Des internautes libyens torturés entendus par un juge français

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  • Des internautes libyens torturés entendus par un juge français
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    Jalal A. arrêté le 10 février 2011 à Benghazi, en Libye

    Jalal A. a été arrêté le 10 février 2011 à Benghazi, en Libye. Il écrivait des articles sous pseudonyme sur Internet pour dénoncer le régime et la corruption –– les agents de la sûreté en avaient copie, ainsi que des messages qu’il avait envoyés de sa boîte mail depuis 2004. Plusieurs de ses contacts ont aussi été arrêtés. Son témoignage a été recueilli le 25 juin 2013 par le juge d’instruction parisien Claude Choquet, l’un des magistrats chargés du dossier Amesys.

    "J’ai été torturé pendant quatre jours par des décharges électriques, des coups de pied, toutes sortes de coups. On m’a suspendu aux portes, sans parler de la torture psychologique et morale, car on m’interdisait d’aller aux toilettes, de dormir. Les agents de sûreté libyens sont très compétents dans plusieurs méthodes de torture."

    "J’étais suspendu en haut de la porte, le corps d’un côté, et de l’autre côté les mains menottées. Mes pieds ne touchaient pas terre. Ils repoussaient la porte comme pour la fermer, et je restais ainsi bloqué et suspendu, pendant qu’ils m’interrogeaient. J’étais habillé mais j’avais une cagoule sur la tête. Je restais comme ça selon leurs besoins et, quand ils avaient fini de m’interroger, ils ouvraient brutalement la porte et je tombais. Ça pouvait durer quinze minutes ou trois heures, selon leur humeur (…...)"

    "Il y avait deux méthodes pour l’électricité, soit par un bâton électrique, soit par des câbles. Je ressentais la décharge, mais je ne voyais pas l’objet. Pour le câble, on m’enlevait la chemise. Ils touchaient les parties sensibles, derrière les oreilles, les parties génitales et le ventre, au niveau du nombril. Ils me frappaient avec un câble électrique très épais, sur toutes les parties du corps sans exception." Jalal a été libéré onze jours après son arrestation.

    Mohamed A. arrêté le 16 février 2011

    Mohamed A. a été arrêté le 16 février 2011, et relâché six mois et cinq jours plus tard. Il avait posté une vidéo sur la révolution tunisienne et correspondait avec des journalistes, des opposants et des juristes. Il a témoigné devant le juge français dans l’affaire Amesys le 27 juin 2013.

    "Le 20 février [2011] , on m’a sorti de ma cellule à 3 heures du matin. On m’a présenté au directeur de la prison d’Abou Salim. Il dormait sur un matelas dans une tente et il était ivre. Il y avait un groupe de militaires à côté de lui. Il a commencé à m’insulter et à m’humilier. Les soldats ont commencé à me frapper et à se moquer de moi en disant : “’Vous, les internautes !’” J’avais les pieds nus et ils m’ont mis un sac sur la tête. On m’a fait marcher à un endroit où il y avait des épines et où il faisait noir. On me tirait avec violence. Quelquefois, on me laissait me cogner contre le mur et d’autres fois on me poussait contre le mur."

    "Ensuite, on m’a fait entrer dans un endroit sombre. Il y avait cinq personnes, on m’a fait me mettre à genoux face au mur. Ils n’ont pas arrêté de m’insulter, de m’humilier. Ils disaient : “’Tu vas voir ce qu’on va faire de toi.’” Ils m’ont rappelé que, courant 1996, il y a eu une tuerie dans cette prison, 1 250 personnes sont mortes. Ils faisaient comme s’ils allaient me tuer immédiatement (...…). J’étais à genoux et j’ai senti l’arme sur mon cou, et j’ai entendu l’armement de la culasse."

    Mohamed G. arrêté le 17 février 2011

    Mohamed G., étudiant, a posté des messages contestataires sous pseudonyme sur Facebook et Yahoo. Arrêté le 17 février 2011, libéré le 24 août, il a témoigné devant le juge le 5 juillet 2013.

    "Au départ, ils m’ont demandé de me déshabiller, j’ai enlevé le haut et mes chaussures mais j’ai refusé d’enlever mon pantalon. (...…) Ils ont utilisé une sorte de bâton un peu flexible et ils m’ont donné des coups sur toutes les parties du corps. Ensuite, ils ont ramené une machine électrique avec laquelle ils me touchaient le corps à plusieurs endroits dont les parties génitales, et j’ai gardé des traces de cela pendant longtemps."

    "Il y avait aussi une autre position, mon corps était allongé sur le dos au sol et mes jambes sur le siège d’une chaise ; l’un des tortionnaires s’asseyait sur mes jambes, un autre sur la poitrine. L’un d’eux a ramené une bouteille d’eau de 1,5 litre et m’a fait boire toute la bouteille. Après, ils m’ont mis en position devant la fenêtre ouverte, j’étais debout, j’étais torse et pieds nus, c’était l’hiver, il faisait froid. (...…) J’ai fini par bouger un peu ma tête. Je ne voyais rien derrière et, lorsque j’ai bougé un peu ma tête, j’ai reçu un coup de cendrier dans la tête. Ils m’ont dit que si j’avais besoin d’aller aux toilettes je devais faire dans mon pantalon."

    Franck Johannès