Japosphère - Coronavirus : l’exception japonaise ?

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  • “Stay in Your Box!”: Migrant Workers and Social Discipline/Distancing in Singapore

    10 April 2020 – Jia Ye – Singapore has been hailed as a ‘model’ response to COVID-19, but in recent days its cramped and crowded migrant worker dormitories, were been the site of a surge of cases. In this podcast #Jia_Ye – Geographer at Nanyang Technical University – tells us about the impossibility of social distancing for workers – who remain in the dorms, in the trucks and on their work sites. She also gives us an insider’s look into Singapore’s state led response, and the unique codes of self-policing and ‘civility’ that hold it in place.

    https://4mpodcast.com/2020/04/12/stay-in-your-box-migrant-workers-and-social-discipline-in-singapore
    #audio #podcast #travailleurs_étrangers #migrations #Singapour #distanciation sociale #hébergement #logement

    ping @zhipeng_li

    • Le Japon face à l’épidémie. Gestion de crise et #responsabilité_civique

      La prétendue discipline japonaise, qui passe pour un modèle de #civisme_spontané, dépend en réalité en grande partie des décisions du gouvernement, comme le montre la récente progression de l’épidémie, qui discrédite la trop simpliste explication culturaliste.

      Jusqu’à la mi-mars, la situation japonaise semblait sous-contrôle avec un taux de propagation relativement faible. Or, depuis fin mars, le nombre de nouveaux cas dont les voies de transmission ne sont pas identifiées augmente rapidement. Le 7 avril le Premier ministre Shinzô Abe déclare l’état d’urgence dans sept préfectures du pays, et demande aux citoyens un #confinement_volontaire en s’appuyant sur un plan de soutien à l’économie de grande ampleur.

      En comparaison des mesures prises par plusieurs pays pour tester en masse et/ou faire appliquer un confinement obligatoire, la gestion de crise japonaise soulève plusieurs questions. La bonne organisation des institutions de santé publique, les procédures de gestion de crise sanitaire et les mesures de prophylaxie permettent-elles d’expliquer la décision de ne pas recourir aux tests de dépistage à grande échelle, ou bien cette décision relèverait-elle de contraintes légales et sanitaires ? Si la lente progression du nombre de cas jusqu’à la mi-mars nourrissait encore certaines explications simplistes fondées sur la discipline des Japonais, l’accélération récente des cas discrédite le facteur culturaliste, et met en question le rôle de la responsabilité civique et les conditions de son application.
      Pour préparer cette analyse que seul le temps pourra mener à son terme nous proposons ici de décrire les mesures de lutte contre l’épidémie depuis le mois de janvier jusqu’au début du mois d’avril 2020 et d’éclairer le rôle joué par la responsabilité civique dans la gestion de crise sanitaire actuelle.
      Le système de gestion de crise sanitaire

      La loi de Mesures contre les maladies infectieuses de 1998, révisée pour la dernière fois le 14 mars 2020 pour y ajouter le Covid-19, définit le système japonais de gestion de crise sanitaire qui relève de la compétence et de la coordination renforcée entre le secrétariat du Cabinet, le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, les gouvernements locaux et les experts formés en comité consultatif. Différentes mesures plurisectorielles sont articulées à différents niveaux que l’on peut synthétiser en trois piliers : l’identification de clusters, le renforcement du système de santé, et la responsabilité civique. En fonction des critères qui figurent dans la loi, lorsque les voies de contamination ne sont plus suffisamment identifiées et que le risque de contamination atteint un certain niveau, le Premier ministre, après avoir activé la structure décisionnelle de crise, peut déclarer l’état d’urgence sanitaire.

      Cependant, la loi ne prévoit pas de mesures de coercition pour appliquer l’état d’urgence, à la différence notamment de ce qu’a fait la France (il est par exemple impossible de sanctionner le non-respect de demande de confinement par des amendes ou des peines de prison). Contrairement à ce qu’une partie de la presse étrangère rapporte, l’étendue des restrictions des libertés individuelles et l’absence de sanctions n’en font pas un « d’état d’urgence a minima » qui reposerait sur le civisme culturel et la pression sociale de la société japonaise.

      Le civisme ou la citoyenneté responsable se définit selon Luigi Lombardi Vallauri comme une attitude qui « (…) est libre, entièrement facultative ; même comme simple attitude, elle n’est pas exigée du sujet à l’intérieur d’un système normatif, en tous cas elle ne l’est pas à l’intérieur d’un ordre juridique positif », il s’agirait donc d’ « (…) une attitude et non pas (d’) une situation passive ni (d’) un devoir dont on répond devant les institutions »

      . En demandant aux citoyens de réduire leur interaction sociale à 80 % pour freiner la propagation du virus, le Premier ministre s’appuie bien sur la responsabilité civique des Japonais et non pas sur leur civisme. D’un point de vue général le recours au pilier de la responsabilité civique trouverait son fondement dans l’article 12 de la Constitution :

      La liberté et les droits garantis au peuple par la présente Constitution sont préservés par les soins constants du peuple lui-même, qui s’abstient d’abuser d’une façon quelconque de ces libertés et de ces droits ; il lui appartient de les utiliser en permanence pour le bien-être public.

