Projet » La vitesse, nouveau fléau financier ?

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  • Projet » La vitesse, nouveau fléau financier ?
    http://www.revue-projet.com/articles/2013-09-la-vitesse-nouveau-fleau-financier

    Près de 40 % des transactions financières sont passées, non par des humains, mais par des machines. Des ordinateurs capables d’atteindre une vitesse sans rapport avec celle de l’information sur l’économie réelle. L’objectif ? Garantir la « liquidité », selon le lobby bancaire. Selon Gaël Giraud : faciliter les délits d’initié… et faire de la « pêche à la ligne ».

    Depuis une poignée d’années, les techniques utilisées par nombre des grandes banques de marchés, par des courtiers et des fonds spéculatifs leur permettent, sur certains marchés financiers, d’échanger des offres de vente et d’achat toutes les microsecondes. Certaines banques déplacent leurs bataillons d’ordinateurs dans les caves d’immeubles de manière à les rapprocher physiquement des lieux d’enregistrement de leurs ordres de marchés, en vue de gagner quelques fractions de seconde dans la vitesse d’exécution de leurs stratégies de trading. Ces pratiques sont désignées par le vocable générique de « commerce à haute fréquence » (« high frequency trading », HFT)[1]. En 2010, elles représentaient plus de la moitié des transactions sur les marchés financiers nord-américains et au moins 30 % des marchés européens – depuis lors, leur poids dans la sphère financière n’a fait qu’augmenter.

    La loi bancaire française, adoptée le 18 juillet 2013, demande la sanctuarisation du HFT en obligeant les banques françaises à isoler leurs activités à « grande vitesse » dans une filiale, mais le texte législatif introduit une exception qui, finalement, vide la loi de son contenu : 90 % des activités de HFT resteront dans la maison-mère. Comme si le législateur, pris de remords, avait retiré d’une main ce qu’il donnait de l’autre. Pourquoi cette hésitation ? Le HFT est-il dangereux ? La « grande vitesse » est-elle un fléau ou bien le dernier fleuron de la créativité humaine au service de l’efficience des marchés ?

    QU’EST-CE QUE LE TRADING HAUTE FRÉQUENCE ?
    L’Asie, pour l’instant, semble encore partiellement épargnée par le HFT même si, depuis 2010, le Tokyo stock exchange a annoncé qu’il pouvait lui aussi accueillir des opérations de trading dont le pas de temps est inférieur à la milliseconde. Nyse-Euronext et le London stock exchange s’y sont déjà mis depuis plusieurs années. Toutes les grandes institutions financières se trouvent désormais engagées dans une compétition dont le critère discriminant est l’aptitude à faire exécuter des algorithmes capables de traiter un nombre de plus en plus gigantesque d’informations en une microseconde. Aucune des grandes banques internationales (en France, BNP-Paribas, Société générale, BPCE-Natixis, Crédit agricole) n’est épargnée par cette course. Les places boursières elles-mêmes sont entraînées, volens nolens, dans cette compétition : aujourd’hui, leur argument essentiel pour attirer le chaland consiste à faire valoir qu’elles sont capables de suivre et d’enregistrer de telles stratégies de trading à une vitesse supérieure à celle de leurs voisines. Car les plateformes alternatives (privées) de négoce financier, élaborées par les mégabanques elles-mêmes et autorisées par la Commission européenne depuis la funeste directive Mif de 2004 tentent de conquérir des parts aux dépens des places boursières traditionnelles grâce, notamment, à la vitesse d’exécution de leurs ordinateurs.

    Cette accélération paraît aller dans le sens d’une modernité de plus en plus affolée. Où la vitesse tient parfois lieu de critère de ce qui est vivant et où l’urgence devient souvent le seul viatique pour la survie[2]. En amont, toutefois, de ses possibles effets sociaux, cette accélération sert-elle le financement de l’économie ? Lors d’une audition à l’Assemblée nationale, Martin Bouygues s’étonnait à juste titre que des opérateurs financiers (en fait leurs ordinateurs) vendent ou achètent le titre de sa société toutes les millisecondes. La valeur économique de sa société change-t-elle toutes les millisecondes ? Non. L’économie réelle, même mondialisée, fournit-elle des informations nouvelles toutes les millisecondes ? Non plus. C’est donc que la course à la vitesse où se trouve engagée la finance dérégulée contemporaine n’a strictement rien à voir avec une quelconque efficacité dans le traitement des informations venues de l’économie réelle. Ce point est fondamental : l’accélération des transactions financières ne provient pas d’une accélération du flux d’informations venues du monde réel.

    #Trading_haute_fréquence
    #Délits_d'_initié
    #Liquidité