• Au Brésil, la démission de Sérgio Moro marque « le début de la fin » pour Bolsonaro | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/international/250420/au-bresil-la-demission-de-sergio-moro-marque-le-debut-de-la-fin-pour-bolso

    Après son ministre de la santé démissionné, Jair Bolsonaro perd un nouveau poids lourd de son gouvernement. Sauf que cette fois, c’est le ministre de la justice Sérgio Moro, l’ex-juge qui avait mis Lula en prison, qui a décidé de partir en l’accusant. Alors que le nombre de victimes du coronavirus est de plus en plus important, le pouvoir est aux abois, dépassé par la situation sanitaire et en pleine crise politique, lâché par ses alliés.

    #paywall

    • Rio de Janeiro (Brésil), de notre correspondant.– Sérgio Moro apparaît d’abord hésitant, le visage marqué par l’abattement. Jamais franchement charismatique, il semble encore plus à la peine lors de cette conférence de presse, ce vendredi matin. Depuis la veille au soir, les rumeurs sur sa démission se font de plus en plus insistantes. Raison de la crise : la volonté du président Bolsonaro de limoger le directeur de la police fédérale, Maurício Valeixo, un proche du ministre de la justice.

      Sérgio Moro met vite fin au suspense. Devant les journalistes, il lâche une bombe : « Le grand problème, ce n’est pas tellement la question de qui doit être nominé. La question, c’est pourquoi changer et permettre que soient faites des interférences politiques au sein de la police fédérale. » Si le ministre de la santé était parti sans faire d’esclandre, l’ancien juge choisit une sortie explosive.

      Depuis plusieurs semaines, Sérgio Moro critiquait en interne la gestion ubuesque de la crise du coronavirus par Jair Bolsonaro, mais l’origine des tensions entre les deux hommes est plus ancienne. En début de mandat, Bolsonaro lui avait promis un poste de « super-ministre » mais, depuis, il n’a en réalité cessé d’avaler des couleuvres. Jusqu’à ce vendredi, où l’ancien juge pose un ultimatum : « Si Valeixo part, je pars aussi. »

      Paranoïaque, Bolsonaro n’en fait qu’à sa tête et confirme sa décision de virer le directeur de la police, en qui il n’a jamais eu confiance. En août 2019, alors que Flávio Bolsonaro était menacé par une enquête de la police fédérale de Rio de Janeiro, il avait déjà brandi la menace. Cette fois, le président aurait souhaité l’éloigner après avoir été informé qu’une enquête confidentielle de la police fédérale a obtenu des preuves de l’implication de son autre fils, Carlos, dans un groupe de « milices digitales » promouvant des attaques virtuelles contre les adversaires du gouvernement. Cette même enquête aurait aussi recueilli des indices sur des entrepreneurs liés au président, qui financeraient des campagnes virtuelles contre le Congrès et le Tribunal suprême.

      « La pire accusation faite par Moro au président est de tenter d’avoir accès à des rapports secrets de la police fédérale, analyse Maurício Santoro, chercheur à l’université de Rio de Janeiro. Que ce soit pour espionner ses adversaires ou protéger ses alliés ou ses fils, c’est aussi sérieux que le Watergate. » D’ailleurs, à la suite de ces accusations, le procureur général de la République (PGR), jusqu’à présent très complaisant avec le chef de l’État, a demandé l’instauration d’une enquête auprès du Tribunal suprême (STF).

      Quelques heures après les déclarations de Moro, Bolsonaro a convoqué à son tour la presse. Comme sonné, il va disserter devant elle pendant quarante minutes, évoquant l’assassinat de la conseillère municipale Marielle Franco, le chauffage de la piscine présidentielle, l’homme qui l’a poignardé durant la campagne et les conquêtes de son quatrième fils, le tout sans épargner les critiques à son ancien subordonné. Une intervention sans queue ni tête, qui masque mal la plus grave crise que traverse son administration, qui pourtant les collectionne.

      Car Sérgio Moro n’est pas n’importe qui. L’ancien juge a certes perdu de sa superbe après les révélations du journal The Intercept qui ont montré, en juin 2019, les dérives et calculs politiques de l’immense opération anti-corruption « Lava Jato », qui a abouti à l’incarcération de l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva. Une fois ses fonctions de ministre prises, Sérgio Moro n’a pas brillé. Au contraire, il a concentré les critiques à mesure que son amateurisme politique se dévoilait et que les affaires impliquant l’entourage de Bolsonaro se multipliaient. Pour autant, pour une bonne partie du Brésil et bon nombre d’électeurs du président, il reste le symbole de la lutte anti-corruption. Et ce symbole a quitté le gouvernement en accusant le président de conduite grave.

      Sur les réseaux des électeurs de Bolsonaro d’habitude si virulents, la réaction est faible. À l’inverse, les panelaços, ces concerts de casseroles de protestation, rythment la journée de la rue, à mesure que le gouvernement s’enfonce dans la crise. La débandade dans les rangs des alliés présidentiels a déjà commencé, y compris chez les plus importants.

      Dans le camp évangélique, le pasteur Malafaia ne cache pas sa colère sur Twitter tandis qu’un des leaders du lobby des armes, le capitaine Augusto (Parti libéral) assure que « c’est le début de la fin. Encore plus si cette démission a été occasionnée pour des raisons non républicaines. Même le PT n’a pas osé interférer dans l’organisation de la police fédérale. » Au sein de son gouvernement, les militaires qui tentaient de remettre un semblant d’ordre après le limogeage du ministre de la santé semblent tout aussi déstabilisés. Selon le journal Folha de S.Paulo, beaucoup ont très mal réagi à toute cette crise et considèrent le président responsable. Dans le journal Estadão, des officiers interrogés en off le décrivent comme un « zombie ».

      À l’instar de l’ex-président Temer, dévasté à la suite de la publication en 2017 d’un enregistrement l’impliquant directement dans un scandale de corruption, Bolsonaro n’est pas condamné. Comme son prédécesseur, il pourrait résister. Mais c’est prendre le risque d’appartenir à la « vieille politique » qu’il dénonce pourtant à longueur de discours.

      Il pourrait tenir, en échange du soutien de parlementaires à l’idéologie élastique, mais il devra alors leur distribuer des postes de pouvoir et des subventions. De plus en plus isolé depuis le début de la crise du coronavirus, le chef d’État était déjà en train d’opérer un rapprochement avec plusieurs figures politiques notoirement connues pour leur soutien intéressé, dont certaines qu’il fréquentait quand il n’était encore qu’un député sans relief à l’assemblée.

      « Il était peut-être mal déguisé, mais il a su maintenir une certaine illusion depuis le début de son mandat. Maintenant, le Bolsonaro original veut être intronisé », analyse Bruno Boghossian dans le journal Folha de S.Paulo. Après un peu plus d’un an au pouvoir, le masque présidentiel est tombé et révèle celui qui s’est illustré pendant 27 ans comme un député fédéral grossier, irresponsable et incohérent.

      Acculé, le président se radicalise toujours plus car pour se maintenir au pouvoir, il compte aussi sur l’aile idéologique de son gouvernement et sur ses soutiens les plus extrémistes. Pendant sa conférence de presse, Bolsonaro a d’ailleurs assuré qu’il luttait depuis toujours contre un supposé « système » et a insisté sur les différentes théories complotistes qu’il affectionne.

      Pendant que le chef de l’État continue de créer des crises politiques au sein de sa propre équipe, la pandémie s’étend toujours et devient de plus en plus incontrôlable.