      Plus particulièrement, la déclaration de l’état d’urgence vise à la préservation du bien public, lequel ne peut être garanti, d’après le discours du Premier ministre, que par les restrictions sur l’activité économique et sociale. Ce serait donc un renforcement des actions relevant de la responsabilité civique de tous les acteurs de la société civile qui, articulé aux deux autres piliers eux même renforcés, permettrait encore de résoudre la crise sanitaire]. En outre, le 2 avril Shinzô Abe a mentionné devant la Chambre des représentants réunis en séance plénière, la possibilité de réformer la loi pour y inclure des dispositions ayant pour objectif de réprimer le non-respect des mesures de distanciation sociale

      .

      On observe donc depuis le début de la gestion de crise sanitaire un processus graduel d’activation de la responsabilité civique lequel évolue en fonction de la progression de l’épidémie et de sa compréhension.
      Les premières mesures de lutte contre la propagation du Covid-19 de janvier à février 2020

      Le 5 janvier 2020, l’OMS a publié une note informative sur l’émergence en Chine, dans la ville de Wuhan, province du Hubei, d’une maladie respiratoire dont les causes étaient inconnues. Le 6 janvier, le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales publie en coordination avec l’Institut national des maladies infectieuses une note informative sur l’émergence dans la ville de Wuhan (province du Hubei, Chine), d’une maladie respiratoire dont les causes sont inconnues. Les premières recommandations sont formulées à l’attention des voyageurs en provenance de Wuhan qui présenteraient des symptômes (fièvres, courbatures, difficultés respiratoires). Le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales adresse aux gouvernements locaux une note pour renforcer la coordination entre les centres de santé (health centers, hokenjô), les structures hospitalières, et l’Institut national des maladies infectieuses. Le 15 janvier, le premier cas est relevé. Dès le 21 janvier et conformément à l’article 15 de la loi de Mesures contre les maladies infectieuses, l’Institut national des maladies infectieuses réalise des tests pour les personnes qui ont été en contact avec les cas confirmés. Dans le cadre de la mise en place d’un système de surveillance, les porteurs potentiels du virus peuvent être testés sans que leur lien avec la ville de Wuhan soit établi. Les tests sont également réalisables dans les centres de santé locaux. La priorité est néanmoins donnée aux patients présentant des symptômes sévères pour permettre une prise en charge rapide.

      En se fondant sur les directives publiées par l’Institut national des maladies infectieuses, et les premières analyses chiffrées, le gouvernement applique le 21 janvier les premières mesures de prévention contre la propagation du Covid-19 pour contrôler l’état de santé des personnes entrant sur le territoire japonais en provenance de régions à risques, et d’identifier les voies de transmission. Le 23 janvier, 2 cas sont confirmés (23 personnes ont été en contact avec eux et font l’objet d’un examen). Le gouvernement renforce les mesures, notamment la mise en place de dispositifs pour effectuer les enquêtes épidémiologiques. Le 30 janvier, le gouvernement crée une cellule de crise sous la supervision du directeur adjoint du secrétariat du Cabinet du Premier ministre et demande la mise en place d’un comité consultatif d’experts qui se réunit pour la première fois le 16 février.

      L’identification des clusters est la première priorité. Le groupe de recherche dirigé par le virologue Hitoshi Oshitani (université du Tohoku), en coordination avec le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales et le comité consultatif, analyse la propagation du Covid-19 en fonction du comportement des personnes infectées afin d’identifier les modes de contagion. Depuis le 3 février, différentes structures sont également déployées dans les centres de santé pour contacter les personnes revenues au Japon après un séjour à l’étranger, dans le but de retracer les voies de transmission. Entre le 3 février et le 26 mars, un grand nombre de personnes ont été prises en charge par ces centres de santé (environ 500) ouverts sans interruption (24h/24 et 7j/7). Selon le document officiel publié le 25 février, il reste très peu de cas dont les voies de transmission n’ont pas été identifiées.

      Ensuite, le second pilier vise à soutenir le système de santé et à freiner la propagation du virus par une prise en charge adaptée des patients. Pour faire face à une hausse possible du nombre de cas, le gouvernement a augmenté les capacités d’accueil (nombre de lits) et de soins spécifiques (équipement de dispositif d’assistance respiratoire). Depuis le 13 février, des structures hospitalières sont préparées au niveau national (1059) dont une partie est dédiée exclusivement aux maladies infectieuses (412).

      Enfin, la responsabilité civique est encouragée par l’intermédiaire de recommandations à l’attention des citoyens, publiées notamment sur le site des différents ministères, comme les règles d’hygiène de base (lavage de mains, éternuer et tousser dans son coude, port du masque), et l’auto-confinement en cas de symptômes (rhume et grippe compris). Il est demandé aux personnes présentant des symptômes légers d’attendre 4 jours avant de consulter un médecin (2 jours pour les personnes âgées).

      Parallèlement à la mise en route des procédures de gestion de crise sanitaire, et sans concertation, le Premier ministre Shinzô Abe déclare la fermeture des écoles primaires, des collèges et des lycées, le 27 février.
      Le tournant de la politique de lutte et la crise de confiance. Fin février - fin mars 2020

      La décision soudaine du Premier ministre de fermer les écoles a suscité de vives critiques relayées par la presse. Il s’agirait d’une mesure arbitraire dès lors que, d’une part, elle a été prise en dehors du cadre d’état d’urgence sanitaire et, d’autre part, qu’elle n’a fait l’objet d’aucune concertation avec le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, le ministère de l’Éducation, les gouvernements locaux et le comité consultatif des experts

      . L’absence de structures suffisamment déployées en amont de cette prise de décision pour aider les familles à s’organiser en recourant notamment au télétravail reflèterait le manque de coordination entre les sphères politique, administrative, les entreprises et les citoyens pour permettre l’application cohérente des mesures de lutte contre l’épidémie qui figurent dans le système de gestion de crise et qui reposent sur la responsabilité civique. De fait, l’objectif de distanciation sociale aurait été amoindri par les modes de garde collective alternatifs auxquels les familles ont dû avoir recours.

