Plusieurs rassemblements pour la réouverture des lieux culturels et contre le confinement ont été organisés au son de « Danser encore ». Un succès qui étonne jusqu’à ses auteurs, le groupe HK & les Saltimbanks, déjà derrière le célèbre « On lâche rien ».
Au milieu des voyageurs dans le hall, quelques notes de trombone résonnent, bientôt rejointes par plusieurs chanteurs et danseurs éparpillés dans la foule. Ce jeudi 8 avril, gare de l’Est à Paris, une cinquantaine de personnes s’adonnent à un flashmob, comme on en a vu tant. Sauf que celui-ci se tient en pleine pandémie et entend justement dénoncer les restrictions sanitaires en cours. La plupart des participants ne portent d’ailleurs pas de masque et ne respectent pas les mesures de distanciation.
▻https://www.youtube.com/watch?v=GN5B27zT29Y
La chanson Danser encore – c’est son titre – dénonce les mesures prises par le gouvernement et prône la désobéissance civile : « Et quand le soir à la télé, monsieur le bon roi a parlé, venu annoncer la sentence, nous faisons preuve d’irrévérence mais toujours avec élégance », peut-on ainsi entendre. « Auto-métro-boulot-conso, auto-attestation qu’on signe, absurdité sur ordonnance, et malheur à celui qui pense, et malheur à celui qui danse », poursuivent les paroles, qui évoquent la « résistance » et épinglent des « mesures autoritaires » : « Chaque relent sécuritaire voit s’envoler notre confiance, ils font preuve de tant d’insistance pour confiner notre conscience. »
Cette chanson ne date pas du 8 avril. D’ailleurs, elle n’a pas uniquement été entonnée dans le hall de la gare de l’Est. En fait, on la retrouve à de très nombreuses reprises ces derniers mois, lors d’autres flashmobs ou regroupements en extérieur. Le 4 mars, la même scène avait déjà lieu cette fois-ci à la gare du Nord. Ainsi qu’à Marseille, fin février, puis en mars à Lille, à La Rochelle et au Jardin des plantes à Paris. Et en avril à La Chapelle-en-Vercors ou encore dans l’Yonne, où les chanteurs se sont vêtus à la mode médiévale et ont dansé dans la forêt d’Avallon. Le titre dépasse même les frontières puisqu’on en retrouve la trace à Zurich début avril, et à Bruxelles, le 10 avril.
Ces reprises font l’objet de vidéos, partagées sur les réseaux sociaux, qui rencontrent un franc succès, principalement sur YouTube et sur Facebook, où certaines comptent quelques centaines de milliers de partages et plusieurs millions de vues. Les commentaires sont généralement élogieux : « Mamie de 72 ans, il est 1h30 du matin je m’éclate, peut-on lire sous une vidéo sur les flashmobs. Je vis seule depuis un moment, j’aime la danse pour l’avoir pratiqué longtemps. […] J’en ai pleuré de bonheur de voir tous ces gens ensemble heureux. » Certains dénoncent toutefois « l’irresponsabilité » des personnes qui participent sans masque ni distanciation physique à ces événements.
Il est difficile de remonter la piste d’un seul organisateur, les différents événements semblant relever d’initiatives locales. Lors des deux flashmobs organisés dans les gares parisiennes, on peut toutefois reconnaître l’un des principaux chanteurs, ce qui suggère une coordination en équipe et en amont. « J’ai reconnu des visages de gilets jaunes mais il y avait des personnes opposées au masque, des intermittents du spectacle. Bref, un drôle de mélange », analyse un vidéaste de la chaîne Media investigation, présent au rassemblement gare de l’Est et interrogé par le Parisien. « Les gens présents étaient plus de gauche », avancent plusieurs participantes. « Je l’ai appris par le bouche-à-oreille. C’était plutôt le ras-le-bol qui nous rassemblait que l’opposition au masque, qui n’est toutefois pas pratique pour chanter », raconte l’une d’elles au quotidien.
« Cris de colère »
Leur principal point commun est donc le titre interprété, Danser encore. Derrière cette chanson devenue hymne, une institution de la musique populaire : HK & les Saltimbanks, formé par le chanteur roubaisien Kaddour Hadadi. Leur On lâche rien est scandé dans les manifestations depuis plus de dix ans, des défilés syndicaux aux gilets jaunes. En 2012, leur morceau rythmait même la campagne du NPA et du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon.
Danser encore pourrait bien connaître un destin comparable : posté en décembre, le clip officiel comptabilise déjà plus de quatre millions de vues cumulées sur YouTube et Facebook. Sans compter celles de toutes les reprises et détournements. Le morceau a par ailleurs été mis à disposition gratuitement sur le site du groupe.
