Masques FFP2 : des salariés de l’industrie mieux protégés que les soignants - Page 1

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    Les masques FFP2, les plus protecteurs face à la pandémie, sont ceux qui manquent le plus aux soignants, contaminés par milliers. Dans le même temps, les entreprises en consomment d’importantes quantités, à tel point que des salariés de Renault ou Michelin sont mieux équipés que les hospitaliers.

    Les livraisons de masques accélèrent, enfin. Grâce aux commandes passées en Chine, l’État en a importé 178 millions en trois semaines, soit plus de masques qu’il n’en consomme, a annoncé dimanche 19 avril le premier ministre lors d’une conférence de presse avec son ministre de la santé, Olivier Véran (lire notre enquête ici). Le gouvernement envisage même pour la première fois « un élargissement de la politique de distribution » dans « les prochaines semaines ». Il y a urgence, vu le rationnement en vigueur depuis le début de la crise, y compris en ce qui concerne les simples masques chirurgicaux, conçus pour empêcher de contaminer les autres. 

    Il n’y a, par contre, aucune embellie à attendre du côté des masques de protection respiratoire FFP2, les plus efficaces et les plus rares, conçus pour empêcher leur porteur de contracter le virus. « Il existe encore des tensions d’approvisionnement », a reconnu Olivier Véran dimanche. L’État ne les a donnés qu’au compte-gouttes aux hôpitaux. Et leur distribution aux soignants reste extrêmement restreinte, alors qu’ils sont contaminés par milliers.

    Olivier Véran a ajouté qu’il n’est « pas encore possible » pour l’État « d’en distribuer dans de larges proportions », notamment aux « professionnels de santé en ville [qui] voudraient pouvoir en disposer ». « Les masques FFP2 sont tellement précieux pour le secteur hospitalier aujourd’hui […] qu’il faut prioriser vraiment encore l’hôpital, tant qu’il y a des malades », a insisté le ministre.

    Mais une enquête de Mediapart montre que, dans le même temps, les entreprises qui ne sont pas dans le secteur sanitaire achètent et consomment des quantités importantes de masques FFP2 et de son cousin haut de gamme, le FFP3, un modèle essentiellement industriel qui n’est pas en temps normal utilisé à l’hôpital.

    Certaines entreprises les utilisent pour protéger leurs salariés du coronavirus. À tel point que dans de grands groupes, comme Renault ou Michelin, certains salariés sont mieux équipés en FFP2 que beaucoup de soignants hospitaliers qui travaillent dans des services Covid-19. 

    D’autres n’ont tout simplement pas le choix : dans l’industrie et le bâtiment, il est obligatoire d’équiper certains ouvriers pour les protéger des poussières, des produits chimiques ou de substances comme l’amiante.

    Cette situation est tout à fait légale, puisque le gouvernement a libéralisé le 21 mars l’importation des masques, y compris les FFP (2 ou 3). Vu la paralysie de l’économie – plus de 10 millions de salariés sont au chômage partiel –, qui frappe de plein fouet les finances publiques et les Français les plus modestes, le gouvernement encourage les entreprises à s’équiper pour que le travail reprenne au plus vite. 

    Mais cette politique pose question, vu la situation dans les hôpitaux. D’autant plus que la consommation des masques de protection respiratoire par les entreprises risque d’exploser avec le déconfinement prévu à partir du 11 mai.

    Plusieurs grands groupes français ont déjà repris partiellement le travail ou s’apprêtent à le faire. Chez Renault, trois usines ont redémarré cette semaine. Celle de Flins (Yvelines) va suivre la semaine prochaine.

    Dans une vidéo postée sur YouTube pour expliquer les nouvelles consignes sanitaires aux salariés de Flins, la direction indique que le port du masque chirurgical sera obligatoire. « Pour les rares postes où la distance d’un mètre minimum ne peut être garantie, les salariés concernés sont équipés d’un masque FFP2, qui assure une protection maximale », ajoute la vidéo.

