Hassan Nasrallah revendique explicitement l’embuscade contre les soldats israéliens au…

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  • Hier, très longue et importante interview de Hassan Nasrallah sur Al-Mayadeen, par l’intervieweur vedette de la chaîne, Ghassan bin Jiddo, pour l’anniversaire de la fin de la guerre de Juillet 2006.

    Si la précédente intervention de Nasrallah, pour la Journée d’al-Quds, était marquée par un ton très défiant, lié sans doute à l’aspect militaro-religieux de l’événement, cette interview marque le retour du Secrétaire général du Hezbollah à un genre dans lequel il excelle : les confidences sur des hauts faits de la Résistance, pour en tirer des conclusions très politiques explicitant la logique des actions plus récentes du parti.

    Il y a deux aspects qui caractérise ce genre d’interviews-anniversaires :

    – d’abord Nasrallah est très bon dans les interviews ; il est connu pour être un des meilleurs orateurs de la planète en public, mais dans les interviews, c’est un festival ; sa façon d’alterner les tonalités du discours (connivence, humour, confidence, menace…), associée à un langage corporel caractéristique sont vraiment très impressionnants. Je continue à penser que, si les médias mondiaux ne diffusent généralement jamais d’images de Nasrallah, c’est parce qu’il est vraiment très bon (ou dangereusement bon) ; en 2006, il fallait voir Ehud Olmert et Fouad Saniora en face, le contraste était invraisemblable ;

    – la Résistance face à Israël, malgré les prétentions de nos médias et d’une minorité de politiciens libanais, fait globalement l’unanimité au Liban. Quand Nasrallah se met à livrer des détails jusque là inconnus sur les opérations du Hezbollah et de ses alliés face à Israël, toute critique s’éteint et les gens se les répètent avec délectation dans les dîners. Face aux perceptions confessionnelles, aux discours assimilant le Hezbollah à une simple milice chiite, les récits des combats redonnent au parti un lustre au-delà des confessions, et la Résistance face à Israël redevient une sorte de « mission laïque », en ce sens qu’elle est impossible à réduire à une politique confessionnelle et milicienne.

    Bref, hier, Nasrallah jouait sur du velour et, s’il n’y avait eu les événements égyptiens, cette interview aurait constitué le principal événement de la journée.

    La retranscription en anglais d’Al Manar est excellente et exhaustive :
    http://www.almanar.com.lb/english/adetails.php?eid=106204&cid=23&fromval=1&frid=23&seccatid=14&s1=1

    La version française est également très recommandable :
    http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?eid=125442&cid=18&fromval=1&frid=18&seccatid=23&s1=1

    Je t’invite à lire l’intégralité de ces articles, parce que c’est une intervention importante.

    – Nasrallah a commencé par rappeler que le Hezbollah est la cible spécifique des États-Unis, des Occidentaux et des régimes arabes parce qu’elle est une résistance.

    Le problème de l’Occident, des US et des régimes arabes et que nous somme une résistance. Les problèmes internes qu’ils soulèvent ne sont que des moyens qu’ils utilisent pour nous prendre en cible, et ce avant et après l’an 2000. Ils nous avaient d’ailleurs proposé de nous laisser tranquilles et même de nous laisser nos armements à condition que je leur donne en personne des engagements de laisser tomber cette affaire. Tous étaient venus directement ou indirectement : les Américains, les Britanniques, les Français, pour nous faire cette proposition.

    Il a rappelé une anecdote qu’il avait déjà racontée, selon laquelle les États-Unis lui avait proposé de conserver ses armes à condition d’abandonner la Résistance.

    C’est important dans le discours du Hezbollah, car il s’oppose au discours qui l’accuse d’être une milice confessionnelle chiite armée au Liban, en affirmant que contrairement à leur discours publics, les ennemis du parti ne souhaitent pas réellement le désarmer en tant que milice, mais uniquement en tant que Résistance nationale. C’est un point que j’avais abordé dans l’article sur le cablegate :
    http://blog.mondediplo.net/2013-06-24-Au-Liban-ce-que-devoilent-les-cables-de-Wikileaks

    Pour « libaniser » le problème, il faut faire perdre au Hezbollah son statut de résistance légitime face à Israël pour le ramener à une simple milice confessionnelle. M. Marwan Hamadeh, ministre proche de M. Joumblatt (29 juillet 2006, 06BEIRUT2490), explique que « le gouvernement libanais et l’armée demanderont que le Hezbollah livre seulement ses roquettes et autres armements lourds. Il ne se soucie pas des petites armes, telles que les fusils d’assaut AK-47, puisque tout le monde au Liban est armé ». Ainsi, il s’agit simplement de le priver de ses moyens face à Israël, alors que l’on pousse les autres communautés à s’armer à leur tour.

