Les Inrocks - L’Italie cesse de traquer Enrico Porsia, ex-membre des Brigades rouges exilé en France depuis 30 ans : entretien

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  • L’Italie cesse de traquer Enrico Porsia, ex-membre des Brigades rouges exilé en France depuis 30 ans : entretien
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    Les médias italiens ne semblent pas vous avoir oublié. Vous dites que beaucoup se sont indignés devant la prescription de votre condamnation, pourquoi ?

    Cet été, je suis retourné dans ma ville à Gênes et j’ai donné une interview dans la presse au Nice Matin local, Il Secolo XIX . J’ai dit que m’inclinais devant tous les morts, toutes les victimes de cette “guerre civile de basse intensité”, comme l’a très précisément défini la commission parlementaire italienne ayant travaillé sur les années de plomb, de la naissance du phénomène en 1970 jusqu’à sa fin en 1986. Ça a déchainé des réactions très violentes de la part d’une certaine presse de droite. Il a même été écrit que : “ma présence libre et sereine en Italie est intolérable”. Est-ce une menace ? Ou encore que je ne suis pas “un homme à part entière”. Suis-je donc un sous-homme ? Dans un autre article, publié dans Il Libero, on fait même un parallèle entre moi et Priebke, le criminel nazi affecté aux arrestations domiciliaires à Rome… La remarque est insultante moralement, je me suis toujours battu contre les fascistes. Je tiens aussi à souligner que les Brigades rouges n’ont jamais commis d’attentats aveugles, nous n’avons jamais utilisé l’explosif par crainte de tuer des victimes innocentes. Quant à Priebke, il est quand même condamné pour crime contre l’humanité, le seul crime imprescriptible.

    Pourquoi l’Etat italien refuse-t-il de tourner la page sur ces événements des années 70/80 ?

    L’Italie a choisi uniquement la voie répressive sans jamais s’interroger sur les origines sociologiques d’un phénomène de masse. Pourquoi l’Italie n’arrive-t-elle toujours pas se confronter encore aujourd’hui à ces morceaux de son histoire ? La classe politique italienne, qui avait “gagné contre le terrorisme”, a été balayée après la chute du mur de Berlin, par “Mani pulite” (l’opération mains propres). Soudainement, on a vu apparaître des juges dont on ne soupçonnait même pas l’existence. Leurs enquêtes ont démontré au pays que toute la classe politique était corrompue. On a vu que Giulio Andreotti, ex-Président “inoxydable” du Conseil italien, avait des rapports organiques avec Cosa Nostra (mafia sicilienne – ndlr). L’Italie était parcourue par des organisations secrètes, notamment la loge maçonnique P2 qui comprenait tous les généraux importants de l’armée, les services de renseignement et qui avait la presse à sa botte. Même le cavaliere Silvio Berlusconi en était membre. On a vu aussi la puissance du Gladio, le réseau secret de l’Otan en Europe. Finalement, l’Etat a gagné militairement contre le “terrorisme” mais pas politiquement. C’est pour ça qu’il n’a pas l’autorité morale pour assumer et dépasser cet épisode historique. Il veut l’enfouir avec des années de prison et en récupérant les exilés à Paris. Sa seule solution : une vengeance infinie. La classe politique a démontré son inconsistance. On le voit aujourd’hui, un saltimbanque comme Beppe Grillo devient le premier parti italien…