Charte de la laïcité : une imposture (Journal d’un prof d’histoire, Rue89)
►http://blogs.rue89.com/journal.histoire/2013/09/10/charte-de-la-laicite-une-imposture-231086
Car si, en matière d’affirmation des grands principes, l’Education nationale n’a jamais manqué de constance ni d’obstination, il n’en va pas de même de sa capacité à les faire vivre, à leur donner corps […].
Les élèves ne sont ni aveugles ni idiots au point de ne pas se rendre compte que l’école de la république laïque et indivisible est le lieu d’une sélection et d’une ségrégation sociale brutales, que ceux d’entre eux qui se retrouvent très jeunes en difficulté, avant d’être « orientés », comme disent pudiquement leurs maîtres, en apprentissage ou en lycée professionnel sont issus presque exclusivement des milieux défavorisés.
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L’assimilation de la laïcité à la liberté, réaffirmée tout au long de la charte, relève pour le moins de l’abus de langage ou, plus sûrement, de l’escroquerie : depuis quand les élèves bénéficient-ils de la « libre expression de leurs convictions » (principe 3) ou de « l’exercice de la liberté d’expression » (principe 8), alors même que la règle générale ou les pratiques majoritaires des enseignants exigent qu’ils se taisent sous peine de représailles ?
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Demandons nous un instant ce que serait une école qui offrirait réellement aux élèves « les conditions pour forger leur personnalité, exercer leur libre arbitre et faire l’apprentissage de la citoyenneté » (principe 6), par exemple par l’intermédiaire de pédagogies coopératives ou l’exercice pratique de responsabilités, plutôt que de les afficher sur un mur ? Il y faudrait une révolution culturelle sans doute hors de portée d’un système éducatif traditionnellement porté sur l’autoritarisme et le manque de respect.
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Cette nouvelle et bruyante initiative, sûrement pas la dernière, pourrait être accueillie par la dérision et l’indifférence si elle n’intervenait pas dans un contexte politique qui lui donne tout son sens : ces dernières années, la laïcité est devenue le vecteur de l’islamophobie et il faut une bonne dose d’hypocrisie pour ne pas reconnaître que cette charte, directement conçue et peaufinée dans les bureaux de l’Education nationale – ce n’est pas à son honneur - vise exclusivement la religion musulmane.
Ce n’est pas un hasard du calendrier si la publication de cette charte trouve sa place dans la foulée des déclarations venimeuses et provocatrices du ministre de l’Intérieur sur l’incompatibilité de l’Islam avec la démocratie. Derrière la revendication du vivre ensemble, c’est en réalité la stigmatisation qui est à l’œuvre. Loin de « libérer », comme le prétend Peillon, la laïcité, enfermant les individus dans une identité fantasmée, quasi ethnique, est surtout l’occasion d’occulter les conditions sociales qui fabriquent l’exclusion, empêchant ainsi l’émergence d’une société plus juste et plus harmonieuse.