ÉTATS-UNIS • Edward Snowden a bien fait de fuir | Courrier international
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Pour le célèbre lanceur d’alerte Daniel Ellsberg*, responsable de la fuite des « papiers du Pentagone » dans les années 1970, Snowden a eu raison de s’exiler.
Bon nombre de gens nous comparent, Edward Snowden et moi, et lui reprochent d’avoir quitté le pays et de chercher asile à l’étranger plutôt que de se présenter devant un tribunal comme je l’ai fait. Je pense qu’ils ont tort. Mon histoire remonte à une autre époque, et les Etats-Unis n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui.
Le 15 juin 1971, le New York Times a reçu l’ordre de ne pas publier les « papiers du Pentagone », ce qui constituait une première dans l’histoire de la presse américaine. Après avoir transmis une autre copie des documents au Washington Post (qui a ensuite reçu la même interdiction que le New York Times), ma femme et moi avons disparu de la circulation pendant treize jours.
Mon objectif était d’échapper à la surveillance des autorités (un peu comme Snowden lorsqu’il a décidé de partir pour Hong Kong), pendant qu’avec l’aide de plusieurs autres personnes – encore inconnues du FBI – nous nous organisions pour faire passer les documents à dix-sept autres journaux, malgré deux injonctions. J’ai passé les trois derniers jours en violation du mandat d’arrêt lancé contre moi. J’étais comme Snowden : j’essayais de me soustraire à la justice.
Je me suis rendu aux autorités de Boston après avoir envoyé mon dernier lot de documents la nuit précédente. J’ai été remis en liberté sous caution le jour même. Plus tard, alors que je faisais l’objet non plus de trois mais de douze chefs d’accusation (j’encourais alors une peine de cent quinze ans d’emprisonnement), ma caution a été relevée à 50 000 dollars.
Mais durant les deux années où je me suis trouvé formellement accusé, je suis resté libre de parler aux médias, dans des rassemblements et des conférences publiques. Je faisais partie d’un mouvement hostile à la guerre. Ma première préoccupation était de mettre fin à cette guerre. Comme je ne pouvais pas le faire depuis l’étranger, je n’ai jamais pensé à quitter les Etats-Unis.
Cela serait impossible aujourd’hui. Il serait impossible qu’un procès se termine par la révélation d’actes incontestablement criminels (et considérés comme tels à l’époque de Nixon) commis par la Maison-Blanche. Aujourd’hui tous ces actes (...) sont jugés légaux (y compris celui visant à me placer « dans une totale incapacité » de nuire).