La tyrannie de la réalité

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  • Extrait de vie sans gloire.
    Hier après-midi, je suis dans un grand magasin avec ma fille et pour nous c’est comme la visite d’un musée vivant, on commente les produits et surtout, on se marre. Par exemple, on tente d’imaginer qui achètera la poêle à 300€ alors que très certainement ceux là iront plus souvent au resto tandis que la poêle à 10€ empoisonnée au tefal servira quotidiennement chez les fauchés. On s’enquiert de couteaux qui tuent mieux que la dernière fois, mais impossible d’essayer. On cherche dans les instruments de cuisine un truc basique, le presse purée manuel , ils sont tous désignés et étiquettés près de 15€, miracle, un est à 5€ mais c’est un écrase patates et de plus en plastique ! Au dernier rayon des esclafferies, on s’offusque des étalages gigantesques pour des dosettes à café polluantes qui prennent une place disproportionnée comparée à l’étagère des cafetières italiennes. Finalement, après avoir hésité à prendre un pack complet de ménage où balai, pelle, sont décorées de fleurs artificielles aux couleurs discos, on reflue vers la sortie les mains vides.
    À une caisse, j’interpelle gentiment un monsieur qui s’apprête à acheter la fameuse machine à faire du café en dosettes qui polluent. Avec un grand sourire je m’approche de lui :
    – Oh oh, vous vous apprêtez à acheter un produit très polluant
    – Visiblement très mécontent et hautain : Ah bon, et polluant pour qui ?
    – Pour l’environnement, les océans, la terre, vous savez bien, tous ces éléments indispensables à la vie
    – Eh bien sachez que je suis médecin et que je prescris des antibiotiques toute l’année à mes patients pour qu’ils polluent les rivières
    – C’est bien triste ce que vous dîtes
    – Oui mais je préfère que mes enfants aillent à l’école
    – Pourriez vous m’expliquer le lien entre l’école de vos enfants et les dosettes en plastiques ?
    – De quoi vous mêlez vous, je fais ce que je veux, adieu madame.

    J’avoue être restée coite de ce vilain raccourci, j’espère avoir mal compris le rapport qu’il avait avec la civilisation des dosettes en plastique, puis j’ai éclaté de rire en voyant la tête hébétée de la vendeuse.

    • Rien ne pourra être résolu si l’enjeu du rapport à la nature reste ignoré, s’il continue à être balayé comme un sentimentalisme coupable avec lequel il faudrait en finir. Hors, pour le moment, jusque dans les conversations courantes, tout est fait pour l’éluder. Le sujet provoque même des réactions d’une remarquable agressivité. Celui qui ose remettre en cause notre manière de produire de l’énergie en encombrant la planète de déchets radioactifs, de cultiver la terre à grands renforts de pesticides, de nous abrutir de médicaments, s’attire aussitôt sarcasmes et invectives : on le traîte de naïf et de passéiste, on le suspecte d’obscurantisme, on en déduit aussi sec qu’il veut ramener l’humanité à l’âge de pierre ou l’obliger à s’éclairer à la bougie. On l’assimile à l’un de ces baba-cools attardés pour qui tout ce qui fait Mère-Nature est intrinsèquement bon et ne doit pas être touché. S’il prétend contester un tant soit peu les pratiques actuelles, alors on le somme de renoncer aussi aux vaccins ou à l’accouchement sans douleur, et on le prévient déjà que si la famine réapparaît en Occident, ce sera de sa faute : comme si la seule alternative était entre un intégrisme et un autre, comme s’il fallait absolument se punir de la jouissance de la nature ou de celle des sciences et des techniques en s’infligeant les fléaux nés de leur idolâtrie exclusive. À voir avec quelle virulence on rembarre celui qui, refusant de comprendre que c’est de l’histoire ancienne, ose la ramener avec la nature, il semblerait presque qu’il représente une menace, comme s’il ranimait au fond des consciences la terreur de tous les périls immémoriaux dont l’être humain s’est effectivement extrait avec le progrès technique et scientifique. Ce n’est pourtant pas un excès de naturel, mais bien le rapport chaotique des sociétés humaines à leur milieu qui met actuellement en danger notre survie.