      Le 11 mars, deux experts scientifiques interviennent à la Diète pour répondre aux questions des parlementaires sur les mesures prises par le gouvernement. Les deux experts s’entendent sur le fait que la décision de fermer les écoles est avant tout politique et ne repose sur aucune analyse scientifique. Ils sont néanmoins en désaccord sur l’usage des tests. Selon Shigeru Omi, Président du comité consultatif des experts, invité par le parti de la majorité (le Parti Libéral Démocrate), le dépistage des cas avancés doit être la priorité, limitant de fait le nombre de tests effectués. Masahiro Kami, Président du conseil du centre de recherche sur la gouvernance médicale, invité par un des partis de l’opposition (le Parti Démocrate Constitutionnel), souligne quant à lui l’importance d’effectuer le maximum de tests possibles pour obtenir des données statistiques fiables. Le pourcentage de la population testée par rapport à la population totale est un des plus faibles en comparaison internationale.

      En effet, la loi sur les Mesures contre les maladies infectieuses ne mentionnant pas l’obligation de recourir à des tests à grande échelle, la décision du gouvernement de ne pas tester en masse repose sur le fonctionnement efficace du premier pilier de la gestion de crise : l’identification des clusters. L’avancée quotidienne des recherches pour comprendre les facteurs de propagation du virus permet grâce à une coordination avec le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales de communiquer les derniers résultats au gouvernement et au comité consultatif.

      La gestion de crise confuse du gouvernement reflète dès lors l’existence de conflits d’intérêts divergents opposant les partisans de la poursuite de l’activité économique, soutenue par le Keidanren (Fédération des organisations économiques) et le ministère de l’Économie et de l’Industrie, aux partisans du dépistage en masse et du confinement généralisé demandés par l’Association des médecins du Japon et certains membres du comité consultatif. Les connaissances scientifiques relatives à la propagation du Covid-19 encore fragiles et les enjeux de pouvoir inhérents aux intérêts divergents entre groupes d’acteurs concernés expliquerait la difficulté rencontrée par le gouvernement pour adopter une ligne d’action cohérente, alors que la définition du problème de santé publique

      et plus précisément son niveau de risque fait encore l’objet d’un manque de consensus.

      S’ajoute à ces tensions politiques et scientifiques, une perte de confiance de l’opinion publique liée à la gestion de crise sur le navire de croisière Diamond Princess et sa médiatisation, au déficit de transparence sur le nombre de cas réellement infectés causée par le non-recours au dépistage massif, et à la fermeture précipitée des écoles. Dans ce contexte la révision de la loi sur les Mesures contre les maladies infectieuses en vue d’y intégrer le Covid-19 est votée à la quasi-unanimité (à l’exception du Parti communiste). Cette nouvelle loi est appliquée le 14 mars pour une durée de deux ans et permet au Premier ministre de déclarer l’état d’urgence sanitaire. Le 19 mars, les effets des mesures de lutte contre la propagation du virus sont analysés lors du huitième comité consultatif des experts. Ce comité se tient dans un contexte mondial de pandémie où l’état d’urgence sanitaire est déclaré dans plusieurs pays du monde dans lesquels une part croissante des citoyens est forcée au confinement.
      La prise de conscience du risque dans un contexte de pandémie mondiale – les mesures d’urgence depuis fin mars 2020

      D’après les membres du comité consultatif, bien que la corrélation scientifique soit difficile à établir, les efforts des citoyens pour respecter les gestes barrières, la demande du gouvernement de fermer les écoles, d’annuler ou de reporter des événements, semblent avoir été efficaces pour ralentir la progression de la contagion par le Covid-19. Cependant, ils s’inquiètent de l’augmentation du nombre de cas isolés et importés de l’étranger dans les grandes villes (Tokyo, Osaka, Nagoya). Cette tendance semble indiquer le début d’une nouvelle vague de cas, localisés dans certaines régions, et dont les symptômes peuvent être sévères. L’apparition de gros clusters, au sein desquels les voies de transmission du virus ne peuvent plus être identifiées, risque d’entraîner, selon les membres du comité consultatif, une situation comparable à celle de l’Italie, de la France ou des États-Unis.

      L’articulation des mesures de lutte contre la propagation du Covid-19 autour des trois piliers est donc renforcée. Le comité recommande alors un renforcement des mesures de prévention face à la formation de nouveaux clusters, une augmentation des budgets accordés au système de santé, ainsi qu’un partage plus efficace des informations entre les gouvernements locaux pour gérer plus étroitement le risque d’infection en fonction des régions. Une augmentation des capacités de test de dépistage est déployée. Enfin, la communication est ciblée sur les conditions de propagation du risque en demandant d’éviter les lieux fermés, les interactions sociales rapprochées, et les rassemblements collectifs.