    – Il a ensuite explicitement revendiqué l’embuscade contre les soldats israéliens lors de leur incursion au Liban la semaine dernière.

    Voir mon message précédent sur ce sujet :
    http://seenthis.net/messages/165243

    Implicitement, Nasrallah joue ici sur le souvenir de l’embuscade d’Ansariyeh en 1997, durant laquelle le Hezbollah avait intercepté un commando marine israélien, dont il n’était resté que les chaussures (le reste avait explosé). Lorsqu’il dit qu’il « coupera les pieds » des israéliens et qu’il suggère qu’il dispose à l’avance de sources de renseignements sur les opérations israéliennes au Liban, chacun se souvient évidemment de cette opération qui fait partie des hauts faits du Hezbollah.

    Effet politique de la proximité avec l’embuscade d’Ansariyeh : les plus récentes révélations venues d’Israël indique qu’alors le commando israélien transportait un type d’explosif destiné à incriminer « une partie libanaise » à sa place. Implicitement encore, cette interception d’un commando israélien, en ce qu’elle évoque l’embuscade de 1997, permet de rappeler fort à propos qu’Israël pratique des attentats au Liban en s’arrangeant pour qu’il apparaissent comme perpétrés par des libanais (et la Résistance en particulier).

    Sur cet aspect d’Ansariyeh, cet article du Akhbar de novembre 2012 :
    http://english.al-akhbar.com/content/lebanon-curse-ansariyeh-strikes-again

    “One of the dominant theories in the army,” the report stated, “points to the possibility that the two bombs were rigged in such a way as to make it appear that the operation was part of an internal Lebanese dispute.”

    Le SG du Hezbollah en profite alors pour se moquer de ceux qui souhaitent seulement déposer une plainte auprès de l’ONU, alors qu’Israël viole régulièrement les frontières libanaises depuis 60 ans.

    Et selon lui, ces violations prennent actuellement une dimension plus « opérationnelle » visant des cibles de la Résistance ou de la population, et cette violation n’est pas la dernière. Manière de mise en garde pour annoncer, implicitement, qu’Israël est et sera derrière un certain nombre d’attentats et de provocations au Liban.

    – Nasrallah adopte ensuite le ton de connivence pour, selon lui, révéler des détails inédits sur les plans et les opérations du Hezbollah durant la guerre de juillet 2006.

    Il a évidemment répété que la Résistance s’est toujours attendue et préparée à une nouvelle guerre israélienne destinée à l’éliminer après l’humiliation de 2000. Il affirme qu’en enlevant les deux soldats israéliens, il était prêt à une attaque israélienne, parce que de toute façon ils attendaient une nouvelle guerre, et pensaient qu’elle avait seulement été retardée. Il semble ici confronter une de ses propres déclarations, largement exploitées par ses opposants, selon laquelle le Hezbollah ne s’attendait pas à une guerre aussi terrible en enlevant les soldats israéliens.

    Il a répété que le Hezbollah pensait que la guerre durerait plusieurs mois.

    Parmi les anecdotes inédites sur la stratégie du parti :
    – à certains endroits, la décision de rester ou de se retirer a été laissée aux combattants locaux ; il indique qu’à Maroun ar-Ras, ce sont les combattants locaux qui ont décidé de rester jusqu’au bout ;
    – il indique qu’ils pensaient la cellule de Aita Ash-Sha’b totalement perdue, et qu’ils n’ont repris contact que tardivement ; suite à quoi Imad Moughnieh aurait indiqué qu’ils n’étaient pas forcés de rester sur place, et qu’à nouveau ce sont les combattants locaux qui ont décidé de rester ;
    – et ailleurs, comme à Bent Jbeil, la décision était de toute façon de combattre jusqu’au bout et d’empêcher à tout prix aux Israéliens d’entrer dans la ville.

    Il indique ensuite que le nombre (pourtant énorme) de roquettes tirées par le Hezbollah n’était qu’une petite partie de son stock, parce que le parti s’attendait à une guerre beaucoup plus longue.

    Il insiste sur le fait qu’un ses éléments de la force de la Résistance tenait à la communication efficace entre la salle de commandement central et les salles d’opération locales. Il signale l’arrestation d’un certain nombre d’espions à la solde d’Israël pendant la guerre, remis aux agences de sécurité libanaises, développant l’idée que l’un des échecs d’Israël tenait à la faiblesse de ses renseignements, comme lorsque les Israéliens ont attaqué l’hôpital Dar al-Hikma à Baalbeck, ou leur croyance que les deux soldats Israéliens étaient retenus quelque part à Baalbeck.

