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  • « La crise des opioïdes travaille en profondeur, et pour longtemps, la société américaine »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/05/12/les-opioides-un-mal-americain_5297825_3232.html

    Mouvement de désocialisation

    Ce changement des pratiques médicales – suscité par les laboratoires ayant développé et commercialisé ces antidouleurs – a provoqué une catastrophe. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : pour l’année 2016, les autorités sanitaires américaines ont recensé 64 000 morts par overdose, dont une grande part provoquée par des produits à base d’opioïdes, obtenus sur prescription ou illégalement sur le marché noir. Dans ce bilan, l’héroïne est bien à l’origine d’environ 15 000 morts, mais une étude publiée en 2014 par le Journal of the American Medical Association (JAMA) suggère qu’aux Etats-Unis, les trois quarts des utilisateurs d’héroïne actuels sont entrés en dépendance après une prescription d’opioïdes par leur médecin.
    Les trois quarts des utilisateurs d’héroïne actuels sont entrés en dépendance après une prescription d’opioïdes par leur médecin

    Au total, même s’il est impossible de le démontrer formellement et de le quantifier de manière précise, il est plausible qu’une très large part de la mortalité par overdose enregistrée ces dernières années outre-Atlantique soit directement ou indirectement le fait de la mise sur le marché de ces analgésiques. Un simple chiffre permet de s’en convaincre : en 1990, au plus fort de la guerre de l’Etat fédéral contre les cartels colombiens, le nombre de morts par overdose aux Etats-Unis n’excédait pas 10 000 par an, toutes catégories confondues. C’est aujourd’hui sept fois plus. Pour fixer les idées, rappelons que les armes à feu font environ 34 000 morts par an aux Etats-Unis, ou encore que le pic de mortalité annuelle due au sida y a été atteint en 1995 avec quelque 46 000 morts…

    Et il ne s’agit encore là que de mortalité. Le problème posé par la crise des opioïdes est bien plus vaste. Ce fléau travaille en profondeur, et pour longtemps, la société américaine. Selon un rapport récent de l’Académie des sciences des Etats-Unis, environ 2 millions d’Américains souffrent d’une dépendance aux opioïdes ; une étude récente, conduite par l’économiste Alan Krueger (université de Princeton), suggère que l’augmentation continue, entre 1999 et 2015, des prescriptions d’opioïdes, pourrait expliquer une partie de la baisse, récente et rapide, du taux de participation de la population au marché de l’emploi. La part de la population qui travaille ou est en recherche d’emploi a en effet atteint, aux Etats-Unis, à peine plus de 62 % en 2015.

    Lire aussi : Les opioïdes ravagent aussi le rap aux Etats-Unis

    Du jamais-vu depuis quarante ans. En l’espace d’une quinzaine d’années, au sein de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), le pays est passé des plus forts taux de participation au marché de l’emploi, au plus faible de tous (avec l’Italie). L’évolution de cet indicateur signale un mouvement de désocialisation peut-être plus inquiétant encore que la mortalité galopante attribuable à la crise des opioïdes.

    #Opioides

  • Comment #Israël a remporté la bataille du territoire.
    « Personne ne doute vraiment que l’annexion de Jérusalem soit définitive »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/05/15/personne-ne-doute-vraiment-que-l-annexion-de-jerusalem-soit-definiti

    Soixante-dix ans après la création de l’Etat juif, Israël a remporté la bataille du territoire, estiment les universitaires Julieta Fuentes et Philippe Subra dans une tribune au « Monde ».

    LE MONDE | 15.05.2018 à 06h37 • Par Philippe Subra (professeur à l’Institut français de #géopolitique de l’université Paris-VIII)
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    Tribune. Le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem est certes contraire au droit international et ne va pas dans le sens de la paix. Mais il est surtout la reconnaissance d’un état de fait : cent vingt ans après l’arrivée des premiers immigrants et la parution du livre de Theodor #Herzl, L’Etat des #Juifs, Israël contrôle, d’une manière ou d’une autre, 90 % du territoire de l’ancienne #Palestine, et personne ne doute vraiment que l’annexion de Jérusalem-Est soit définitive.❞

    Un paysage homogène

    C’est grâce à ces actions d’aménagement que les quelques milliers d’immigrants juifs arrivés en Palestine dans les années 1890 et les 600 000 habitants juifs présents à la fin du mandat britannique, en 1948, sont aujourd’hui 6,6 millions. Chaque fois que les armes se sont tues, l’aménagement a pris le relais de l’action militaire, les bulldozers celui des tanks et des avions de chasse. Avec les mêmes objectifs : prendre, sans retour en arrière possible, le #contrôle du maximum de territoire, accueillir et assimiler les nouveaux immigrants, affaiblir la présence arabe et compenser les faiblesses géostratégiques du pays. Rétrospectivement, on ne peut qu’être frappé par l’intelligence et l’efficacité de cette #stratégie, mise en œuvre sur plus d’un siècle, et par la capacité de ses promoteurs à l’adapter à des conditions géopolitiques n’ayant cessé d’évoluer.

    • L’emprisonnement de civils par milliers, la torture, les assassinats, l’emprisonnement d’adolescents et les tirs à balles réelles sur des enfants ... cela explique cette merveilleuse réussite du suprémacisme juif que votre article illustre quel que peu.

  • « La crise des opioïdes travaille en profondeur, et pour longtemps, la société américaine »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/05/12/les-opioides-un-mal-americain_5297825_3232.html

    A presque un quart de siècle de distance, les deux scènes se ressemblent étrangement : des quinquagénaires à la mise impeccable, grisonnants et cravatés, debout en rang d’oignons sous les ors du Capitole, levant la main droite pour prêter serment. Mardi 8 mai, une brochette de patrons de sociétés de distribution de produits pharmaceutiques ont été interrogés, trois heures durant, par une commission parlementaire désireuse de faire la lumière sur la « crise des opioïdes » qui frappe les Etats-Unis.

    Voilà qui rappelait les auditions, au printemps 1994 et au même endroit ou presque, des sept grands capitaines de l’industrie cigarettière américaine, jurant leurs grands dieux que la nicotine n’induisait aucune dépendance chez les fumeurs… Comme le scandale de la dissimulation des risques du tabac en son temps, celui des opioïdes vient rappeler que les principales menaces qu’affronte la société américaine ne sont aujourd’hui pas extérieures – comme les gesticulations de Donald Trump veulent le faire accroire –, mais intérieures.

    Ce changement des pratiques médicales – suscité par les laboratoires ayant développé et commercialisé ces antidouleurs – a provoqué une catastrophe. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : pour l’année 2016, les autorités sanitaires américaines ont recensé 64 000 morts par overdose, dont une grande part provoquée par des produits à base d’opioïdes, obtenus sur prescription ou illégalement sur le marché noir. Dans ce bilan, l’héroïne est bien à l’origine d’environ 15 000 morts, mais une étude publiée en 2014 par le Journal of the American Medical Association (JAMA) suggère qu’aux Etats-Unis, les trois quarts des utilisateurs d’héroïne actuels sont entrés en dépendance après une prescription d’opioïdes par leur médecin.
    Les trois quarts des utilisateurs d’héroïne actuels sont entrés en dépendance après une prescription d’opioïdes par leur médecin

    Au total, même s’il est impossible de le démontrer formellement et de le quantifier de manière précise, il est plausible qu’une très large part de la mortalité par overdose enregistrée ces dernières années outre-Atlantique soit directement ou indirectement le fait de la mise sur le marché de ces analgésiques. Un simple chiffre permet de s’en convaincre : en 1990, au plus fort de la guerre de l’Etat fédéral contre les cartels colombiens, le nombre de morts par overdose aux Etats-Unis n’excédait pas 10 000 par an, toutes catégories confondues. C’est aujourd’hui sept fois plus. Pour fixer les idées, rappelons que les armes à feu font environ 34 000 morts par an aux Etats-Unis, ou encore que le pic de mortalité annuelle due au sida y a été atteint en 1995 avec quelque 46 000 morts…

    Et il ne s’agit encore là que de mortalité. Le problème posé par la crise des opioïdes est bien plus vaste. Ce fléau travaille en profondeur, et pour longtemps, la société américaine. Selon un rapport récent de l’Académie des sciences des Etats-Unis, environ 2 millions d’Américains souffrent d’une dépendance aux opioïdes ; une étude récente, conduite par l’économiste Alan Krueger (université de Princeton), suggère que l’augmentation continue, entre 1999 et 2015, des prescriptions d’opioïdes, pourrait expliquer une partie de la baisse, récente et rapide, du taux de participation de la population au marché de l’emploi. La part de la population qui travaille ou est en recherche d’emploi a en effet atteint, aux Etats-Unis, à peine plus de 62 % en 2015.