      Dans ce contexte, le gouvernement décide de la réouverture des écoles après les vacances de printemps, laissant toutefois les gouvernements locaux prendre leur décision en fonction de la situation sanitaire locale. Les contradictions apparentes entre la décision de ré-ouvrir les écoles et l’évolution de la situation sanitaire, à l’égard de laquelle le comité consultatif a émis des recommandations d’urgence, entraînent une nouvelle confusion dans la politique de gestion de crise sanitaire. Ce manque de cohérence pourrait de nouveau altérer l’efficacité des mesures reposant sur la responsabilité civique en réduisant la perception du risque à quelques jours du pont pour l’équinoxe de printemps pendant lequel la floraison des cerisiers attire chaque année un grand nombre de Japonais dans les lieux publics, les restaurants et les bars.

      La veille du long week-end, les deux gouverneurs de Kobe et d’Osaka ont appelé les citoyens à limiter leurs déplacements leur demandant un confinement volontaire. Le discours et les actions des deux gouverneurs locaux avaient pour objectif d’accroître la prise de conscience du risque des citoyens et de prévenir leurs comportements, contrastant avec le manque d’anticipation du gouvernement central. Déjà fin février, le gouverneur de Hokkaido, Naomichi Suzuki, a fait preuve de réactivité en déclarant l’état d’urgence. Le 19 mars il déclare la fin de l’état d’urgence en réponse à la baisse du nombre de nouveaux cas alors que la propagation du virus augmente dans les grandes villes comme Tokyo. La réactivité d’une partie des gouvernements locaux face au manque d’anticipation et de préparation du gouvernement central rappellerait notamment la crise du modèle de gouvernance analysée lors de la catastrophe nucléaire du 11 mars 2011.

      À partir du 25 mars, la gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, recommande aux habitants de la capitale de limiter les sorties et les déplacements pendant les week-ends (fermeture progressive d’un grand nombre de parcs, de bars, d’établissements de karaoké, de cinémas, et promotion du télétravail). Les gouverneurs des préfectures de Chiba, Saitama et Aichi demandent aux citoyens de ne pas se rendre à Tokyo. Face à cette gestion politique confuse, la confiance de l’opinion publique dans la capacité du gouvernement à endiguer cette épidémie continue de baisser.

      L’état d’urgence, déclaré le 7 avril pour sept préfectures (Tokyo, Kanagawa, Saitama, Chiba, Osaka, Hyogo, Fukuoka), devrait permettre au gouvernement d’appliquer plus efficacement les mesures de lutte contre l’épidémie grâce au déploiement d’une coordination institutionnelle entre les sphères politique, administratives et la société civile qui faisait défaut jusqu’à présent. En effet, alors qu’il ne disposait pas de suffisamment de marge de manœuvre politique et budgétaire, l’état d’urgence, assorti d’un grand plan de soutien à l’économie, permet au Premier ministre de procéder à l’activation à un degré avancé de la responsabilité civique pour soutenir les deux autres piliers - identification des clusters et renforcement du système de santé.
      Conclusion

      La responsabilité civique en tant que pilier de gestion de crise sanitaire diffère du civisme qui est une attitude et non un devoir
      . Elle dépend de la communication et de la politique conduite par les autorités. L’identification des clusters, l’analyse des facteurs de propagation du virus dans la société japonaise, les capacités des structures hospitalières, le cadré légal et les enjeux économiques sont autant de variables, parfois divergentes, qui ont orienté la politique de gestion de crise du gouvernement central et des autorités locales. On observe donc une interférence des logiques de santé publique dans le système politique et économique créant un espace de confrontation qui donne lieu à de nouveaux compromis et qui résultent dans l’état d’urgence sanitaire : les autorités demandent aux citoyens de réduire les interactions sociales de 80 % sans établir, pour le moment, un régime exceptionnel de restriction des libertés individuelles. La réticence du gouvernement à mettre en place un tel régime repose sur les valeurs démocratiques et pacifistes de la Constitution d’après-guerre qui incarne les libertés civiques. Or, depuis son entrée en vigueur le 5 mai 1947, sa légitimité provoque de fortes controverses politiques relayées notamment dans le débat public sur les libertés civiques pendant l’état d’urgence. En juin 2017 le vote de la loi Anti-terroriste a déclenché des critiques virulentes au sein de l’opinion publique, des avocats et des journalistes dénonçant son contenu liberticide. En cas d’échec des mesures reposant sur le volontariat la question se pose donc de savoir si la responsabilité civique pourrait évoluer vers un modèle plus normatif et coercitif ? Ou bien le Japon parviendra-t-il à « imaginer un autre mode de réponse à la crise sanitaire et notamment une réponse qui ne sacrifie pas – ou qui sacrifie moins – les libertés » ?

