A Cannes, des caméras scrutent les habitants non masqués

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    La ville des Alpes-Maritimes a mis en place un système de vidéosurveillance en prévision d’une obligation du port de masque. Une décision qui ne fait pas l’unanimité.

    A Cannes, des caméras scrutent les habitants non masqués

    Le marché Forville de Cannes n’est plus ouvert aux quatre vents. Pour entrer sous la halle, Didier et Jules devaient déjà se plier à la prise de température et au lavage des mains. Depuis le 23 avril, et sans qu’ils ne le sachent, ces deux Cannois ont été soumis à un autre contrôle : leurs visages sont passés à la moulinette d’un algorithme. La ville de Cannes vient de se doter d’un détecteur de masques intégré aux caméras de ce marché provençal. « Ils sont tombés sur la tête. On se croirait dans un film, raillent Didier et Jules. Ils feraient mieux de mettre l’argent pour ouvrir des lits à l’hôpital et trouver un médicament plutôt que de nous surveiller. » Les deux amis ne portent pas de masques. Ils font partie des 26 % de Cannois, selon les nouvelles statistiques de la ville, qui ne se protègent pas pour faire leurs emplettes.
    Masques gratuits et rues désinfectées

    « Cet algorithme permet de détecter les personnes qui portent ou non un masque dans l’espace public à l’aide de petites caméras et de mini ordinateurs qui traitent les images en local », détaille la mairie dans un communiqué diffusé trois jours après l’installation du matériel. Développée par la start-up française Datakalab, cette technologie transforme les images en données. Son PDG Xavier Fischer les reçoit sur son ordinateur. A gauche de l’écran, un graphique matérialise la fréquentation. A droite, un autre indique la part de Cannois masqués. « Pour la journée du 26 avril, on voit que 87 % des personnes portaient le masque à 8 h 45. Ça baisse très régulièrement au cours de la matinée, pointe Xavier Fischer. Plus il est tôt, plus le port du masque est respecté. »

    Ces informations intéressent la ville de Cannes qui s’est offert l’expérimentation contre un chèque de 9 000 euros. « On se base sur des mathématiques pour anticiper le déconfinement, explique la cheffe de cabinet adjoint de la commune, Sophie Mouysset. Si le masque devient obligatoire, et que le gouvernement nous donne les moyens, à un moment donné il faudra faire de la répression pour appliquer ce principe. » Pour l’instant, « un SMS ou un email est envoyé aux employés municipaux chargés de la sécurité du lieu » et « les équipes peuvent aller au-devant des Cannois pour une action pédagogique ». C’est qu’à Cannes, les masques sont gratuits : le maire LR David Lisnard en a déjà distribué 100 000. Il s’est aussi engagé à désinfecter les rues, parfois à l’aide de drones. Des mesures qui « rassurent » Isabelle, maraîchère sous la halle : « Ces mesures ne me dérangent pas. On ne va pas s’empêcher de vivre, estime-t-elle. Quand on n’a rien à se reprocher, ça ne devrait pas poser de problème d’être filmé. »
    « Atteinte à nos droits »

    Trois marchés sont déjà équipés. Dès jeudi, l’algorithme montera à bord des bus. « La détection, avec l’individualisation du port du masque, est déjà une atteinte à nos droits. Ça fait partie de toutes ces nouvelles technologies déployées et légitimées par la crise, pointe Martin Drago, juriste pour la Quadrature du net. Il faut bien distinguer deux craintes : la première c’est l’atteinte à nos droits maintenant, le seconde c’est la question de la banalisation. »

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    Xavier Fischer répète inlassablement le même discours : il éloigne toute association d’idées entre sa technologie et la reconnaissance faciale : « Oui, on passe par la caméra, mais on met tous les garde-fous pour être certains de ne pas conserver d’images, insiste-t-il. On a automatisé le boîtier de comptage : on envoie des lignes de data avec le nombre de personnes, le nombre de masques et les heures. Cette analyse d’images respecte le RGPD [règlement général sur la protection des données, ndlr]. » Datakalab a été créé il y a trois ans pour développer le comptage dans les centres-commerciaux, les duty-free ou les hôpitaux. La start-up et son intelligence artificielle sont capables de faire des statistiques par tranche d’âges, par sexe ou par niveau de satisfaction grâce au sourire. En fin de semaine, Datakalab testera à Cannes l’analyse de la distanciation sociale entre les individus.

    Sur le boîtier de la caméra du marché Forville figure un petit écriteau : « Vous pouvez vous opposer au traitement en faisant un signe "non" de la tête. » Trop tard pour Didier et Jules. Ils sont passés sous l’objectif sans même se rendre compte qu’ils étaient filmés. Ils entreront dans les statistiques des mauvais élèves : les non-porteurs de masques.

    #Surveillance #Reconnaissance_faciale #Géolocalisation #After