Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (1884)

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  • Friedrich Engels (1884), L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Traduction française, Les Éditions du Progrès, Moscou, 1976
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    De nos jours, un mariage bourgeois se conclut de deux façons. Dans les pays catholiques, ce sont, comme autrefois, les parents qui procurent au jeune fils de bourgeois la femme qu’il lui faut ; et la conséquence naturelle en est le plus parfait développement des contradictions qu’enferme la monogamie : hétaïrisme florissant du côté de l’homme, adultère florissant du coté de la femme. Si l’Église catholique a aboli le divorce, c’est uniquement, sans doute, parce qu’elle a reconnu qu’il n’y a pas plus de remède à l’adultère qu’à la mort. Par contre, dans les pays protestants, il est de règle que le fils de bourgeois ait le droit de choisir, avec plus ou moins de liberté, parmi les femmes de sa classe ; si bien qu’un certain degré d’amour peut être a la base du mariage et que, par bienséance, il est toujours suppose exister, comme il convient a l’hypocrisie protestante. Ici, l’hétaïrisme de l’homme s’exerce plus mollement, et l’adultère de la femme est moins souvent de règle. Pourtant, comme dans toutes les sortes de mariage, les êtres humains restent ce qu’ils étaient avant de se marier, et comme les bourgeois des pays protestants sont pour la plupart des philistins, cette monogamie protestante, dans la moyenne des meilleurs cas, n’apporte à la communauté conjugale qu’un pesant ennui qu’on désigne du nom de bonheur familial. Le meilleur miroir de ces deux méthodes de mariage est le roman, le roman français, pour la manière catholique, le roman allemand pour la manière protestante. Dans chacun de ces deux romans, « l’homme aura ce qui lui revient » : dans le roman allemand, le jeune homme aura la jeune fille ; dans le roman français, le mari aura les cornes. Il n’est pas toujours aise de dire qui des deux est le plus mal loti. C’est pourquoi l’ennui du roman allemand inspire au bourgeois français une horreur égale à celle qu’inspire au philistin allemand l’ « immoralité » du roman français. Mais ces temps derniers, depuis que « Berlin devient une capitale mondiale », le roman allemand commence a se corser un peu moins timidement d’hétaïrisme et d’adultère, bien connus la-bas, et depuis longtemps.

    Mais, dans les deux cas, le mariage est basé sur la situation de classe des partenaires ; sous ce rapport-la, il est donc toujours un mariage de convenance. [Dans les deux cas encore, ce mariage de convenance se convertit assez souvent en la plus sordide prostitution - parfois des deux parties, mais beaucoup plus fréquemment de la femme ; si celle-ci se distingue de la courtisane ordinaire, c’est seulement parce qu’elle ne loue pas son corps a la pièce, comme une salariée, mais le vend une fois pour toutes, comme une esclave. A tous les mariages de convenance s’applique le mot de Fourier :

    « De même qu’en grammaire deux négations valent une affirmation, en morale conjugale, deux prostitutions valent une vertu . »

    Engels Friedrich (1884), L’origine de la famille, de la propriété privée et de la l’État .

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