• Le coronavirus se propage-t-il par voie aérienne ? Publications et désaccords
    Par Amélie Poinssot
    https://www.mediapart.fr/journal/france/290420/le-coronavirus-se-propage-t-il-par-voie-aerienne-publications-et-desaccord

    Une nouvelle étude italienne, contestée, a trouvé des traces d’ARN du Covid-19 sur des particules fines à Bergame, la ville de la péninsule la plus touchée par l’épidémie. Une étude américaine montre que le virus peut rester viable trois heures dans l’air. Tour d’horizon des dernières publications scientifiques.

    C’est l’impensé des politiques publiques actuelles, et un champ encore largement inexploré. Le Covid-19 pourrait-il se transmettre par voie aérienne ? Jusqu’à présent, seuls les contacts entre individus, gouttelettes humaines (toux, éternuement), et avec des surfaces infectées ont été reconnus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme facteurs de transmission du coronavirus. Les mesures sanitaires ont été prises au regard de ces connaissances.

    Une étude italienne [1], publiée le 24 avril par la revue MedRχiν, ouvre de nouvelles perspectives et fait le lien avec la pollution atmosphérique. Ce travail provient de la même équipe qui avait mis en évidence, fin mars, que la plaine du Pô – région la plus industrialisée du pays et celle dont la concentration en particules fines a systématiquement dépassé la limite considérée comme acceptable de 50 mg/m³ (pendant la période examinée) – a connu, passé le délai des quatorze jours d’incubation de la maladie, la progression la plus forte du nombre de personnes infectées par le Covid. Elle avait alors émis l’hypothèse que les particules fines ont pu agir comme agent vecteur du virus et accélérer sa propagation, sans toutefois identifier une présence de Covid-19 sur ces particules.

    C’est chose faite cette fois-ci. À partir d’échantillons prélevés entre le 21 février et le 13 mars dans l’air de Bergame, la ville italienne la plus touchée par l’épidémie, ces chercheurs ont réussi, selon leurs résultats, à identifier sur certaines particules fines l’ARN du SARS-Cov-2, c’est-à-dire le matériel génétique du virus à l’origine de l’épidémie actuelle. Pour cela, ils ont fait analyser 35 échantillons de PM10 (particules fines d’un diamètre inférieur à 10 micromètres) par le laboratoire de l’université de Trieste et parallèlement par l’hôpital universitaire local : au total, sept d’entre eux ont été testés positifs à l’ARN du virus.


    Dans une rue de Paris, le 28 avril 2020. © Mehdi Taamallah / NurPhoto via AFP

    « C’est la première preuve préliminaire que l’ARN du SARS-Cov-2 peut être présent sur des particules en suspension, suggérant par conséquent que dans des conditions de stabilité atmosphérique et de fortes concentrations de particules fines, le SARS-Cov-2 pourrait créer des groupes avec des particules fines dans l’air et – en réduisant leur coefficient de diffusion – augmenter la persistance du virus dans l’atmosphère », concluent les chercheurs.

    Si cette hypothèse était avérée, cela signifierait que les zones denses en particules fines, donc les régions touchées par un fort trafic routier, la pollution industrielle ou encore l’agriculture intensive – trois facteurs réunis dans le cas de Bergame et de la plaine du Pô – favoriseraient la circulation du virus. Autrement dit, qu’il faudrait combattre la pollution tout autant qu’adopter la distanciation sociale pour freiner la propagation de la maladie.

    « Cette étude démontre que le virus peut être véhiculé par les particules fines mais on ne sait pas encore combien de temps il peut rester infectant dans l’air, ni si la charge virale est suffisante, explique le radiologue strasbourgeois Thomas Bourdrel, membre du collectif Air Santé Climat. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne peut pas y avoir une transmission de la maladie sur plusieurs kilomètres, mais une contamination sur courte distance – quelques dizaines ou centaines de mètres par exemple – en cas de pollution aux particules peut être envisagée. On peut imaginer également que dans un espace confiné chargé en particules comme le souterrain du métro, l’effet “transporteur” des particules pourrait avoir des conséquences importantes. »

    Cette étude cependant est à prendre avec des pincettes : elle n’a pas fait l’objet d’évaluation par les pairs, comme il est de règle dans la communauté scientifique ; ce n’est qu’une pré-publication. Le consortium Actris, réseau rassemblant des infrastructures de recherche européennes travaillant sur les aérosols atmosphériques, l’a d’ailleurs pointé dans un communiqué [2].

