Prison des Baumettes : « A dix dans les douches, ça peut mal tourner »

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    Témoignage 03/03/2013 à 13h14
    Prison des Baumettes : « A dix dans les douches, ça peut mal tourner »
    Bruno des Baumettes | Ex-détenu

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    Salle de douche de la maison d’arrêt des hommes 1, Les Baumettes, Marseille (Gr&eacute ; goire Korganow pour le CGLPL)

    « – A propos, Bruno : je t’ai pris du tabac, je voulais voir le goût qu’il avait... il est plus fort que le mien !

    – OK, pas de soucis, sers-toi... »

    Dois-je lui permettre de faire de même avec toutes mes affaires ? Il vaut mieux pas que je m’énerve : de toute façon, ça n’arrangerait rien. Jean-Marie nous écoute. Il reste imperturbable. Il fait comme si de rien n’était, comme d’hab. Il lit son journal. C’est bientôt l’heure du déjeuner.
    La douche est aussi le fumoir
    Making of
    Bruno a vécu dans la « deuxième nord », une aile réservée aux détenus isolés : les pointeurs, les violeurs, les détraqués et autres y sont mis parce qu’ils ne peuvent pas, pour des raisons de sécurité, voire de vie ou de mort, être mélangés avec les autres détenus de droit commun.

    « Ce journal est dédié à tous mes compagnons grâce auxquels j’ai survécu dans le quartier des “Isolés” des Baumettes. Ceux qu’on traite de “pointeurs” – ces parias des prisons. Votre humanité m’a permis de tenir et d’exister. Merci à vous... »

    Nous avions publié sa première journée, ce post est le dernier publié sur son blog. Témoignage du quotidien matériel – scandaleux au point que le Conseil d’Etat est intervenu – et de ce que vit un prisonnier, ce prisonnier, Bruno. Blandine Grosjean

    Ce matin, j’ai eu un accrochage sévère avec Bébert, après qu’on soit revenu de la douche. Il venait de se faire alpaguer par Habib-l’assassin. Toujours pour du tabac, je crois.

    Ça a commencé là-bas, Bébert a eu la mauvaise idée d’y apporter quelques cigarettes pour Laïd et pour un autre détenu. Quelle idée de porter ses cigarettes jusque dans cette caverne !

    C’est vrai que dès potron-minet, les douches servent aussi de fumoir. Ça permet de patienter en attendant son tour. Le parfum du tabac et de l’humidité s’enroulent autour des serviettes : ça transpire jusqu’à puer.

    Au lieu de faire ça discrètement, Bébert distribue ses cigarettes aux yeux de tout le monde. Et dans ce monde-là, ce matin, il y avait Habib. Ça n’a pas manqué :

    « – Et à moi, tu m’en donnes pas ? !

    – Mais je les lui devais ces cigarettes, il m’en avait données, il fallait que je lui rende.

    – Oui, mais tu en as alors !

    – Mais non, je te dis que j’en ai plus, t’es sourd ou quoi ! »

    Sûrement Bébert considère-t-il qu’Habib est un peu sourd. Il ne lui parle pas : il lui gueule dessus. Il devrait se méfier. A plus de dix dans les douches, ce type de conversation peut mal tourner. Nous sommes collés les uns contre les autres : les gentils avec les méchants. Habib ne lâche rien : presque, il prendrait la douche avec Bébert pour un peu de tabac.
    Bébert l’a bien cherché

    Je me lave en me bouchant les oreilles. Je me dis même que Bébert l’a bien cherché. C’était de la provocation que d’amener des clopes jusqu’ici. Après la douche, il faut encore attendre que le surveillant vienne nous ouvrir. Habib courtise toujours Bébert. Bébert refuse toujours ses avances.

    En sortant, je les vois, l’un suivant l’autre. Bébert tente de semer Habib le long de la grande coursive, Habib continue à le pister comme un gibier ! Vu la différence de gabarit entre les deux bêtes, Bébert fait figure de menu fretin. Habib n’en fera qu’une bouchée. Précautionneusement, j’ai pris la travée d’en face. Je ne me mêle pas à la course. Le vide central nous sépare – le vide qui relie les étages. Le détour me va mieux.

    Quand je rejoins la porte de la cellule, Bébert et Habib montent déjà la garde. Je reste à distance. Il faut attendre que le geôlier vienne là aussi nous ouvrir. Ils ont dû négocier en chemin. De guerre lasse, Bébert finira par donner quelques clopes à Habib. Si ça valait la peine tout ça : de toute façon, il n’avait guère d’autre solution.

    #prison #baumettes #cglpl