Les arbres de Taksim cachaient la forêt de la révolte - Le blog d’Etienne Copeaux
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[MAJ 2/6/2013 : « Attention, cette photo est celle d’un marathon, pas d’une manif ! » cf commentaire de @mona ci dessous]
Mais la photographie du pont du Bosphore m’a vraiment fait comprendre la mesure de ce qui se passe : le pont suspendu est normalement interdit aux piétons, il est gardé par l’armée jour et nuit. Or ce matin, à cinq heures, le pont était entièrement couvert d’un immense défilé de manifestants qui venaient « de l’autre côté », des quartiers de la rive asiatique, notamment Kadıköy. Des milliers et milliers de personnes parcourant à pied une dizaine de kilomètres pour venir soutenir la révolte de Taksim ! C’est un fait absolument inédit, à peine croyable, et nous sommes des milliers à travers le monde à rester ébahis devant cette image. C’est une marée, c’est la population qui déferle, qui plus est à la fin de la nuit : que signifie ? Est-ce pour défendre des arbres, ou est-ce le matin d’un printemps turc ?
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En Turquie, les mouvements populaires ont été étouffés depuis 1923 par le kémalisme, censé régler à lui seul tous les problèmes. La gauche classique s’est coulée dans le moule du kémalisme en acceptant le contrôle de l’armée sur la vie politique, et n’a jamais remis en cause l’ordre politique et social, ni les dogmes concernant les questions arménienne et kurde. De 1960 à 1980, l’ultra-gauche, souvent violente, a tenté de déborder cette vie politique étriquée, au nom de l’anti-impérialisme, et sans succès. Puis la révolte kurde a occupé une grande partie du champ politique, et la guerre a rongé la Turquie pendant trente ans. Ce qui s’est levé ce 1er juin est entièrement nouveau : c’est l’arrivé massive, sur la scène politique, de la nouvelle société civile, indépendante des partis, anti-autoritaire, en prise avec les mouvements mondiaux, les grandes vagues de révolte contre toutes les formes de domination. Est-ce un « printemps turc » inspiré du « printemps arabe » ? Je ne le pense pas, je crois à l’existence ou la survenue de quelque chose de profondément original, en raison même de la puissance de cette société civile qui s’est formée depuis une vingtaine d’années déjà.