• Jean-Pierre Berlan, Lettre au Président de la commission du Plan chargée du rapport sur les OGM, 2002

    https://sniadecki.wordpress.com/2013/03/18/berlan-chevassus

    Cher collègue,

    Veuillez excuser le ton parfois vif de cette lettre et prenez-la pour ce qu’elle est : le témoignage de mon inquiétude (partagée par la majorité de nos concitoyens) à propos de l’agriculture transgénique et, pour ce qui nous concerne directement, à propos de l’avenir d’une recherche qui n’a plus rien d’agronomique et qui est coupée de la société et passée – par naïveté, ignorance, résignation, ou opportunisme, peu importe – au service des « investisseurs ». L’idée de finir ma carrière derrière des barbelés et des miradors, comme les chercheurs du nucléaire, pour éviter l’intrusion de « vandales » m’est aussi insupportable qu’à vous même. ( ... )

    Enfin, vous ne pouvez pas faire abstraction du contexte économique – qui, en réalité, oriente les choix de la recherche à l’insu même des scientifiques. L’anarchie capitaliste, la priorité donnée au profit immédiat, l’irresponsabilité des milieux d’affaires, et la mise au rencart de toute régulation démocratique rendront la situation incontrôlable. Elle l’est déjà. Le chaos biologique sera tel que cette recherche en responsabilité que vous souhaitez sera impossible. C’est ce chaos que les dirigeants du complexe génético-industriel cherchent à créer pour se mettre à l’abri. La réalité en matière de recherche de responsabilité ? Il a fallu une quarantaine d’années pour apporter la preuve « scientifique » que l’amiante provoque un cancer, de plus très spécifique – alors que les ouvriers de l’amiante mouraient en masse. Comment établir cette responsabilité dans trente ans, lorsqu’il y aura des dizaines de milliers de constructions génétiques en circulation, que se seront cumulés les effets de celles qui ont été abandonnées, et que des désordres inconnus apparaîtront ? ( ... )

    Est-ce que cette question de l’agronomie comme alternative au transgénique finira par être audible dans un institut de recherche « agronomique », qui rougit maintenant lorsqu’on y parle d’agronomie ?

    Bien cordialement,

    Jean-Pierre Berlan

    Directeur recherche à l’INRA

    Auteur de La guerre au vivant, éd. Agone, 2001.