par l’Etat grec mais par l’IOM, ou par l’UE, ou encore par d’autres organismes internationaux. La fermeture imminente des hôtels comme centres d’accueil a une visée autre qu’économique : il faudrait retrancher complètement les requérants et les réfugiés de la société grecque, en les obligeant à vivre dans des camps semi-fermés où les sorties seront limitées et contrôlées. Cette politique d’enfermement vise à faire sentir tant aux réfugiés qu’à la population locale que ceux-ci sont et doivent rester un corps étranger à la société grecque ; à cette fin il vaut mieux les exclure et les garder hors de vue.

    Qui plus est la fermeture de deux tiers de structures hôtelières actuelles ne pourra qu’aggraver encore plus le manque de places en Grèce continentale, rendant ainsi quasiment impossible la décongestion des îles. Sauf si on raisonne comme le Ministre : le seul moyen pour créer des places est de chasser les uns – en l’occurrence des familles de réfugiés reconnus- pour loger provisoirement les autres. La preuve, les mesures récentes de restrictions drastiques des droits aux allocations et à l’hébergement des réfugiés, reconnus comme tels, par le service de l’asile. Ceux-ci n’ont le droit de séjourner aux appartements loués par l’UNHCR dans le cadre du programme ESTIA, et aux structures d’accueil que pendant un mois (et non pas comme auparavant six) après l’obtention de leur titre, et ils ne recevront plus que pendant cette période très courte les aides alloués aux réfugiés qui leur permettraient de survivre pendant leur période d’adaptation, d’apprentissage de la langue, de formation etc. Depuis la fin du mois de mai, les autorités ont entrepris de mettre dans la rue 11.237 personnes, dont la grande majorité de réfugiés reconnus, afin de libérer des places pour la supposée imminente décongestion des îles. Au moins 10.000 autres connaîtront le même sort en juillet, car en ce moment le délai de grâce d’un mois aura expiré pour eux aussi. Ce qui veut dire que le gouvernement grec non seulement impose des conditions de vie inhumaines et de confinements prolongés aux résidants de hot-spots et aux détenus en PROKEKA (les CRA grecs), mais a entrepris à réduire les familles de réfugiés ayant obtenu la protection internationale en sans-abri, errant sans toit ni ressources dans les villes.

    La dissuasion par l’horreur

    De tout ce qui précède, nous pouvons aisément déduire que la stratégie du gouvernement grec, une stratégie soutenue par les instances européennes et mise en application en partie par des moyens que celles-ci mettent à la disposition de celui-là, consiste à rendre la vie invivable aux réfugiés et aux demandeurs d’asile vivant dans le pays. Qui plus est, dans le cadre de cette politique, la dérogation systématique aux règles du droit et notamment au principe de non-refoulement, instauré par la Convention de Genève est érigée en principe régulateur de la sécurisation des frontières. Le maintien de camps comme Moria à Lesbos et Vathy à Samos témoignent de la volonté de créer des lieux terrifiants d’une telle notoriété sinistre que l’évocation même de leurs noms puisse avoir un effet de dissuasion sur les candidats à l’exil. On ne saurait expliquer autrement la persistance de la restriction géographique de séjour dans les îles de dizaines de milliers de requérants dans des conditions abjectes.