      Pour soutenir les secteurs économiques et les ménages impactés par la crise sanitaire, le gouvernement déploie un plan massif (plan de soutien à l’économie de 915 milliards d’euros). Le gouvernement aurait-il recours à l’incitation économique pour activer la responsabilité civique à un niveau avancé ? Quelle est sa marge de manœuvre face aux non-bénéficiaires des aides financières ? La gestion de crise exacerbe en effet les inégalités de la société japonaise face aux conséquences socioéconomiques engendrées par les mesures de lutte contre l’épidémie. Selon l’enquête réalisée par la Chambre du commerce et de l’industrie de Tokyo, seulement 26 % des PME ont pu mettre en place le télétravail (57,1 % des entreprises de plus de 300 employés, contre seulement 14,4 % des entreprises de moins de 50 employés). Les inégalités face au télétravail altèrent donc l’efficacité des mesures reposant sur la responsabilité civique. Celle-ci est aussi remise en question face aux inégalités sociales et juridiques. Par exemple, la récente mobilisation juridique pour défendre les travailleurs d’Uber Eats pose la question urgente des droits des travailleurs indépendants face aux risques de contagion et aux conséquences socioéconomiques engendrées.


      https://laviedesidees.fr/Le-Japon-face-a-l-epidemie.html

      #géographie_culturelle

      –-> A mettre en lien avec la lecture culturaliste face à la crise en #Suisse :
      https://seenthis.net/messages/848845

    • Coronavirus : l’#exception japonaise ?

      En quelques mois, la pandémie de coronavirus a plongé le monde dans une situation de paralysie dont la durée est difficilement appréhendable. Le Japon, pris entre le report des JO et la rentrée scolaire, semble avoir maîtrisé l’épidémie dès les premières semaines, enrayant de fait son développement exponentiel. Il reste néanmoins des difficultés principalement dues à une réduction des investissements publics dans les hôpitaux contraints de réduire leur accueil.

      Au loin, une sirène retentit. Dans un pays où la population vieillissante est composée à 28% de personnes ayant plus de 65 ans, les ambulances tournoient quotidiennement. Mais en cette période de confinement, elles génèrent une tension latente absente d’ordinaire. Car ça y est. Le Japon, en proie au SARS-CoV-2, a franchi, lui aussi, le pas vers un confinement souple, plus conseillé qu’imposé, mis en place en deux temps, d’abord pour les sept préfectures les plus touchées depuis le 11 avril (Tôkyô, Kanagawa, Saitama, Chiba, Ôsaka, Hongo et Fukuoka), puis, devant la multiplication des cas, en généralisant ces mesures à l’ensemble du Japon le 17 avril. C’est dans un contexte politique très tendu que le Japon doit administrer cette nouvelle crise, à l’origine d’un report et peut être d’une annulation des Jeux Olympiques dont les préparatifs avaient été organisés à grands frais et non sans contestation, la décision de leur accueil ayant été prise deux ans seulement après le triple désastre (tremblement de terre, tsunami, explosion de la centrale nucléaire dai-ichi à Fukushima) qui avait dévasté le Nord-Est du Japon en 2011. Si elle devait se produire, cette annulation représenterait la seconde pour le Japon, la première ayant été motivée par le début de la seconde guerre mondiale. Mais pour l’heure, la guerre est déclenchée au virus, selon les termes du président français, repris par les dirigeants Japonais. Quelle est la situation au Japon et comment le gouvernement fait-il face à la crise ? D’une crise sanitaire à l’autre, le Japon a-t-il tiré les leçons de la communication sur les effets sanitaires développée après Fukushima ? Le système social en place permet-il de pallier à la vulnérabilité de certaines couches de la population ? Quelle est l’ampleur de l’épidémie au Japon comparativement à la situation française ? Autant de questions qui s’imposent afin d’évaluer les diverses mesures mises en place, et de permettre l’élaboration de nouvelles stratégies dans la gestion des désastres sanitaires, au-delà d’une réflexion qui s’impose quant à une refonte de notre système économique et à celui de nos modes de vie.

      Les mesures prises durant le début de l’épidémie et le report des JO

      Depuis le début de l’année, les informations d’abord jugées douteuses en provenance de son voisin chinois sur la potentialité d’une pandémie de covid 19, se sont confirmées. La globalisation des échanges commerciaux, celle du tourisme de masse, ainsi que celle des voyageurs auront eu raison des discours les plus rassurants quant à une maîtrise possible de la pandémie. Chargé d’accueillir les Jeux Olympiques en 2020, le gouvernement japonais n’ayant déclaré que 9 personnes contaminées au 30 janvier 2020, a d’abord été soupçonné de dissimuler le nombre de cas sur son territoire afin de ne pas entraver une organisation qui s’était avérée fort coûteuse, leur coût total étant évalué à 11,5 milliards d’euros[1]. Ces JO revêtent en effet une importance toute particulière dans le cas présent, puisque l’un de leurs objectifs était de médiatiser la réouverture de la zone d’évacuation autour de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi, notamment via la localisation du relai de la flamme olympique dans des tronçons de la zone d’évacuation rouverts pour l’occasion[2].

      A la mi-février, alors que le gouvernement japonais luttait contre une annulation probable des JO, les voix d’opposition pour une meilleure gestion d’une possible épidémie dans le pays se firent entendre. Dans un communiqué publique, le Premier Ministre japonais Shinzo Abe, annonce alors quelques restrictions, essentiellement fondées sur la responsabilité civile, en demandant de multiplier le télétravail tant que faire se peut, le report des évènements prévus dans les prochaines semaines, l’évitement des attroupements, la ventilation des espaces confinés, l’annulation des évènements sportifs, et la fermeture des écoles quinze jours avant les vacances saisonnières, la rentrée scolaire au Japon s’effectuant en avril. A un niveau individuel, le savonnement des mains et les lavements de bouche. Dans son allocution, le Premier Ministre spécifie néanmoins le maintien des Jeux Olympiques, et notamment le départ du relai de la flamme Olympique à Fukushima qui devait se dérouler le 16 mars.