    #Opioides #Etats-Unis

  • « L’intérêt général et le droit des citoyens à l’information remis en cause »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/03/20/l-interet-general-et-le-droit-des-citoyens-a-l-information-remis-en-

    En effet, la définition des « secrets d’affaires » est si vaste que n’importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie. L’infraction au secret des affaires aurait lieu dès lors que ces informations seraient obtenues ou diffusées, et leur divulgation serait passible de sanctions pénales. Les dérogations instituées par le texte sont trop faibles pour garantir l’exercice des libertés fondamentales. Des scandales comme celui du Mediator ou du bisphénol A, ou des affaires comme les « Panama Papers » ou « LuxLeaks » pourraient ne plus être portées à la connaissance des citoyens.
    Procédure judiciaire longue et coûteuse

    Qu’il s’agisse d’informations sur les pratiques fiscales des entreprises, de données d’intérêt général relatives à la santé publique ou liées à la protection de l’environnement et à la santé des consommateurs, les journalistes, les scientifiques, les syndicats, les ONG ou les lanceurs d’alertes qui s’aventureraient à rendre publiques de telles informations s’exposeraient à une procédure judiciaire longue et coûteuse, que la plupart d’entre eux seraient incapables d’assumer face aux moyens dont disposent les multinationales et les banques. C’est là le pouvoir de cette loi : devenir une arme de dissuasion massive.

    Pour les téméraires qui briseront cette loi du silence, on peut toujours espérer que les tribunaux feront primer la liberté d’expression et d’informer. La récente affaire Conforama [le magazine Challenge a dû retirer un de ses articles sur les difficultés financières de l’entreprise] indique plutôt le contraire. Les soi-disant garanties proposées par le gouvernement français ne couvrent pas tous les domaines de la société civile et notamment le travail des associations environnementales.

    Ces dérogations ne sont qu’un piètre hommage aux grands principes de la liberté d’informer. Elles ne vaudront pas grand-chose devant une juridiction armée d’un nouveau droit érigeant le secret des affaires en principe, et la révélation d’informations d’intérêt public en exception.

    #Liberté_expression #Médias #Journalisme #Secret_affaires

  • François Dubet : « Une réforme du bac s’imposait »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/02/15/francois-dubet-une-reforme-du-bac-s-imposait_5257135_3232.html

    La réforme proposée change totalement la donne en proposant de juxtaposer des épreuves et des disciplines obligatoires et nationales à des épreuves de contrôle continu portant sur des matières choisies par les élèves. Ainsi, chacun pourrait obtenir un bac national et un diplôme singularisé, ce qui conduirait les lycéens à anticiper leur orientation vers l’enseignement supérieur par le choix des options. Un « oral de maturité » couronnant le tout, le bac change de nature par l’individualisation du diplôme.

    L’objectivité des notations anonymes est plus une croyance qu’un fait établi, mais il reste que le contrôle continu risque de créer des normes locales fortement inégales. On peut être plus généreux dans les établissements populaires que dans les établissements élitistes, ce qui conduirait paradoxalement à faire encore plus confiance aux seconds.

    Il faudra bien s’interroger sur l’équité des options offertes par les divers établissements et sur la capacité d’adaptation d’un système tenu de répondre aux demandes a priori fluctuantes des enseignements optionnels. Quant au grand oral, si les élèves n’y sont pas préparés de longue date, il risque de ne sanctionner que leur origine sociale.

    L’opposition à cette réforme a de bonnes raisons d’en souligner les risques. Mais plutôt que de parer le système actuel de toutes les vertus, mieux vaudrait s’intéresser au chantier et aux détails mêmes de cette réforme. En donnant plus de liberté aux élèves, celle-ci exige le renforcement de la régulation du système. La recherche obstinée de l’égalité des conditions d’apprentissage des élèves et le souci des conditions de travail et de formation des enseignants ne sont pas devenus de vieilles lubies.

    Enfin, pour ce qui est de l’orientation vers l’enseignement supérieur, il est indispensable de créer des filières et des formations utiles aux étudiants qui n’ont ni la chance ni le mérite d’être des « premiers de cordée ». La justice d’une politique se juge toujours à la façon dont elle traite les plus fragiles.

    #Education

  • « Les internautes réclament un usage moins opaque et une maîtrise de leurs données personnelles »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/02/07/les-internautes-reclament-un-usage-moins-opaque-et-une-maitrise-de-l

    Par Judith Rochfeld (Professeur à Paris-I), Joëlle Farchy (Professeur à Paris-I), Paula Forteza (Députée LRM, rapporteure pour la commission des lois sur le projet de loi sur la protection des données personnelles) et Valérie Peugeot (Chercheuse et présidente de l’association Vecam)

    « Toutes les start-up qui se sont essayé à construire des services sur une commercialisation individuelle des données ont échoué : le revenu annuel généré par utilisateur est trop faible »

    Tribune. Sur la base du constat largement partagé de l’importance des données personnelles dans une économie numérique en pleine transformation, l’idée, ancienne, d’un droit de propriété accordé aux individus a fait récemment l’objet d’un regain d’attention médiatique.

    Cette proposition qui affiche pour ambition de donner à l’internaute un pouvoir de négociation face aux géants du numérique ne résout en réalité aucun des problèmes posés. Au moment où se débat à l’Assemblée nationale le projet de loi sur la protection des données personnelles, ne tombons pas dans le piège des fausses bonnes idées.
    Propriété de personne

    Aujourd’hui, ces données ne sont la propriété de personne, ce qui autorise leur collecte et leur traitement sous réserve du respect du droit des individus. Dans l’hypothèse de l’instauration de droits de propriété, la question de savoir qui serait titulaire de droits est loin d’être simple.

    Qui serait propriétaire de mes « likes » sur le mur de mes amis sur Facebook, eux ou moi ? Qui serait propriétaire des données de mon tensiomètre connecté prescrit par mon médecin ? Ce dernier, le fabricant du tensiomètre, moi en tant que patient, le Conservatoire national des arts et métiers ou encore la recherche médicale publique ?

    Du point de vue de l’analyse économique, quel que soit le titulaire initial de ce droit, dans la mesure où des transactions seraient possibles, le marché permettrait de les attribuer in fine aux agents économiques les mieux à mêmes d’en tirer profit.

    Dans le cas des données personnelles, le droit de propriété bénéficierait alors aux organisations qui sont à même de recueillir, traiter et analyser les données et qui leur donnent une valeur plus qu’aux internautes soit, finalement, l’effet inverse de celui recherché d’un rééquilibrage des pouvoirs.

    Valeur d’usage et valeur monétaire

    Les modèles économiques de l’exploitation de données profitent aujourd’hui en effet plus aux collecteurs qu’aux individus. Mais les partisans du tout propriétaire confondent valeur d’usage et valeur monétaire. Les données personnelles d’un individu ont une valeur d’usage pour lui – son graphe social lui parle de ses sociabilités, ses tickets de caisse de son mode de consommation –, et pour l’entreprise – elle améliore sa relation client.

    Mais leur valeur monétaire ne se révèle à cette dernière qu’une fois agrégées à celles de milliers d’autres utilisateurs. Toutes les start-up qui se sont essayées à construire des services sur une commercialisation individuelle des données ont échoué : le revenu annuel généré par utilisateur est trop faible.

    Mais l’essentiel est ailleurs. Ne regarder les données qu’au simple prisme économique, c’est oublier qu’elles ne sont pas un bien assimilable à une ressource matérielle ou immatérielle mais qu’elles sont d’abord le fruit de nos interactions avec des services, avec des objets connectés et de nos sociabilités liées à nos échanges sur les médias sociaux, à nos communications interpersonnelles. En cela les données parlent de nous, mais aussi de nos proches, du monde qui nous entoure. Elles sont tout à la fois intimes et sociales.

    Pour aborder conjointement maîtrise de ces données particulières et innovations numériques en mettant à distance la question de la propriété il faut penser en termes de droits de l’individu à son autodétermination, impliquant qu’il puisse décider des usages qu’il accepte de laisser à une pluralité d’acteurs. Le tout conduit à des « faisceaux de droits » souples et variés.

    Plus que la propriété de leurs données, ce que réclament les internautes c’est en effet un usage moins opaque et une maîtrise de ces données dans un cadre respectueux de leur vie privée et non discriminant. Les risques et dommages d’une perte de contrôle sur ses données personnelles sont à la fois réels et connus. Pour autant, ces dommages et leur possible réparation ne se situent pas sur le plan d’un bien, mais de la personne.

    Société numérique plus éthique

    Pour protéger la vie privée, les logiques de responsabilités existent déjà dans les différents systèmes juridiques, sans qu’il soit pour autant pertinent de proclamer une propriété des individus sur eux-mêmes. Le Règlement européen sur les données personnelles (RGPD) qui entrera en vigueur en mai constitue un premier outil essentiel pour donner à la France et à l’Europe un modèle de société numérique à la fois plus éthique et plus compétitive par rapport au reste du monde.

    Il accentue en effet la logique de responsabilisation des organisations, renforce les droits des individus et en crée de nouveaux, notamment le droit à la portabilité des données. Celui-ci réintroduit de la concurrence puisque l’utilisateur peut désormais migrer vers un service moins « prédateur » de ses données.

