Masques en tissu : des costumières s’organisent pour sortir du travail gratuit — Entretien avec Annabelle Locks : Agir par la culture
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Depuis le début de la crise politico-sanitaire liée à la pandémie du Covid19, des couturières ne cessent d’être mobilisées à coup de larges appels à fabrication bénévole de masques en tissu émanant de pouvoirs publics peinant à élaborer d’autres solutions pour pallier leur incurie et les pénuries de protections. Annabelle Locks avait lancé l’alerte sur les conditions dans lesquelles se mènent ces opérations qui font travailler de nombreuses femmes gratuitement depuis chez elles et sans cadres. Costumière, elle initie aujourd’hui le projet « Lesmasquesdebruxelles » , un collectif « féministe et mixte qui réunit costumières et livreuses, ainsi que des hommes chargés de la collecte de textiles et des commandes » et qui vise alimenter Schaerbeek en masques. Réflexions sur la condition de couturière à l’ère du coronavirus alors que les masques sont devenus aujourd’hui des produits de première nécessité et le symbole d’une gestion gouvernementale désastreuse. Mais aussi sur ce que de nouveaux projets solidaires peuvent faire naitre d’espoirs et préparent un après plus désirable.
Comment en êtes-vous arrivée à fabriquer des masques en tissus
C’est d’abord une colère face à la situation et face à ce large appel à des bénévoles pour fabriquer des masques en tissu. La première étape a été très théorique, ça a pris la forme de la rédaction de l’article intitulé « Lutte contre le coronavirus : si les femmes s’arrêtent, les masques tombent » avec la journaliste Manon Legrand et paru dans le magazine Axelle. ►https://www.axellemag.be/coronavirus-femmes-confection-masques C’est une réflexion autour des conditions dans lesquelles les masques sont fabriqués en Europe face à la pénurie. Son travail de journaliste a énormément compté dans l’énergie et le crédit que ça m’a donné. Grâce à ce premier travail, j’ai tellement été investie de cette idée qu’il fallait à tout prix faire travailler des femmes avec des contrats et des conditions dignes que je me suis mise à le faire ! Pour moi, c’est très clair : si ce n’est pas payé et sans contrats, je préfère autant rester chez moi à lire ma bibliothèque féministe. Petit à petit, ça a pris de l’ampleur, j’ai constitué une équipe, on va former prochainement une ASBL et faire des contrats.
Je me suis assez rapidement opposée au fait que des professionnelles réalisent des masques bénévolement. Le métier de costumier est par nature précaire, fait de CDD, nos contrats ont été annulés et face à la crise, nous avons un savoir-faire utile à la société. En tant que professionnel·les, nous devons être rémunérées pour cette activité. En revanche, je ne m’oppose évidemment pas aux bénévoles qui cousent des masques de bon cœur et dont la situation financière et matérielle le permet. C’est même très beau que celles et ceux qui le peuvent, le fassent. Je souhaite toutefois alerter sur le risque de surmenage pour certaines qui se sentent investies d’une mission immense : puisqu’il faut des millions de masques, certaines travaillent des heures impossibles, et ce, bénévolement. On a d’ailleurs déjà vu quelques cas de burn-out chez les bénévoles. Dans notre collectif, nous respectons des horaires acceptables et même si la cadence est intense, nous posons les limites de ce que nous acceptons de produire chaque jour.
On peut en effet se demander pourquoi les pouvoirs publics (Régions et communes) demandent à des femmes de coudre des masques systématiquement bénévolement, comme si c’était une évidence. Pourquoi devrait-on forcément travailler gratuitement quand il s’agit de masques en tissu ?
Parce que 95% des personnes qui fabriquent des masques sont des femmes ! D’ailleurs, quand des appels à couturiers sont lancés, ils sont toujours adressés aux « couturiEREs » bénévoles et jamais aux couturiERs. Si c’était des hommes qu’on mobilisait pour la production d’un produit de première nécessité, je doute qu’on fasse appel à leur gentillesse et à leurs générosités supposées. Toute cette notion du care, du soin, est attribuée aux femmes. Dans l’imaginaire collectif, cela reviendrait à nous, les femmes, de prendre la responsabilité de ce genre de chose… Même si très curieusement, on peut constater le contraire dans le choix de l’illustration d’articles de presse sur le sujet : des photos prises dans des ateliers où seuls des hommes s’affairent derrière des machines à coudre…
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