Et s’ils avaient tort ?
Et si la « conversion numérique » était un piège mortel pour les journaux ?
Et si les dirigeants de la presse mondiale se trompaient en investissant à tour de bras dans les applications, les sites et les rédactions multimédias ?
Et si les chiffres mirobolants des pages vues et les audiences faramineuses des titres de presse transformés en « marques médias » étaient un leurre ?
Il faut surmonter un sentiment de vertige pour poser ces questions iconoclastes depuis le petit rocher d’une revue de reportages diffusée à cinquante mille exemplaires en France.
Mais ces questions s’imposent.
Il arrive que les raisonnements les plus logiques aboutissent à des décisions erronées. Il arrive que les dirigeants se trompent tous les uns les autres, par effet mimétique. Il arrive que, emportés par le mouvement, la finalité soit perdue de vue.
Expert en sociologie de l’erreur et ancien cadre dirigeant de Renault, Christian Morel a distingué dans ses travaux « trois grands scénarios qui conduisent à des décisions absurdes » : « Les erreurs de raisonnement, les mécanismes collectifs et la perte de sens. »
Nous pensons que la presse, cédant aux promesses du « bluff technologique » avec ses taux de croissance exponentiels et sa cité de verre universelle, est entrée dans un cycle de « décisions absurdes ».
« Erreur de raisonnement ». L’enjeu n’est pas dans l’alternative papier-écran.
« Mécanismes collectifs ». Les dirigeants de la presse courent derrière la publicité qui se déplace sur le Net, mais ils ne la retrouveront pas.
« Perte de sens ». Les nouveaux modèles économiques font l’impasse sur le journalisme.
Nos convictions :
– Le numérique n’est pas responsable de la crise actuelle, il l’a accentuée.
– Sur papier ou sur écran, le journalisme a besoin avant tout d’accomplir une révolution copernicienne.
– Il est possible de refonder une presse post-Internet conçue pour les lecteurs, et non à partir des annonceurs. (...)