Trois regards sur l’après-Cahuzac pour sortir de la crise démocratique - Idées

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  • Victimes DE, mais pas « victimes par définition » | A dire d’elles
    http://sandrine70.wordpress.com/2013/05/10/victimes-de-mais-pas-victimes-par-definition

    "Comme tous les systèmes qui acceptent les inégalités, l’ordre néolibéral déteste les victimes. Parler d’un être humain sans défense, d’un être vulnérable, suppose en effet la nécessité d’une société juste et le besoin d’une protection sociale. Rendre tabou la notion de victime est une étape pour légitimer le fossé entre les classes sociales et les sexes. Ce procédé exige deux phases. D’abord, il faut affirmer que la victime est, par définition, une personne faible, passive et impuissante. Puisque les personnes vulnérables se battent malgré tout et développent de nombreuses stratégies pour maîtriser la situation, « on découvre » que l’idée qu’on s’est faite de la victime est inexacte. La personne vulnérable n’était pas passive, bien au contraire. Donc, nous dit-on, il faut abolir la notion de victime. En conséquence, nous devons accepter l’ordre social – la prostitution, la société de classes, les inégalités – si nous ne voulons pas étiqueter des gens comme des êtres passifs et impuissants".

    #victime

    • Aïe juste au moment où je disais à madmeg que je ne l’embeterais plus avec mes débats, paf, on exhume ce sujet qui me passionne, avec un billet qui me fait forcement réagir.. :-)

      Autant je suis d’accord avec le passage cité ici de Kajsa Ekis Ekman - l’ordre néolibéral répète à loisir avec une mauvaise foi détestable que tout ce qui s’oppose aux inégalités ne serait qu’ « assistanat » et négation de l’individu - , autant le reste du propos de Sandrine70 m’embrouille.

      Donc, elles sont victimes DE, et c’est des traumatismes subis qu’il faut les soigner, c’est pour les conséquences matérielles qui en découlent qu’il faut les aider. Pas parce qu’elles « seraient » des victimes. Elles sont des individues, dont une caractéristique -parmi d’autres- même si elle prend beaucoup de place dans leur vie en raison des explications données ci-dessus est d’avoir été victime DE. Pourtant, la société dans son discours insiste à les enfermer dans ce statut. C’est une façon d’en faire les responsables de ce qui serait un « état de fait ».

      Je suis d’accord avec son raisonnement...
      Et justement j’en arrive à une conclusion opposée sur la prostitution.
      Etre victime d’un viol, c’est être la victime d’un violeur. Ce n’est pas comme être victime aléatoire de la foudre contre laquelle on est impuissant et contre laquelle on peut se montrer fataliste.
      Donc je suis à fond d’accord pour dire que le mot « victime » dissocié de la notion de coupable ne veut rien dire.
      Et c’est pour ça que dans l’absolu je trouve que la prohibition de la prostitution ne peut être que temporaire.
      Comme une mesure d’urgence éventuellement, mais pas pérenne.
      Cela me fait penser aux histoires de « couvre-feu » pour les mineurs dans certaines villes le soir. Pour protéger des victimes potentielles, on va instaurer une loi certes assez efficace sans doute, pleine de bon sens, mais extrêmement rigide, répressive et déresponsabilisante pour tout le monde. On invente un délit, être dehors après 22h, pour empêcher d’autres délits plus difficiles à détecter et bloquer. C’est un gros aveu d’impuissance, de fatalisme et de renoncement face aux auteurs effectifs de vrais délits.
      Ici on va faire d’une relation sexuelle associée à une transaction financière entre adultes un délit, pour éviter d’avoir à s’attaquer aux vrais délits d’agression et de prédation des hommes sur les femmes (abus de faiblesse, proxénétisme..).
      Que se passera-t-il quand, malgré la prohibition, une prostituée clandestine se fera égorger ? Elle sera juste un peu moins victime, et surtout le mec ne sera plus du tout coupable, car il ne sera plus vraiment question de sexisme, mais de violence entre deux hors-la-loi.

      Pour moi, on devrait plutôt envisager une « normalisation » de la prostitution, en rebondissant sur le choc de « transparence » du père François.

      Ok braves gens, vous voulez du sexe tarifé ? Une activité marchande comme une autre ? Fort bien, assumez alors. Assumez vis à vis de vos épouses, vos gosses, vos parents et vos oncles et tantes. Ils pourront être informés
      Toute transaction ayant une incidence sociale devrait apparaître sur un registre consultable par chacun. C’est à ce prix qu’on pourra prétendre à une vraie responsabilité du consommateur. Dans que le droit au secret de la vie privée lui donnera le droit de se comporter de façon socialement irresponsable, on ne pourra rien attendre des individus.

      C’est d’ailleurs à peu près ce que disait Eva Joly suite à l’affaire Cahuzac, en parlant de l’exemple de la Norvège.
      Interdire, ça déresponsabilise. Et donc ça déculpabilise, car un coupable irresponsable n’est plus vraiment coupable.
      Obliger à assumer ses actes, ça c’est responsabilisant. Et je peux vous dire que ça en calmerait plus d’un...

