Pourquoi « Fauda » n’est pas une série réaliste

/pourquoi-fauda-nest-pas-une-serie-reali

  • Pourquoi « Fauda » n’est pas une série réaliste
    (The Conversation, 26 mars 2020)

    Sortie sur Netflix, la troisième saison de Fauda, la série israélienne portant à l’écran le quotidien de forces spéciales de Tsahal, est louée par une partie de la presse française. Produite en 2015 par deux vétérans de cette unité, (...) elle narre les « aventures » des mista’aravim (littéralement les « arabisés »), dont la mission est d’opérer incognito derrière les lignes ennemies en se déguisant en civils palestiniens, ce qui est interdit au regard du droit international. Elle a suscité des éloges appuyés aussi bien que de virulentes critiques (...). La réponse des deux showrunners à ces critiques est ambiguë. Ces derniers arguent de leur licence fictionnelle sans craindre la contradiction avec leurs déclarations sur « l’honnêteté brutale » de leur série. Ils estiment « honorer le discours palestinien » tout en expliquant que : « Nous sommes Israéliens, nous écrivons une série israélienne, le discours est israélien, et je veux vraiment dire à tous les critiques qui nous demandent d’apporter des scénaristes palestiniens, vous savez, si les Palestiniens veulent écrire une série, qu’ils écrivent une série. » Une telle remarque ignore le fait cinéma palestinien rencontre de nombreux obstacles, notamment du fait que les permis de filmer en Cisjordanie soient délivrés par l’État d’Israël. Le film Five Broken Cameras décrit les difficultés rencontrées par les Palestiniens à filmer leur quotidien. Co-réalisé par le Palestinien Emad Burnat et l’Israélien Guy Davidi, il a pour sujet les manifestations à Bil’in, un village de Cisjordanie traversé par le mur de séparation. Au cours du tournage, cinq caméras ont été détruites par les soldats israéliens, ce qui témoigne des difficultés des Palestiniens à produire et décrire leur propre histoire.

    #asymétrie #récits #récit #appropriation_culturelle #séries #Fauda #Palestine #Israël #colonisation #colonialisme #guerre #Palestiniens #représentations #soft_power #Netflix

    https://theconversation.com/pourquoi-fauda-nest-pas-une-serie-realiste-129394

  • Pourquoi « Fauda » n’est pas une série réaliste
    https://theconversation.com/pourquoi-fauda-nest-pas-une-serie-realiste-129394

    Signalé sur le fil de Pierre Abi-Saab

    Fauda appuie une problématisation du conflit israélo-palestinien chère à la droite israélienne. L’accent mis sur le rôle joué par la religion musulmane renvoie la nature spécifiquement politique de l’engagement des personnages palestiniens au second plan. Les figures masculines palestiniennes sont présentées comme très obséquieuses vis-à-vis de l’Islam, ce qui renforce le rôle d’épouvantail de l’islamisation de la lutte palestinienne dans les Territoires.

    Dans la saison 2, le Fatah et le Hamas sont ringardisés au profit de l’État islamique, ce qui permet d’appuyer l’hypothèse du « pas de partenaire pour la paix » revendiquée par la droite et le centre israéliens. Cette thèse a été formulée par le Premier ministre travailliste Ehud Barak en octobre 2000 : en l’absence de dirigeant palestinien volontaire ou simplement capable de construire une paix, Israël ne pourrait pas négocier avec les Palestiniens. Le « deal du siècle » présenté par l’administration Trump entérine cette idée en écartant de la table des négociations les Palestiniens.

    Une telle lecture du conflit a pour corollaire la justification de l’emploi de la force armée : puisque les dirigeants palestiniens ne renoncent pas à l’utilisation de la violence, ils ne peuvent pas être des partenaires politiques crédibles, et les « éliminer » en utilisant la force armée ne poserait pas de problème politique quant à la reprise des négociations du processus de paix. Cette analyse est aujourd’hui discréditée par des observateurs politiques aussi bien que par des universitaires, qui y voient un prétexte pour soustraire Israël à ses obligations internationales en matière de respect du droit.
    Guerre des récits et outil d’influence

    La réponse des deux showrunners à ces critiques est ambiguë. Ces derniers arguent de leur licence fictionnelle sans craindre la contradiction avec leurs déclarations sur « l’honnêteté brutale » de leur série. Ils estiment « honorer le discours palestinien » tout en expliquant que : « Nous sommes Israéliens, nous écrivons une série israélienne, le discours est israélien, et je veux vraiment dire à tous les critiques qui nous demandent d’apporter des scénaristes palestiniens, vous savez, si les Palestiniens veulent écrire une série, qu’ils écrivent une série. »

    Une telle remarque ignore le fait cinéma palestinien rencontre de nombreux obstacles, notamment du fait que les permis de filmer en Cisjordanie soient délivrés par l’État d’Israël. Le film Five Broken Cameras décrit les difficultés rencontrées par les Palestiniens à filmer leur quotidien. Co-réalisé par le Palestinien Emad Burnat et l’Israélien Guy Davidi, il a pour sujet les manifestations à Bil’in, un village de Cisjordanie traversé par le mur de séparation. Au cours du tournage, cinq caméras ont été détruites par les soldats israéliens, ce qui témoigne des difficultés des Palestiniens à produire et décrire leur propre histoire. La droite israélienne cherche ainsi aujourd’hui à faire passer une loi à la Knesset visant à interdire aux Palestiniens de filmer des soldats – ce qui rend difficile la pratique documentaire.

    Cette asymétrie de la capacité à diffuser des récits sur sa propre expérience du conflit appuie les discours cherchant à éveiller les consciences sur l’appropriation culturelle. Les séries TV ont aujourd’hui un impact tel – un million de spectateurs en 48 heures pour le premier épisode de la troisième saison de Fauda – qu’il est nécessaire de développer un regard critique sur ces productions, a fortiori lorsqu’elles portent sur des sujets politiques.

    #feuilleton #palestine #netflix