• Carte Scolaire : la bombe à retardement (Marion Audrain et Sylvain Grandserre)
    http://www.meirieu.com/FORUM/carte_scolaire_bombe_retardement.pdf

    Dès lors, chacun comprend que le généreux principe du dédoublement ne pourra se faire qu’au détriment d’autres écoles, et donc d’autres enfants. Au-delà des traditionnelles fermetures de classes, il va falloir renoncer aux dispositifs ambitieux du « plus de maîtres que de classes » ou à la « scolarisation dès 2 ans », mais aussi revoir les effectifs des enseignants des Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), sans parler des postes de remplaçants. Du coup, l’effet de « vase communicant » crée un réel malaise dont atteste la presse locale. Monte le sentiment que ce sont les écoles rurales qui vont faire les frais de l’apparente générosité ministérielle en direction des classes en difficulté. Bref, l’impression que l’on déshabille la campagne pour habiller la banlieue. C’est d’autant plus dommage que le contraire avait été affirmé par le Président de la République (17/07/2017) lors
    de la première conférence nationale des territoires : « Il n’y aura plus aucune fermeture de classes dans les zones rurales ».

    Visiblement, la menace d’un éclatement de nos territoires semble peu prise au sérieux par des décideurs politiques urbains, souvent parisiens, qui n’ont vu aucun bureau de vote de la capitale placer le FN en tête du 1er tour des élections présidentielles (avec une moyenne de 5 % des votes pour ce parti à Paris).
    Rappelons-leur qu’au 2nd tour, dans nombre de nos campagnes, Marine Le Pen a été portée à des scores qui devraient appeler une toute autre vigilance, avec des villages atteignant les 70 % ! Comment expliquer à cet électorat - qui ne connaît des banlieues en général, et de l’immigration en particulier, que ce qu’en montre le journal télévisé - que l’école centenaire va fermer pour donner plus de moyens à des enfants qu’ils considèrent comme « étrangers » et « pas de chez nous » ? Comment lutter contre le sentiment d’abandon quand ces populations ont vu fermer tour à tour un tribunal, la maternité, le bureau de Poste, les bureaux d’EDF ou de GDF, l’hôpital, la gare ? Depuis plusieurs années - avec une troublante continuation des gouvernements successifs de droite comme de gauche - un lent mouvement de concentration est à l’œuvre qui voit disparaître les petites structures à taille humaine au bénéfice de plus grands ensembles où il n’est guère prouvé que l’on apprendrait mieux. Le saviez-vous : désormais près de 40 % des communes n’ont plus d’école !
    Pourtant, le débat, bien que relevant d’un vrai choix de société, n’a jamais été rendu
    public. L’Observatoire des inégalités constate que les trois quarts des élèves défavorisés n’étudient pas dans des établissements de zones prioritaires. Et selon
    l’UNICEF, 2,5 à 3 millions d’enfants de notre pays vivent sous le seuil de pauvreté.
    Est-il bien raisonnable de vouloir ainsi les opposer, les mettre en concurrence ?
    […]
    Nous, enseignants en quartier sensible ou à la campagne, refusons qu’on nous oppose, qu’on oppose nos familles, qu’on oppose nos élèves. D’où qu’ils soient, ces enfants sont nos élèves. Ils méritent respect, attention, considération, ambition, loin des effets d’annonce et des tactiques politiciennes. Que notre système éducatif se donne les moyens de ses ambitions. Nous appelons le ministère de l’Éducation nationale à réagir d’urgence pour désamorcer la bombe à retardement qu’il a lui-même enclenchée. A quoi vont servir nos leçons de grammaire et de calculs si nos jeunes grandissent dans la haine les uns des autres ?

    #éducation #école #carte_scolaire #territoires #éducation_prioritaire #école_rurale #moyens_constants #mise_en_concurrence_des_territoires

  • « Je plains les professeurs d’école... » (Pierre Frackowiak)
    http://www.meirieu.com/FORUM/fracko_je_plains_les_profs.pdf

    Il faudrait citer ce texte dans sa quasi-intégralité tant l’analyse me paraît juste sur l’état de l’École aujourd’hui.
    À lire absolument avant de s’engager dans n’importe quel débat impliquant le fonctionnement du système scolaire en France aujourd’hui.