    Nous savons que l’Europe déploie depuis plusieurs années en Méditerranée centrale la politique de dissuasion par la noyade, une stratégie qui a atteint son summum avec la criminalisation des ONG qui essaient de sauver les passagers en péril ; l’autre face de cette stratégie de la terreur se déploie à ma frontière sud-est, où l’Europe met en œuvre une autre forme de dissuasion, celle effectuée par l’horreur des hot-spots. Aux crimes contre l’humanité qui se perpétuent en toute impunité en Méditerranée centrale, entre la Libye et l’Europe, s’ajoutent d’autres crimes commis à la frontière grecque[56]. Car il s’agit bien de crimes : poursuivre des personnes fuyant les guerres et les conflits armés par des opérations de refoulement particulièrement violentes qui mettent en danger leurs vies est un crime. Obliger des personnes dont la plus grande majorité est vulnérable à vivoter dans des conditions si indignes et dégradantes en les privant de leurs droits, est un acte criminel. Ceux qui subissent de tels traitement n’en sortent pas indemnes : leur santé physique et mentale en est marquée. Il est impossible de méconnaître qu’un séjour – et qui plus est un séjour prolongé- dans de telles conditions est une expérience traumatisante en soi, même pour des personnes bien portantes, et à plus forte raison pour celles et ceux qui ont déjà subi des traumatismes divers : violences, persécutions, tortures, viols, naufrages, pour ne pas mentionner les traumas causés par des guerres et de conflits armés.

    Gisti, dans son rapport récent sur le hotspot de Samos, soulignait que loin « d’être des centres d’accueil et de prise en charge des personnes en fonction de leurs besoins, les hotspots grecs, à l’image de celui de Samos, sont en réalité des camps de détention, soustraits au regard de la société civile, qui pourraient n’avoir pour finalité que de dissuader et faire peur ». Dans son rapport de l’année dernière, le Conseil Danois pour les réfugiés (Danish Refugee Council) ne disait pas autre chose : « le système des hot spots est une forme de dissuasion »[57]. Que celle-ci se traduise par des conditions de vie inhumaines où des personnes vulnérables sont réduites à vivre comme des bêtes[58], peu importe, pourvu que cette horreur fonctionne comme un repoussoir. Néanmoins, aussi effrayant que puisse être l’épouvantail des hot-spots, il n’est pas sûr qu’il puisse vraiment remplir sa fonction de stopper les ‘flux’. Car les personnes qui prennent le risque d’une traversée si périlleuse ne le font pas de gaité de cœur, mais parce qu’ils n’ont pas d’autre issue, s’ils veulent préserver leur vie menacée par la guerre, les attentats et la faim tout en construisant un projet d’avenir.

    Quoi qu’il en soit, nous aurions tort de croire que tout cela n’est qu’une affaire grecque qui ne nous atteint pas toutes et tous, en tout cas pas dans l’immédiat. Car, la stratégie de « surveillance agressive » des frontières, de dissuasion par l’imposition de conditions de vie inhumaines et de dérogation au droit d’asile pour des raisons de « force majeure », est non seulement financée par l’UE, mais aussi proposée comme un nouveau modèle de politique migratoire pour le cadre européen commun de l’asile en cours d’élaboration. La preuve, la récente « Initiative visant à inclure une clause d’état d’urgence dans le Pacte européen pour les migrations et l’asile » lancée par la Grèce, la Bulgarie et Chypre.

    Il devient clair, je crois, que la stratégie du gouvernement grec s’inscrit dans le cadre d’une véritable guerre aux migrants que l’UE non seulement cautionne mais soutient activement, en octroyant les moyens financiers et les effectifs nécessaires à sa réalisation. Car, les appels répétés, par ailleurs tout à fait justifiés et nécessaires, de la commissaire Ylva Johansson[59] et de la commissaire au Conseil de l’Europe Dunja Mijatović[60] de respecter les droits des demandeurs d’asile et de migrants, ne servent finalement que comme moyen de se racheter une conscience, devant le fait que cette guerre menée contre les migrants à nos frontières est rendue possible par la présence entre autres des unités RABIT à Evros et des patrouilleurs et des avions de Frontex et de l’OTAN en mer Egée. La question à laquelle tout citoyen européen serait appelé en son âme et conscience à répondre, est la suivante : sommes-nous disposés à tolérer une telle politique qui instaure un état d’exception permanent pour les réfugiés ? Car, comment désigner autrement cette ‘situation de non-droit absolu’[61] dans laquelle la Grèce sous la pression et avec l’aide active de l’Europe maintient les demandeurs d’asile ? Sommes-nous disposés à la financer par nos impôts ?