      Pour moi, le meilleur contrôle public, c’est la transparence, le fait que les citoyens puissent consulter les déclarations de revenus. En Norvège, vous tapez mon nom, comme celui de n’importe quel citoyen, vous saurez tout. Si je troque mon kayak pour un yacht alors que je déclare gagner quelques milliers d’euros par mois, j’aurai un contrôle. Toute la lutte contre le blanchiment est basée sur ce qu’on appelle les « messages » que donne le train de vie.

      http://www.telerama.fr/idees/trois-regards-sur-l-apres-cahuzac-pour-sortir-de-la-crise-democratique,9639

    • entre deux hors-la-loi

      Gnih ? Ya un truc que tu as pas dû pigé, parce que dans l’abolitionnisme il n’a jamais été question que la prostituée soit hors-la-loi. Seulement les proxénètes et les clients : donc uniquement les coupables justement. Donc ça responsabiliserait forcément les « consommateurs » de pute, puisque pris la main dans le sac, ils seraient à la fois punis pour ça et leur famille serait au courant.

    • @petit_ecran
      Il y a pas mal de choses qui me chiffonne dans ton raisonement. Je ne comprend pas comment tu passe de « la foudre » a « la prostitution ».
      Pourquoi la prohibition de la prostitution serait forcément temporaire ?
      Pourquoi la fait qu’il y ait un « auteurE » plutôt que pas changerait la nature du problème ?
      Ta comparaison avec le couvre feu me semble aussi étrange. Un couvre feu est une atteinte a la liberté, la prohibition de la prostitution non, le droit d’exploiter la misère d’autrui n’est pas une liberté individuelle que le collectif devrait favorisé, bien au contraire, rien a voire avec la liberté de se déplacer dans l’espace publique. Pour ton choix de vocabulaire je tique aussi sur « sexe tarifé » que je remplacerait par « domination tarifé » et n’utiliserait pas non plus le mot « consommateur » pour parler du client prostitueur et cela justement parcequ’il ne s’agit pas de marchandise mais d’humainEs. L’idée du fichier publique je suis pas fana non plus, ça fait un peu lynchage.

    • @Rastapopoulos : le fait est que dans la clandestinité, la femme qui se prostitue sera toujours plus vulnérable que le client prostituteur, et à moins d’espérer une grande efficacité de la répression des flagrant délits, la plupart du temps le client malveillant sera loin quand un délit sera constaté. Les pouvoirs publics mettront-ils autant d’entrain à rechercher le coupable que si la victime avait été pharmacienne ?

      @mad_meg :
      Pour la foudre :
      – on pourra toujours être victime de la foudre par temps d’orage, quel que soit notre degré de civilisation. C’est une fatalité.
      – par contre j’ai l’espoir qu’un jour on saura apprendre aux mâles à rejeter leurs pulsions de prédation sexuelle (acquises ou innées, peu importe) et qu’on arrêtera de dire que les femmes peuvent être victimes de viol en se promenant la nuit comme on peut être victime de la foudre par temps d’orage.

      C’est parce que je refuse la fatalité de la prédation masculine sur le corps des femmes, couplée à la vulnérabilité matérielle et psychologique des femmes, que je vois l’interdiction de la prostitution comme impérativement temporaire. Je m’explique : faire de la prostitution un délit pour lutter contre les vrais délits auxquels la prostitution est souvent associée (abus de faiblesse, proxénétisme) est un aveu d’impuissance à long terme. C’est comme instaurer un couvre-feu pour les mineurs en expliquant qu’un mineur qui traîne la nuit dehors commet un délit car il va forcément impliquer d’autres délits dont il sera la première victime. On lui interdit cette activité là pour son bien.
      C’est ce qui me gêne dans l’interdiction de la prostitution. On veut interdire à la femme de se prostituer, pour son « bien ». Même si je suis d’accord pour dire que 99,9% des femmes qui se prostituent ne font pas cette activité par choix et que les 0,1% restant sont sans doute manipulées par leurs addictions, leur dépendances ou leurs macs, l’idée même de décréter une interdiction définitive qui outrepasse le libre-arbitre d’individus humains pour « leur bien » me tord les boyaux.
      On diverge sans doute uniquement sur l’hypothèse qu’il puisse exister des femmes qui veuillent se prostituer en leur âme et conscience, hypothèse que tu écartes quand tu écris : « Un couvre feu est une atteinte a la liberté, la prohibition de la prostitution non »,

      Sinon quand tu dis « le droit d’exploiter la misère d’autrui n’est pas une liberté individuelle que le collectif devrait favoriser », je suis d’accord avec toi, mais je ne suis pas d’accord avec l’idée que ne pas interdire la prostitution favoriserait « le droit d’exploiter la misère d’autrui » . Exploiter la misère d’autrui, selon moi, la loi l’interdit déjà, mais on ne sait pas la faire appliquer, car le capitalisme repose là dessus. On rit de voir Sarko inquiété pour avoir récupérer des liasses chez une mamie gâteuse pleine aux as, mais dans le même temps on tolère que des familles vulnérables se fassent dépouiller par des crédits à la consommation. Ce n’est pas spécifique à la prostitution. Interdire la prostitution ne résoudrait qu’une partie de ces cas d’exploitation, et pourrait faire croire que le reste est admissible.