    Conscientes des enjeux pour l’avenir de leurs modèles économiques, les entreprises sont donc incitées à intégrer le respect des données personnelles de leurs utilisateurs dans leurs stratégies et à le faire apparaître comme une caractéristique concurrentielle discriminante.

    Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir les chantres d’une idée qui se proclame libérale afficher un tel manque de confiance dans des solutions qui pourront être négociées entre l’ensemble des acteurs, sans un quelconque recours à l’instauration de droits de propriété.

    Les signataires : Judith Rochfeld (Professeur à Paris-I), Joëlle Farchy (Professeur à Paris-I), Paula Forteza (Députée LRM, rapporteure pour la commission des lois sur le projet de loi sur la protection des données personnelles) et Valérie Peugeot (Chercheuse et présidente de l’association Vecam).

    #Données_personnelles #RGPD #Valeur_usage

  • Il faut « interdire la collecte de données personnelles en ligne »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/02/06/il-faut-interdire-la-collecte-de-donnees-personnelles-en-ligne_52526

    Analyse. Le plus grand danger, à long terme, estime le journaliste du « Monde » Damien Leloup, est celui de créer des sociétés habituées à la surveillance de masse permanente, dans laquelle tout libre arbitre disparaît dans les bases de données de quelques entreprises géantes.

    Or, des Exxon-Valdez [du nom du pétrolier américain qui répandit 38 000 tonnes de pétrole sur 1 300 km de côtes en Alaska en 1989] de données, il y en a tous les jours. Il ne se passe pas 24 heures sans que l’on apprenne le vol d’une gigantesque base de données, la collecte illégale d’informations médicales ou sur des mineurs par une grande société en ligne, ou l’utilisation de ces données pour débusquer des opposants politiques ou vendre des informations ou des produits frelatés.

    Risque de s’habituer à la surveillance de masse

    Et le pire est à venir. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de notre savoir en matière d’analyse des données. Ce que nous savons déjà faire devrait nous terrifier : on peut, aujourd’hui, déterminer assez précisément l’orientation sexuelle d’une personne en fonction de ses « likes » sur Facebook, ou savoir si une femme est enceinte en fonction de l’évolution de ses comportements d’achat en ligne.

    Mais ces fonctionnalités, déjà dignes d’un mauvais épisode de la série télévisée britannique dystopique Black Mirror, ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend alors que la quantité de données produites et collectées, et notre capacité à les analyser, grandit chaque jour. Demain, peut-être votre assureur pourra-t-il savoir si vous avez un risque de pathologie cardiaque en se basant sur vos achats Amazon, ou savoir en temps réel que vous rendez visite à votre amant(e).

    Pour éviter ce futur cauchemardesque, il existe une solution, qui n’est certainement pas de proposer à chacun de monétiser lui-même ses données contre quelques centimes d’euros. C’est l’interdiction pure et simple de la collecte de données personnelles en ligne. Les mouchards dont sont remplis tous les sites Web et les applications ne vous servent pas à grand-chose, à vous consommateur et citoyen, à part une vague personnalisation de services sans grande valeur ajoutée.

    Il ne s’agit pas d’interdire aux entreprises de détenir un fichier client, ou de faire de la publicité : si vous voulez donner votre date de naissance à votre supermarché ou à votre compagnie d’assurance, il n’y a aucun problème : les lois actuelles vous protègent de manière claire et simple. Mais cela vaut-il la peine d’être géolocalisé en permanence au mètre près, pour permettre à une grande surface de vous proposer des promotions lorsque vous entrez dans son magasin ?

    Mais l’or noir, direz-vous, c’est aussi de la croissance, des emplois, du PIB ! En fait, non, ça ne l’est pas, ou si peu. Pire : la collecte massive de données personnelles a introduit des distorsions de concurrence à une échelle rarement vue dans l’histoire récente. Aucune PME aujourd’hui ne peut prétendre utiliser elle-même le data : elle est contrainte de passer par les services des géants du Web.

    Ecrire, comme le font les auteurs de la tribune publiée dans Le Monde, que « dénoncer la monétisation, c’est nier une réalité économique, puisque nos données sont de facto devenues objets de commerce », c’est faire preuve d’une méconnaissance fondamentale du sujet.

    Mais l’or noir, direz-vous, c’est aussi de la croissance, des emplois, du PIB ! En fait, non, ça ne l’est pas, ou si peu. Pire : la collecte massive de données personnelles a introduit des distorsions de concurrence à une échelle rarement vue dans l’histoire récente. Aucune PME aujourd’hui ne peut prétendre utiliser elle-même le data : elle est contrainte de passer par les services des géants du Web.

    Ecrire, comme le font les auteurs de la tribune publiée dans Le Monde, que « dénoncer la monétisation, c’est nier une réalité économique, puisque nos données sont de facto devenues objets de commerce », c’est faire preuve d’une méconnaissance fondamentale du sujet.

    #Données_personnelles #Economie_influence

  • « La propriété des données personnelles est une fausse bonne idée »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/02/05/la-propriete-des-donnees-personnelles-est-une-fausse-bonne-idee_5252

    par Serge Abiteboul et Gilles Dowek

    Le cas des données numériques est cependant un peu plus complexe que celle de des champs d’orge ou de blé, car qui cultive les données ? Ceux qui les produisent (vous et moi, les géants du Web, les hôtels…), ou ceux qui les entassent et les analysent pour en tirer du profit (ni vous et moi) ? Dans le cas d’un champ, décider que le champ appartient à ceux qui le cultivent éclaire la question. Dans le cas des données numériques, cela ne fait que la rendre plus confuse.

    L’idée d’établir la propriété de chacun sur ses données personnelles part peut-être d’un bon sentiment, mais c’est une fausse bonne idée.

    Enfin, plus profondément, il n’existe que peu de données numériques individuelles. La plupart de ces données sont « sociales ». Vous postez une photo sur Facebook : est-elle à vous, aux personnes que vous avez photographiées, aux personnes qui vont la tagger, ou à celles qui vont la commenter, la diffuser ?

    Les données numériques personnelles, méritent d’être protégées. Un droit existe déjà pour cela : le droit à la vie privée ! On peut le renforcer dans le monde numérique comme l’ont fait les lois Informatique et liberté, la loi pour une République numérique, ou le règlement européen sur la protection des données qui entrera bientôt en vigueur. Protéger nos données personnelles est une excellente idée. Mais le bon outil pour le faire, est le respect de la vie privée et non le droit de propriété.

  • Nos données nous appartiennent : monétisons-les !
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/02/05/nos-donnees-nous-appartiennent-monetisons-les_5251774_3232.html

    Le grand n’importe quoi : les données personnelles sont aussi sociales. Rabattre ça sur la notion de propriété est en fait le cache-sexe d’une nouvelle industrie qui voudrait jouer les notaires de cette fausse-propriété. Mais que ces aspirateurs de données commencent par payer des impôts (socialisation de la plus-value). Le néolibéralisme, c’est avant tout l’extension de la sphère marchande à tout ce qui peut entrer dans ses rêts. Comme le monde physique est fini, il faut trouver une « nouvelle frontière » au marché, au lieu de raisonner sur l’utilité de construire des formes sociales en dehors du marché et de la propriété. L’alliance des signataires est également fort significative du projet idéologique de ce texte.

    Je le stocke ici pour mémoire...

    Nos données nous appartiennent : monétisons-les !

    Un collectif plaide pour que chaque personne puisse monnayer ses données personnelles qui, actuellement, enrichissent les géants de l’Internet.

    LE MONDE | 05.02.2018 à 06h39 | Par Jaron Lanier (informaticien, créateur de start-up), Gaspard Koenig (philosophe), Bruno Bonnell (député LRM), Manuel Carcassonne (éditeur), Alexandr...
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    Par quel étrange renoncement sommes-nous devenus de la chair à algorithmes ? Tous les jours, nous abandonnons une partie de nous-mêmes à des plates-formes numériques, appâtés par l’illusion de la gratuité. Nos données personnelles les plus intimes, concernant nos goûts, nos déplacements ou nos amours, sont passées à la moulinette, collectées, agrégées, souvent revendues, et ultimement utilisées pour orienter et contrôler nos comportements. En cliquant sur des conditions d’utilisation léonines, que nous n’avons pas le temps ni la capacité de lire, encore moins de comprendre ou de négocier, nous courons vers notre servitude volontaire. Les géants du Web bâtissent leur fortune sur les dépouilles de notre identité.

