Longue discussion avec ma grand-mère hier à l’occasion d’un livre qu’elle a lu sur l’histoire d’une famille qui vivait près de son village.
Un petit village donc, niché dans les montagnes de Toscane, avant la guerre, la faillite, et l’exil en France. Une famille paysanne pauvre. Beaucoup d’autoproduction, peu d’achats. Un peu de café, et un peu de sucre. Conservé précieusement, qui servait quand quelqu’un était malade, et qui avait perdu son goût depuis longtemps.
Une petite parcelle de châtaigniers, et les châtaignes récoltées qui servaient à faire la polenta pendant l’hiver. Mais il fallait d’abord les faire sécher à la fumée d’un feu qui durait un mois et qui ne devait pas s’arrêter. Les adultes se relayaient une nuit après l’autre pour continuer à alimenter le feu. Mais le séchoir a été détruit par un incendie pendant la guerre et les châtaigniers sont morts de vieillesse ou de maladie. Son grand père pelait quelques châtaignes cuites au feu de bois le matin pour les lui apporter dans son lit, seul souvenir doux de cette discussion.
En été le lever était à 5h du matin, puis il y avait la traite des bêtes - une chèvre et huit brebis - qu’il fallait emmener sur les pâturages jusqu’à environ dix heures du matin. Il y avait aussi un âne pour porter des charges. Quand le temps ne s’y prêtait pas, il fallait les nourrir de fourrage, qui était composé d’herbes sèches fauchées dans les champs, mises en fagot, et transportées à dos d’âne et parfois à dos d’hommes ou de femmes, comme c’était le cas pour ma grand mère qui allait récolter le fourrage, parfois sous la neige. Tout était transformé en fromage, mais les malades avaient droit à du lait chaud.
Mises à part les châtaignes, les autres bases de subsistance étaient le blé et le maïs. La récolte du blé se faisait à la faucille, sous une chaleur de plomb. Les champs étaient labourés par des bœufs d’une famille plus fortunée, et chaque jour de labour était facturé trois jours de fauche ce qui n’était pas du goût de ma grand mère qui se serait bien passée de ces journées supplémentaires de travail harassant. C’était avant l’arrivée des tracteurs et des moissonneuses batteuses dont je garde quelques vagues bons souvenirs quand j’étais petit garçon. Il y avait déjà une machine rudimentaire pour battre le blé. Le blé était transformé en farine pour les pâtes et le pain, et le maïs en farine grossière pour la polenta. Il y avait aussi des pommes de terre mais la discussion ne s’est pas attardée dessus.
Pour accompagner les pâtes, un peu de sauce composée d’une petite cuillère de concentré de tomates, et de champignons ou de volaille selon les jours et les disponibilités. Le potager n’était pas luxuriant car il n’y avait pas d’eau pour arroser, et il n’y avait pas de traitement donc certaines années il y avait beaucoup moins de tomates que d’autres. Un peu de basilic mais pas de pesto, les noix étant vermoulues.
La basse cours était tenue par la mère de ma grand mère, il y avait une dizaine de poules, principalement pour les œufs dont certains étaient vendus. Sûrement des lapins mais je ne me souviens plus. Il y avait une paire de cochons, et la famille de ma grand mère s’en réservait la moitié d’un et vendait le reste. Ma grand mère me montre avec sa main la taille des morceaux de saucisses dont ils avaient droit au repas, environ la taille d’une moitié de pouce.
Il y avait des oliviers pour faire l’huile. Mais lorsque je lui ai parlé de la saveur incomparable de l’huile de Toscane (jusqu’à récemment, nous ramenions une dizaine de litres chaque année comme paiement d’un fermage sur certains de nos oliviers), ma grand mère me disait que la qualité n’était pas la même car ils pressaient aussi les « olives de terre », les olives piquées par la mouche et qui étaient tombées prématurément. Emmener les olives et ramener l’huile au pressoir local semblait être une épreuve pénible sur les chemins escarpés. Quelques figues étaient séchées en été.
Le bois de chauffage se faisait à la hache et à la scie, et consistait pour des raisons évidentes de bois morts et de diamètre raisonnable. La cheminée chauffait la maison exiguë, et quand le vent du Nord soufflait, le feu faisait de la fumée et il fallait entrouvrir la porte qui laissait entrer l’air glacial. Pour la nuit des braises étaient tirées du feu et placées sous le lit.
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Voici un aperçu de la vie de ma grand mère, mais je me suis promis de l’enregistrer et de l’interroger plus longuement la prochaine fois.
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