De la marchandisation des droits

#c12335955

  • L’Etat nous explique pourquoi les dépenses publiques augmentent plus vite que le PIB (en 2009)

    (suite débat du blog d’Agnès Maillard)
    http://blog.monolecte.fr/post/2013/04/11/De-la-marchandisation-des-droits

    http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/finances-publiques/approfondissements/depenses-publiques-depuis-siecle.html

    Tout d’abord, l’économiste allemand Adolph Wagner (1835-1917) avait avancé dès la fin du XIXe siècle ("loi de Wagner") que le progrès économique s’accompagnerait d’une hausse de la part des dépenses publiques dans le PIB, en raison du développement de nouveaux besoins pour le bon fonctionnement de l’économie (infrastructures, réglementations, services publics urbains), et de l’importance croissante accordée par la population à l’éducation, la culture, les loisirs, la protection de l’environnement, la santé, et plus généralement, la prévention de tous les risques.
    Cette tendance pourrait, par ailleurs, être renforcée par la plus grande faiblesse des « gains de productivité » dans des secteurs comme l’éducation, la santé ou la culture que dans l’industrie, et par l’"effet de cliquet" des dépenses publiques résultant d’une plus grande facilité à augmenter des dépenses et à mettre en place des politiques ou des administrations publiques, qu’à les supprimer.
    Enfin, le ralentissement de la croissance, l’apparition du chômage de masse et la hausse de la dette publique ont mécaniquement accru la part dans le PIB des dépenses liées à l’indemnisation du chômage, au soutien de l’emploi et aux intérêts de la dette.
    En outre, les politiques d’inspiration keynésienne, consistant à moduler le niveau des dépenses publiques pour agir sur la conjoncture, apparaissent aujourd’hui beaucoup moins efficaces que dans les années 1960. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation :
    l’ouverture croissante de notre économie, qui réduit l’effet multiplicateur d’un surcroît de dépenses publiques sur l’économie nationale ;
    la libéralisation des marchés de capitaux ;
    l’importance prise par les taux d’intérêt, qui risquent d’être plus élevés avec une hausse des dépenses et des déficits publics ;
    enfin, et surtout, la complexité croissante de notre environnement économique et juridique : le diagnostic de la conjoncture est aujourd’hui difficile, et il faut ensuite, sauf pour les mesures d’urgence prises dans le cadre de crises récentes, plusieurs semaines au Gouvernement pour prendre une décision et au Parlement pour voter des crédits supplémentaires. Parfois plusieurs années de procédure (enquêtes d’utilité publique, appels d’offre, études préalables, etc.) sont nécessaires pour que ces crédits soient effectivement dépensés, quelques fois à contre-temps.

    L’Etat fait appel à Wagner en 1900, pour nous expliquer que l’Etat rend toujours plus de services aux administrés...
    On est rassuré, peu importe que les services publics soient allégés, le commerce dérégulé, la fiscalité assouplie, les investissements sous-traités au privé, et les administrations équipées d’ordinateurs, il est normal que ça nous coûte plus cher.
    On évoque rapidement le coût du chômage de masse, de la charge de la dette et le problème de la fuite des capitaux pour pointer du doigt le problème de l’entropie administrative et l’incapacité de l’Etat à se montrer réactif et efficace dans ses missions d’investissement (la faute à la complexité réglementaire et administrative)
    Bien entendu, c’est une analyse objective bien étayée avec des chiffres vérifiables, et pas du tout teintée d’idéologie tout ça.
    Une étude réalisée sans doute par un brillant spécialiste
    (genre projet de fin d’études d’un étudiant de sup de co de Dauphine)

    • J’ai pourtant exploré des pistes qui me semblent intéressantes comme explication de l’augmentation des dépenses publiques, ne serait-ce que parce qu’elles recouvrent plus d’aspects de notre vie et avec de plus haut critères de résultats :
      http://blog.monolecte.fr/post/2013/04/11/De-la-marchandisation-des-droits#c12335955

      D’un autre côté, c’est normal qu’il y ait plus de dépenses publiques quand il y a plus de droits et services couverts, non ? Ça ne revient pas au même d’amener 30 ou 40% d’une génération au certificat d’étude que de pousser 80% d’une autre génération au Bac + ouverture à l’université.
      Ce n’est pas pareil de rembourser l’aspirine et les premiers antibios d’une population qui va encore chez le rebouteux que de rembourser une trithérapie ou une chimio. Il y a eu une progression des dépenses, parce que la population est différente et que notre degré de « civilisation » est plus important. Avant Le RMI, y avait que dalle pour les miséreux. Tant que le chômage ne s’est pas massifié, l’assurance chômage ne pouvait qu’être anecdotique. Les différents droits sociaux actuels couvrent bien plus de choses que les droits sociaux de la période après-guerre et les standards de vie ont évolué.

      On peut les critiquer, mais dans un monde où le moindre petit salarié doit maîtriser des outils complexes, des moyens de communications nombreux, des technologies plus ou moins élaborées, on comprend bien que la charge de la formation est nécessairement plus lourde. Dans un monde où l’on soigne des maladies graves et complexes, il est normal que le panier de soin soit nettement plus important. Et entre le vieux des années 60 qui tricottait au coin du feu et celui d’aujourd’hui qui va aux sport d’hiver, on comprend bien que le montant des retraites, c’est autre chose.