    Là encore, en distillant des détails sur les opérations du Hezbollah, il fait passer des messages politiques sur les affaires en cours, quant à l’importance de la structure de communication du Hezbollah, de son système de renseigneent, et le besoin (et l’échec) pour Israël d’obtenir des informations via des collaborateurs libanais et des infiltrations.

    Enfin, il a affirmé que c’était l’efficacité de la Résistance armée qui a protégé Beyrouth, et non les pressions politiques. Pour lui, les Israéliens ne se soucient pas des pressions politiques. C’est en revanche l’équation « Dahiyé contre Tel Aviv » qui a joué ; une forme d’équilibre de la terreur, si les Israéliens continuent leur guerre de destruction, le Hezbollah pourra bombarder Tel Aviv.

    Il raconte alors une anecdote : alors que la banlieue Sud était lourdement bombardée, il est allé visiter Beyrouth avec Imad Moughnieh et constaté les embouteillages, les restaurants pleins, les plages et les fêtes, en contraste total avec les destructions de leur banlieue, puis ils ont acheté des sandwichs et de la glace avant de retourner dans le « pauvre banlieue ».

    Il évoque le rôle d’Imad Moughnieh, le fait qu’ils ont travaillé en tandem, mais étaient le plus souvent séparés pour des raisons de sécurité. Il donne le rôle central à Moughnieh.

    – Nasrallah enchaîne alors : si la guerre s’était poursuivi, nous aurions détruit des centaines de tanks. Ce qui lui permet d’évoquer le rôle de la Syrie.

    Ce long passage développe le rôle, selon Nasrallah, de la Syrie (et non de l’Iran) durant la guerre de 2006.

    D’abord, selon lui, la destruction des chars et du navire de guerre israélien n’était possible que grâce à des armes syriennes, ainsi que du renseignement. Il insiste sur le fait qu’une grande partie de la Résistance a reposé sur des armes fournies par la Syrie, mais aussi fabriquées en Syrie. Il indique les entrepôts de l’armée syrienne ont été alors mis à la disposion du Hezbollah.

    Il raconte alors que le Président Assad avait considéré que l’attaque contre la Résistance était régionale et internationale, et que si le Hezbollah était vaincu, la guerre atteindrait alors la Syrie. Selon lui, la direction syrienne était alors prête à déployer l’armée à Hasbaya pour affronter les israéliens. Nasrallah lui aurait répondu que leur position était excellente, que les Israéliens n’atteindraient pas leurs buts et que Damas n’était pas menacé.

    Il conclut en affirmant que le Hezbollah n’a pas reçu d’armes de l’Iran durant la guerre de Juillet parce qu’il n’en a pas eu besoin.

    – La ton devient ensuite plus directement politique lorsqu’il évoque les négocations qui ont mis fin au conflit.

    Il faut lire directement ce passage, car Nasrallah dénonce directement le Premier ministre de l’époque, Fouad Saniora, ainsi que le bloc du 14 Mars. Il me semble que ces commentaires jusqu’à récemment étaient plus généraux et impersonnels. Sa mise en cause personnelle de Saniora me semble inédite, et les accusations sont particulièrement graves.

    “Siniora was the one who postponed the solution at the last days of the war. The government should file its decision of approval on 1701, but this had been delayed for two or three days.”

    “There were Arab countries involved in the July war, and March 14 bloc was employing it to eliminate the Resistance. For this reason it kept on with this project, and still keeping on with it. I we had a loyal government, we would ended the war under Lebanon’s conditions, but the political battle was from the inside,” Sayyed Nasrallah continued.

    Il a ensuite rendu hommage à son allié chrétien Michel Aoun.

    – Considérations contemporaines ensuite : il n’acceptera pas la formation d’un gouvernement qui n’intégrerait pas le Hezbollah et ses alliés. Quant à un gouvernement constitué de « technocrates neutres », il l’a qualifié d’hypocrysie, indiquant qu’il n’existe pas de technocrates neutres au Liban.

    – Il a ensuite rapidement évacué certaines accusations portées contre le Parti : ce n’est pas le Hezbollah qui a tiré des roquettes après le discours de Sleimain, il n’est pour rien dans l’enlèvement des deux pilotes turcs, il n’a rien à voir avec la fuite de prisonniers en Égypte…

    Sur l’Égypte, il dit regretter les événements et se dit partisan du dialogue.