    Parce qu’il est urgent de rétablir nos valeurs les plus fondamentales, nous plaidons pour instaurer une patrimonialité des données personnelles. En dépit des idées reçues, le droit de propriété a toujours été une conquête sociale permettant de rééquilibrer les rapports de pouvoir au profit de l’individu et de ses libertés. Du cadastre aux brevets, la propriété garantit, selon l’adage romain, l’usus, l’abusus et le fructus, nous rendant pleinement maîtres de nous-mêmes et de nos actions, protégés de l’arbitraire des puissants. Voilà pourquoi Proudhon pouvait écrire dans la Théorie de la propriété, en revenant sur ses propos de jeunesse, que « la propriété est la plus grande force révolutionnaire qui existe ». Après la terre et les idées, le temps est venu d’étendre cette force révolutionnaire à nos data.
    Concevoir des contrats intelligents et adaptés

    Cette simple adjonction juridique, qui n’existe aujourd’hui ni en Europe ni aux Etats-Unis, suffirait à bouleverser l’écosystème du numérique. Chacun pourrait choisir en toute autonomie l’usage qu’il souhaite faire de ses données, selon leur nature et leur finalité. On pourrait ainsi accéder à certains services sans partager ses propres données, mais en payant le prix de cette confidentialité et donc en devenant véritablement client. A l’inverse, dans la mesure où l’on accepte de céder ses données, il faudra que les plates-formes nous rémunèrent, réintégrant ainsi le producteur primaire de données dans la chaîne de valeur.

    Des flux continus de transactions, plus ou moins importants en fonction des catégories de data, en débit comme en crédit selon nos préférences contractuelles, viendraient alimenter nos comptes personnels de données, avec possiblement une blockchain [technique qui consiste à sécuriser une transaction en la faisant valider par une multitude d’ordinateurs, de manière chiffrée] pour garantir la validité des transactions. On peut imaginer que de puissants intermédiaires se constituent, comme les sociétés de gestion collective pour les droits d’auteur, afin de négocier conditions et tarifs au nom de millions de citoyens numériques, et de concevoir des contrats intelligents adaptés à chacun d’entre eux.
    « Nos données sont de facto devenues objets de commerce »

    Il ne s’agit pas de marchandiser ses données, selon le terme convenu pour inhiber tout débat, mais de rendre aux citoyens une valeur aujourd’hui capturée par les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – et leurs milliers de disciples. En quoi est-il contraire à la dignité humaine de doter les producteurs de data d’un capital qui leur revient, et qui leur permettra d’effectuer leurs choix de manière d’autant plus indépendante ? Dénoncer la monétisation, c’est nier une réalité économique, puisque nos données sont de facto devenues objets de commerce (au point de représenter bientôt 8 % du PIB européen !). Mais c’est aussi, politiquement, se faire le complice objectif des oligopoles, comme l’Eglise condamnait le prêt à intérêt pour empêcher la naissance d’une bourgeoisie marchande, menaçant son pouvoir.
    Monétisation sauvage des données

    D’autant que la logique de la patrimonialité n’entre nullement en contradiction avec celle des droits fondamentaux, portée au niveau européen par le règlement général sur la protection des données (RGPD). Etablir des droits inaliénables permet d’autant mieux de concevoir un marché qui les respecte, comme c’est classiquement le cas dans nos démocraties. De plus, certaines conquêtes du RGPD, telles que l’exigence de portabilité, constituent des étapes indispensables vers un droit de propriété.
    « Il est urgent de reprendre la maîtrise de nos data et donc de nous-mêmes »

    Qu’on le veuille ou non, cette discussion a commencé. Des start-up se créent chaque semaine pour monétiser nos données de manière sauvage. Jaron Lanier, l’un des geeks les plus charismatiques de la Silicon Valley, porte le sujet depuis plusieurs années aux Etats-Unis, au nom même des valeurs libertaires qui faisaient la vigueur de l’Internet des années 1980, décentralisé et idéaliste. Son dernier papier, cosigné entre autres avec des universitaires de Stanford, a relancé le débat outre-Atlantique. En France, le député Bruno Bonnell (LRM) travaille sur une proposition de loi. L’Europe s’honorerait de prendre les devants et d’imposer sa soft law [règles de droit non obligatoires] face à une Amérique à genoux devant les intérêts du big business et à une Chine peu soucieuse de l’individu.

    Alors qu’on nous annonce, à l’image de l’historien Yuval Noah Harari, un « dataisme » dissolvant l’humain dans le réseau et rendant caduc le libre arbitre, il est urgent de reprendre la maîtrise de nos data et donc de nous-mêmes. Le droit de propriété est l’un des outils essentiels de cet humanisme 2.0.

    Liste complète des signataires : Rafaël Biosse-Duplan, associé gérant de Finisterre Capital ; Bruno Bonnell, député LRM ; Manuel Carcassonne, directeur général des Editions Stock ; Alexandre Jardin, écrivain et cinéaste ; Aurélie Jean, computational scientist ; Gaspard Koenig, philosophe, maître de conférences à Sciences Po Paris et président du think tank Generation Libre ; Willy Lafran, entrepreneur, fondateur de Datarmine ; Sébastien Lalevée, gérant associé de Financière Arbevel ; Isabelle Landreau, avocate ; Jaron Lanier, informaticien, créateur de start-up ; Céline Lazorthes, entrepreneure, fondatrice et PDG du groupe Leetchi ; Guillaume Liégey, cofondateur de Liegey Muller Pons ; Laurence Parisot, dirigeante d’entreprise, présidente de Gravida, ancienne présidente du Medef ; Gérard Peliks, ingénieur en cybersécurité, président de l’association CyberEdu ; Virginie Pez, économiste, maître de conférence à l’université Panthéon-Assas (Paris II) ; Rubin Sfadj, avocat en droit du numérique et de la finance ; Philippe Silberzahn, économiste ; Pierre Valade, entrepreneur et cofondateur de l’application Sunrise ; Natacha Valla, économiste, membre du Conseil d’analyse économique ; Guy Vallancien, chirurgien ; Glen Weyl, économiste.

    #Données_personnelles #Néolibéralisme #Propriété_des_données

  • #commemoration Alain #Krivine et Alain #Cyroulnik : « Eh bien non, nous n’allons pas enterrer #Mai_68 »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/01/24/alain-krivine-et-alain-cyroulnik-eh-bien-non-nous-n-allons-pas-enter

    En réaction aux propos tenus dans le « M Le magazine du Monde » par Daniel #Cohn_Bendit et Romain #Goupil, les deux anciens de la Ligue communiste révolutionnaire défendent le message et les valeurs de Mai 68 dans une tribune au « Monde ».

    LE MONDE | 24.01.2018 à 07h00 • Mis à jour le 24.01.2018 à 11h55 |
    Par Alain Krivine (Ancien dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire) et Alain Cyroulnik (Membre du collectif Ensemble)

  • GPA : « Non au marché de la personne humaine »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/01/19/gpa-non-au-marche-de-la-personne-humaine_5243840_3232.html

    Tribune. En un temps où l’on s’insurge contre les violences faites aux femmes, où l’on traque les stéréotypes de genre et où l’on revendique l’égalité des sexes, il serait opportun que l’usage commercial de leur corps dans l’industrie procréative mobilise davantage l’opinion publique et les médias.

    Au lieu de cela, on observe une étrange complaisance à l’égard de ce que l’on nomme abusivement une « technique », alors que la maternité de substitution est une « pratique sociale » qui consiste à louer la vie d’une femme, jour et nuit, pendant neuf mois.

    Pour lui donner un aspect altruiste, on appelle gestation pour autrui (GPA) la convention par laquelle une femme s’engage à devenir enceinte (par insémination artificielle ou transfert d’embryon) et à accoucher d’un enfant qu’elle remettra dès sa naissance, et moyennant paiement, à ses « parents contractuels ». Personne ne peut ignorer que cette pratique fait partie d’un marché procréatif mondialisé en pleine expansion, qui inclut, comme en Californie, la vente du sperme et des ovocytes. Là où il existe, ce marché constitue une forme nouvelle d’appropriation du corps féminin.

    Lire aussi : « On ne peut plus ignorer les enfants nés par GPA »

    L’enjeu des choix législatifs nationaux et internationaux en ce domaine est considérable, face à la pression de tous ceux qui trouvent un intérêt financier important dans cette affaire : cliniques, médecins, avocats, agences de « mères porteuses », auquel s’ajoute l’intérêt subjectif de ceux que les agences appellent sans vergogne les « clients » et qui désirent obtenir un enfant à tout prix.

    L’objet d’un tel commerce n’est pas seulement la grossesse et l’accouchement, c’est aussi l’enfant lui-même, dont la personne et la filiation maternelle sont cédées à ses commanditaires.
    On convient à l’avance du prix du « service »

    Dans son principe, une telle transaction commerciale (elle l’est toujours, même si l’on déguise le paiement en indemnité ou dédommagement) est contraire aux droits de la personne humaine et s’apparente à une forme de corruption. De corruption en effet, puisqu’elle attribue une valeur marchande et à l’enfant et à la vie organique de la mère de substitution. Car l’un et l’autre sont des personnes, sujets de droits, et il existe une différence, capitale en droit, entre les personnes et les biens. De plus, depuis l’abolition de l’esclavage, nul ne peut exercer sur une personne humaine les attributs du droit de propriété.

    C’est pourquoi, en matière d’adoption, la Convention de La Haye interdit tout arrangement programmant à l’avance l’abandon d’un enfant par sa mère de naissance et tout paiement de l’enfant par les parents adoptifs.

