Imaginons un instant un autre type de restructuration : nous faisons entrer les soins aux enfants dans le monde du travail. Ils ne seraient plus isolés dans des jardins d’enfants, mais feraient partie de notre activité journalière, comme dans un village tribal. Dans la proposition qui suit, j’ai volontairement laissé inchangée la distribution du pouvoir entre les genres, j’ai seulement changé l’organisation des soins aux enfants.
Vous arrivez dans l’entreprise pour une réunion. L’hôtesse d’accueil qui vous salue est en train d’allaiter son bébé de deux mois. Le couffin est posé à côté de la machine à écrire. Elle vous indique un couloir dans lequel deux gamins de sept ans sur des skateboards vous dépassent en zigzaguant. La réunion a lieu dans une salle de conférence avec de grandes portes vitrées donnant sur un terrain de jeux équipé d’un toboggan, de balançoires et d’autres activités. Un membre du groupe est chargé de prendre des notes ; un autre est chargé de s’occuper des situations de crise qui peuvent surgir parmi les enfants. En général les enfants jouent bien ensemble – les plus grands gardent un oeil sur les plus jeunes et interviennent en cas d’entreprise dangereuse. À la fin de la réunion, vous prenez un nouveau rendez-vous avec le directeur. “Vendredi après-midi, c’est mon jour avec les enfants, dit-il en consultant son agenda. Pourquoi ne nous rencontrerions-nous pas au zoo ? Nous pourrons parler de cela à fond devant la cage des singes.”
Dans un tel monde la productivité pourrait diminuer – ou elle pourrait être mesurée sur une échelle différente, qui tienne compte de la qualité des relations dans la vie des gens, une échelle qui ne mesurerait plus à l’aune du profit mais des besoins des gens et du bien-être de la prochaine génération. Les décisions prises en donnant la main à un enfant et en observant les éléphants et les tigres seraient peut-être moins nombreuses mais elles seraient plus ancrées dans l’humanité que celles prises en prenant un troisième cocktail lors d’un élégant déjeuner sans enfants. Elles protègeraient aussi sans doute mieux la vie.
Starhawk, “Femmes, Magie et Politique”, 2003