    Un document interne obtenu par Mediapart (ci-dessous) confirme qu’il s’agit bien d’une consigne nationale, qui sera appliquée dans tous les sites français. Contacté, Renault a refusé de nous répondre.


    Consignes de Renault sur le port des masques chirurgicaux et FFP2 dans ses usines. © Document Mediapart

    Plusieurs salariés nous ont indiqué avoir été « choqués » par l’usage de masques FFP2. « Vu la pandémie, ils seraient plus utiles dans les hôpitaux que pour faire des voitures », indique l’un d’entre eux.

    Il est tout à fait louable que Renault protège ses salariés. Mais ils sont, de fait, mieux traités que les soignants. Depuis un avis du 4 mars de la Société française d’hygiène hospitalière, le port du masque FFP2 à l’hôpital est prescrit seulement lors des actes invasifs comme l’intubation, c’est-à-dire pour l’essentiel dans les services de réanimation. 

    Même ces soignants les plus exposés ne sont pas toujours correctement fournis. Dans le service de réanimation de l’hôpital Tenon, à Paris, sont utilisés « des masques FFP2 périmés depuis 2013 », témoigne un aide-soignant. Alors qu’ils doivent être étanches, « ils ne collent pas vraiment au visage, on sent l’air passer », assure-t-il. Et la pénurie est telle qu’ils sont « distribués au compte-gouttes ». 

    Olivier Youinou, co-secrétaire général de SUD-Santé à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), confirme : « Pour les masques FFP2, c’est plus que tendu. L’hôpital Henri-Mondor, à Créteil, utilise des masques périmés, fabriqués en 2009. Même chose à Saint-Antoine, à Paris. Les urgences de la Pitié-Salpêtrière ont récupéré un stock datant de 2001 pour réaliser les tests de dépistage : la mousse des masques est restée collée sur leur visage. »

    Jean-Michel Constantin, professeur de réanimation à la Pitié-Salpêtrière ne nie pas le problème : « J’ai moi même été stressé, car on a reçu nos premiers stocks de masques FFP2 périmés. Mais j’ai vérifié la littérature et les tests réalisés sur ces masques : ils filtrent aussi bien. Je ne mettrai pas en danger mon équipe ni sur le plan humain, ni sur le plan pénal. » Dans les services hors réanimation, la plupart des personnels hospitaliers doivent se contenter d’un masque chirurgical. Une doctrine souvent jugée trop restrictive par les soignants. Olivier Youinou estime que les FFP2 devraient être généralisés dans tous les soins rapprochés, ou dans certains services qui se sont révélés particulièrement à risque de voir se diffuser le virus. 

    Il cite l’exemple des centres de dialyse, où les patients ont de très forts risques de contracter le virus, mais aussi de développer des formes graves. De nombreux centres de dialyse ont été « foudroyés avec des taux de contamination de plus 30 % », raconte un néphrologue sous le sceau de l’anonymat. « Au début de l’épidémie, les patients, comme les soignants, n’étaient même pas équipés de masques, ajoute-t-il. Pourtant, les soins sont rapprochés, beaucoup de patients toussent. On plaide pour obtenir des FFP2. Il est question de nous les accorder, mais seulement pour les soins sur les malades du Covid-19. Oui, on se sent en danger. Des soignants sont tombés malades, certains sont en réanimation. »

    Les ouvriers de Renault équipés de FFP2 sont loin de courir de tels risques. Et le constructeur automobile n’est pas le seul à appliquer une politique de distribution plus généreuse que celle des hôpitaux. Interrogé par Mediapart, Michelin, dont l’ensemble des sites français a repris partiellement le travail, indique équiper ses salariés de masques chirurgicaux, mais aussi de FFP2 « dans les cas de risques avérés d’exposition directe au virus afin de protéger les personnes » : personnel de nettoyage, agents d’accueil du public, « personnel médical et de secours » des usines, ou encore les « personnes fragiles ». 