    Car le choix de traiter une partie de la population comme des miasmes à repousser coûte que coûte ou à exclure et enfermer, « ne saurait laisser intacte notre société tout entière. Ce n’est pas une question d’humanisme, c’est une question qui touche aux fondements de notre vivre-ensemble : dans quel type de société voulons-nous vivre ? Dans une société qui non seulement laisse mourir mais qui fait mourir ceux et celles qui sont les plus vulnérables ? Serions-nous à l’abri dans un monde transformé en une énorme colonie pénitentiaire, même si le rôle qui nous y est réservé serait celui, relativement privilégié, de geôliers ? [62] » La commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, avait à juste titre souligné que les « refoulements et la violence aux frontières enfreignent les droits des réfugiés et des migrants comme ceux des citoyens des États européens. Lorsque la police ou d’autres forces de l’ordre peuvent agir impunément de façon illégale et violente, leur devoir de rendre des comptes est érodé et la protection des citoyens est compromise. L’impunité d’actes illégaux commis par la police est une négation du principe d’égalité en droit et en dignité de tous les citoyens... »[63]. A n’importe quel moment, nous pourrions nous aussi nous trouver du mauvais côté de la barrière.

    Il serait plus que temps de nous lever pour dire haut et fort :

    Pas en notre nom ! Not in our name !

    https://migration-control.info/?post_type=post&p=63932
    #guerre_aux_migrants #asile #migrations #réfugiés #Grèce #îles #Evros #frontières #hotspot #Lesbos #accord_UE-Turquie #Vathy #Samos #covid-19 #coronavirus #confinement #ESTIA #PROKEKA #rétention #détention_administrative #procédure_accélérée #asile #procédure_d'asile #EASO #Frontex #surveillance_des_frontières #violence #push-backs #refoulement #refoulements #décès #mourir_aux_frontières #morts #life_rafts #canots_de_survie #life-raft #Mer_Egée #Méditerranée #opération_Poséidon #Uckermark #Klidi #Serres

    ping @isskein

    • The new normality: Continuous push-backs of third country nationals on the Evros river

      The Greek Council for Refugees, ARSIS-Association for the Social Support of Youth and HumanRights360 publish this report containing 39 testimonies of people who attempted to enter Greece from the Evros border with Turkey, in order to draw the attention of the responsible authorities and public bodies to the frequent practice of push-backs that take place in violation of national, EU law and international law.

      The frequency and repeated nature of the testimonies that come to our attention by people in detention centres, under protective custody, and in reception and identification centres, constitutes evidence of the practice of pushbacks being used extensively and not decreasing, regardless of the silence and denial by the responsible public bodies and authorities, and despite reports and complaints denouncements that have come to light in the recent past.
      The testimonies that follow substantiate a continuous and uninterrupted use of the illegal practice of push-backs. They also reveal an even more alarming array of practices and patterns calling for further investigation; it is particularly alarming that the persons involved in implementing the practice of push-backs speak Greek, as well as other languages, while reportedly wearing either police or military clothing. In short, we observe that the practice of push-backs constitutes a particularly wide-spread practice, often employing violence in the process, leaving the State exposed and posing a threat for the rule of law in the country.
      Τhe organizations signing this report urge the competent authorities to investigate the incidents described, and to refrain from engaging in any similar action that violates Greek, EU law, and International law.

      https://www.gcr.gr/en/news/press-releases-announcements/item/1028-the-new-normality-continuous-push-backs-of-third-country-nationals-on-the-e

      Pour télécharger le #rapport:


      https://www.gcr.gr/en/news/press-releases-announcements/item/download/492_22e904e22458d13aa76e3dce82d4dd23

  • EU pays for surveillance in Gulf of Tunis

    A new monitoring system for Tunisian coasts should counter irregular migration across the Mediterranean. The German Ministry of the Interior is also active in the country. A similar project in Libya has now been completed. Human rights organisations see it as an aid to „#pull_backs“ contrary to international law.

