• Patrick Chamoiseau : « Le virus a tout bouleversé, mais nos imaginaires sont restés pour ainsi dire sidérés » | Entre les lignes entre les mots
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    ce « confinement sanitaire » a éjecté la plupart d’entre nous d’un vaste confinement invisible : celui d’une domination de nos imaginaires par le dogme néolibéral. Nous n’avons pas été éjectés du contact avec les autres ou de la vie, mais des mécaniques du boulot-dodo-boulot, des compulsions consuméristes, de la course aux loisirs névrotiques, au driving du Caddie, aux grenouillages corporatistes… Une existence sans idéal, sans engagement, sans rien qui dépasse ses propres étroitesses.

    Quel serait le pire ?

    Patrick Chamoiseau. Peut-être le non-événement. Ce déconfinement-politique-et-humain est paradoxalement pour nous angoissant. Il risque de susciter un immense retour-sauve-qui-peut-général vers la cage anesthésiante du système dominant, comme dans un moment libérateur. Là encore, le néolibéralisme risque de se retrouver triomphant en distribuant une myriade d’aides sociales pour dégripper son économie et l’aider à sortir (non pas d’une crise interne) mais de sa mise volontaire sous coma artificiel. Pourtant, nos réclusions perçoivent bien comment le bien commun, les services publics, l’État protecteur, le souci du plus faible, ont été sacrifiés sur l’autel de l’optimisation des profits.

    Hélas, les assassins d’aube risquent de ne pas avoir à sortir leurs coutelas : le virus a tout bouleversé, mais nos imaginaires sont restés pour ainsi dire sidérés : sans « révolution », ni « ré-évolution », juste en attente du top départ pour le déconfinement…

    Rappelons-nous ces vers de Césaire :« J’habite l’embâcle, j’habite la débâcle, j’habite le pan d’un grand désastre ! » Ne pas s’enfermer dans une pensée de système ou système à penser des réponses, mais s’installer dans une lucidité qui fait blessure-rapprochée-du-soleil, à la manière de René Char. Une lucidité questionnante dont l’inconfort stimule nos imaginations, et rend désirables de vraies accroches aux utopies, aux possibles, aux ferveurs restés noués dessous nos énergies.

    Comment envisager des individualités solidaires sans individualisme ?

    Patrick Chamoiseau. En soignant l’individuation. L’individualisme est une perversion exacerbée par le néolibéralisme. L’individuation, c’est le soin porté à chacun par lui-même et par les autres. C’est donc la possibilité pour chacun de vivre en responsable les questions de prime abord indépassables, et avec elles de s’accomplir en tant que personne. L’individu néolibéral est isolé, même évidé, il n’a plus de questions sinon celle de sa précarité grandissante.

    #Patrick_Chamoiseau #Confinement #Néolibéralisme