    Le fabricant de pneus indique que ses sites français ont consommé cette semaine 71 921 masques chirurgicaux et 5 164 FFP2, et que les besoins hebdomadaires devraient grimper à 178 277 chirurgicaux et 6 634 FFP2 d’ici à la mi-juin.

    L’État laisse des masques aux entreprises au nom de la la « continuité d’activité »

    Interrogé sur la pénurie de masques chez les soignants, Michelin répond qu’il s’est lancé dans la production de masques, et qu’il a établi pour politique de donner un masque pour chaque exemplaire consommé. L’objectif est atteint pour les masques chirurgicaux (203 800 dons au total), mais pas pour les FFP2 : 3 000 ont été offerts depuis le 3 mars, soit moins d’une semaine de consommation.

    Sur les huit groupes français interrogés par Mediapart, Michelin est le seul à s’être montré transparent (lire notre boîte noire). Dans les grandes entreprises, le sujet est d’autant plus sensible que les syndicats s’emparent du sujet. Chez PSA Peugeot Citroën, la CGT a dénoncé le 14 avril le fait que la réouverture prochaine des usines allait engendrer la consommation de « plusieurs centaines de milliers de masques » chirurgicaux par semaine, alors que les soignants et les activités économiques essentielles « n’arrivent pas à en avoir en quantité suffisante ».

    Interrogé par Mediapart, PSA nous a dit avoir donné 700 000 masques, « tout en conservant le nécessaire pour les salariés en activité sur site ». Le groupe a refusé de nous dire s’il allait consommer des FFP2. Toyota, dont l’usine d’Onnaing (Nord) a rouvert, ne nous a pas répondu.

    En Alsace, l’une des régions les plus touchées par le coronavirus, l’intersyndicale de l’usine Ricoh de Wettolsheim, qui fabrique notamment du papier à étiquettes, a lancé début avril une pétition en ligne pour demander que l’entreprise donne l’ensemble de ses masques « à ceux qui en ont besoin ».

    « Dès le 18 mars, on a supplié le PDG, lancé un appel pour qu’il donne des masques, notamment à l’hôpital Pasteur de Colmar, qui est l’épicentre de l’épidémie, indique Olivier Delacourt, délégué CFDT et porte-parole de l’intersyndicale. Sur 12 000 masques chirurgicaux, ils en ont donné 4 000, plus quelques FFP2 périmés. Mais il reste des FFP2 et FFP3 sur le site, qui devraient revenir aux soignants. » 

    Ricoh répond que certains de ses ouvriers doivent être protégés par des masques FFP3, qui sont donc indispensables au fonctionnement de l’usine. Le groupe estime que l’activité est essentielle, car son papier sert à étiqueter les produits frais vendus dans les supermarchés, ce que le préfet du Haut-Rhin a « reconnu ». Ricoh ajoute avoir fait des dons de masques et que l’état de son stock et son utilisation « sont partagées avec les services de l’État en totale transparence ».

    On retrouve aussi des FFP2 dans des activités absolument non prioritaires. Par exemple, selon nos informations, sur le visage des ouvriers qui repeignent les pylônes électriques à haute tension de RTE, filiale à 50 % d’EDF. C’est indispensable afin qu’ils n’inspirent pas de particules de plomb. « Ces chantiers pourraient être reportés sans problème. Je ne comprends pas que RTE cautionne ça », fulmine un acteur du secteur.

    Interrogé, RTE reconnaît que ces chantiers de peinture n’étaient « pas prioritaires et urgents », mais dit avoir accepté que certains d’entre eux reprennent, « à la demande expresse des entreprises » de peinture, qui souhaitaient « maintenir une partie de leur chiffre d’affaires ».

    Il est aujourd’hui impossible de chiffrer les achats et la consommation de masques FFP par les entreprises. Le Medef et l’UIMM, la puissante fédération patronale de la métallurgie, ne nous ont pas répondu. Les fédérations du bâtiment, des travaux publics et de la chimie nous ont dit n’avoir aucune donnée. Elles estiment que la consommation est faible, car les entreprises de leur branche éprouvent de grandes difficultés à se fournir en masques, ce qui menace le fonctionnement des usines et empêche la majorité des chantiers de repartir.