    Or c’est un tel arrangement préalable qui est en cause avec la maternité de substitution : on convient à l’avance du prix du « service » rendu par la mère et donc du prix de l’enfant à naître. Et celle qui accouche est bien la mère biologique, même lorsque l’enfant n’hérite pas de ses gènes, car un embryon n’a aucune chance de devenir un enfant sans un corps féminin qui lui assure son lent développement biologique. On ne fait pas un enfant seulement avec des gènes.
    « Depuis l’abolition de l’esclavage, nul ne peut exercer sur une personne humaine les attributs du droit de propriété »

    La GPA est ainsi une façon de falsifier la filiation maternelle de l’enfant en substituant une mère « intentionnelle » à sa mère de naissance. Certains demandent à la France de transcrire tels quels les actes d’état civil établis à l’étranger sur la base d’une GPA, sachant que cette transcription légitimerait la GPA et mettrait immédiatement en cause notre législation. Or, en dépit de mensonges réitérés sans relâche, ces enfants ont heureusement des papiers, par exemple des passeports américains, ou délivrés par d’autres pays, et si l’un de leurs parents est français ils obtiennent un certificat de nationalité. Dans son arrêt du 26 juin 2014, la Cour européenne des droits de l’homme elle-même a reconnu que la famille Mennesson vivait en France « dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles ».

    Certains soulignent que des femmes « consentent », en connaissance de cause, à servir de mères porteuses, et donc qu’elles acceptent leur propre aliénation et leur propre marchandisation. Sans doute : mais l’inégalité économique entre la femme et ses clients explique assez ce genre de consentement. Et surtout, dans une société où il y a des lois protectrices des droits fondamentaux, il n’appartient pas aux individus de passer entre eux des contrats contraires à ces droits. C’est pourquoi, en France, nul ne peut consentir légalement à vendre un de ses reins, ni s’engager à devenir esclave.
    Résister au « marché total »

    Dans cette affaire, débattue dans notre pays depuis presque trente ans, il s’agit de comprendre que la demande d’enfant est déjà un effet de l’offre médicale, dès lors que la médecine, oubliant l’impératif de ne pas nuire, collabore avec les marchés du corps humain au nom de la liberté des contrats. Dans certains pays, des médecins ne voient pas non plus d’inconvénient à greffer sur leurs patients des reins achetés à des « donneurs » vivants, ou même extorqués par des trafiquants aux populations les plus déshéritées, comme les réfugiés.

    Le corps médical doit ainsi s’inquiéter de savoir s’il veut sacrifier son éthique à une idéologie ultralibérale qui tend à réduire la personne humaine à une ressource biologique disponible sur le marché. Dans le passé, ne l’oublions pas, des médecins éminents se sont compromis avec des idéologies encore plus redoutables : la bioéthique est née à partir des procès de Nuremberg.

    La responsabilité du législateur est ici immense, car le respect des droits de la personne humaine et de son corps est l’un des principaux critères susceptibles de définir une société civilisée.

    Les Etats doivent-ils renoncer à la protection des personnes en les abandonnant aux lois du marché ? L’enfant doit-il être conçu comme un produit dont le prix fluctue selon l’offre et la demande ?

    Il s’agit de savoir dans quelle société nous voulons vivre et d’avoir le courage de résister au « marché total », comme c’est encore le cas de la plupart des pays européens. L’honneur de notre pays serait, avec d’autres, de travailler à l’abolition universelle d’une pratique qui touche aujourd’hui, dans le monde, les femmes les plus vulnérables.

    Eliette Abécassis, écrivaine ; Sylviane Agacinski, philosophe ; Marie Balmary, psychanalyste ;
    Pilar Aguilar Carrasco, représentante du groupe espagnol No somos vasijas ; Marie-Jo Bonnet, historienne des femmes ; José Bové, député européen ; Lise Bouvet, philosophe, politiste et traductrice féministe ; Didier Cahen, écrivain ; Laure Caille, présidente de l’association Libres Mariannes ; Geneviève Couraud, présidente de l’association l’Assemblée des femmes ; Michèle Dayras, médecin, présidente de SOS Sexisme ; Maria De Koninck, professeure émerite à la faculté de médecine de l’Université Laval ; Anne Desauge, secrétaire générale d’Elus locaux contre l’enfance maltraitée (Elcem) ; Ana-Luana Stoicea-Deram, présidente du Collectif pour le respect de la personne ; Laurence Dumont, députée, initiatrice des Assises pour l’abolition universelle de la GPA ; Alice Ferney, écrivaine ; Eric Fiat, professeur de philosophie morale et d’éthique médicale, à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée ; René Frydman, gynécologue obstétricien ; Cristina Gramolini, présidente de l’association nationale Arcilesbica, Italie ; Florence Gruat, cadre hospitalière sup, docteure en éthique ; Diane Guilbault, présidente du groupe pour les droits des femmes du Québec ; Béatrice Joyeux-Prunel, historienne de l’art contemporain ; Frédérique Kuttenn, professeure émérite d’endocrinologie de la reproduction ; Catherine Labrusse-Riou, ­professeure de droit à l’université Paris-I ; Anne-Yvonne Le Dain, géologue, agronome, ancienne députée ; Manuel Maidenberg, pédiatre ; Christine Mame, présidente d’Elus locaux contre l’enfance maltraitée (Elcem) ; Francesca Marinaro, représentante de l’association italienne Se non ora quando - Libere ; Yaël Mellul, ancienne avocate, présidente de l’association Femme & libre ; Florence Montreynaud, historienne et féministe ; Françoise Morvan, présidente de la coordination française pour le lobby européen des femmes, membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ; Isabelle Moulins, présidente du Centre évolutif Lilith de Marseille ; Nicole Péry, ancienne secrétaire d’Etat aux droits des femmes et vice-présidente du Parlement européen ; Yvette Roudy, ancienne ministre des droits des femmes ; Dominique Schnapper, directrice d’études à l’EHESS, ancienne membre du Conseil constitutionnel ; Martine Segalen, ethnologue, professeure émérite des universités ; Didier Sicard, professeur émérite de médecine et ancien président du Comité consultatif national d’éthique ; Myriam Szejer, pédopsychiatre et psychanalyste, présidente de l’association La Cause des bébés ; Jacques Testart, biologiste de la procréation ; Henri Vacquin, sociologue ; Monette Vacquin, psychanalyste ; Jean-Louis Vildé, professeur émérite pour les maladies infectieuses ; Jean-Pierre Winter, psychanalyste.
    Associations et collectifs : Association nationale Arcilesbica, Italie ; Assemblée des femmes ; Collectif pour le respect de la personne (CoRP) ; CQFD Lesbiennes Féministes ; Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (Cadac) ; Elus locaux contre l’enfance maltraitée ; Femme & Libre ; groupe No somos vasijas ; Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) ; association Se non ora quando - Libere ! (Espagne) ; Libres Mariannes ; collectif Ressources prostitution ; SOS Sexisme

    #Reproduction #GPA #Féminisme

  • « Les Champs, ce sera une première pour un chanteur. Mais Johnny, c’est Victor Hugo »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/12/08/les-champs-ce-sera-une-premiere-pour-un-chanteur-mais-johnny-c-est-v

    . C’est bien connu, une personnalité qui meurt devient un saint que l’on pare de toutes les vertus et de tous les talents. Prenez Johnny Hallyday. Peu importe qu’on l’aime ou pas, qu’on soit ému ou indifférent. Sa disparition devient dévotion.

    On le vérifie sur les réseaux sociaux. Mais aussi à travers les réactions des responsables politiques. Chacun, de gauche à droite, quoi qu’il en pense, doit se prosterner, avec plus ou moins d’inspiration et de poncifs – monument, totem, roi, héros, etc. Il doit y aller de son couplet, donner dans la surenchère, appeler aux obsèques nationales.

    Amusant aussi de voir tant de spécialistes de la musique qui avaient une vision, disons mitigée, de Johnny, devoir le louanger. La chroniqueuse de France Inter Charline Vanhoenacker a résumé l’affaire en disant que sa station avait « passé plus de chansons de Johnny en 2 h 57 d’émission spéciale qu’en vingt ans ». Un peu comme Le Monde, qui a consacré huit pages à la mort du chanteur après l’avoir plus égratigné que loué durant cinquante ans.

    L’explication est simple. Il est des artistes, des chanteurs, des écrivains, des cinéastes, qui sont bien plus que des artistes, des chanteurs, des écrivains, des cinéastes. C’est vrai pour Johnny, qui portait une plasticité, un talent fou pour accompagner les mutations de la société. « L’histoire est un clou auquel j’accroche mes romans », disait Alexandre Dumas. Johnny a accroché de multiples personnages et chansons au clou de l’époque.

