« On ne mange pas indistinctement tous les animaux »

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  • « On ne mange pas indistinctement tous les animaux »
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/02/28/on-ne-mange-pas-indistinctement-tous-les-animaux_1840761_3224.html

    Sociologie de la viande (de cheval, entre autres…)
    Entretien avec Jean-Pierre Digard, spécialiste en anthropologie de la domestication animale.

    Comme l’Eglise réprouvait cette habitude alimentaire considérée comme une survivance païenne, on n’a pas mangé de cheval jusqu’au XIXe siècle, où s’est produite, par convergence d’intérêts, une alliance improbable entre deux personnages : un savant positiviste, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, dont le souci était d’améliorer l’alimentation du prolétariat dans les villes, alors en pleine expansion, et un ancien vétérinaire militaire, Emile Decroix, qui voulait adoucir le sort des chevaux. A l’époque, les charretiers les usaient jusqu’à la corde. Decroix pensait, avec raison, que la perspective de leur vente pour la boucherie inciterait leurs propriétaires à les maintenir « en état » et à les ménager dans leurs vieux jours. Ces deux argumentations n’ont pas suffi à emporter la conviction générale. Ni même le siège de Paris, en 1870, durant lequel on mangeait tout ce qui était disponible, même du rat.

    • Autorisée en 1866, la consommation de viande de cheval continua à se heurter jusqu’à la fin du siècle à de vives résistances, émanant pour l’essentiel des deux extrémités de l’échelle sociale : paysans et ouvriers, dont le cheval était le compagnon de travail ; aristocrates et cavaliers militaires, qui voyaient dans l’hippophagie une trahison envers un compagnon d’armes. Progressivement, la consommation de cheval devint cependant de plus en plus régulière dans les classes intermédiaires. Jusqu’à atteindre, au sortir de la seconde guerre mondiale, 10 % à 12 % de la consommation carnée de l’ensemble des Français.

      Cette proportion est tombée à 2 %. Pourquoi ce revirement ?

      Du fait de la motorisation définitive de l’agriculture et des transports civils et militaires, survenue vers 1950. Le cheval a quitté la sphère de l’utilitaire pour entrer dans celle des loisirs. Les sports équestres se sont popularisés et féminisés. Tout cela a entraîné une élévation du statut culturel du cheval. Et le retour, malgré une politique de soutien de la boucherie chevaline, du tabou de l’hippophagie. Mieux que tout autre, l’exemple du cheval montre ainsi que les animaux que l’on mange varient dans le temps, en fonction de divers facteurs sociaux et également culturels.

      #viande #cheval #anthropologie