    « Il faut vérifier les procédures et la méthode utilisée, vérifier qu’il n’y a pas eu contamination pendant la manipulation », indique ainsi Jean-François Doussin, professeur de chimie atmosphérique à l’université Paris-Est-Créteil et au CNRS.

    Ce chercheur, qui travaille depuis plus de vingt ans sur la pollution, émet par ailleurs de sérieux doutes sur la conclusion de l’étude italienne. D’une part, la détection d’ARN du SARS-Cov-2 sur les particules fines ne donne aucune indication sur la question de savoir si le virus est contaminant ou pas : « On ne sait pas à partir de quelle quantité dans l’air le virus peut être infectieux. » D’autre part, « la probabilité pour que des particules de pollution s’agrègent avec des particules contenant le virus et le fassent voyager est extrêmement faible. Celles-ci n’ont d’ailleurs pas besoin de ces supports pour être transportées. »

    Les particules issues de l’évaporation des gouttelettes humaines, poursuit le chercheur, sont en effet susceptibles de véhiculer le virus. « En ce sens, l’aérocontamination est possible, et ce serait alors davantage dans les espaces fermés qu’en extérieur qu’il faudrait être vigilant. Cela pose la question de l’aération des bâtiments. »

    Sans vouloir nier le facteur environnement dans l’évolution de la maladie, Jean-François Doussin estime que, si une corrélation entre exposition à la pollution aux particules fines et propagation du Covid-19 était confirmée, c’est aussi du côté de la sensibilisation de l’organisme humain qu’il faudrait chercher, la pollution atmosphérique étant à l’origine de détresse respiratoire chronique et de maladies. « La pollution est responsable de 40 000 à 50 000 décès prématurés en France chaque année », rappelle-t-il.

    À l’université Clermont-Auvergne, le physicien Laurent Deguillaume et le microbiologiste Pierre Amato expriment des réserves similaires sur la publication italienne. « C’est une première étude, qui a le mérite d’exister. Mais cela ne signifie pas qu’il y a un lien effectif et démontré entre propagation de l’épidémie et particules de pollution », expliquent ces deux chercheurs, affiliés respectivement au Laboratoire de météorologie physique pour le premier, au CNRS et à l’Institut de chimie de Clermont-Ferrand pour le second. « La survie du virus dans l’air peut dépendre des U.V., de la chaleur, des conditions météorologiques… Elle est très difficile à évaluer. Par ailleurs, détecter l’ARN comme l’a fait cette équipe italienne ne nous dit rien sur les protéines de surface du virus, qui peuvent être détériorées et donc tuer sa virulence, comme sous l’effet du savon. Il faut rester prudent, en attendant de nouvelles études plus robustes. »

    Sans que le lien soit établi avec la pollution atmosphérique, plusieurs travaux scientifiques publiés ces dernières semaines sont venus renforcer l’hypothèse d’une propagation du coronavirus par voie aérienne.

    Dans The New England Journal of Medecine, une équipe d’une quinzaine de chercheurs issus de différentes universités américaines (parmi lesquelles Princeton) et de l’Institut national américain des allergies et maladies infectieuses, a publié le 16 avril un article [3] faisant état d’une expérience comparée en laboratoire sur la stabilité et la décomposition des deux coronavirus suivant l’environnement dans lequel ils se trouvent (SARS-Cov-1, responsable de la première épidémie en 2002-2003 qui avait fait 349 morts et infecté 5 327 personnes, et SARS-Cov-2).

    Résultat, les deux virus présentent des trajectoires similaires : trois heures de viabilité dans l’air, jusqu’à 72 heures de viabilité sur du plastique et de l’acier inoxydable, jusqu’à huit heures de viabilité pour le premier SARS sur du cuivre et du carton ; le deuxième SARS pouvant être viable quant à lui jusqu’à quatre heures sur du cuivre et vingt-quatre heures sur du coton.

    « Nos résultats montrent que la transmission de SARS-Covid-2 par des vecteurs et des particules en suspension est plausible, puisque le virus peut rester viable et infectieux dans les aérosols pendant trois heures », conclut l’équipe américaine.