    #Johnny_Hallyday

  • Ces spécialistes de la santé mentale qui diagnostiquent Donald Trump
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/12/09/ces-specialistes-de-la-sante-mentale-qui-diagnostiquent-donald-trump

    Le même mois, le Dr John Gartner, enseignant la psychiatrie à l’université John-Hopkins, spécialiste des personnalités borderline, lançait sur Change.org une pétition, et incitait les professionnels de santé à la signer, demandant que Donald Trump soit démis au nom de l’article 4 du 25e amendement de la Constitution des Etats-Unis : le président doit être remplacé s’il s’avère « incapable de s’acquitter des pouvoirs et des devoirs de sa charge ». Elle a recueilli à ce jour 68 435 signatures.

    Cette pétition a suscité une vaste polémique : ­bafoue-t-elle l’éthique médicale ? Aux Etats-Unis, la ­« règle Gold­water » de l’American Psychiatric Association interdit aux psychiatres de donner un avis professionnel sur une personnalité s’ils ne l’ont pas examinée personnellement. En 1964, le sénateur Barry Goldwater, jugé inapte à être président par plusieurs psychiatres, avait porté plainte contre eux et il avait gagné.

    Mais concernant Donald Trump, beaucoup de médecins estiment qu’il est de leur « responsabilité éthique » d’« alerter » le public. Certains ont lancé le mouvement Duty To Warn (« devoir d’alerter », Adutytowarn.org), où ils ne proposent pas d’analyse psychiatrique du président mais décryptent sa « dangerosité » – comme ­ils le feraient pour toute personne qu’ils verraient comme un « danger public ».
    « Sociopathe »

    Pour préciser cette « dangerosité », vingt-sept spécialistes de la santé mentale ont publié en octobre The Dangerous Case of Donald Trump (ed. Thomas Dunne, non traduit). Rosemary K.M. Sword et Philip Zimbardo, s’appuyant sur les tweets et les déclarations du président, voient en lui un « hédonisme du présent extrême et débridé » : il sur­réagit à l’événement comme un « junkie à l’adrénaline » sans penser aux conséquences de ses actes. Il se conduit de façon « infantile » en multipliant les mensonges, les « remarques immatures sur le sexe » ou la taille de son ­pénis, manifestant un besoin perpétuel d’attention.

    Lance Dodes, ancien professeur à Harvard, estime pour sa part qu’un homme puissant qui ment, triche, trompe, arnaque, manipule et n’a cure de ceux qu’il blesse n’est pas seulement cynique et immoral, il souffre d’insuffisance d’humanité et d’un manque ­d’empathie : il s’agit d’un « sociopathe ».

    La troisième partie du livre analyse les effets psycho­logiques de la présidence Trump sur les Américains. ­Jennifer Panning évoque un « syndrome post-électoral » : beaucoup de gens s’inquiètent et s’efforcent de trouver « normal » ce qui leur semble « anormal » dans cette présidence. Elizabeth Mika et Harper West s’intéressent au « triangle toxique » qui s’établit entre un dirigeant narcissique arrogant, ses partisans et la société : cela renforce l’agressivité entre les gens, fait reculer la tolérance et la responsabilité et facilite une « déshumanisation ».

    #Donald_Trump #Psychologie #Ethique #Danger

  • Violences infligées aux femmes : « Nous exhortons le gouvernement à revoir sa copie »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/12/02/violences-infligees-aux-femmes-nous-exhortons-le-gouvernement-a-revo

    Tribune. Un collectif de 100 personnalités demande au président d’augmenter le budget alloué à la lutte contre les violences faites aux femmes.

    #Féminisme

    • Tribune. Samedi 25 novembre, Emmanuel Macron l’a juré, les femmes seront bien la grande cause nationale de son quinquennat. Il a également annoncé son plan d’action pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Un discours qui se voulait symboliquement fort et promeut plusieurs mesures nouvelles, telles dix unités de psycho-traumatologie dans les centres hospitaliers ou l’augmentation des délais de prescription pour les mineurs, et reprend également des mesures existantes, comme la formation des professionnels (inscrite dans la loi depuis 2014), l’interrogation des pratiques des professionnels de santé (protocole du 5 novembre 2014) ou l’arrêt des bus de nuit à la demande (juillet 2015). Sauf que ces mesures ne sont accompagnées d’aucun financement supplémentaire.

      Le budget du secrétariat d’Etat sera « sanctuarisé à son plus haut niveau », 30 millions d’euros. En 2017, il était de 29,81 millions d’euros. Les féministes mesurent l’effort sans précédent… Les crédits interministériels dédiés à l’égalité femmes-hommes passent de 400 millions à 420 millions d’euros. Bonne nouvelle ! Mais là encore, il y a un loup : seuls 15 % de ces crédits sont consacrés à la lutte contre les

      violences. Ajoutons que les 20 millions supplémentaires reprennent des actions qui sont déjà effectuées, qui seront désormais labellisées « égalité ».

      AUCUNE AUGMENTATION DU BUDGET DÉDIÉ AUX DROITS DES FEMMES NI AUX VIOLENCES, DES ANNONCES NON FINANCÉES. C’EST CE QUI S’APPELLE UNE OPÉRATION DE COMMUNICATION

      Il s’agit donc bien d’un tour de passe-passe budgétaire. Aucune augmentation du budget dédié aux droits des femmes ni aux violences, des annonces non financées. C’est ce qui s’appelle une opération de communication. Comment peut-on se contenter de si peu face à la réalité des violences infligées aux femmes dans notre pays ? 93 000 femmes adultes victimes chaque année de viol et de tentative de viol, 220 000 victimes de violences conjugales ou intrafamiliales, 550 000 victimes d’agressions sexuelles…

      Deuxième angle mort, le travail. 25 % des agressions sexuelles ont lieu au travail, où les rapports de domination se cumulent avec le lien de subordination et le risque de perdre son emploi pour les victimes qui auraient le courage de briser le silence. Les syndicats et les associations proposent des mesures à intégrer dans la loi, pour sanctionner les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations de prévention et pour protéger les femmes victimes de violences. Ajoutons que le gouvernement supprime avec ses ordonnances les seuls outils de prévention au travail, les CHSCT.

      Des annonces très en deçà de l’enjeu

      Au niveau international, nous avons réussi à imposer à l’ordre du jour de l’Organisation internationale du travail, en juin prochain, l’examen d’une norme contre les violences et le harcèlement. Le contenu et la portée de cette norme dépendront de la position des Etats, aussi est-il regrettable qu’Emmanuel Macron n’en ait pas dit un mot samedi. Ce, d’autant que pour l’instant, la position de la France est… étonnante : elle refuse que les violences fondées sur le genre soient identifiées spécifiquement dans cette norme.

      Mais, que l’on se rassure, il y aura une session de rattrapage. Emmanuel Macron l’a dit, il s’agit de premières annonces. Et heureusement, parce qu’aujourd’hui le compte n’y est pas, face à l’ampleur des violences sexistes et sexuelles.

      D’ici là, nous exhortons le gouvernement à revoir sa copie et à prendre en compte, sans anathème, chantage ou pression sur aucune d’entre nous, les critiques des féministes. Nous demandons une augmentation budgétaire au moins équivalente à ce que l’Espagne a débloquée – à savoir 1 milliard d’euros sur cinq ans – associé à une loi-cadre contre les violences permettant notamment de transposer dans le droit français la Convention d’Istanbul [sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique, ratifiée en 2014].

      Le respect du débat démocratique impose que l’on accepte, surtout sur un sujet si important, que ces annonces soient passées au crible, vérifiées, confrontées à la réalité et dénoncées pour ce qu’elles sont : très en deçà de l’enjeu et de l’urgence.

