Edouard Philippe s’engage dans un déconfinement à reculons

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  • "Cette « architecture générale » pourra toujours être chamboulée dans les deux semaines qui viennent, en fonction de l’évolution de l’épidémie." : Edouard Philippe s’engage dans un déconfinement à reculons
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    Le premier ministre a présenté un plan de déconfinement partiel à partir du 11 mai, par étapes et différencié selon les territoires. Sa préparation a révélé des tensions au sommet de l’Etat.

    Emmanuel Macron avait vanté les « jours heureux » de la Libération. Il faudra finalement attendre « des jours meilleurs », a prévenu Edouard Philippe. C’est un plan de déconfinement en mode progressif qu’a présenté le premier ministre à l’Assemblée nationale, mardi 28 avril, après deux semaines de tergiversations au sein de l’exécutif sur la manière d’appréhender cette nouvelle phase de la lutte contre l’épidémie due au coronavirus.

    Lors de sa dernière allocution, le 13 avril, le président de la République avait promis que la France redémarrerait à compter du 11 mai. « Progressivement, prudemment », cette promesse sera tenue, a juré M. Philippe, mais il faudra d’abord passer par des paliers de décompression, car « le risque d’une seconde vague est sérieux », a-t-il mis en garde. Quitte à donner le sentiment de diluer dans le temps le plan initial.

    Progressive, la rentrée des classes le sera, tout d’abord. Les écoles maternelles et primaires rouvriront le 11 mai, une partie des collèges, le 18 mai, et pour les lycées, la décision sera prise « fin mai », a annoncé le chef du gouvernement, précisant que, dans tous les cas, la reprise se fera « sur la base du volontariat ».

    De même, pas question pour les entreprises de redémarrer dans deux semaines comme si de rien n’était. La priorité restera au télétravail ou, a minima, à des « horaires décalés » pour éviter l’engorgement aux heures de pointe dans les transports publics. Si la reprise de l’activité est indispensable pour éviter « l’écroulement » de l’économie du pays, a souligné M. Philippe, elle ne pourra se faire que progressivement, « semaine après semaine », afin de « vérifier que nous maîtrisons le rythme de circulation du virus ».

    Masques, tests et circulation

    Progressif, l’équipement de tous les Français en masques le sera aussi. Dorénavant, son port sera « obligatoire » dans les transports publics et dans tous les commerces qui le souhaitent. « Grâce à la mobilisation de tous, il y en aura assez dans le pays pour faire face aux besoins à partir du 11 mai », a promis le premier ministre, incitant par ailleurs les entreprises à équiper leurs salariés.

    L’Etat prendra en charge 50 % du coût de l’achat de masques par les collectivités locales, qui sont aussi invitées à participer à l’effort. « Progressivement, nous parviendrons à une situation classique, où les Français pourront, sans risque de pénurie, se procurer des masques grand public dans tous les commerces », a-t-il assuré, reconnaissant avoir dû faire face à une « pénurie » au début de la crise.

    « Au moins 700 000 tests virologiques par semaine » seront effectués par ailleurs à partir du 11 mai pour toute personne symptomatique, ainsi que pour ses contacts, a annoncé le chef du gouvernement. Les cas positifs seront invités à rester chez eux ou dans un lieu dédié pendant quatorze jours, pour casser les fameuses « chaînes de contamination » qui effraient tant les épidémiologistes.

    Enfin, ce plan de déconfinement se déploiera de manière différenciée en fonction des territoires. Tous les soirs, à partir du 30 avril, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, présentera une carte actualisée de la circulation du virus par département. Ces indicateurs « seront cristallisés le 7 mai, afin de déterminer quels départements basculent le 11 mai en catégorie rouge, circulation élevée, ou vert, circulation limitée », a informé Edouard Philippe.

    La doctrine fixée au niveau national sera appliquée localement par les maires et les préfets en fonction de ces données, au risque d’une concurrence baroque entre les collectivités. Le premier minsitre devait s’entretenir à ce sujet, mercredi, avec les associations d’élus locaux puis les préfets de région. Il doit aussi échanger avec les partenaires sociaux jeudi.