    In order to control and prevent migration, the European Union is supporting North African states in border surveillance. The central Mediterranean Sea off Malta and Italy, through which asylum seekers from Libya and Tunisia want to reach Europe, plays a special role. The EU conducts various operations in and off these countries, including the military mission „#Irini“ and the #Frontex mission „#Themis“. It is becoming increasingly rare for shipwrecked refugees to be rescued by EU Member States. Instead, they assist the coast guards in Libya and Tunisia to bring the people back. Human rights groups, rescue organisations and lawyers consider this assistance for „pull backs“ to be in violation of international law.

    With several measures, the EU and its member states want to improve the surveillance off North Africa. Together with Switzerland, the EU Commission has financed a two-part „#Integrated_Border_Management Project“ in Tunisia. It is part of the reform of the security sector which was begun a few years after the fall of former head of state Ben Ali in 2011. With one pillar of this this programme, the EU wants to „prevent criminal networks from operating“ and enable the authorities in the Gulf of Tunis to „save lives at sea“.

    System for military and border police

    The new installation is entitled „#Integrated_System_for_Maritime_Surveillance“ (#ISMariS) and, according to the Commission (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-9-2020-000891-ASW_EN.html), is intended to bring together as much information as possible from all authorities involved in maritime and coastal security tasks. These include the Ministry of Defence with the Navy, the Coast Guard under the Ministry of the Interior, the National Guard, and IT management and telecommunications authorities. The money comes from the #EU_Emergency_Trust_Fund_for_Africa, which was established at the Valletta Migration Summit in 2015. „ISMariS“ is implemented by the Italian Ministry of the Interior and follows on from an earlier Italian initiative. The EU is financing similar projects with „#EU4BorderSecurity“ not only in Tunisia but also for other Mediterranean countries.

    An institute based in Vienna is responsible for border control projects in Tunisia. Although this #International_Centre_for_Migration_Policy_Development (ICMPD) was founded in 1993 by Austria and Switzerland, it is not a governmental organisation. The German Foreign Office has also supported projects in Tunisia within the framework of the #ICMPD, including the establishment of border stations and the training of border guards. Last month German finally joined the Institute itself (https://www.andrej-hunko.de/start/download/dokumente/1493-deutscher-beitritt-zum-international-centre-for-migration-policy-development/file). For an annual contribution of 210,000 euro, the Ministry of the Interior not only obtains decision-making privileges for organizing ICMPD projects, but also gives German police authorities the right to evaluate any of the Institute’s analyses for their own purposes.

    It is possible that in the future bilateral German projects for monitoring Tunisian maritime borders will also be carried out via the ICMPD. Last year, the German government supplied the local coast guard with equipment for a boat workshop. In the fourth quarter of 2019 alone (http://dipbt.bundestag.de/doc/btd/19/194/1919467.pdf), the Federal Police carried out 14 trainings for the national guard, border police and coast guard, including instruction in operating „control boats“. Tunisia previously received patrol boats from Italy and the USA (https://migration-control.info/en/wiki/tunisia).

    Vessel tracking and coastal surveillance

    It is unclear which company produced and installed the „ISMariS“ surveillance system for Tunisia on behalf of the ICPMD. Similar facilities for tracking and displaying ship movements (#Vessel_Tracking_System) are marketed by all major European defence companies, including #Airbus, #Leonardo in Italy, #Thales in France and #Indra in Spain. However, Italian project management will probably prefer local companies such as Leonardo. The company and its spin-off #e-GEOS have a broad portfolio of maritime surveillance systems (https://www.leonardocompany.com/en/sea/maritime-domain-awareness/coastal-surveillance-systems).