    Le gouvernement entretient l’opacité sur les FFP2, politiquement ultrasensibles. Il ne donne aucun chiffre pour le privé, et aucun sur sa propre consommation. Côté livraisons, le ministère de la santé nous a répondu que, sur les 178 millions de masques importés de Chine par l’État entre le 30 mars et le 19 avril, « 15 à 20 % » étaient des FFP2, soit au moins 26 millions d’unités en trois semaines. Mais sans s’expliquer vraiment sur les incohérences dans ses chiffres (lire notre enquête ici).

    Interrogé par Mediapart, le cabinet d’Olivier Véran estime qu’il n’y a aucune concurrence entre « commandes de l’État et commandes privées », car elles « concourent au même objectif : augmenter nos capacités d’importation de masques FFP2 ou chirurgicaux ». Sauf que les masques du privé n’iront pas chez les soignants.

    Le ministère ajoute que « les professionnels de santé sont systématiquement priorisés » et leur approvisionnement assuré par les mégacommandes à la Chine annoncées à partir du 21 mars. Et précise que « le décret de réquisition en vigueur réquisitionne les stocks présents sur le territoire ».

    La réalité est plus nuancée. L’État a réquisitionné le 3 mars les stocks de FFP2 de toutes les entités publiques et privées, mesure étendue le 13 mars à l’ensemble des masques de protection respiratoire, dont les FFP3.

    De nombreuses entreprises ont alors donné spontanément tout ou partie de leurs masques, y compris les chirurgicaux, qui n’étaient pourtant pas réquisitionnés. Mais la réquisition a connu des ratés. Comme nous l’avons raconté, certains masques ont été préparés mais jamais récupérés par l’État. Et les préfets ont laissé des masques FFP aux entreprises.

    Dans un message interne consulté par Mediapart, un dirigeant d’une PME industrielle de Vendée, qui consomme des FFP2, écrit qu’il a reçu en mars une réquisition du préfet, mais que le représentant de l’État a « validé » que l’entreprise « garde une partie des masques pour répondre à la continuité d’activité demandée par le gouvernement ».

    « Le préfet fait les arbitrages sur le nombre de masques réquisitionnés en fonction des besoins au jour le jour des services de santé », ajoute-t-il. Contactée, la préfecture de Vendée n’a pas répondu.

    Comme l’a expliqué la secrétaire d’État à l’économie Agnès Pannier-Runacher, l’État a, après une période de flottement, autorisé les entreprises qui avaient, avant la pandémie, l’obligation légale de protéger certains salariés avec des masques pouvaient continuer à le faire. 

    « Si des réquisitions ont pu être envisagées au début de la crise et nous les comprenons, elles ont été rapidement mises en suspens avec l’approvisionnement massif [de l’État en] masques, permettant de diminuer la tension », confirme la fédération patronale France Chimie. 

    Le jour de l’annonce des commandes chinoises, le 21 mars, l’État, estimant avoir assuré l’équipement des soignants, a libéralisé les importations. Seules les commandes supérieures à 5 millions de masques sur trois mois peuvent désormais être saisies. Un seuil difficile à atteindre pour les FFP2, vu la difficulté à en trouver.

    Mais comme nous l’avons raconté, des entreprises privées parviennent à en trouver en Chine. Selon nos informations, le géant aéronautique Safran, qui fabrique notamment des moteurs pour Airbus et Boeing, est parvenu à commander plusieurs centaines de milliers de masques FFP2. L’entreprise a refusé de commenter.

    Plusieurs importateurs sélectionnés par la cellule de Bercy pour aider les entreprises à s’approvisionner nous ont confirmé avoir acheté des FFP2. « J’ai envoyé plusieurs millions de FFP2 en France [pour le privé], mais j’ai arrêté de prendre les commandes. C’est un cauchemar pour s’approvisionner en Chine », témoignait un importateur le 8 avril. Il a eu la surprise d’être sollicité par plusieurs hôpitaux, qui souhaitaient court-circuiter les canaux d’approvisionnement de l’État pour faire face à la pénurie.