    Tensions entre l’Elysée et Matignon

    Cette « architecture générale » pourra toujours être chamboulée dans les deux semaines qui viennent, en fonction de l’évolution de l’épidémie. « Je le dis aux Français : si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas le 11 mai, ou nous le ferons plus strictement », a averti M. Philippe. « Ces derniers temps, nous avons vu une forme de relâchement dans le confinement qui nous inquiète. Nous marchons sur une glace très fine », confie-t-on dans son entourage.
    Le chef du gouvernement a tout de même donné rendez-vous pour une étape suivante, le 2 juin. « C’est en gravissant des marches de trois semaines que nous allons avancer », a-t-il expliqué, donnant le sentiment d’un déconfinement sans fin.

    Une autre phase « ira jusqu’à l’été ». Sans attendre, certains événements, comme les rencontres sportives, les festivals ou les salons professionnels regroupant plus de 5 000 personnes sont d’ores et déjà reportés à septembre. Si nécessaire, M. Philippe n’exclut pas un « reconfinement » dans les semaines à venir.

    L’accouchement de ce plan ne s’est pas fait sans douleur au sommet de l’Etat. Dès le départ, l’annonce par Emmanuel Macron d’un déconfinement du pays à partir du 11 mai avait pris de court le gouvernement. Si Edouard Philippe a finalement respecté l’injonction émise par le chef de l’Etat, le 13 avril, de dévoiler un plan « d’ici à quinze jours », l’exercice a révélé de singulières tensions entre les deux têtes de l’exécutif. Sur les délais à respecter, d’abord, mais aussi quant au caractère régionalisé ou non de l’exercice, les maisons Elysée et Matignon ont parfois tiré à hue et à dia.

    Dernier épisode en date : l’avis favorable émis par Emmanuel Macron d’un report de vingt-quatre heures du scrutin à l’Assemblée nationale sur ce plan, afin de contenter les oppositions et d’affermir une unité nationale branlante. La révélation de présumés échanges privés à ce sujet entre le chef de l’Etat et des journalistes – ce que l’Elysée dément – a agité le microcosme politique et médiatique pendant quarante-huit heures. « Ce n’était pas par volonté de mettre en difficulté le premier ministre, simplement par volonté de construire le rassemblement de la France unie », justifie un habitué du palais.

    Matignon n’ayant pas voulu entendre parler d’un changement de date, le vote a bien eu lieu mardi, comme prévu : 368 députés ont approuvé le plan présenté par Edouard Philippe (100 l’ont rejeté et 103 se sont abstenus). Mais le premier ministre s’est engagé à ce que le traçage numérique fasse l’objet d’un débat et d’un vote ultérieurs, ce que réclamaient nombre de députés y compris de la majorité.

    Remaniement en perspective ?

    Lors du conseil des ministres, mardi matin, Emmanuel Macron a tenté d’éteindre l’incendie qui a pris au sein de son camp, niant toute dissension avec son premier ministre. « Je n’aurai aucune complaisance à l’égard de ceux qui, par des bruits et des rumeurs, tentent de diviser le gouvernement, et singulièrement le premier ministre et le président de la République », a-t-il assuré selon des participants.

    « Le président dément catégoriquement avoir passé des appels à des journalistes, a fortiori pour dire du mal de son premier ministre », ajoute-t-on à l’Elysée. Les deux hommes, raconte d’ailleurs un proche de M. Macron, auraient travaillé en bonne intelligence plus de six heures durant, lundi après-midi, sur le plan de l’après-11 mai.
    Il n’en fallait néanmoins pas plus pour relancer les spéculations quant à l’avenir d’Edouard Philippe à Matignon. « Ce clash va entraîner, à très court terme ou moyen terme, des décisions », juge un interlocuteur régulier du chef de l’Etat, qui s’agace de la rigidité du premier ministre : « Un report du vote, qu’est-ce que ça pouvait faire ? »

    La perspective d’un remaniement en juillet, lancinante, est une fois encore murmurée au sein de la Macronie. « Ce couple est stable, confiant, le reste, c’est de la rumeur », évacue-t-on à Matignon. Un président machiavélique qui affaiblit volontairement son premier ministre, « c’est un fantasme House of Cards », ajoute-t-on à l’Elysée.
    « La France est dans un moment où ceux qui l’aiment et la servent doivent être à la hauteur », a plaidé pour sa part Edouard Philippe à la tribune de l’Assemblée nationale. Avant de rappeler le sens de la « vertu », cette « antique qualité dans laquelle les Romains ont puisé leur force », qui mêle « rectitude, honnêteté et courage ». Une référence déjà utilisée lors de son premier discours de politique générale, en juillet 2017. Comme une volonté de boucler la boucle.

    #Déconfinement