      @mona, “La Tyrannie de la Réalité”, http://www.peripheries.net/article15.html

    • @touti le mec s’en fout comme la plupart des gens : les #pollueurs sont toujours les autres.
      Par contre, faire toucher du doigt l’idiotie du modèle économique pour le consommateur qui a l’air de trouver que 13€/kg pour du café, c’est vraiment pas assez cher et qu’il préfère payer 5 fois plus... au moins.
      http://www.chacunsoncafe.fr/PBCPPlayer.asp?ID=1001122
      http://rue89.nouvelobs.com/2009/03/31/nespresso-cest-cher-dur-a-trouver-et-ca-marche

    • @koldobika oui ! merci pour l texte de @mona, c’est exactement l’agression que j’ai ressentie, tout en me disant qu’au moins si ma question engendrait une réaction violente, c’était signe d’une gêne, voire, avec un peu d’espoir, de requestionnement. Parce que comme ajoutait ma fille « Ses enfants n’iront pas longtemps à l’école si il continue à polluer les rivières et à s’en foutre. »

      et on le prévient déjà que si la famine réapparaît en Occident, ce sera de sa faute : comme si la seule alternative était entre un intégrisme et un autre, comme s’il fallait absolument se punir de la jouissance de la nature ou de celle des sciences et des techniques en s’infligeant les fléaux nés de leur idolâtrie exclusive.

      Et dans ma série #militer_en_solo pour l’#écologie j’attrape aussi aux caisses les personnes qui achètent des déboucheurs d’éviers ultra polluants qui me regardent avec des yeux de poissons frits dans l’huile de vidange en me disant que « si l’Etat en autorise la vente c’est que ça ne doit pas être toxique »

    • bel exemple de #bad_market et de complicité inconsciente

      c’est amusant dans la réaction du monsieur le fait de brandir son statut social pour se disculper : je suis respectable car je suis médecin (genre tu sais à qui tu as affaire ?) et je suis bon car je soigne les gens.

      Sur la méthode, j’admire ton courage mais je suis dubitatif sur ce que le gars en retirera : son orgueil en a pris un coup, ça va être pour lui du poil à gratter pour trois jours, son sentiment de culpabilité va l’habiter plus longtemps encore, mais ce gars va-t-il évoluer ? pas sûr..
      Les jugements nous infantilisent, nous « braquent », combien contribuent à nous faire réellement grandir ? Quand notre orgueil est touché, on est très fort pour s’auto-disculper et se cramponner dans le déni.
      Je retiens cette maxime « pour aider quelqu’un à évoluer, souviens toi qu’il n’a pas besoin de conseil, mais d’exemple »

    • Et ta poubelle y’a rien marqué dessus je suppose ?
       ;-)

      Avec la sagesse acquise, j’essaierai de faire digérer ça par des bactérie et champignons, même si des litres sont en train d’être déversés dans les toilettes au moment où on parle (un point de plus pour les toilettes sèches)

    • Cela démontre surtout un manque de courage politique qui ne surtaxe pas les produits polluants, voire les interdire.
      Avec une bonne information, pourtant, les choses se mettent en place car chacunE prend conscience de ce que polluer veut dire si les médias font partie des mesures d’accompagnements.
      Pas tout le monde regarde les bons documentaires ARTE sur l’environnement et préfère des émissions complètement abrutissantes, entrecoupées de publicités débiles toutes les demi-heures.

      Je crois qu’il faudra encore quelques catastrophes pour que peut-être, les homo sapiens ne sont pas tout seul à diriger la planète et qu’entrer en duel avec la nature est quelque chose de complètement stupide et suicidaire...

  • La mauvaise nouvelle des européennes…
    http://quadruppani.blogspot.fr/2014/05/la-mauvaise-nouvelle-des-europeennes.html

