Soldat augmenté, victoire fragilisée - Cairn.info

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  • Les drones et la philosophie de la guerre
    Dans un entretien à Libération, le philosophe Grégoire Chamayou développe une critique des #drones, ces nouvelles armes de destruction à distance furieusement tendance, qui remettent en cause les fondements normatifs habituels des #conflits armés, ce qui pourrait avoir des conséquences potentiellement fâcheuses - notamment, et paradoxalement, la radicalisation de la #violence.
    http://www.liberation.fr/monde/2013/05/19/la-guerre-devient-un-teletravail-pour-employes-de-bureau_904153

    Le drone apparaît comme l’arme du lâche, celui qui refuse de s’exposer. Il ne requiert aucun courage, il désactive le #combat. Cela provoque des crises profondes dans les valeurs guerrières.

    La #guerre se définit comme un moment durant lequel, sous certaines conditions, l’homicide est décriminalisé. Si l’on concède à l’ennemi le droit de nous tuer impunément, c’est parce que l’on entend avoir le même droit à son égard. Cela se fonde sur un rapport de réciprocité. Mais que se passe-t-il lorsque cette réciprocité est annulée a priori, dans sa possibilité même ? La guerre dégénère en abattage, en exécution.

    on est en train de remplacer une #stratégie par un gadget, en sous-estimant les effets contre-productifs sur les populations. En imposant une terreur indiscriminée, les drones, inaptes à « gagner les cœurs et les esprits », alimentent paradoxalement la menace que l’on prétend éradiquer

    Une réflexion étonnament proche de celle de Caroline Galactéros, politiste-consultante-colonel réserviste (!) qui dans le dernier numéro de la revue Médium (article payant), met en garde contre les fantasmes militaro-technologiques du "soldat augmenté" et de la "révolution des #NBRIC" (nano et bio-technologies, robotique, sciences de l’information et de la communication) - dont les drones, en particulier, sont issus. (petit compte-rendu à paraître dans le prochain numéro de Sciences Humaines).
    http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=MEDIU_035_0006

    Ceux-ci ( i.e. les drones ) sont « opérés » à des milliers de kilomètres par des soldats mués en techniciens de la destruction qui n’ont qu’une perception lointaine – et de ce fait purement idéologique – de l’ennemi. Le combat s’en trouve d’autant plus idéalisé qu’il est inoffensif. (...) Cette distanciation radicale a donc un intérêt évident en termes de létalité réduite, au moins « d’un côté du fusil ». Mais précisément, il y a de moins en moins de « fusils » et de face-à-face, et il se produit une rupture dommageable dans la matérialité de la relation ami-ennemi, du fait même de l’asymétrie abyssale des modes d’action, qui mine la légitimité de l’affrontement.

    il faut bien admette que, en face, l’asymétrie violente (qui va dans les deux sens) porte une charge spectaculaire et tragique. Les acteurs locaux modérés s’en trouvent marginalisés. Surtout, la haine du déclassé technologique et politique se renforce, qui n’a d’autre issue que la terreur aveugle, « locale » contre les populations civiles, nos intérêts ou nos ressortissants, ou « déterritorialisée » (terrorisme sur le sol national). Ainsi, paradoxalement, notre puissance n’aboutit pas à faire taire l’hostilité. Elle « sidère » l’adversaire (effet shock and hawe) mais ne lui laisse d’autre issue que la fuite en avant vers l’ultraviolence « gore », basique, sanglante, très visible, aussi moyenâgeuse que la nôtre est postmoderne (égorgements ou décapitations filmés, massacres ethniques à la machette, lapidations publiques, etc.). La dématérialisation progressive du champ de bataille aboutit finalement à un blanc-seing donné, de chaque côté, à l’exercice d’une sauvagerie perçue comme cathartique

    Bref, rappelle-t-elle, "« La guerre propre » n’existe pas". Et c’est une militaire qui vous le dit.