*David Graeber L’« anthropologue anarchiste »* et sa monumentale étude sur l’histoire de la dette

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  • Idée n°126 : comprendre Xylella

    https://1000ideespourlacorse.wordpress.com/2015/05/31/idee-n126-comprendre-xylella

    Xylella fastidiosa, c’est un problème. Un gros problème (je rappelle pour ceux qui étaient sur Mars ces derniers mois que Xylella est une bactérie pathogène particulièrement retorse, qui s’attaque à pas mal de végétaux, cultivés et sauvages, et qui menace d’arriver bientôt en Corse, vu qu’elle fait des ravages dans le sud de l’Italie). José Bové l’a dit, c’est l’équivalent de la peste. Et si José Bové l’a dit, c’est que c’est vrai. Mais c’est un peu court, je trouve. [...]

    Parce que le plus extraordinaire, c’est que toutes ces pestes sont là pour une bonne raison. Et par « bonne », j’entends bien « positive ». Dans un écosystème dégradé, déséquilibré, affaibli, la seule façon pour cet écosystème de s’en tirer, c’est de réduire sa biomasse globale et de modifier l’équilibre des espèces. Plus assez de nutriments, plus assez de vie biologique, l’écosystème doit éliminer une partie de ses populations pour retrouver un équilibre, et aussi modifier sa génétique générale. Les « pestes » servent à accélérer le mouvement de l’évolution génétique, à éliminer les individus les plus faibles et les moins adaptés (et de ce fait, par leur mort et leur décomposition, relancer les processus biologiques : une nouvelle biodiversité se mettra en place, et de nouveaux cycles pourront se succéder), et font partie de la résilience du système et de son évolution.

    Évidemment, pour les individus sacrifiés, pour ceux qui subissent la peste, et pour nous qui faisons face à un risque terrible de destruction de notre patrimoine agricole, ce n’est pas d’un grand réconfort de savoir que les bactéries sont là pour réparer nos erreurs. Les millions de morts de la peste noire n’auraient sans doute pas été très réconfortés de savoir que l’épidémie était en train de rétablir l’équilibre population européenne/production agricole, et qu’un siècle plus tard démarrerait la renaissance. De même pour nous, si Xylella ou d’autres pestes détruisaient l’essentiel de nos espèces végétales, nous nous moquerions un peu de savoir que les écosystèmes sont capables de retrouver leurs équilibres en quelques siècles.

    Réflexion intéressante, même si on peut ne pas partager l’optimisme qui consiste à croire que les « bactéries sont là pour réparer nos erreurs », etc.

    #écologie, #Xylella_fastidiosa,

    • Revenons-en à notre époque, si semblable au 14ème siècle. Nous avons vécu quelques siècles d’expansion formidable. Expansion due largement à ses débuts à la qualité des systèmes agricoles européens. Nous le savons fort mal, mais ce qui a caractérisé l’agriculture européenne, depuis le 17ème siècle au sud, un peu plus tard au nord, ce sont des systèmes agricoles inédits, agro-sylvo-pastoraux, système d’arboriculture méditerranéen au sud et en montagne, système bocager au nord et en plaine, pour faire simple encore une fois.

      Ce qui caractérisait fondamentalement ces systèmes, c’était l’équilibre entre 3 types principaux de cultures : les arbres et plantes vivaces, les cultures annuelles et l’élevage. Un équilibre capable de maintenir la fertilité des sols, et même de l’améliorer progressivement (aidé en montagne par des réseaux extraordinaires de murs de pierre sèche, par exemple), tout en conservant des écosystèmes complexes, à la biodiversité maximale, comprenant l’ensemble des règnes du vivant (bactéries, champignons, plantes, animaux…), et au sein de ces règnes eux-mêmes la plus grande diversité possible, dans les mêmes espaces. Un équilibre qui évitait toute pandémie, sauf sur les grandes monocultures : phylloxera sur la vigne, mildiou sur la pomme de terre en Irlande.

      Mais le milieu du 20ème siècle est arrivé, et ces systèmes ont été démantelés. Remembrement, ou déprise agricole, c’est selon, monoculture généralisée, utilisation massive de pesticides, d’engrais de synthèse, incendies… Avec pour principal résultat la rupture de ces équilibres. Le principe de l’agriculture conventionnelle étant de laisser le moins possible de biodiversité dans le champ, et dans les régions de production, qui se spécialisent. Le problème, c’est que quand on tente d’éradiquer insectes, champignons et bactéries, il finit toujours par y en avoir un plus malin que les autres, qui mute et devient résistant à tous les pesticides connus. Et là, celui-ci se multiplie. Et comme il trouve un terrain vierge (toutes les autres espèces qui pouvaient occuper le terrain ont été éradiquées ou très affaiblies), la voie est libre pour lui.

      Si la mondialisation l’aide à se déplacer, notre peste n’en est que plus rapide à se diffuser, mais sa virulence est bien due au fait qu’elle trouve, comme Yersinia pestis au moyen âge, le champ libre à son explosion. Des organismes affaiblis pour les pestes antiques, des écosystèmes affaiblis pour les pestes modernes.