      Les signataires : Ludmila Acone, historienne ; Ana Azaria, présidente de Femmes Egalité ; Anne Baltazar, syndicaliste ; Christine Bard, historienne ; Marie-Noëlle Bas, présidente des Chiennes de garde ; Françoise Basch, professeur émérite à l’université Denis-Diderot ; Francine Bavay, présidente de SOS Femmes Alternative, centre Flora-Tristan ; Delphine Beauvois, auteure de littérature de jeunesse ; Maude Beckers, avocate ; Fatima Benomar, coporte-parole des Effronté-e-s ; Savine Bernard, avocate ; Eric Beynel, co porte-parole de Solidaires ; Gérard Biard, président de Zeromacho ; Agnès Bihl, chanteuse ; Sophie Binet, pilote du collectif Femmes mixité de la CGT ; Rita Bonheur, présidente de l’Union des femmes de Martinique ; Catherine Bloch-London, militante féministe ; Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate ; Marie-Laure Brival, gynécologue-obstétricienne, chef de service Maternité des Lilas ; Michel Bozon, sociologue ; Geneviève Brisac, écrivaine ; Carole Cano, syndicaliste CFE-CGC ; Pascale Carayon, féministe ; Coline Cardi, sociologue ; Marie -France Casalis, porte-parole du Collectif féministe contre le viol ; Marie Cervetti, militante féministe ; Carole Chotil-Rosa, militante féministe ; Annick Coupé, syndicaliste ; Saïd Darwane, conseiller national UNSA ; Madeline Da Silva, militante féministe et des droits de l’enfant ; Michèle Dayras, présidente de SOS-sexisme ; Laurence De Cock, historienne ; Caroline De Haas, militante féministe ; Christine Delphy, sociologue ; Monique Dental, présidente du réseau féministe Ruptures ; Héloïse Duché, militante féministe ; Sylvia Duverger, blog « Féministes en tous genres » ; Eric Fassin, sociologue ; Christine Fauré, historienne ; Aude Fiévet, association Le monde à travers un regard ; Léa Filoche, militante féministe ; Geneviève Fraisse, philosophe ; Jean Gadrey, économiste ; Nicole Gadrey, sociologue ; Valérie Ganne, journaliste, auteure ; Sigrid Gérardin, secrétaire nationale de la FSU ; Cécile Gondard-Lalanne, coporte-parole de Solidaires ; Clara Gonzales, initiatrice du « 06 anti-relous » ; Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU ; Véronique Haché, directrice Générale d’Autolib’ et de Vélib’ métropole ; Anaïs Haddad, coprésidente des Effronté-e-s ; Clémence Helfter, dirigeante de l’UGICT-CGT en charge de l’égalité F-H ; Alice Heyligers, ancienne militante du MLF ; Helena Hirata, sociologue ; Violaine Husson, responsable des questions de genre à la Cimade ; Clara Jaboulay, présidente de l’Union nationale lycéenne ; Marie-Anne Juricic, sociologue ; Danièle Kergoat, sociologue ; Annie Lahmer, féministe ; Mathilde Larrere, historienne ; Sandra Laugier, philosophe ; Lilâ Le Bas, présidente de l’UNEF ; Elisabeth Leininger, psychopraticienne ; Yannick Le Quentrec, sociologue ; Séverine Lemière, économiste ; Elliot Lepers, chef d’entreprise ; Florence Lhote, présidente de l’Association entraide et mouvement des femmes ; Sylvie Liziard, secrétaire nationale UNSA ; Raphaëlle Manière, délégation droit des femmes du CESE ; Marie-Thérèse Martinelli, Marche mondiale des femmes ; Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT ; Christiane Marty, Fondation Copernic ; Dominique Meda, sociologue ; Mar Merita Blat, militante féministe ; Florence Montreynaud, Encore féministes ! ; Tania Mouraud, artiste plasticienne ; Solmaz Ozdemir, SKB France ; Birthe Pedersen, présidente d’ActionAid France-peuples solidaires ; Sophie Pochic, sociologue ; Claire Poursin, co-présidente des effronté-e-s ; Soudeh Rad, militante féministe ; Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole d’Osez le féminisme ! ; Sabine Reynosa, collectif Femmes mixité CGT ; Florence Rochefort, historienne ; Marie-Sabine Roger, auteure ; Suzy Rojtman, porte-parole du Comité national pour les droits des femmes ; Roselyne Rollier, présidente de la Maison des femmes Thérèse-Clerc ; Laure Salmona, cofondatrice du collectif Féministes contre le cyberharcèlement et co-initiatrice de #SoyezauRDV ; Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie ; Zeynep Saygi, Assemblée citoyenne des originaires de Turquie ; Sibylle Schweier, sociologue ; Geneviève Sellier, professeure émérite à l’université Bordeaux Montaigne ; Réjane Sénac, politiste ; Rachel Silvera, économiste ; Charlotte Soulary, cofondatrice de Chair collaboratrice ; Isabelle Thieuleux, Cndf ; Loïc Trabut, chercheur à l’INED ; Françoise Traverso, présidente de l’Association internationale des droits de l’homme ; Elodie Tuaillon-Hibon, avocate ; Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT ; Françoise Vouillot, psychologue.

  • Culte de la maigreur : « Critiquer Photoshop, c’est dans l’air du temps »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/10/12/critiquer-photoshop-c-est-dans-l-air-du-temps_5199666_3232.html

    Le « décret Photoshop » a été adopté le 1er octobre. Souhaitée par l’ancienne ministre de la santé, Marisol Touraine, la mention « photographie retouchée » est désormais obligatoire sur toutes les photos de mannequins – dont la silhouette a été modifiée à usage commercial – diffusées par l’entremise d’affichage, de la presse ou d’Internet.

    Incapacité des publicitaires à anticiper

    Cette analyse visait les magazines Elle, Grazia, Marie Claire, Cosmopolitan, tous mis en kiosque après le 1er octobre. Les résultats obtenus démontrent qu’aucune mention « photographie retouchée » n’a été encore appliquée. En moyenne, 24,84 % des pages de ces magazines représentent un contenu publicitaire avec des corps de femmes susceptibles d’être retouchés.

    En clair, le geste de Mme Touraine est audacieux. Il est nécessaire d’agir pour contrer le body shaming, qui est un fléau sur le Web. Dans un monde où Kim Kardashian perd 100 000 adeptes sur Instagram parce qu’elle publie une photo d’elle non retouchée, il y a matière à questionnement. L’une des cyberviolences les plus répandues à l’endroit des femmes est d’ailleurs ce même body shaming.

    La manipulation du corps des femmes est encore aujourd’hui un enjeu politique et social important. En effet, les femmes se sont battues pour être considérées comme des sujets plutôt que des objets. Doit-on rappeler que l’un des leitmotivs les plus marquants de la troisième vague du féminisme est que notre corps nous appartient ? Le décret, malgré le flou persistant qui entoure son application, est, on l’espère, un petit pas de plus vers la libération du corps des femmes.

    #Image #Photoshop #publicité #Féminisme

  • « La numérisation de l’école mérite un débat public contradictoire »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/10/30/la-numerisation-de-l-ecole-merite-un-debat-public-contradictoire_520

    Par Valérie Brun (professeure d’histoire-géographie), Sandrine Calvignac (professeure d’anglais), Daniel Lahana (professeur de mathématiques), Liêm-Khê Luguern (professeure d’histoire-géographie) ; Amélie Aschenbroich, Elsa Cordier, Didier Escande, Karen Gehrke, Stéphane Tourman (parents d’élèves du collège Albert-Camus de Gaillac, dans le Tarn)

    Notre affaire a fait son petit bruit. Dans le Tarn, au collège Albert-Camus, des profs sont poursuivis, mis en cause et perquisitionnés pour une sombre histoire de « vol de tableaux noirs »…

    Le conseil départemental, qui finance la rénovation du collège, avait décidé qu’à la rentrée l’établissement ne serait équipé que de tableaux blancs. Ceci en dépit de nos multiples démarches et courriers, restés sans réponse, pour préserver notre outil de travail. Le 28 juin, en plein jour, en présence de la direction de l’établissement, et aidés de parents d’élèves solidaires d’une action qu’ils considèrent légitime, nous démontons quelques tableaux noirs. Nous souhaitions les remettre en service à la rentrée. Une douzaine de gendarmes arrive, alertée d’un « cambriolage au collège ». Les tableaux, déjà̀ chargés dans un véhicule, sont remis dans le hall du collège sous leur escorte.

    La suite des événements s’avère plus grave encore. Nous sommes convoqués à la gendarmerie. Nous sommes auditionnés et découvrons alors avec stupeur le contenu de l’accusation. Nous sommes interrogés sur d’autres vols : deux tabourets, deux tables d’élèves, des chariots, des rideaux… Faut-il préciser que nous n’avons rien à voir avec tout ça ? Nous sommes fichés. Pris en photo de face, de profil, de trois-quarts, nos empreintes sont relevées. L’absurde ne s’arrête pas là : suite à nos auditions, nos domiciles sont perquisitionnés.

    La symbolique des « tableaux noirs »

    Que nous est-il reproché ? D’avoir cherché à préserver un outil de travail que nous jugeons indispensable pour l’enseignement de nos disciplines ? D’avoir agi selon les objectifs du développement durable enseignés aux élèves, conformément aux recommandations de l’institution ? Dans une telle situation, chacun d’entre nous, s’il choisit d’agir contre l’absurdité, qu’elle soit d’ordre pédagogique, écologique ou financier, peut se retrouver broyé.

    La symbolique des « tableaux noirs » étant trop forte, tout a été fait pour les noyer sous un fatras d’objets disparus pour nous faire passer pour des délinquants et contester la portée pédagogique de notre acte. Le risque que des professeurs, ici ou ailleurs, décident de contester, par quelque moyen que ce soit, le système dans lequel ils sont pris, justifie la réaction d’extrême violence que nous subissons.

    Il aura fallu plus d’une dizaine de milliers de signatures pour la pétition de notre comité de soutien, le concours de personnalités de tous horizons, pour que les poursuites contre nous soient « suspendues ». Pour autant, nous restons « fichés » et les mensonges et la malveillance de nos accusateurs n’ont pas été punis. Notre dossier n’étant pas « vidé » de cette affaire, nous restons aujourd’hui à la merci des brimades institutionnelles, alors que tant de choses restent à dénoncer.