    Une autre étude, chinoise celle-ci, vient étayer cette thèse. Publiée le 10 mars [4] par la revue spécialisée bioRχiν puis ce lundi [5] par la célèbre revue scientifique Nature, elle se base sur des échantillons collectés dans deux hôpitaux de Wuhan entre le 17 février et le 2 mars. Au total, 35 échantillons d’aérosol prélevés dans les espaces des différents usagers (patients, équipe médicale, public) ont été analysés. Dans plusieurs d’entre eux, la présence du virus a été diagnostiquée. L’équipe de chercheurs en conclut que le SARS-CoV-2 peut avoir été transmis par voie aérienne, et qu’il convient de ventiler les pièces, de désinfecter, et de travailler en milieu ouvert le plus possible afin de limiter la propagation du virus.

    Une étude similaire a été réalisée dans l’hôpital universitaire du Nebraska, aux États-Unis. Des échantillons d’aérosol et de particules de surface ont été prélevés début mars dans les chambres de treize individus isolés, contaminés par le Covid-19. Dans une pré-publication [6] parue le 26 mars dans la revue medRχiν, les scientifiques à l’origine de ces prélèvements expliquent que 63,2 % des échantillons d’aérosol ont été testés positifs à l’ARN du SARS-CoV-2 – preuve, écrivent-ils, d’une « contamination virale dans l’air ».

    À la lecture de ces travaux, deux inconnues majeures perdurent : le nombre d’entités de SARS-Cov-2 et la durée d’exposition nécessaires pour causer une infection chez l’être humain. Mais une certitude semble communément partagée, si l’on en croit la chercheuse Lidia Morawska, de l’université de technologie de Queensland, en Australie : « Dans l’esprit des scientifiques travaillant là-dessus, il n’y a absolument aucun doute que le virus se propage dans l’air », disait-elle début avril à la revue Nature dans un article [7] posant les bases de cette question scientifique.

    [1] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.15.20065995v2
    [2] https://www.actris.fr/propagationdusars-cov-2etparticulesatmospheriques
    [3] https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMc2004973
    [4] https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.03.08.982637v1
    [5] https://www.nature.com/articles/s41586-020-2271-3
    [6] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.23.20039446v2
    [7] https://www.nature.com/articles/d41586-020-00974-w

    #covid19 #propagation_covid19

  • Tests #Covid-19 : la défaillance organisée au sommet de l’Etat | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/france/290420/tests-covid-19-la-defaillance-organisee-au-sommet-de-l-etat

    Le constat est implacable : face à la pandémie de Covid-19, la France n’est pas en capacité de tester massivement la population, comme l’OMS le recommande depuis le début de la crise sanitaire. Et si le 11 mai, le pays ne peut pas amorcer un déconfinement dans de bonnes conditions, c’est en grande partie à cause de l’invraisemblable retard pris sur les tests. Les annonces fracassantes d’Édouard Philippe sur ce point, qui promet désormais 700 000 tests virologiques par semaine, ne font plus illusion. « On ne sera évidemment pas prêt le 11 mai », confie le chercheur au CNRS Philippe Froguel, directeur de la plateforme de génomique Ligan, à Lille.

  • Tests Covid-19 : la défaillance organisée au sommet de l’Etat
    Par Lucie De La Porte
    https://www.mediapart.fr/journal/france/290420/tests-covid-19-la-defaillance-organisee-au-sommet-de-l-etat?onglet=full

    Le gouvernement, incapable à ce jour de connaître les capacités des laboratoires sur son territoire à réaliser des tests, s’est tourné vers un cabinet privé pour réaliser un audit. Enquête sur le désastreux pilotage des tests Covid-19.

    Le constat est implacable : face à la pandémie de Covid-19, la France n’est pas en capacité de tester massivement la population, comme l’OMS le recommande depuis le début de la crise sanitaire. Et si le 11 mai, le pays ne peut pas amorcer un déconfinement dans de bonnes conditions, c’est en grande partie à cause de l’invraisemblable retard pris sur les tests. Les annonces fracassantes d’Édouard Philippe sur ce point, qui promet désormais 700 000 tests virologiques par semaine, ne font plus illusion. « On ne sera évidemment pas prêt le 11 mai », confie le chercheur au CNRS Philippe Froguel, directeur de la plateforme de génomique Ligan, à Lille.

    Un dernier rapport de l’OCDE montre qu’au 28 avril avec un taux de 9,1 personnes testées pour mille, la France se situe toujours très loin de la moyenne des pays de l’OCDE (23,1 personnes testées pour mille). Depuis des mois, la France gère en réalité la pénurie.

