C’est surtout, pour moi, nier LA raison pour laquelle les femmes ne peuvent pas adopter le rythme de travail des hommes et pour laquelle aussi les hommes peuvent adopter un rythme de travail qui ne leur permet pas de s’occuper de leurs besoins physiologiques : le fait que les hommes qui travaillent beaucoup le font parce qu’ils ont une femme qui est dédiée à la sphère domestique. Parce que c’est la femme qui, par défaut, encore, va chercher les gosses à l’école (surtout que grâce à la réforme des rythmes scolaires, c’est encore plus tôt), parce que c’est la femme qui fait les courses, la bouffe, le ménage.
Pour arriver au même niveau de performance, il faut aux femmes des hommes au foyer ou du personnel domestique.
Donc, on reproche aux femmes au travail d’être les supports des hommes au travail.
Sérieusement, je ne pense pas qu’un homme célibataire peut arriver aux mêmes performances au travail qu’un homme en couple, sauf, éventuellement, dans les CSP++ où même les salaires de débutants permettent de se payer de la domesticité. Un⋅e salarié⋅e qui bosse 70h par semaine doit être assistée dans tous les gestes de la vie quotidienne... sinon, sa santé devrait vite se dégrader.
Je me souviens d’une (rare) engueulade avec mon directeur de recherche qui trouvait que je ne consacrais pas assez de temps à mes travaux :
– Vous n’arriverez à rien si vous ne travaillez pas tous les jours plusieurs heures sur votre temps personnel.
– Je suis désolée, mais je dois consacrer aussi une partie de mon temps personnel à aller à la laverie, à faire les courses, à régler les factures, à faire la cuisine, ce genre de petites choses agaçantes, mais nécessaires.
– Dans ces conditions, vous ne pourrez pas faire de la recherche, si vous choisissez une condition de femme d’intérieur.
– Je ne choisis rien : je n’ai pas, comme vous, un conjoint qui a tout laissé tomber pour s’occuper exclusivement de mon confort et de mes besoins. On partage les tâches, on ne les a pas imposées à un seul d’entre nous.
Il l’avait un peu pris dans la gueule, parce que sa femme, brillante chercheuse, elle aussi, avait tout laissé tomber pour lui faire des gosses, tenir sa maison, s’assurer que le grand homme n’était distrait en rien dans ses pensées. C’était aussi elle qui relisait et corrigeait tous les travaux du grand homme. Autrement dit, sans elle, rien n’aurait été possible pour lui. Elle est d’ailleurs morte avant lui, signant de fait la fin de sa carrière à lui.
Il ne m’avait tout de même pas saquée à la soutenance, mais je sais qu’il n’avait pas du tout apprécié être mis à ce point le nez dans la réalité.