      En Méditerranée, d’immenses écosystèmes ont souffert, depuis un siècle, d’incendies, d’abandon, puis de reprise agricole partielle, mais avec des moyens modernes souvent brutaux : labours profonds, surpâturage, irrigation abusive, engrais, pesticides, destruction systématique de la biomasse surnuméraire… Les murs de soutènement qui retenaient les sols se sont effondrés, des haies ont été supprimées… Le climat a un peu changé sur le bassin, mais il a beaucoup changé localement, là où la couverture végétale a été largement modifiée. On pompe de l’eau dans toutes les nappes. Bref, les écosystèmes, aussi bien naturels que cultivés, ont été soumis à rude épreuve. Ce qui est surprenant, ce n’est pas qu’il arrive aujourd’hui toutes sortes de problème. Ce qui serait surprenant, c’est qu’il n’en arrive pas. Ce serait surprenant, et pour tout dire dommage.

    • Face à Xylella, il faut donc sans doute fermer les ports et stériliser les zones touchées. Sans doute faut-il le faire, pour éviter Xylella en Corse, et la ruine des régions agricoles déjà touchées. Pour gagner du temps, aussi. Mais si nous nous arrêtons là, si par ailleurs nous ne travaillons pas à rééquilibrer nos écosystèmes, si nous ne travaillons pas à comprendre pourquoi Xylella (et le Cynips, et Tuta absoluta, et le charançon rouge, et les abeilles qui meurent, et tout le reste), alors ce temps gagné ne servira à rien, et nous n’en aurons pas fini de voir la liste des « pestes » s’allonger. Nous devons quitter le moyen âge dans notre gestion des #écosystèmes, comme nous l’avons fait dans la gestion des populations humaines.

      C’est là un enjeu de Xylella qui va bien au-delà de savoir si oui ou non elle arrivera chez nous . Si Xylella arrive à nous faire comprendre ça, alors ce sera finalement la meilleure chose qui soit arrivée ces derniers temps. Sinon, l’empêcher d’arriver ne fera que retarder la catastrophe.

    • L’impact social de la peste du milieu du XIVe siècle en Europe, c’est aussi, du fait du délitement des liens par réduction massive de la population, la montée en puissance d’un appareil militaire s’appuyant sur la soldatesque (qui perçoit une solde, en argent sonnant et trébuchant, plutôt qu’une part en nature, même extorquée par la force ou la ruse)

      En fait d’adaptation, (y avait-il d’ailleurs une telle « nécessité » de s’adapter pour la société européenne : autrement dit son évolution ne pouvait-elle venir que d’un facteur externe contingent devant assurer le « déblocage » d’une situation où la reproduction de la synthèse sociale n’était irrémédiablement plus assurée sur ces bases propres ?). En fait d’adaptation donc, une des conséquences de la peste, c’est un renversement qui fait la part belle à des éléments jusque là subalterne dans la vie quotidienne : l’appareil militaire et l’abstraction monétaire.

    • son évolution ne pouvait-elle venir que d’un facteur externe contingent devant assurer le « déblocage » d’une situation où la reproduction de la synthèse sociale n’était irrémédiablement plus assurée sur ces bases propres ?

      C’est vrai que la question se pose. Quand Fabien dit :

      Dans un écosystème dégradé, déséquilibré, affaibli, la seule façon pour cet écosystème de s’en tirer, c’est de réduire sa biomasse globale et de modifier l’équilibre des espèces. Plus assez de nutriments, plus assez de vie biologique, l’écosystème doit éliminer une partie de ses populations pour retrouver un équilibre, et aussi modifier sa génétique générale.

      Je suis pas d’accord avec le fait que ce soit la seule façon. Dans un agrosystème en tout cas on peut augmenter la biomasse (notamment le carbone du sol là où l’humus est très dégradé) et augmenter la biodiversité, en limitant dans le même temps l’érosion physique et les pertes d’eau utile.
      C’est d’ailleurs ce qu’il dit à la fin de l’article.

    • Comme @rastapopoulos : très étrange façon de présenter les choses. Le système est doué de raison, de la capacité d’anticiper, etc. Un peu comme si dans le système proie/prédateur dont on discutait il y a peu, les proies « décidaient » de se laisser manger « pour » faire baisser le nombre de prédateurs…
      A priori, la disparition/destruction d’espèces dégage des niches écologiques pour d’autres.

      … ce n’est pas par hasard.

      #téléologie

    • à propos de la soldatesque dont parlait @ktche
      http://seenthis.net/messages/184058

      pour nourrir une armée, il faut que les #soldats puissent acheter avec des pièces de la boustifaille sur des marchés ; pour cela, il faut créer des marchés – où les soldats pourront acheter des poules, des fruits, des légumes ; ce que font les conquérants en exigeant que les #taxes soient payées en pièces métalliques. L’or et l’argent étant acquis par la guerre, extraits des mines par des esclaves et distribués aux soldats ;
      pour obtenir ces pièces et payer les taxes, les peuples « occupés » sont donc forcés de vendre leurs poules, fruits et légumes aux #militaires ; bingo.