    la mauvaise nouvelle vient d’Italie : c’est le triomphe de Renzi, à plus de 40,8% des vote exprimés. Qu’il se soit encore trouvé, outre-Alpes, 11 164 736 personnes pour placer un espoir quelconque dans cet adorateur de #TINA, dans ce caniche de la #Troïka, simplement parce qu’il a su donner des airs de dynamisme à son oeuvre de conservation du pire, et de jeunesse aux vieilleries néo-libérales, avec le cortège de malheurs personnels que cela entraînera (précarisation, baisse du niveau de vie, peurs et racismes afférents), qu’il y ait encore une telle crédulité dans ces villes et ces campagnes bien-aimées, montre à quel degré d’avilissement des imaginaires a été réduite une partie de la population par trente ans d’alliance du berlusconisme et de la post-gauche. Comme dit un de nos mauvais maîtres préférés dans sa Préface à la Phénoménologie de l’esprit, « à la facilité avec laquelle l’esprit se satisfait on mesure l’étendue de sa perte. »
    Cela dit, si l’Italie a expérimenté la première le fascisme et parmi les premières la téléréalité, elle fut aussi le lieu de la plus vaste offensive révolutionnaire en Europe occidentale après la 2e guerre mondiale, et la lutte de la Vallée de Susa incarne une capacité à constituer une communauté de lutte que je n’ai pas craint, rompant avec l’orthodoxie de ma famille ultra-gauche anarcho-autonome, d’appeler un peuple : car telle est « l’étendue de la perte » qui nous travaille tous - cette difficulté à nommer le sujet colletif de l’émancipation humaine, reflet de sa difficulté à exister

    #imaginaire #vie_intérieure #précarité #austérité #dépolitisation #administration_du_désastre social et économique
    liens avec
    http://seenthis.net/messages/199547
    http://seenthis.net/messages/76334
    http://www.peripheries.net/article15.html

  • Le consumérisme vert : une nouvelle vulgate médiatique

    article d’Acrimed http://www.acrimed.org/article4233.html

    Dans le royaume enchanté du « capitalisme vert », l’argument de la sauvegarde de la planète se mue ainsi en simple recette publicitaire, un argument de vente parmi d’autres et grâce auquel il s’agit de rassurer le consommateur, ou ici la consommatrice, sur les conséquences de ses achats. Or, si Marie-Claire tenait tant à la préservation de l’#environnement, le magazine pourrait commencer par remettre en cause le mode de financement des #magazines_féminins (et d’un nombre croissant de #médias), centré sur les revenus générés par la #publicité. Cette dernière constitue en effet, non seulement une énorme source de #gaspillage, mais un puissant instrument d’intoxication idéologique qu’aucun projet écologique conséquent ne saurait épargner.

    La réappropriation du discours écologique passe parfois par une mise à distance explicite de l’#écologie militante. Ainsi peut-on lire sur le site de Marie-Claire cette profession de foi, qui se prolonge en une profonde interrogation : « Loin de l’image ringarde de l’écolo post 68, les lignes bio s’imposent comme des références mode. Comment se traduit ce discours militant dans nos adresses préférées ? » Suivent quelques couplets relatifs aux « looks écolo » ou aux créateurs « soucieux de l’environnement ». On apprend au passage que « la protection de la planète et le développement durable sont devenus les priorités des industriels du textile », ce qui sans doute amusera ces industriels eux-mêmes, puisqu’en régime capitaliste, c’est la protection et le développement (durable ou non) de leurs profits qui priment et primeront toujours, conditionnant l’ensemble des décisions d’investissement prises par les entreprises privées.

    Le lecteur curieux n’est pas au bout de sa peine puisque ce sont ensuite les « people » qui sont convoqués pour faire la promotion, d’ordre évidemment publicitaire, de ce que Marie-Claire nomme « écologie ». Outre ces écolos devant l’éternel que sont le prince Charles, Arnold Schwarzenegger ou le prince Albert II de Monaco, sont ainsi proposées des interviews avec les acteurs Leonardo DiCaprio et Cameron Diaz ou avec la chanteuse Jenifer, interrogés sur leur «  désir de sauver le monde ». On retiendra cette savoureuse question posée à l’acteur états-unien : « Vous voulez dire que l’environnement est un problème politique ? ». La chose a évidemment de quoi surprendre quand, plus bas sur la page du site et avec la mention « à voir sur le même thème », démarre automatiquement une vidéo intitulée : « Comment porter la jupe fendue cet hiver ? » #Dépolitisation, que ne commet-on pas en ton nom ?