    Dans ce contexte morose, on observe un désengagement croissant des enseignants : faiblesse de la participation à toute réunion non obligatoire ou hors temps de travail, désengagement de la vie des syndicats, des associations partenaires de l’école, des mouvements.
    Même les réunions syndicales autorisées sur le temps de travail ont vu le nombre de participants fondre au fil du temps.
    L’art de la résistance passive se peaufine.
    L’amertume se généralise et gangrène le corps. Désabusé, on ne croit plus à rien.
    On peut toutefois encore trouver quelques raisons d’espérer en entendant, dans des relations de confiance non hiérarchique, une grande majorité des enseignants dubitatifs sur les réformes
    et sur ce qu’en fera leur hiérarchie, déclarer : « Tout cela, les réformes, les textes illisibles, la paperasse, nous barbe (pour ne pas écrire les mots réellement utilisés), mais j’ai encore du plaisir quand la porte se referme, et que je travaille avec mes élèves ».

    #éducation #système_scolaire #enseignants #syndicats #parents_d'élèves #mouvements_pédagogiques #hiérarchie #tâchisme #souffrance_au_travail #autoritarisme #pilotage #évaluationnite #désengagement

  • Sarko reviens, tout est devenu flou ! (Sylvain Grandserre)
    http://www.meirieu.com/FORUM/grandserre_sarko.pdf

