Emmanuel Digonnet : « Les hôpitaux psychiatriques sont des lieux de non-droit »

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  • Emmanuel Digonnet : « Les hôpitaux psychiatriques sont des lieux de non-droit » (Relevé sur le net)
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    Emmanuel Digonnet est un ancien infirmier de secteur psychiatrique. Après plus de vingt ans d’exercice, définitivement dépité par les orientations prises par le service public de « psychiatrie », il a démissionné. Si Emmanuel ne pratique plus, il parle par contre très bien de son ancien métier, des évolutions de la profession, et des raisons qui l’ont poussé à ne plus l’exercer. Entretien. (...)

  • Emmanuel Digonnet : « Les hôpitaux psychiatriques sont des lieux de non-droit »

    La situation a commencé à se dégrader au début des années 1990, avec le développement d’une gestion purement comptable de l’hôpital. Notre ministère a diminué le #budget alloué, et les #gestionnaires se sont rendus compte qu’un centre d’accueil de cinq lits nécessitait autant d’infirmiers qu’un service de vingt lits à l’#hôpital – sans prendre en considération le nombre d’hospitalisations lourdes et de rechutes que ce système permettait d’éviter...

    L’administration a alors progressivement fait fermer les centres d’accueil. Pour cela, il suffisait que les gestionnaires ne leur donnent plus les moyens de fonctionner 24 heures sur 24 : au bout d’un moment, le principe était vidé de sa substance. Quand il ne restait plus qu’un bâtiment avec trois lits, sans personne pour s’en occuper, les gestionnaires triomphaient : « Vous voyez bien que ça ne marche pas : il faut fermer ! »

    Autre étape importante, la suppression de la spécialisation « #psychiatrie » pour les infirmiers en 1992. Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, a justifié cette décision par une exigence d’uniformisation européenne ; une directive européenne précisait pourtant que la formation française des infirmiers en psychiatrie était de grande qualité et invitait les membres de l’UE à s’en rapprocher... En fait, cette suppression permettait surtout de faire des économies. Depuis 1992, donc, tous les infirmiers suivent le même cursus, avec seulement quelques cours de psychiatrie. Aujourd’hui, quelques infirmiers généralistes, passionnés par la psychiatrie, réussissent bien à se former rapidement une fois embauchés dans les services spécialisés, mais d’autres choisissent les services psychiatriques par défaut, parce qu’il faut bien gagner sa vie, et ne sont souvent pas à la hauteur. Le constat de l’insuffisance des formations étant unanime, le début des années 2000 a vu fleurir un certain nombre de « boites de formation » privées, censées compenser ces lacunes.

    De toute façon, ce diplôme d’infirmier psychiatrique a toujours été considéré comme un « sous-diplôme ». À sa suppression, en 1992, les anciens diplômés – comme moi – n’ont pas eu le droit d’aller travailler dans les hôpitaux généraux. Grosso modo, cela voulait dire que les « sous-hommes » étaient soignés par des « sous-infirmiers ». Aujourd’hui encore, si je vois quelqu’un se faire renverser par une voiture, je n’ai pas le droit de lui poser une perfusion ni de lui prodiguer des soins… alors que je suis autorisé à le faire pour une personne hospitalisée en psychiatrique. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que c’est moins grave si je me trompe ?

    Au début des années 1990, on a aussi assisté à l’introduction dans les hôpitaux de la « démarche qualité » – pure importation de l’industrie – avec son lot de protocoles et procédures. Procédure pour un patient qu’on accueille, procédure pour un patient qu’on emmène en chambre d’isolement, etc... C’est rassurant : tu remplis des formulaires, tu coches des cases ! Peu importe que des termes comme « phobie » ou « obsession » n’aient pas de frontières étanches, puisqu’il s’agit de créer une classification des maladies mentales pour que les gestionnaires puissent s’y retrouver. L’idée est de coder le patient. Aujourd’hui, un malade est 810.12 - « alcoolique à tendance dépressive ». C’est idiot : avant d’être « alcoolique à tendance dépressive », le patient est d’abord un homme ou une femme, qui a cinquante ans ou dix-huit, qui a tel passé, tel parcours...

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