      Voilà pourquoi je ne peux envisager que la prohibition que de façon temporaire, dans une situation d’urgence, pour aider les personnes en danger. Ce n’est pas un objectif cible acceptable à long terme. J’espère qu’un jour les femmes pourront faire ce qu’elle veulent de leur cul, le laisser en paix ou gagner du pognon avec si y a encore des pigeons pour leur en donner, sans qu’une loi leur dise ce qu’elles ont le droit de faire ou non avec leur corps, quel don de leur personne est moralement acceptable, quel don ne l’est pas.
      Tant que des lois comportementales seront là pour protéger des individus, ce sera forcément des lois paternalistes qui infantiliseront ces individus. Des lois qui traitent ces individus en victimes, et non en « victimes de ».

      Je rêve plus d’une société d’adultes libres et responsables en capacité et en obligation d’assumer leurs actes, où les lois essentielles sont déjà appliquées et ne laissent aucun recours au lynchage...

  • Il est temps d’appeler les choses par leur nom :
    L’Etat est désormais une banale entreprise comme une autre.
    Propriété des capitalistes.
    Les citoyens-collaborateurs ont toujours le droit de vote pour élire leur président-PDG, mais le dit président ne doit rendre des comptes qu’à ses actionnaires, ses créanciers du système financier privé, autrement dit les capitalistes.

    Il semblerait que la gauche altermondialiste se soit endormie sur ses lauriers en assistant avec satisfaction au début de la démondialisation. Elle va devoir réactualiser ses slogans. Passer de « Le monde n’est pas un marchandise » à « Le monde n’est pas une entreprise »

    cf interview Luc Boltanski :
    http://www.telerama.fr/idees/trois-regards-sur-l-apres-cahuzac-pour-sortir-de-la-crise-democratique,9639

    Après la Seconde Guerre mondiale, une sorte de compromis avait été passé entre l’Etat et les grandes firmes capitalistes. Au premier, le soin d’assurer les conditions de reproduction de la force de travail — l’éducation, la santé, etc. — et le développement des infrastructures. Aux secondes, la responsabilité de payer l’impôt nécessaire à leur financement. Quand le capitalisme européen entre en crise, dans les années 1960-1970, de nouvelles voies sont explorées par les multina­tionales pour surmonter cette dernière et se soustraire aux contrôles étatiques, en réorganisant les modes de production, en développant des activités financières dérégulées et en transférant des capitaux dans des paradis fiscaux. Mais l’Etat, pour faire face à des dépenses sociales accrues par un chômage devenu endémique, a dû emprunter sur le marché des capitaux. Ce qui l’a rendu tributaire du capitalisme et a sapé un de ses principaux appuis idéologiques : le principe de sa souveraineté. Les marchés financiers et les agences de notation prenaient en effet le dessus sur un pouvoir que les dirigeants politiques devaient, pourtant, à leurs mandats électoraux.

    #Boltanski explique pourquoi la critique est devenue inaudible, résignée. En cause : la « tyrannie de la réalité », chère à @mona Chollet.

    dans le dernier tiers du XXe siècle s’est mis en place un mode de gouvernement « gestionnaire ». Des techniques de contrôle et de management venues de l’entreprise ont été étendues à la sphère publique — école, culture, santé —, puis appliquées à la gestion de l’Etat. Bien qu’il se dise compatible avec la démocratie, ce mode de gouvernement limite le rôle de la critique et, avec elle, de la politique. Les mesures prises sont en effet présentées comme si elles étaient dictées par des forces extérieures, quasi naturelles. La référence à une « nécessité » — « nous n’avons pas d’autres choix » — constitue l’instrument idéologique principal de ce mode de gestion, et la capacité des dirigeants à faire face à cette nécessité, c’est-à-dire à s’y plier, devient la vertu politique par excellence.

    Selon moi, dans notre passivité, il y a enfin une résignation, que tout ça était inéluctable.
    Comme si on avait intégré la #capitulation, sans la conscientiser réellement. On assiste à l’aboutissement d’un processus de 30 ans. Ce processus avait démarré en 1983 en France, quand Mitterand a cédé face à Reagan et Thatcher. Il a pris de l’ampleur en 1989 avec la chute du mur de Berlin, et la traduction politique européenne du triomphe capitaliste néolibéralisé en 1992 : le traité de Maastricht. Et depuis, on déroule les "réformes"pour démanteler l’Etat et le vendre à la découpe aux capitalistes.

    #privatisation #désétatisation #capitalisme