« Pour l’instant, sur les chiffres et sur les reprises, Danser encore c’est dix fois plus important qu’On Lâche rien… estime même Kaddour Hadadi. Ce qui est impressionnant avec cette chanson, c’est qu’elle déborde du cadre syndical, du cadre militant. J’ai des gens qui m’écrivent pour me dire “C’est ma mère qui m’a envoyé ta vidéo !” Il y a des reprises dans de tout petits villages, c’est génial. »
« Les deux morceaux ont un point commun : c’est des cris de colère, qui sont sortis d’un coup, en un seul jet, raconte le chanteur. Des fois, on bosse sur une chanson pendant une semaine, un mois. Là non. Danser encore, elle est née pendant le deuxième confinement, avec ce débat autour d’essentiel et non-essentiel. On avait un spectacle qu’on ne pouvait pas jouer, on ne pouvait pas faire notre métier alors qu’on juge que les artistes sont essentiels. Et ce morceau, c’était un exutoire. Dans la foulée, on a fait une vidéo, qui était toute buguée. On a balancé ça sans aucune prétention. Mais malgré ça, elle a tout de suite fait un million de vues, donc on a compris qu’il se passait un truc. »
« Etat d’urgence culturel et social »
Lors de ses actions publiques, le groupe milite pour la réouverture des lieux culturels en jouant le morceau devant des théâtres occupés par exemple. Ils évoquent ainsi un « état d’urgence culturel et social » : « Vous nous verrez sans doute dans les prochaines semaines continuer à chanter et à danser dans les rues ou sur les places publiques, peut-on lire sur leur page Facebook. Certain·es pourront considérer cela comme de la désobéissance, mais l’idée pour nous est avant tout d’être fidèles à notre nature profonde : nous sommes des saltimbanques, c’est ce que nous aimons faire, ce que nous savons faire, ce que nous pensons être essentiel. […] Evidemment, lors de chacun de nos bals de rues, nous demandons aux gens de prendre soin d’eux, de leurs voisin·es en respectant les règles élémentaires et de bon sens ; chacun·e se montrant ensuite responsable pour soi-même. »
Fin mars, HK & les Saltimbanks a relayé un clip réalisé « par le collectif Inter hôpitaux de Rennes en collaboration avec le syndicat CGT du CHU de Nice » d’une version qui s’intitule Soigner encore et qui appelle à « sauver l’hôpital public français ». On y voit plusieurs personnalités, comme l’actrice Corinne Masiero ou les humoristes Guillaume Meurice et Pierre-Emmanuel Barré. Plus récemment, le groupe s’est aussi dit « solidaire avec les restaurateurs et toutes les professions qui veulent qu’on les laisse travailler ».
HK a également relayé des événements de la coordination Santé Libre. Celle-ci prétend représenter 30 000 médecins (tout en refusant de s’expliquer sur ce chiffre) et est à l’origine d’un protocole de « traitement précoce » du Covid-19 qui repose sur des bases scientifiques hasardeuses, dénoncé par les syndicats de médecins. Inversement, la coordination Santé libre publie sur son site plusieurs vidéos montrant des gens faire une séance de sport, en extérieur, sur la chanson Danser encore, à Sarlat (Dordogne). La gynécologue Violaine Guérin (collectif Laissons les médecins prescrire, coordination Santé libre), qui apparaît dans le documentaire Hold-Up, est présente et mène la séance d’étirements. Le nom de cette action (où les participants respectent la distanciation physique) ? « Sport sur ordonnance ».
« J’y vois d’abord des performances artistiques »
« J’assume ce que je fais, pas ce que font les autres. Quand ils m’ont contacté, j’ai trouvé l’initiative “sport sur ordonnance” géniale, se souvient Kaddour Hadadi. C’était à un moment où on ne savait même pas s’il fallait ou si on avait le droit de sortir. Et j’ai vu des moments simples et partagés. Après je suis pas médecin, et j’ai pas signé une alliance politique ou scientifique avec eux ! Il faut aussi comprendre que quand il y a des mesures autoritaires, prises par un président épidémiologiste, et plus de débat sur rien, avec des contradictions et des reniements, la confiance s’évapore. Donc il y a des discours alternatifs qui émergent. La source de tout ça, c’est le manque de débat et de démocratie. »
« Personnellement quand je vois les reprises, j’y vois d’abord des performances artistiques, et je trouve ça formidable. J’imagine que d’autres personnes, avec d’autres points de vue, voient autre chose », poursuit le chanteur. « J’ai même vu que des gens essayaient de nous rapprocher de l’extrême droite. Heureusement, nous, on a notre parcours, et tout le monde sait qu’on est des artistes engagés et ancrés à gauche. »
Pour éviter toute récupération malveillante de sa chanson, HK & les Saltimbanks a fixé « trois conditions », comme un « socle de valeurs communes minimales pour pouvoir danser ensemble » : « Les valeurs antiracistes, la non-violence et pas d’utilisation par les partis politiques. » Contrairement à 2012, le nouvel hymne de HK & les Saltimbanks ne pourra donc pas rythmer les meetings de la prochaine présidentielle.