    Si le gouvernement a mis en avant les difficultés d’approvisionnement en matériel pour réaliser les tests – difficultés qui sont d’ailleurs à relativiser, expliquent les laboratoires que Mediapart a contactés – c’est surtout pour masquer son incurie à gérer depuis le mois de janvier le dossier des tests. Car le crash actuel est d’abord et avant tout lié à un pilotage politique totalement hasardeux.


    Proportion de tests réalisés sur la population © OCDE

    Fin mars, le gouvernement doit se rendre à l’évidence : rien n’est en place pour mener une stratégie ambitieuse de dépistage de la population. « La Direction générale de la santé (DGS) pédalait complètement dans le yaourt. Rien n’avançait », raconte un haut fonctionnaire qui a suivi le dossier depuis le début. « L’Élysée a décidé de créer une “Cellule tests” pour piloter tout ça. »

    Un premier groupe informel, sous la responsabilité de l’Élysée, est animé, selon les documents à notre disposition, par l’inspecteur des finances Vincent Lidsky, qui connaît bien les acteurs de la santé. Il est chargé fin mars de commencer à identifier les laboratoires susceptibles de réaliser des tests. Il est grand temps. Le nombre de morts en France est sur une courbe exponentielle et sur le terrain, la situation est des plus chaotiques. Des centaines de laboratoires publics comme privés, capables de réaliser ces tests PCR, s’impatientent devant l’inertie du gouvernement.

    Le 29 mars, Mediapart révèle que les pouvoirs publics laissent sans réponse l’offre de service des laboratoires vétérinaires départementaux qui peuvent réaliser massivement des tests pour le Covid-19, ayant non seulement les machines nécessaires mais des moyens propres d’approvisionnement en réactifs. Malgré des alertes multiples, notamment de quatre présidents de région, rien ne se passe.

    Les laboratoires de recherche publique, comme l’a révélé Le Monde, sont tout autant tenus à l’écart, alors qu’ils ont d’importantes capacités pour contribuer à l’effort de dépistage. Eux aussi ont les compétences et les machines nécessaires et s’indignent de voir leurs laboratoires à l’arrêt dans une telle situation d’urgence. Nathalie Bontoux, qui travaille dans le secteur du diagnostic privé, propose avec la chercheuse au CNRS Marie-Claude Potier, de l’Institut du cerveau, et le biologiste Jean Rossier, membre de l’Académie des sciences, un projet d’alliance de labos entre public et privé… Leur demande reste lettre morte.

    Bloqués par certaines agences régionales de santé (ARS), des laboratoires privés doivent mener une bagarre judiciaire pour se voir reconnaître le droit de réaliser des tests Covid – alors qu’ils ont, là encore, les équipements et les ressources humaines pour les faire. Comble de l’absurdité, ce n’est qu’après l’intervention des avocats du Syndicat des jeunes biologistes médicaux qui ont saisi le ministère de la santé qu’une autorisation explicite leur est délivrée le 27 mars.

    Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on pointe les défaillances de la DGS et de son réseau d’ARS.

    Quels sont les stocks de réactifs disponibles sur le territoire ? Quelles sont les capacités des laboratoires à s’approvisionner ? Fin mars, le gouvernement est toujours dans l’incapacité d’avoir ces informations.

    « La DGS n’était absolument pas outillée pour gérer ce type de crise. Au ministère de la santé, la vraie direction politique c’est la DSS (Direction de la Sécurité sociale) alors que la DGS, composée de médecins de santé publique, est accusée de ne pas servir à grand-chose. C’est une direction très mal vue par les hauts fonctionnaires et aucun énarque ne veut y aller », affirme un jeune énarque familier du ministère d’Olivier Véran.

    Concernant les laboratoires vétérinaires, un énarque du ministère de la santé, travaillant habituellement à la DSS (la branche budgétaire du ministère), est dépêché pour débrouiller la situation. Il faut en effet rédiger un arrêté autorisant leur réquisition. « La DGS a imposé que tout le monde soit consulté : le ministère de l’agriculture, l’Agence nationale de sécurité du médicament, la Haute Autorité de santé… Cela a été des “conf-calls” non stop pendant deux semaines et chacun a joué sa petite partition débile pour montrer qu’il était indispensable… », rapporte le même haut fonctionnaire. Constatant le fiasco, le jeune énarque a dès lors multiplié les notes pour se couvrir en vue des procès. « Tout le monde fait ça en ce moment, ils ne pensent plus qu’au tribunal », se désole la même source…

    Création d’une « task force »… le 1er avril

    Pour renforcer le dispositif interministériel existant, une « cellule tests » placée sous la direction du directeur de cabinet de Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, est officiellement créée, selon des mails consultés par Mediapart, le mercredi… 1er avril.