  • A Practical Utopian’s Guide to the Coming Collapse | David Graeber | The Baffler
    http://www.thebaffler.com/past/practical_utopians_guide

    What is a revolution? We used to think we knew. Revolutions were seizures of power by popular forces aiming to transform the very nature of the political, social, and economic system in the country in which the revolution took place, usually according to some visionary dream of a just society. Nowadays, we live in an age when, if rebel armies do come sweeping into a city, or mass uprisings overthrow a dictator, it’s unlikely to have any such implications; when profound social transformation does occur—as with, say, the rise of feminism—it’s likely to take an entirely different form. It’s not that revolutionary dreams aren’t out there. But contemporary revolutionaries rarely think they can bring them into being by some modern-day equivalent of storming the Bastille.

    P.S. Merci http://seenthis.net/messages/184058

    • If, on the other hand, we stop taking world leaders at their word and instead think of neoliberalism as a political project, it suddenly looks spectacularly effective. The politicians, CEOs, trade bureaucrats, and so forth who regularly meet at summits like Davos or the G20 may have done a miserable job in creating a world capitalist economy that meets the needs of a majority of the world’s inhabitants (let alone produces hope, happiness, security, or meaning), but they have succeeded magnificently in convincing the world that capitalism—and not just capitalism, but exactly the financialized, semifeudal capitalism we happen to have right now—is the only viable economic system. If you think about it, this is a remarkable accomplishment.

      How did they pull it off? The preemptive attitude toward social movements is clearly a part of it; under no conditions can alternatives, or anyone proposing alternatives, be seen to experience success. This helps explain the almost unimaginable investment in “security systems” of one sort or another: the fact that the United States, which lacks any major rival, spends more on its military and intelligence than it did during the Cold War, along with the almost dazzling accumulation of private security agencies, intelligence agencies, militarized police, guards, and mercenaries. Then there are the propaganda organs, including a massive media industry that did not even exist before the sixties, celebrating police. Mostly these systems do not so much attack dissidents directly as contribute to a pervasive climate of fear, jingoistic conformity, life insecurity, and simple despair that makes any thought of changing the world seem an idle fantasy. Yet these security systems are also extremely expensive. Some economists estimate that a quarter of the American population is now engaged in “guard labor” of one sort or another—defending property, supervising work, or otherwise keeping their fellow Americans in line. Economically, most of this disciplinary apparatus is pure deadweight.
      In fact, most of the economic innovations of the last thirty years make more sense politically than economically. Eliminating guaranteed life employment for precarious contracts doesn’t really create a more effective workforce, but it is extraordinarily effective in destroying unions and otherwise depoliticizing labor. The same can be said of endlessly increasing working hours. No one has much time for political activity if they’re working sixty-hour weeks.

      #brown_tech #néolibéralisme #oligarchie #surveillance
      #histoire #longue_durée

    • it’s only when we reject the idea that such labor is virtuous in itself that we can start to ask what is virtuous about labor. To which the answer is obvious. Labor is virtuous if it helps others. A renegotiated definition of productivity should make it easier to reimagine the very nature of what work is, since, among other things, it will mean that technological development will be redirected less toward creating ever more consumer products and ever more disciplined labor, and more toward eliminating those forms of labor entirely.
      At the moment, probably the most pressing need is simply to slow down the engines of productivity. This might seem a strange thing to say—our knee-jerk reaction to every crisis is to assume the solution is for everyone to work even more, though of course, this kind of reaction is really precisely the problem—but if you consider the overall state of the world, the conclusion becomes obvious. We seem to be facing two insoluble problems. On the one hand, we have witnessed an endless series of global debt crises, which have grown only more and more severe since the seventies, to the point where the overall burden of debt—sovereign, municipal, corporate, personal—is obviously unsustainable. On the other, we have an ecological crisis, a galloping process of climate change that is threatening to throw the entire planet into drought, floods, chaos, starvation, and war. The two might seem unrelated. But ultimately they are the same. What is debt, after all, but the promise of future productivity? Saying that global debt levels keep rising is simply another way of saying that, as a collectivity, human beings are promising each other to produce an even greater volume of goods and services in the future than they are creating now. But even current levels are clearly unsustainable. They are precisely what’s destroying the planet, at an ever-increasing pace.
      Even those running the system are reluctantly beginning to conclude that some kind of mass debt cancellation—some kind of jubilee—is inevitable.

      #dette #productivité #critique_techno #crise #climat

    • Occupy was surely right not to make demands, but if I were to have to formulate one, that would be it. After all, this would be an attack on the dominant ideology at its very strongest points. The morality of debt and the morality of work are the most powerful ideological weapons in the hands of those running the current system. That’s why they cling to them even as they are effectively destroying everything else. It’s also why debt cancellation would make the perfect revolutionary demand.