    Un autre importateur confirme avoir fait venir un premier million de FFP2 début avril. « Si aujourd’hui on me demande de livrer 5 millions de FFP2, je peux les faire en 12 ou 15 jours », ajoutait, début avril, un troisième professionnel sélectionné par Bercy.

    Certains importateurs référencés par Bercy nous ont indiqué refuser de commander des FFP2 pour le privé pour des raisons éthiques. « Je n’en importe pas, pour moi ils doivent être réservés au personnel soignant, qui n’en a pas assez », explique Christine Tarbis, de l’entreprise À pas de géant.

    Depuis le 21 mars, les seuls stocks entièrement réquisitionnés sont ceux des usines françaises et des distributeurs. Selon nos informations, ces derniers peuvent toutefois continuer à fournir les entreprises en masques FFP, à condition d’obtenir une autorisation préfectorale.

    Selon nos informations, le géant de l’aéronautique Airbus, dont nous avions révélé la consommation de masques FFP3 pour protéger ses salariés exposés aux poussières, a pu s’en faire livrer 20 000 unités supplémentaires par le fabricant américain 3M au mois d’avril, avec l’accord d’un préfet, selon un document consulté par Mediapart.

    Airbus a refusé de répondre à nos questions précises. Les préfectures de Haute-Garonne et de Loire-Atlantique, où sont situées les principales usines, n’ont pas pu nous répondre. Elles nous ont précisé que nos questions sur les masques devaient être remontées au « central » ou au « ministère », c’est-à-dire au gouvernement, qui les prendrait en charge. Nous n’avons pas eu de réponse.

    3M a refusé de répondre à nos questions, au motif que les informations sont « confidentielles ». « La grande majorité de notre production de masques respiratoires FFP2 et FFP3 est actuellement destinée aux besoins des professionnels de santé en réponse à l’urgence sanitaire », indique le fabricant américain. Qui confirme ainsi fournir aussi les entreprises.

    Comme nous l’avions révélé, les consignes que 3M dit avoir reçues du gouvernement indiquent pourtant que le secteur aéronautique est classé « non prioritaire », loin derrière les hôpitaux (priorité 1) et les industries essentielles comme l’alimentaire et l’énergie (priorité 2).


    © Document Mediapart

    Le groupe a pourtant fourni Dassault Aviation, lui aussi classé « non prioritaire ». Le 17 mars, premier jour du confinement, les salariés du site d’Argenteuil ont débrayé et les élus syndicaux du CSE ont lancé une procédure pour « danger grave et imminent », dénonçant l’insuffisance des mesures prises pour protéger les salariés du coronavirus. Ce qui a forcé le fabricant des chasseurs Rafale et des jets privés Falcon à stopper ses usines le lendemain. 

    Dassault a alors revu sa copie, en proposant notamment que « le port du masque de type P3 » soit obligatoire « les ateliers nécessitant l’intervention de deux techniciens et que la distanciation est difficile à respecter », indique l’inspection du travail dans l’avis favorable qu’elle a rendu le 6 avril. Selon nos informations, Dassault a réussi à se faire livrer au même moment plusieurs milliers de masques FFP3, ce qui a permis aux usines de repartir progressivement le 3 avril. L’entreprise a refusé de nous répondre.

    La Fédération des industriels de la chimie, dont les adhérents ont besoin, même en temps ordinaire, de masques FFP3 pour protéger certains salariés les plus exposés, indique que ses membres ont « le plus grand mal » à en trouver, au point que « si cette situation était amenée à perdurer, nous aurions à arrêter certains ateliers ». « Les services de santé n’utilisent pas de masques FFP3. Il n’y a pas de concurrence entre les besoins », ajoute France Chimie.