    • NB : Ce qui justifie le RMI (enfin, les allocations pour personnes sans ressources) est davantage la privatisation progressive de toujours plus de choses publiques au nom de l’efficience économique que le progrès. A force d’interdire, au besoin par la force publique à chacun de se débrouiller comme il peut, l’économie a le devoir soit d’employer chacun, soit à minima de le nourrir. Dans un cas comme dans l’autre, la dépense publique monte, puisque la puissance publique n’a guère vocation qu’à employer la main d’oeuvre dont le sacro-saint secteur concurrentiel ne veut pas.

    • Notre système est en situation de surchauffe.
      Dans les années 70 on était capable de développer un avion de chasse en moins de 10 ans pour un coût raisonnable et contrôlé. Les US tentent de développer le F22 et le F35 depuis 20 ans, sans succès, et si le F22 vole à peu près, le F35 n’a pas encore de date de livraison...
      Ce cas particulier est tout à fait représentatif de l’incapacité de notre monde de réaliser des projets collectifs sans y dépenser des milliards.
      Plusieurs raisons à tout cela : la corruption, le technologisme, l’incapacité de nos sociétés privées à atteindre un objectif quelconque sans digresser...
      Il y a cette anecdote des années 60 sur le programme Apollo il me semble... où le projet n’avançait pas à cause des procédures de mise en concurrence des fournisseurs, et qui au final engendrait plus de chaos et de perte en ligne que de résultats effectifs.

      Ca fait deux fois que je rédige ce message... et je suis toujours aussi peu satisfait de ce que j’écris... mais... dans le fond... je crois qu’il faut déjà admettre que ce sujet concerne des grands chiffres et des systèmes hautement complexes qu’il n’est pas possible de résumer en une seule phrase, un seul paragraphe, une seule publication. D’où la porte ouverte à l’idéologie à tout niveau. Et finalement l’absence de vision réaliste.

      Il existe une matière en économie qui se nomme « la comptabilité nationale ». On ferait sans doute bien d’y revenir un peu, histoire de se rendre compte des masses en jeu.

      Si disposer de pléthore de fonctionnaires n’est pas une fin en soit, n’en avoir aucun de même. La question des moyens pour aboutir me semble arriver trop tôt dans le discours politique. Bref.

    • @monolecte : ces pistes sont pertinentes, mais pour moi le mystère reste entier : est-ce que l’augmentation des dépenses publiques destinées à financer les droits élémentaires de la population a été proportionnellement supérieure à l’augmentation du PIB ? Je n’en suis pas sûr. Oui on vit plus longtemps, mais je crois surtout que dans la dépense publique sont apparues 2 nouvelles charges : le chômage de masse (réduction de la part de la population active ayant accès aux revenus de l’emploi) et la charge de la dette (l’Etat devant avoir un rendement financier garanti pour ses créanciers, comme une vulgaire entreprise..)
      Il me semble plausible d’imaginer que les droits sont menacés à cause de cette évolution structurelle de l’économie du pays... dictée par la révolution néolibérale (offensive économique, y a plus de sous, et offensive idéologique, sus à l’assistanat, à l’Etat providence et aux impôts)

    • @BigGrizzly : ce que tu évoques voudrait dire que la productivité n’évolue plus vraiment, que le système économique a atteint les limites de son potentiel (voire qu’il régresse) et que donc le PIB ne croit plus aussi vite que les dépenses publiques ? C’est possible, on voit bien que la croissance dans les pays développés n’est plus la norme, que celle des uns (Allemagne, US..) se fait au détriment des autres (Europe du sud, Japon..).
      Mais ça ne dit pas pourquoi la hausse des dépenses publiques se traduit par une remise en cause déguisée des prestations de la puissance publique en faveur des citoyens (sujet initial d’Agnès). Oui il faudrait une étude analytique sérieuse et non biaisée caractérisant l’évolution « physique » des flux financiers pour comprendre. Pas facile de distinguer entre la poule et l’oeuf, et la queue du serpent qui se prend la tête !

      Là c’est effectivement très idéologique. Dans ce durcissement financier de l’accès aux droits, il y a sans doute l’idée que les aides de l’Etat, ça se mérite. Les forts ne supportant pas l’idée de payer pour les faibles, d’où l’idée de rendre l’accès à ses prestations payantes pour tout le monde, plutôt que le financer par l’impôt. Il y a l’idée que chacun doit payer pour ce qu’il consomme. L’argument officiel est que la mutualisation des dépenses favorise l’assistanat au lieu de favoriser l’initiative entreprenariale. Dans le courrier des lecteurs du Point ou Valeurs Actuelles on dira plus crûment que cela encourage les pauvres à vivre comme des parasites au crochet des riches.
      C’est le fruit de l’idéologie individualiste du capitalisme néolibéral. Culpabiliser les faibles, victimiser les forts. Les forts renforcent le pays, les faibles l’affaiblissent.

      Bien entendu au niveau macro, on ne parlera pas du sacro-saint principe de « privatisation des profits / mutualisation des pertes », ni de l’évasion fiscale (clandestine ou légale, l’Etat n’ayant cessé de mettre en place des niches et autres moyens d’échapper à l’impôt, au nom de la doctrine de l’incitation fiscale) qui pourrait avoir un impact tout de même dans le fait qu’on nous répète à l’envi qu’on « vit à crédit » et qu’il faut songer à remettre en cause nos « acquis »..