      Quelques jours avant le départ du relai, le gouvernement doit néanmoins faire face au refus des coureurs de participer à la course, estimant être doublement mis en danger, par l’exposition aux radiations encore élevées dans la zone, et à celle au coronavirus, l’événement attirant de nombreux spectateurs. Le gouvernement propose alors que le relai soit remplacé par le transport en bus de la flamme olympique renfermée dans une lanterne de cuivre, au moment où les organisations d’athlétismes canadiennes et américaines, en pleine pandémie, demandent le report des JO, finalement décidé par le comité d’organisation international.

      Quand minimaliser les risques ne fait que les augmenter

      Hormis Hokkaidô, dont le gouverneur a déclaré l’état d’urgence dès le 28 février, en demandant à ses habitants le port du masque et un confinement stricte, le Japon, en dépit de la mise en place d’un comité consultatif d’experts dirigé par Omi SHIGERU et suivant une logique épidémiologique très critiquée durant la gestion de l’accident nucléaire de Fukushima, se refuse à effectuer une campagne massive de dépistages argumentant le possible déclenchement d’une vague d’inquiétude démesurée de la population. Pire encore, le 20 mars, la décision de rouvrir les écoles et facultés à la rentrée scolaire début avril est annoncée simultanément à une montée en tension générée par l’apparition de nouveaux clusters qui touchent les principales zones urbaines de Tôkyô, Nagoya, Ôsaka et Kyôto.

      Néanmoins, les échanges de voyageurs en provenance des pays les plus touchés sont limités et des premières mesures fiscales sont annoncées afin de faciliter le confinement. Parmi elles, la possibilité de reporter le paiement des taxes, charges et autres impôts et la mise en place d’un prêt d’urgence. En 2 mois, depuis son premier cas mi janvier, le Japon décompte 1200 cas testés positifs sur son territoire (les dépistages n’étant pas systématiques, ces chiffres ne sont donc qu’indicatifs), dont seulement 5% sont estimés être graves. Si la multiplication du nombre de contamination est rapide, le pays réussi à maintenir une certaine stabilité en raison de plusieurs facteurs. Le premier est une distanciation physique culturellement acquise, puisqu’on ne se touche pas physiquement ni pour se saluer, ni pour exprimer ses marques d’affection. Le second est le fait que la plupart des foyers possèdent des masques en raison de forts rhumes des foins générés par le pollen de certaines essences végétales importées contre lesquelles les japonais n’ont pas d’immunité. Cette « coutume » du port du masque est bien antérieure à la crise du sras et autres grippes influenzas. Les japonais les portent également en cas de rhume afin de ne pas contaminer leurs congénères. En outre, bien que les masques chirurgicaux soient de fabrication nationale, la plupart des distributeurs du Japon, dès le début de l’épidémie, se sont trouvés en rupture de stock. La population en détenait néanmoins suffisamment pour ne pas être affectée par cette pénurie, celle-ci étant comblée par la fabrication artisanale de masques courante dans le pays. Le troisième est le niveau d’hygiène. Ainsi, de l’alcool pour se désinfecter les mains est proposé à l’entrée de la plupart des magasins, les aliments sont emballés (ce qui génère par ailleurs une consommation de plastique extrêmement élevée), tandis que des employés, protégés de masque, de gants et d’écrans de plastique transparent se consacrent à la désinfection des paniers et charriots dans les surfaces alimentaires.

      Le gouvernement comptait donc essentiellement sur la conscience civile, entrainée par les nombreux désastres naturels (tremblements de terre, typhons, inondations) et industriels (maladie de minamata engendrée par la pollution au mercure dans le nord de Kyushu, catastrophe nucléaire de Fukushima) pour faire face au péril. Fort de cette assurance, le Premier Ministre Abe tout en annonçant un plan de soutien économique s’affiche, lors d’une conférence de presse, affublé d’un masque en coton et promet que deux masques en coton seront distribués par foyer dès la mi-avril, générant les sarcasmes de nombreux citoyens. Abenomics[1]était devenu Abenomask (les masques d’Abe)[2], la majorité de la population estimant que les mesures prises restaient insuffisantes face à l’accroissement rapide du nombre de cas et à la détérioration inquiétante de la situation dans les pays occidentaux.

      Quelles sont les mesures prises depuis le 11 avril ?

      Les 7 et 11 avril, de nouvelles mesures sont annoncées par le gouvernement et par la maire de Tôkyô, Yuriko KOIKE, la mégalopole étant la plus touchée par la maladie qui s’avère être une maladie urbaine, en raison de la densité de population qui facilite la transmission d’un individu à l’autre et de la pollution aérienne qui augmenterait le taux de mortalité par le virus selon une récente étude menée par Harvard T.H. Chan School of Public Health[3]. L’air, dans les villes japonaises, étant de bonne qualité en raison d’une circulation automobile réduite, de la quasi suppression du diesel limité aux véhicules de transport, et d’une ventilation suffisante assurée par leur localisation côtière, les risques de contamination sont plus à craindre dans les lieux où la promiscuité est importante, présents en grand nombre dans les villes : transports en commun, Izakaya (bars populaires), pachinko et autres karaoke.

