No Man’s Langue. Vie et mort de la lingua franca méditerranéenne – Caroline Douki 

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    « #Langue tampon » et « langue de la liminalité », « no man’s langue » et « langue de l’autre », sans être cependant ni une langue des marges ni une langue de la fusion des sociétés, la #lingua_franca, disparue avec les conquêtes coloniales du XIXe et les constructions nationales du XXe, fut à partir du XVIe siècle la langue parlée lors de leurs transactions et interactions par les habitants des rives de la Méditerranée. Dans un ouvrage fondamental, qui fera date, Jocelyne Dakhlia s’est efforcée d’en écrire l’histoire et d’en restituer la réalité dans Lingua franca. Histoire d’une langue métisse en Méditerranée ; Caroline Douki lui rend ici hommage en restituant pour les lecteurs de la RiLi les lignes de force de ce livre.

    De même, le livre bat en brèche l’idée courante selon laquelle la lingua franca, étant un instrument de transactions marchandes ou d’échanges conflictuels entre hommes, ne se pratiquait que dans l’espace public : au contraire, elle pénétrait dans l’espace domestique lui-même, et en était même un instrument de bon fonctionnement. Ainsi, les maîtresses de maison, européennes ou musulmanes, en usaient avec les domestiques, femmes ou hommes, libres ou captifs. Limites entre espace public et espace domestique, limites du genre : cette langue, par pragmatisme, a donc pu traverser des frontières qu’on pense trop souvent rigides dans le monde méditerranéen.

    On voit combien la lingua franca a pu offrir un répertoire d’usages diversifiés : en situation de commandement, de conflit, de travail ou de négociation ; sur un mode pacifié, qui peut concerner les sommets de la hiérarchie sociale avec les milieux diplomatiques, ou relever du rythme quotidien et des détails prosaïques du foyer domestique ; voire sur un mode affectif puisque des traces documentaires évoquent parfois des échanges amicaux, sentimentaux ou des commerces galants. Nul doute désormais que la lingua franca ne peut être rabattue aux périphéries ou cantonnée à des milieux aux « marges », censément les seuls concernés par le contact dans l’aire méditerranéenne, et qu’elle fut en usage dans de nombreuses situations et pratiquée par divers groupes, du bas jusqu’en haut de la hiérarchie sociale. Ce livre, qui démontre l’intensité et les profondeurs des pratiques linguistiques partagées, redessine ainsi, en un apport historiographique majeur, la carte géographique, sociale, culturelle et migratoire (économique aussi, par extension) de la #Méditerranée d’avant la colonisation, en nous montrant autrement, et plus loin, son extension et ses profondeurs, bien au-delà des franges maritimes.

    #histoire #livre