C’est aussi raconté dans le texte "Io 467" de Violaine Schwartz, paru récemment aux éditions des Solidaires Intempestifs.
"Tripoli-Lampedusa, on était soixante-douze au départ, ghanéens, soudanais, éthiopiens, nigérians, érythréens, l’Afrique toute entière sur une coquille de noix, la traversée devait durer 24 heures, le désert était loin, les passeurs sérieux, je ne pouvais pas m’empêcher de sourire, mais il y a eu une tempête, puis plus d’essence, on a téléphoné à un prêtre érythréen en Italie pour donner l’alerte, 33°58 mn de latitude nord 12°55mn de longitude est, détresse maximum diffusée toutes les quatre heures, un hélicoptère nous a jeté des biscuits puis s’est enfui au fond du ciel, on a dérivé avec le vide de la mer au dessous et nos pieds inutiles, combien de jours ? Plusieurs navires au loin, mais rien, puis plus de batterie dans les portables, un bébé est mort, puis un homme, puis un autre, ça sentait fort, avec le soleil sans ombre aucune, puis plus rien à manger, un grand bateau français est passé tout près, le Charles de Gaulle, un porte-avion, on a fait des signes, « de l’eau de l’eau », on a montré le bébé mort aux hommes en uniforme, ils nous ont pris en photo et le bateau est reparti, puis toujours plus de morts, puis l’odeur épouvantable, on a jeté les corps à la mer, dans l’écume comme un suaire, le bébé flottant dans les jupes de sa mère méduse, puis de nouveau une tempête, la terre qui se dessine au loin, puis le bateau projeté sur une plage. A quelques kilomètres de Tripoli. Retour à la case départ. Plus que douze sur le zodiac, et pourquoi moi ? Toutes les nuits je m’interroge.
EPM : et pourquoi moi ?"