      Ces mesures sont les suivantes :

      Une modification de la loi a été faite afin d’imposer :

      – l’arrêt provisoire d’activité pour toutes les structures scolaires dont la superficie dépasse les 1000 m2

      – la fermeture temporaire de tous les commerces autres que ceux fournissant les denrées nécessaires au quotidien et dont la surface est supérieure à 1000m2

      – la fermeture temporaire de l’ensemble des centres d’exposition, bibliothèques, salles de concert et autres musées dont la surface est supérieure à 1000m2

      – la fermeture des établissements sportifs, ainsi que des salles de loisirs (pachinko, Majong et autres Game center) ou autres lieux de divertissements (cabarets, karaoke, internet-café, night club, etc.)

      Une requête de coopération est par ailleurs faite, sans contrainte légale :

      – les établissements éducatifs (petites universités, auto-école, etc.) de moins de 1000m2 peuvent continuer leur activité en prenant les mesures de précaution pour se protéger.

      – Les centres d’exposition, bibliothèques et autres salles de concert en deçà de 1000m2sont priés de fermeture temporaire

      – Les commerces hors vente de produits nécessaires au quotidien sont priés de fermer sauf ceux dont la surface est inférieure à 100 m2qui peuvent continuer leur activité en respectant les mesures de précaution.

      Il est également demandé aux cultes, services de garde d’enfants et autres services sociaux d’arrêter ou de limiter leurs services en respectant les règles de protection.

      Les hôpitaux, vétérinaires, hôtels, transports, services funéraires, média, bains publics, supermarchés et autres kombinis(supérettes) devront, quant à eux, assurer les mesures de précaution afin de continuer leur activité. Cette règle est également appliquée aux bars et restaurants dont les horaires d’activité sont néanmoins réduits. Ainsi, leur activité est permise de 5 h du matin à 20h.

      Le télétravail est recommandé pour les autres activités.

      Si les tests sont limités, une application-test est envoyée sur l’ensemble des téléphones portables via Line, un service de messagerie très populaire au Japon afin de distribuer un questionnaire permettant d’appréhender le nombre de personnes présentant les symptômes de la maladie.

      Les mesures annoncées pour la capitale seront finalement appliquées sur l’ensemble du pays, devant une accélération du nombre de personnes contaminées, une semaine après leur annonce.

      Ici comme ailleurs, héroïser les plus vulnérables ne leur permet pas de faire face

      Mais très vite, les voix se lèvent. La cessation d’activité est insoutenable pour une grande partie de la population. Des manifestations, respectant les distances sécuritaires, sont organisées à Tôkyô, avec pour mot d’ordre : « sans argent, pas de confinement ! ».

      Après des discussions tendues au parlement, le gouvernement décide finalement, le 20 avril, la distribution de 100 000 jpy/personne (850 euros) qui seront versés au chef de famille, afin de combler les pertes dues au confinement.

      Par ailleurs, la fermeture des internet-cafés où dormaient les personnes sans foyer, communément désignées sous le terme de « réfugiés des cyber cafés » (netto kafe nanmin) , une population estimée par les associations de suivi social à 4000 personnes pour la seule ville de Tôkyô et à 500 par le gouvernement, se retrouve à la rue. La maire de Tôkyô a proposé, pour solutionner le problème, le réquisitionnement d’hôtels ou d’équipements d’accueils afin de permettre leur hébergement, mais également de maîtriser les cas de contagion éventuels. Néanmoins, les associations s’occupant du suivi des personnes sans domicile fixe tirent la sonnette d’alarme. Le dirigeant de Tôkyô Umbrella kikin partage sur les réseaux sociaux les secours quotidiens promulgués à ces nouveaux homeless qui viennent de perdre leur travail suite aux fermetures contraintes des magasins qui les employaient[1].

      La politique de confinement est dramatique, et c’est pour éviter d’avoir à l’imposer que le gouvernement avait tenté de maîtriser l’épidémie, notamment en permettant au département la réquisition d’hôtels afin d’isoler les personnes positives asymptômatiques ou présentant des symptômes légers. Cette mesure a été adoptée sur l’ensemble du territoire. La liste de ces hôtels fait l’objet d’une publication régulière dans la presse, comme c’est le cas pour la préfecture spéciale de Kyôto dont le répertoire des hôtels mobilisés à cet effet a été publié le 21 avril 2020 dans le journal Asahi, l’un des quotidiens nationaux les plus lus du Japon[2].

      Malgré l’ensemble des mesures promulguées par les institutions aux diverses échelles d’intervention (aux niveaux national, départemental et local), les hôpitaux commencent à être engorgés dès la mi-avril[3] et les patients se voient refuser leur demande d’hospitalisation. Pire encore, les opérations de patients atteints du cancer sont annulées une à une, en raison du manque de personnel, en sous-effectif, en partie victime de la maladie. Shintsuke TENNÔ, représentant de l’association des malades du cancer témoigne, dans un reportage de la NHK du 20 avril[4], d’un problème récurrent dans la plupart des pays qui ont fait le choix de réduire leur soutien aux hôpitaux publics. Ainsi, le Japon a opté pour une réduction importante du nombre de lits d’hôpitaux depuis plusieurs années. En 1998, le nombre de lits réservés en cas d’épidémie était de 9060 lits, contre 1869 aujourd’hui. Si le nombre de lits total reste assez important en raison de la présence de dispensaires nombreux dans le pays, ainsi que du grand nombre de lits en psychiatrie, soit 7.79 lits pour 1000 personnes contre 3.09 lits pour 1000 personnes en France[5], des études sur le sujet (voir : Intensive Care Medicine journal , National Center for Biotechnology Information , ou encore more recent analysis publiées dans Critical Care Medicine Journal comparent le nombre de lits en réanimation dans les pays d’Asie) montrent que le nombre de lits en réanimation pouvant être mobilisés en cas d’épidémie est drastiquement plus faible, puisqu’il est de 7,3 lits pour 100 000 personnes au Japon contre 11,6 lits pour 100 000 personnes en France.