    It is also possible to integrate satellite reconnaissance, but for this the governments must conclude further contracts with the companies. However, „ISMariS“ will not only be installed as a Vessel Tracking System, it should also enable monitoring of the entire coast. Manufacturers promote such #Coastal_Surveillance_Systems as a technology against irregular migration, piracy, terrorism and smuggling. The government in Tunisia has defined „priority coastal areas“ for this purpose, which will be integrated into the maritime surveillance framework.

    Maritime „#Big_Data

    „ISMariS“ is intended to be compatible with the components already in place at the Tunisian authorities, including coastguard command and control systems, #radar, position transponders and receivers, night vision equipment and thermal and optical sensors. Part of the project is a three-year maintenance contract with the company installing the „ISMariS“.

    Perhaps the most important component of „ISMariS“ for the EU is a communication system, which is also included. It is designed to improve „operational cooperation“ between the Tunisian Coast Guard and Navy with Italy and other EU Member States. The project description mentions Frontex and EUROSUR, the pan-European surveillance system of the EU Border Agency, as possible participants. Frontex already monitors the coastal regions off Libya and Tunisia (https://insitu.copernicus.eu/FactSheets/CSS_Border_Surveillance) using #satellites (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-8-2018-003212-ASW_EN.html) and an aerial service (https://digit.site36.net/2020/06/26/frontex-air-service-reconnaissance-for-the-so-called-libyan-coast-guar).

    #EUROSUR is now also being upgraded, Frontex is spending 2.6 million Euro (https://ted.europa.eu/udl?uri=TED:NOTICE:109760-2020:TEXT:EN:HTML) on a new application based on artificial intelligence. It is to process so-called „Big Data“, including not only ship movements but also data from ship and port registers, information on ship owners and shipping companies, a multi-year record of previous routes of large ships and other maritime information from public sources on the Internet. The contract is initially concluded for one year and can be extended up to three times.

    Cooperation with Libya

    To connect North African coastguards to EU systems, the EU Commission had started the „#Seahorse_Mediterranean“ project two years after the fall of North African despots. To combat irregular migration, from 2013 onwards Spain, Italy and Malta have trained a total of 141 members of the Libyan coast guard for sea rescue. In this way, „Seahorse Mediterranean“ has complemented similar training measures that Frontex is conducting for the Coastal Police within the framework of the EU mission #EUBAM_Libya and the military mission #EUNAVFOR_MED for the Coast Guard of the Tripolis government.

    The budget for „#Seahorse_Mediterranean“ is indicated by the Commission as 5.5 million Euro (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-9-2020-000892-ASW_EN.html), the project was completed in January 2019. According to the German Foreign Office (http://dipbt.bundestag.de/doc/btd/19/196/1919625.pdf), Libya has signed a partnership declaration for participation in a future common communication platform for surveillance of the Mediterranean. Tunisia, Algeria and Egypt are also to be persuaded to participate. So far, however, the governments have preferred unilateral EU support for equipping and training their coastguards and navies, without having to make commitments in projects like „Seahorse“, such as stopping migration and smuggling on the high seas.

    https://digit.site36.net/2020/06/28/eu-pays-for-surveillance-in-gulf-of-tunis

    #Golfe_de_Tunis #surveillance #Méditerranée #asile #migrations #réfugiés #militarisation_des_frontières #surveillance_des_frontières #Tunisie #externalisation #complexe_militaro-industriel #Algérie #Egypte #Suisse #EU #UE #Union_européenne #Trust_Fund #Emergency_Trust_Fund_for_Africa #Allemagne #Italie #gardes-côtes #gardes-côtes_tunisiens #intelligence_artificielle #IA #données #Espagne #Malte #business

    ping @reka @isskein @_kg_ @rhoumour @karine4

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    Ajouté à cette métaliste sur l’externalisation des frontières :
    https://seenthis.net/messages/731749#message765330

    Et celle-ci sur le lien entre développement et contrôles frontaliers :
    https://seenthis.net/messages/733358#message768701