    L’impératif du tableau blanc

    Avec le sentiment tragique de vivre dans un monde qui tourne à la farce, nous tâchons aujourd’hui d’éclaircir cette situation ubuesque. Dans un collège gouverné par un management dans l’air du temps, nous, les professeurs, sommes devenus des opérateurs. Nous devons non seulement nous soumettre aux réformes successives, mais aussi aux contraintes « techniques » multiples, motivées par les lobbyings de la rénovation.

    Pendant ce temps, les conseils élus pour nous représenter restent sourds aux besoins criants que nous exprimons pour pouvoir exercer notre métier. Le pouvoir politique, propriétaire de notre établissement, comme ailleurs, considère les constructions, les rénovations, les équipements comme des cadeaux. Mais des cadeaux au service de qui ? Le plan numérique dans l’éducation nationale a débouché fin 2015 sur un accord entre Microsoft et notre ministère qui se refusent à appuyer le développement et l’usage des logiciels libres.

    L’impératif du tableau blanc n’est qu’une manifestation de la numérisation à marche forcée, incontournable, qui traverse l’éducation nationale. Il se prête aux vidéos, aux projections, là où le tableau noir est has been. Le tableau blanc est le support indispensable pour l’utilisation des cours « clés en main » et standardisés dont l’offre est illimitée sur la Toile, aux kits pédagogiques proposés par des multinationales (Nestlé, Danone, Total…), aux évaluations et corrections type QCM au moment même où l’éducation nationale peine à recruter et doit faire appel à de nombreux contractuels non formés.

    Le tableau noir est l’expression de cette résistance à la « prolétarisation » de notre métier. D’ailleurs rien ne nous dit encore que l’enseignement gagne quelque chose à cet appareillage numérique, notre quotidien nous démontre que des solutions sont à proposer dans la construction de relations riches, du côté de la liberté et de l’autonomie des élèves. Il est crucial d’exprimer que l’appareillage numérique ne peut pas se substituer à la relation profondément humaine qu’est le rapport entre le professeur et son élève. Nous voulons que soient reconnus nos savoirs, nos savoir-faire et notre bon sens sur le terrain.

    Symptômes d’une idéologie de l’innovation

    Les possibilités numériques doivent être pensées avec nous, par nous. Nous refusons que des « experts » puissent nous demander de soumettre notre expérience, notre souci des élèves, de l’enseignement et de l’apprentissage aux exigences de « l’innovation » qui, on le sait bien, aura déjà changé de forme demain. Notre autorité ne peut venir que du fait que nous sommes vraiment là pour quelque chose : pas pour occuper, pas pour programmer, pas pour surveiller. Nous résistons à la banalisation de ces relations déshumanisées, que ce soit avec nos élèves ou au sein de nos institutions.

    En reconnaissant les symptômes d’une idéologie de l’innovation et d’une crispation autoritaire, nous pouvons faire de notre histoire autre chose qu’un fait divers ; et tracer les lignes de l’ère que nous vivons : la start-up nation et les perquisitions.

    Nous demandons aux collectivités locales et à l’Etat un véritable bilan de l’équipement numérique : combien de milliards d’euros ont été dépensés dans ce domaine depuis ces quinze dernières années ? Comment a été ventilé cet argent public (quelles entreprises en ont été bénéficiaires) ? Et surtout, quel est son impact pédagogique ? A-t-il permis d’améliorer la réussite des élèves en matière de lecture, d’écriture, d’acquisition des connaissances et de l’esprit critique ? A-t-il permis de réduire les inégalités à l’école ?

    Nous voulons un débat public contradictoire, essentiel, sur la numérisation de l’école, à l’écart des lobbys industriels. En attendant, nous demandons publiquement le retour des tableaux noirs aux côtés des tableaux blancs pour tous ceux et toutes celles qui le souhaitent. Saisissons-nous de cette affaire pour parler de l’école, des politiques locales, et plus largement du travail.

  • Harcèlement sexuel : « Nous sommes si nombreuses que c’en est impressionnant » par Irène Théry
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/10/21/irene-thery-pour-une-nouvelle-civilite-sexuelle_5204044_3232.html

    Aurais-je cédé à l’air du temps, et passé du côté de la délation et du déballage, moi qui, comme tant d’autres, ai pris mon clavier et tracé ces mots sur ma page Facebook, #MoiAussi, en donnant les âges auxquels ça m’est arrivé : 8, 24 et 35 ans. Faudrait-il trier le bon grain de l’ivraie, et séparer celles qui comme moi, ont utilisé le hashtag #MeToo, n’ont dénoncé personne et n’ont pas même exposé les faits, et celles qui ont choisi, au contraire, d’utiliser à plein la force humoristique de #balancetonporc, raconté sans détour ce qui leur était arrivé, et parfois même (très rarement, il faut le souligner) nommé celui qui les avait agressées ?

    Pour moi, la réponse est claire : entre la sobriété et la provocation, la retenue et le récit, c’est une simple question de style, peut-être d’âge ou de sensibilité – peu importe, au fond. Le fait important, c’est justement la rencontre évidente, amicale, solidaire de ces façons d’agir différentes. Ce que nous disons, ce que nous faisons en ce moment, est pour l’essentiel identique. Nous témoignons. Il n’y a pas moins de pudeur chez les unes que chez les autres, pas plus de vulgarité chez les autres que chez les unes.

    Ce pari sur l’intelligence dit une chose simple : ce qui se passe aujourd’hui n’est en rien une mise en cause du charme, du plaisir ou de la séduction. Il faut en finir avec ces amalgames : tout le monde sait parfaitement distinguer la séduction et l’agression. Tout le monde. Que l’on tente de séduire, ou qu’on se laisse séduire, on sait quand l’autre consent, et on sait quand on consent soi-même. La séduction, c’est justement l’art de lever un à un les possibles malentendus.

    Et c’est notre chance que cela ait été dit en premier par les actrices, ces incarnations de la séduction, dont nous admirons les silhouettes, dont nous aimons qu’elles montrent leurs jambes et leurs décolletés. Les comédiennes n’acceptent plus comme une fatalité de risquer les pelotages et les violences. Elles ne sont pas du gibier pour libidineux de petite ou de grande catégorie. Leurs témoignages sont comme ceux de milliers d’anonymes, et comme le mien aussi : l’appel à une nouvelle civilité sexuelle.

    #Féminisme #Consentement

  • Pourquoi n’avons-nous plus vraiment peur de la bombe ?
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/10/05/pourquoi-n-avons-nous-plus-vraiment-peur-de-la-bombe_5196654_3232.ht

    Soixante-douze ans après les premiers – et uniques – bombardements atomiques, menés en août 1945 sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, voilà que ressurgit le spectre de la guerre atomique, et derrière lui son cortège d’images apocalyptiques. Une perspective inouïe, terrifiante, que l’on a un peu vite reléguée à l’arrière-plan avec la fin de la guerre froide.
    Banalisation

    Les spécialistes, pourtant, ne cessent de le répéter : le risque d’une attaque nucléaire est aussi grand aujourd’hui qu’à la fin des années 1980 – si ce n’est plus. Pourquoi alors un tel déni de réalité ? Les peuples et les chefs d’Etat auraient-ils estompé dans leur imaginaire le pouvoir mortifère de cette arme de destruction massive ? Et le vrai danger ne réside-t-il pas précisément là, dans cette banalisation de la bombe atomique ?

    A tort, estiment les experts, pour qui la menace du nucléaire militaire n’a jamais disparu. « Aujourd’hui, le danger d’une catastrophe nucléaire est plus important que pendant la guerre froide, et la plupart des gens l’ignorent avec joie », affirme même William J. Perry. Secrétaire américain à la défense de 1994 à 1997, ce démocrate a publié My Journey at the Nuclear Brink (Stanford University Press, 2015, non traduit en français), ouvrage dans lequel il détaille les menaces actuelles. Parmi elles : une guerre nucléaire régionale entre l’Inde et le Pakistan – avec des impacts mondiaux dévastateurs. Et les dangers se sont encore intensifiés depuis la publication de ce livre.

    Moscou et Washington modernisent et renforcent leur domination nucléaire, la Corée du Nord est devenue le neuvième pays dans le monde à posséder l’arme atomique, l’Iran est technologiquement en mesure d’être le dixième… A quoi s’ajoute l’éventualité d’un conflit « non conventionnel », au cours duquel des armes nucléaires échapperaient aux contrôles étatiques et internationaux.

    Dès lors, comment expliquer que ce risque soit si peu débattu ? Que la peur de l’atome militaire ne soit pas plus palpable ? « Cet aveuglement est dû avant tout à l’énormité des conséquences qu’aurait une guerre nucléaire », répond Jean-Pierre Dupuy. Cet ingénieur général des Mines devenu philosophe rappelle la pensée fondatrice de l’Allemand Günther Anders (1902-1992) au sortir de la seconde guerre mondiale : lorsque le mal devient énorme, nous ne pouvons plus nous le représenter.
    « On sait qu’une destruction nucléaire intégrale est possible d’un point de vue abstrait, mais le néant est la chose la plus difficile à se figurer », abonde le philosophe Michaël Fœssel.

    #Nucléaire #Bombe_atomique #Guerre