      Depuis octobre dernier une accélération notable de ce processus avait été activée, visant à la suppression de 130 000 lits d’hôpitaux en 5 ans décidée par le ministère des finances[1]. Ici aussi, les discussions quant au maintien des investissements publics dans le secteur médical sont remises sur le devant de la scène.

      Si certains choix politiques sont semblables, les cas français et japonais sont néanmoins bien distincts

      Le 23 avril 2020, à l’heure où la France déplore 119 151 cas de malades confirmés et 21240 décès pour une population moitié moindre, le Japon (126 millions d’habitants) ne compte que 12061 personnes testées positives et 300 décès attribués au covid19. Si l’on se concentre sur la tendance globale, depuis janvier, l’épidémie de covid19 au Japon s’est propagée à un rythme régulier, avec un nombre de cas détectés qui a été multiplié par 10 tous les mois. Etant donné le temps d’incubation du SARS-CoV-2, environ 5 jours[1], ceci correspond à un taux de reproduction (le nombre moyen de transmissions par malade) moyen de l’ordre de 1,5.

      En comparaison, le cas de la France est très différent avec un nombre de cas détectés qui, entre la mi-janvier et la mi-mars quand le confinement a été déclaré, a été multiplié par 10000 ! Le taux de reproduction peut être évalué à 2,15. Cela semble assez proche du cas Japonais, mais, dans les faits, les conséquences de cette différence sont dramatiques - c’est le principe d’une exponentielle - avec un nombre de morts près de 100 fois plus importants en France qu’au Japon.

      Évolution de l’épidémie de covid19 au Japon et en France (d’après les données de l’European Centre for Disease Prevention and Control). Au 23 avril 2020, la base de données faisait état de 11 772 cas détectés et de 287 décès au Japon, et de 119 151 cas détéctés et de 21340 décès en France.

      D’autre part, malgré un nombre de tests qui peut paraître faible au regard d’autres pays, le rapport entre le nombre de cas détectés et le nombre de décès est de 42 au Japon. Il est de 5,6 en France. En comparaison, il est de 45 en Corée du Sud, vantée pour avoir su juguler l’épidémie grâce à des tests massifs. Il semble donc que le Japon retrouve une grande partie des cas de COVID-19, même si l’apparition de cas non traçables de plus en plus nombreux montre qu’il s’agit d’un problème complexe qui n’est pas maitrisé pour l’instant. De son côté, la France, qui n’a pas vu arriver l’épidémie et s’est retrouvée submergée, ne teste qu’environ 10% des cas : ceux qui sont dans un état critique et doivent aller à l’hôpital.

      Une tendance positive se dessine cependant : la courbe du nombre de cas/jour (histogramme bleu) descend côté français où le taux de reproduction R est donc clairement passé en dessous de 1. Cela semble aussi être le cas au Japon, grâce à la déclaration d’état d’urgence, même s’il est encore trop tôt pour être sûr que ce soit une tendance robuste. Il faut s’attendre néanmoins au Japon à une augmentation du nombre de décés par jour lié à l’augmentation des cas les jours et semaines précédentes.

      Ainsi, en comparaison de la France, le Japon a été relativement épargné par l’épidémie de covid19. Il a certainement bénéficié d’habitudes de sa population, une distanciation physique culturelle, le port fréquent du masque et une hygiène très présente, pour limiter la progression de l’épidémie. Le Japon n’a cependant pas pu éviter de déclarer l’état d’urgence, montrant que l’épidémie ne peut être jugulée que par des mesures fortes. Les semaines qui viennent vont être décisives pour ces deux pays qui doivent confirmer la décroissance de l’épidémie, pour la France organiser le déconfinement et pour le Japon faire repartir progressivement son économie. Plus généralement, si l’on peut déplorer l’impréparation de scénarii pourtant connus et analysés depuis plus de trente ans (voir à ce sujet les travaux de l’anthropologue Frédérick Keck[1]), cet épisode aura néanmoins montré, certes non sans coût, que l’impossible devenait possible, au moins pour un moment, lorsque volontés étatiques et citoyennes se conjuguaient. Peut-être est-il temps d’appréhender ce désastre comme une opportunité de réfléchir à la mondialisation des échanges tant de voyageurs que des marchandises pour la limiter au nécessaire aussi en vue d’une réduction de notre empreinte carbone, mais également d’évaluer le coût de la délocalisation des industries nationalement vitales. A un niveau local, cette occasion faitémerger la nécessité d’une réflexion sur l’orientation des investissements publics, tant dans le secteur hospitalier, que dans les structures d’accueil et d’habitat à destination des plus démunis, les épisodes épidémiques étant l’un des critères fondamentaux à l’origine de l’élaboration d’institutions publiques de logements permettant de « loger le peuple » afin de prémunir la sécurité (entre autres) sanitaire de chacun[2].

      http://japosphere.blogs.liberation.fr/2020/04/28/coronavirus-lexception-japonaise
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