    ça me rappelle un passage de « La Tyrannie de la Réalité » de @mona http://www.peripheries.net/article15.html

    Ce qu’exprime le geste du consommateur lorsqu’il achète un paradis dans un flacon ou dans une pochette plastique, c’est bien un désir éperdu de renouer un contact avec le monde naturel. Mais ce geste, évidemment, est un geste d’impuissance. Il renforce encore l’enfermement dont il procède et qu’il voudrait plus ou moins consciemment secouer. Tout notre système économique repose sur l’indifférence au milieu : on sait que, aveugle à tout ce qui n’est pas lui, il prospère en grande partie grâce aux frais engagés pour pallier les dégâts qu’il cause - lesquels alimenteront la sacro-sainte #croissance. Seul ce qui fait l’objet d’un échange commercial existe : le reste ne fait pas partie de la réalité. Considérée intrinsèquement bonne, la transaction économique éclipse la situation critique qui peut la motiver (en 1970, déjà, Jean Baudrillard, dans La Société de Consommation, citait en exemple l’augmentation des ventes d’ampoules due à une baisse de la luminosité de l’air de 30% en cinquante ans) ou apparaît même comme un moyen de la réparer.
    [...]
    Le Salon de l’agriculture qui se tient chaque année à Paris représente sans doute l’avatar le plus grossier du grand écart entre la réalité et sa représentation : on y célèbre la #nature avec de grands groupes agro-industriels, et on s’y berce d’images bucoliques pour mieux oublier que le productivisme broie les hommes, torture les animaux, pollue la terre et l’eau, que les #campagnes se désertifient et que le monde #paysan se meurt.
    Une fois que l’on a perdu l’échelle, qui seule pourrait permettre de rompre l’enfermement, on devient perméable à toutes les #duperies. Ou, si on n’est pas dupe, on se résigne néanmoins à se contenter d’#ersatz. Sans cet escamotage initial, il serait impossible de transformer chacun en cheval de trait affublé d’oeillères, comme c’est le cas aujourd’hui. Notre environnement est agencé de telle façon que nous ne voyions – et ne désirions – rien d’autre que les produits ; de façon qu’ils occupent tout l’espace et obstruent l’horizon.

    et un vieux commentaire que j’avais mis sur un forum, en espérant me tromper http://www.onpeutlefaire.com/forum/topic/3973-changer-de-travail-de-vie-pour-son-plaisir/#entry44257

    #greenwashing #récupération #marketing

  • Tyrannie de la réalité

    A l’anniversaire du SPD, Hollande loue les réformes de Gerhard Schröder - Libération
    http://www.liberation.fr/politiques/2013/05/23/hollande-en-allemagne-pour-l-anniversaire-du-spd_905006

    Hollande a souvent été épinglé ces derniers mois par des responsables allemands libéraux et conservateurs pour les réformes trop timides menées, selon eux, en France durant sa première année de mandat. « Ces décisions ne sont pas faciles à prendre, elles peuvent faire surgir des controverses, mais rien ne se construit, rien de solide ne se bâtit en ignorant le réel », a ajouté François Hollande.

    (...)

    « Le réalisme n’est pas le renoncement à l’idéal, mais l’un des moyens les plus sûrs de l’atteindre. Le réformisme ce n’est pas l’acceptation d’une fatalité mais l’affirmation d’une volonté. Le compromis n’est pas un arrangement mais un dépassement de la réalité », a déclaré François Hollande, dans son discours, qui était suivi notamment par la chancelière allemande Angela Merkel, assise au premier rang de la vaste salle de concert où était célébré l’anniversaire.

    Et dans un tout autre registre, François Ozon l’autre jour :

    Pour François Ozon, « beaucoup de femmes fantasment de se prostituer » - Métro News
    http://www.metronews.fr/culture/cannes-2013-jeune-et-jolie-pour-francois-ozon-beaucoup-de-femmes-fantasment-de-se-prostituer/mmeu!KBl2cQEeEkV6

    La journaliste, qui n’en revient pas, demande ensuite à François Ozon comment il est parvenu à cette conclusion. « C’est la réalité, lâche-t-il. Vous parlez avec plein de femmes, vous parlez avec des psys, tout le monde sait ça. Enfin, peut-être pas les Américains ! »

    Ou encore Nancy Huston et Michel Raymond dans leur tribune du « Monde » :
    Sexes et races, deux réalités
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/05/17/oui-les-races-existent_3296359_3232.html

    De même, affirmer que Homo sapiens, à partir d’une même souche africaine voici soixante-dix mille à cent mille années, a évolué de façon relativement autonome dans différentes parties du globe et s’est peu à peu diversifié en sous-espèces, ou variétés, ou – pardon ! – races différentes, ce n’est pas une opinion, encore moins un décret politique, c’est une simple réalité. Elle n’implique aucun jugement de valeur ; la génétique moderne se contente de décrire.

    La tyrannie de la réalité (2004)
    http://www.peripheries.net/article15.html

    #shameless_autopromo