    Le gouvernement, qui avait pourtant réquisitionné les FFP3 le 13 mars, est aujourd’hui du même avis. « Conformément aux recommandations des sociétés savantes, il convient de noter que les masques destinés à l’usage des soignants sont les masques chirurgicaux et les masques FFP2 », s’est contenté de nous répondre le ministère de la santé. 

    C’est exact, mais pas pour des raisons d’efficacité, puisque le FFP3 est le modèle qui filtre le plus. « Il n’y a pas de contre-indication. Un soignant qui porte un FFP3 est autant protégé, voire mieux, qu’avec un FFP2 », indique la Dre Dominique Abiteboul, conseillère médicale au Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants (Geres).

    Si la quasi-totalité des FFP3 sont utilisés dans l’industrie, c’est parce qu’en temps normal, le FFP2 est le meilleur choix à l’hôpital : il est presque aussi performant que le P3, beaucoup moins cher et plus agréable à porter.

    Les FFP3 classiques sont tellement étanches que leur porteur a du mal à respirer. De nombreux masques industriels sont d’ailleurs dotés d’une valve, qui facilite l’expiration, mais crée du même coup un risque que son porteur contamine l’air ambiant s’il est lui-même infecté. Il serait toutefois possible de résoudre ce problème, par exemple en équipant de FFP3 à valve tous les soignants d’un même service dédié au coronavirus.

    Dans le contexte de la pandémie, les FFP3 ne seraient-ils pas plus utiles à l’hôpital que dans les usines ? Le professeur Didier Lepelletier, président du conseil scientifique de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), estime qu’à cause de ses inconvénients, l’usage de FFP3 industriels chez les soignants ne serait utile qu’en dernier recours, « si on avait une vraie pénurie de FFP2, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui en milieu hospitalier ».

    Après une période de tension, « nous avons désormais des approvisionnements réguliers en masque chirurgical et FFP2 », ajoute-t-il. La SF2H ayant par ailleurs « bien cadré les indications du FFP2 » en préconisant le 4 mars que son usage soit désormais restreint aux actes invasifs.

    Confronté aux critiques des soignants qui jugent la nouvelle doctrine trop restrictive, le Pr Lepelletier, qui en est l’un des trois signataires, dément formellement qu’elle ait pu être motivée par la gestion de la pénurie. Il indique que, comme pour chaque nouveau virus à transmission respiratoire, il est d’abord recommandé par précaution que tous les soignants au contact des malades portent des FFP2, et que la doctrine est ensuite adaptée lorsque la connaissance du virus progresse.

    « On pense que le mode de transmission par gouttelettes est le mode principal de ce virus en situation clinique standard », contre lesquelles « le masque chirurgical suffit dans la plupart des situations, à l’exception de certains actes qui peuvent diffuser dans l’air des agents infectieux de très petite taille », indique le Pr Lepelletier. Il ajoute toutefois que la question n’est pas encore tranchée sur le plan scientifique, et que « des études cliniques complémentaires sont nécessaires pour statuer sur la persistance à distance dans l’air de particules virales infectantes ». 


    Document Mediapart

    Dans un avis rendu le 20 avril à Martin Hirsch, patron de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), à la suite d’une saisine de deux membres du CHSCT pour « danger grave et imminent », l’inspection du travail de Paris estime au contraire qu’il faut appliquer le « principe de précaution » au sujet des masques FFP2 (notre document ci-dessus).

    Vu l’incertitude scientifique sur le mode de contamination du Covid, l’inspection du travail demande à l’AP-HP d’apporter à ses soignants « un niveau de sécurité maximal sans se borner à constater que la pénurie de masques FFP2 serait un justificatif suffisant à l’utilisation de moyens de protection alternatifs (masques chirurgicaux) ».

    Quoi qu’il en soit, l’État ne peut de toute façon pas fournir davantage de FFP2 aux soignants. Et des milliers de ces précieux masques de protection respiratoires continuent à être utilisés dans les entreprises, beaucoup moins exposées au coronavirus que les hôpitaux.

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