    Elle est dirigée par le directeur de cabinet de Frédérique Vidal, Nicolas Castoldi, agrégé de philosophie et Johanna Michielin, directrice de CNRS Innovation, juriste de formation. « Les profils idéaux », cingle une scientifique spécialiste des tests interrogée par Mediapart.

    Un inspecteur des finances, formé à HEC, Thomas Cargill, est « chargé du sourcing », c’est-à-dire de trouver des fournisseurs. La partie « expertise scientifique » est confiée au professeur de médecine à Paris-Diderot André Andremont.

    Une trentaine de personnes détachées du ministère de la santé, de l’IGAS ou de l’Inspection générale des finances composent cette task force, censée être enfin opérationnelle. Selon nos informations, confirmées par la DGS , c’est la direction interministérielle à la transformation publique, assistée du cabinet de conseil McKinsey, qui préside à la mise en place de ce Meccano.

    Au sein de la DGS, certains voient d’un mauvais œil cette nouvelle structure. « C’est un choix compliqué, car déposséder une direction est toujours très mal vécu », souligne un haut fonctionnaire du ministère de la santé. Le tweet d’Olivier Véran affirmant le 3 avril que tous les labos publics, privés, vétérinaires allaient être réquisitionnés a été vécu comme un camouflet par l’administration. Sans que l’on puisse faire de lien, le directeur chargé de la gestion des crises sanitaires à la DGS était en tout cas en arrêt maladie lorsque nous avons tenté de le joindre.

    Un peu plus d’une semaine après avoir été officiellement créée, et alors que la France confinée depuis déjà trois semaines compte déjà près de 15 000 morts du Covid-19, la cellule tests a une idée de génie : mandater le cabinet de conseil Bain pour réaliser un audit sur les capacités des laboratoires à réaliser des tests en France.

    « Quand j’ai appris ça, les bras m’en sont tombés, raconte un haut fonctionnaire qui suit le dossier depuis le début. Quatre mois après le début de la crise, on n’est donc pas capable d’avoir cette information ? Et il faut se retourner vers un cabinet privé qui va encore mettre des semaines pour rendre ses travaux ? C’est délirant. »

    La lettre de mission en date du 9 avril, signée conjointement par Frédérique Vidal et la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, que nous nous sommes procurée, et que cite également Le Canard enchaîné aujourd’hui, stipule que le cabinet Bain assistera le gouvernement « dans le développement des capacités de production nationales » de tests, avec l’objectif de « garantir une capacité de production française, tant pour des raisons de sécurité sanitaire […] que de souveraineté ».


    Lettre décrivant le mandat de Bain signée par Frédérique Vidal © LD

    Mi-avril, la « souveraineté » de la France en matière de production de tests est donc confiée à un cabinet de conseil privé. « Cette mission s’effectue pro bono dans le cadre d’une prestation de conseil industriel. Bain n’est donc pas en charge de la stratégie, mais fournit un appui opérationnel », nous a précisé, au bout de dix jours, la DGS. Le conseil serait donc gratuit et « sans contrepartie », ajoute l’institution qui n’a pas voulu nous préciser à quelle date seraient rendus les travaux du cabinet.

    Ironie de l’histoire, si la France a tant de mal à évaluer aujourd’hui les capacités des labos à réaliser des tests Covid-19 sur son territoire, c’est qu’elle a sciemment décidé de fermer les capteurs qu’elle avait dans les départements à savoir les pôles « 3 E » pour « Entreprises, Économie, Emploi », au sein des DIRECCTE (Les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ).

    Une « modernisation » de l’État, en forme de coupe drastique dans les effectifs, décidée par le gouvernement d’Édouard Philippe à l’été 2018, avec, en appui, des cabinets de conseils comme McKinsey. La boucle est bouclée et l’État, qui a organisé sa propre défaillance, doit aujourd’hui recourir au privé face à l’une des plus graves crises sanitaires jamais connues.

    #covid19 #déconfinement #test_covid