    [Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, les] attaques contre l’école se succédaient faisant se mêler mépris, idéologie et incompétence. On peine à recenser l’ensemble de ce qu’il fallut supporter en si peu de temps : suppression de la carte scolaire, des programmes de 2002, de la classe du samedi matin, de l’accueil des deux ans, de la formation professionnelle et de près de 80.000 emplois ! Dans le même temps, on connut la mise en place du service minimum d’accueil pour casser les mouvements de grève, l’instauration de l’aide personnalisée pour faire disparaître les RASED, l’arrivée des stages de remise à niveau à l’encontre du droit aux vacances des élèves, la passation d’évaluations nationales qui préparaient la mise en concurrence des écoles. Et aussi des projets de jardins d’éveil, de salaire au mérite, d’examen d’entrée au collège, de retour de l’uniforme ou d’EPEP, sans parler des salaires gelés et d’un départ à la retraite n’en finissant plus de reculer.
    […]
    Parmi les projets du candidat Hollande figurait la réorganisation des rythmes scolaires. Et pour cause ! Chacun constatait que nous avions la particularité en France d’avoir à la fois le plus faible nombre de jours d’écoles mais aussi les journées les plus chargées, ce qui produisait le redoutable paradoxe de nous faire perdre du temps et d’en manquer cruellement ! Il n’y avait donc rien de surprenant, une fois nommé à son poste, de voir le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon s’emparer de cette bien complexe question du temps scolaire. Complexe car notre pays se distingue également par son morcellement territorial : plus de 36.000 communes, près de 53.000 écoles, pour accueillir 6.700.000 écoliers !
    Historiquement, les rythmes de l’école n’eurent jamais l’élève pour principal souci. Les congés d’été avaient pour priorité, dans une France encore paysanne, de restituer à leur famille une jeune main d’œuvre bien utile en période de récolte et de vendange. Plus tard arrivèrent les congés payés, puis le tourisme de masse organisant de vastes transhumances vers les pentes enneigées et les plages
    surpeuplées. Certes, on convint tardivement qu’une alternance de 7 semaines de travail et de 2 semaines de vacances permettrait de ne pas faire n’importe quoi en la matière, mais même cette mesure resta pour l’essentiel lettre morte.
    […]
    Pour autant, si les courants d’air politiciens ont facilement mis à terre le fragile château de cartes des rythmes, il est évident que toute reconstruction nécessitera doigté et précision. Or, pour mener une si ambitieuse mission, il manqua deux choses. De l’argent tout d’abord. Certes, le dire comme ça est tabou mais nul ne peut ignorer la situation des enseignants français du 1er degré. […]
    Mais il manqua autre chose également : une concertation réelle, directe, avec les acteurs de terrain et non avec leurs seuls représentants […]. Les professeurs des écoles, recrutés à bac +5 sont des cadres A de la fonction publique mais souvent considérés par la machinerie scolaire comme de simples exécutants. Comment pouvait-on imaginer leur engagement sans même prévoir, sur le temps de formation continue que sont les animations pédagogiques, des phases d’échanges, de discussions, de concertation ? Si jusque-là certains avaient voulu faire l’école contre les professeurs, ne risquait-on pas soudain de vouloir la faire sans eux ? […] Voici ce que j’écrivais dès l’été 2012 à propos de la refondation (édito pour le numéro de rentrée des Cahiers pédagogiques) : « Pourtant, ne manquerait-il pas l’essentiel ? L’adhésion à ce processus des centaines de milliers d’enseignants chargés de mettre en œuvre la nouvelle politique scolaire.
    Comment éviter que l’actuelle concertation ne prenne l’allure d’un lointain débat d’experts ? Comment solliciter une participation qui, au-delà d’un forum électronique, ne soit pas trop virtuelle ? […] Voilà bien qui s’avère un thème central de préoccupation : la mobilisation de celles et ceux chargés de faire vivre les projets au-delà du bénévolat et des engagements militants. […] »
    .
    […]
    La réforme des rythmes scolaires rencontre toutes les difficultés. Les parents ont peur que leur enfant soit mis à la rue dès 15h45 à moins de recourir à des activités complémentaires ou de la garderie payantes. Les enseignants ne comprennent pas qu’on puisse leur demander de revenir 36 fois dans l’année au travail le mercredi sans compensation. Les élus refusent de voir les finances municipales supporter tout le poids d’une réforme qui réclame dans l’urgence personnel en nombre, locaux adaptés et formation de qualité.
    Pour couronner le tout, plusieurs mouvements d’opposition enseignants ont vu le jour. […] « Corporatisme » ont dit certains. Peurs, déclassement, déconsidération, ras-le-bol répondirent d’autres. […] Vu de l’extérieur, le résultat est édifiant. Certains mots d’ordre feraient presque penser que nous sommes dans un état totalitaire. […] Est-ce bien sérieux ? […] Tout se passe comme si des grilles de lecture préétablies étaient plaquées sur des situations nouvelles. […] On pourrait postuler le contraire et
    affirmer qu’en demandant l’impossible on s’assure de ne jamais rien changer. […] Que les choses soient bien claires : nombre de revendications ont leur légitimité. On attend toujours de la part du ministère de nouveaux programmes, une revalorisation salariale, la garantie des RASED, la fin de la bureaucratie, la remise en cause du « pilotage » avec son cortège de tableaux et de pourcentages, et même la réhabilitation des « désobéisseurs ».
    […]
    Car à l’heure où l’argument ultime du bien-être de l’enfant est brandi à tout bout de champ, rappelons que pareil engagement aurait gagné en crédibilité s’il s’était exercé à l’égard d’autres mesures du passé autrement plus dangereuses pour nos élèves, quand on leur faisait passer des évaluations les dévalorisant (combien étions-nous à nous y opposer déjà ?), quand on leur supprima l’école du samedi (qui s’en est plaint au fait ?), quand on les fit revenir pendant les vacances pour des stages de remise à niveau du pouvoir d’achat des professeurs ! Sans parler d’autres domaines qui touchent au bien-être des élèves et pour lesquels il y aurait aussi nécessité de balayer devant notre porte : les devoirs toujours aussi envahissant bien qu’interdits ; le redoublement toujours aussi inutile mais encore premier réflexe face
    à l’échec ; les notes omniprésentes quand d’autres modalités d’évaluation existent.
    Et les maux de ventre, le mal-être, le stress, la peur de se tromper, toutes les histoires nous revenant aux oreilles de rigidité, de laxisme ou de harcèlement dont les enfants et parfois même les enseignants sont les premières victimes ?
    Dans une carrière professionnelle d’une quarantaine d’années, combien d’occasions se présentent de changer en profondeur les choses ? Une ? Peut-être deux ? Nous y sommes je crois. C’est un instant rare, une convergence unique.
    […] Cela ne doit en rien faire baisser nos exigences, au contraire puisque leur réalisation est enfin possible. […] Bref, sortons des caricatures pour dessiner le nouveau portrait d’une école émancipatrice.

    #éducation #réforme_rythmes_scolaires