Il faut dire un NON ferme à la société de surveillance, même temporaire

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  • Il faut dire un NON ferme à la société de surveillance, même temporaire
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    Crédits : JDussueil
    Par Jean-Christophe Gallien, docteur en science politique, enseignant à l’Université de Paris-Sorbonne(†).

    OPINION. Jusqu’où les gouvernements sont-ils prêts à aller pour faire respecter les nouvelles règles ? Surtout, seront-ils capables de revenir en arrière une fois la crise passée ?

    La pandémie que nous subissons est une crise hors norme. Certains ont utilisé le qualificatif de guerre. Partout, les citoyens ont peur. Nous avons peur pour notre santé, pour celle des autres et de plus en plus nous sommes terrifiés par les conséquences économiques et sociales de cette crise.

    La demande numéro un faite aux gouvernants est celle d’une double sécurité, sanitaire et économique.

    Pour répondre et nous protéger, souvent au prétexte paternaliste de nous responsabiliser, un peu partout sur la planète, les responsables gouvernementaux et administratifs exigent des outils institutionnels supplémentaires. Pas moins de 84 pays ont ainsi décidé de promulguer des lois d’urgence qui donnent des moyens et surtout des pouvoirs exceptionnels aux gouvernements.

    Face à un tel cataclysme, il y a eu, côté politique et administratif, comme souvent, dans un premier temps, le déni du réel. On l’a vu en Chine, aux USA, au Brésil, en Grande-Bretagne... en France aussi ! Est ensuite venue la nécessité d’habiller ce qu’on ne comprends pas. Puis la narration bascule, on dramatise la situation et on ouvre, parfois même dans des régimes normalement très apaisés, la porte aux attaques concrètes contre la démocratie. Confinements généralisés et sorties extérieures hyper réglementées voire couvre-feux, interdiction des grands rassemblements et autres manifestations de masse qui ont secouées de très nombreuses géographies en 2019, report des élections sine die voire pire maintient sans que les oppositions puissent faire campagne, soutiens financiers distribués de manière sélective, censures, répressions violentes contre ceux qui dérogent à l’ « effort collectif » et mettent en danger la nation.

    Sans caricaturer le réel on peut même parfois légitimement s’inquiéter de la porosité entre démocraties de crise et régimes autoritaires.

    L’applications d’outils digitaux de surveillance généralisée, l’utilisation potentielle de drones, l’introduction de capteurs de reconnaissance faciale, la mobilisation de délations ... gagner la guerre contre le virus justifierait le basculement, temporaire certes, dans un espace temps hybride entre démocratie et société de techno-surveillance autoritaire. Un dôme sombre recouvre la vie réelle de certains pays. Journalistes, opposants politiques, activistes des droits de l’homme... tout l’espace public est paralysé voire attaqué. L’opacité domine. La corruption se renforce. Et la confiance s’érode.

    Même en France, l’état d’urgence sanitaire propose une série de questionnements au delà des garde-fous.

    On peut imaginer qu’une fois la « guerre » enfin gagnée, de nombreux gouvernements abandonneront ces pouvoirs d’exceptions. Parions aussi que dans certains cas, en particulier là où les racines démocratiques sont peu profondes et les contrôles institutionnels approximatifs, les situations seront gelées, les pouvoirs maintenus, voire les élections oubliées.

    Nous n’avons qu’une seule terrible certitude. C’est que, si malheureusement la bataille dure, le coronavirus va ajouter de la crise économique, de la pauvreté, des gens vont encore tomber malades, d’autres vont mourir et de plus en plus d’habitants de ce Monde vont hurler leurs colères. Le coronavirus ne sera pas vaincu par l’espionnage généralisé de la société de la surveillance, encore moins par la propagande et la répression des opposants. Seuls les résultats concrets seront évalués par les peuples.

    Si les gouvernants et leurs administrations ne sont pas en cause dans la naissance et la propagation du virus depuis la Chine, ce ne sont pas les citoyens qui sont les responsables des hésitations, impréparations, erreurs et autres impostures qui nous ont conduit dans cette situation inédite et chaotique. Et nous sommes projetés, nous citoyens, au cœur de ce grave défi d’un réel démocratique se durcissant pour répondre aux attaques du virus.

    C’est dans notre vigilance citoyenne que réside l’antidote à ces tentatives de détournements politiques et économiques.

    Si nous ne sommes pas vigilants, ces dérives pourraient façonner la vie civique, la politique, l’économie et nos vies individuelles pour les décennies à venir. Il ne peut y avoir de doute, nous ne pouvons laisser, ici, s’ouvrir la porte et donner l’impression que nous aussi nous acceptons le « techno-autoritarisme » même soft. Les régimes qui pratiquent déjà de telles méthodes seraient même légitimés par nos démocraties.

    L’équilibre est instable et fragile tant nous sommes inquiets de notre présent et terrifiés par l’avenir proche. Et puis surtout nous avons déjà offert tant de parts digitales de nous même, de nos vies, parfois jusqu’à notre libre arbitre à des acteurs privés, cette fois, ceux que nous appelons les GAFAM, ceux qui se nourrissent, encore plus depuis le confinement, de nos servitudes volontaires, et qui, comme par hasard sont à l’affut, proposant leurs services « désintéressés » comme la Chine avec son Sesame Credit, à des gouvernements démunis.

    Il faut dire non à la société de surveillance. Maintenant.

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    (†) Par Jean-Christophe Gallien
    Politologue et communicant
    Enseignant à l’Université de Paris la Sorbonne
    Président de j c g a et Directeur de Zenon7 Public Affairs
    Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals