Bassem Youssef + Hishem Fageeh = révolution culturelle

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    Yves Gonzalez-Quijano
    Culture et politique arabes
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    « Culturelle », la révolution arabe ne se joue donc pas dans la seule arène politique. Celle-ci a bien entendu toute son importance, mais il faut de plus en plus lui adjoindre d’autres territoires de révolte qui relèvent de ce que l’on place dans ces chroniques, faute de meilleur terme, sous l’enseigne de la « culture » (entendue, naturellement, au sens le plus large du terme). Largement épargnée – in chah Allah ! – par les révoltes populaires dont les échos se font à peine entendre dans quelques-unes des provinces de l’Est du pays, l’Arabie saoudite affronte une autre « guerre civile », qui mobilise une bonne partie de la population contre les excès rigoristes de la « brigade des mœurs » locale. Depuis le tristement célèbre incendie d’une école de filles à La Mecque en 2002 (les victimes n’avaient pu être sauvées par les mâles secouristes car, à cette heure matinale, elles étaient dans un trop simple appareil), la société saoudienne est secouée de rébellions récurrentes qui se nourrissent de petites explosions quand telle ou telle « victime » des excès des zélotes du « pourchas du mal » les ridiculise sur les réseaux sociaux.

    Feuilleton à rebondissement lui aussi car elles se succèdent depuis plusieurs années déjà, la dernière (en date) des campagnes visant à permettre aux femmes saoudiennes de conduire leur voiture est devenue, plus encore que les autres, un événement politique. Au sens strict du terme cette fois-ci dans la mesure où les (très modestes) formes organisées de l’opinion publique dans ce domaine se sont fait le relais modeste de cette question dans le débat politique. Mais également et surtout au sens où on l’entend dans ce blog, dans la mesure où la nouvelle sphère politique numérique, celle de la Toile et des réseaux sociaux, intervient désormais en force, et à visage de plus en plus découvert (une métaphore à prendre au pied de la lettre, aussi bien pour les femmes ôtant leur voile que pour les hommes affrontant une possible répression en sortant de l’anonymat).

    Icône – un terme clé lui aussi – des vedettes des stand-up comedies diffusées sur YouTube (ceux que la question intéresse trouveront l’article que j’ai écrit sur cette question dans le très bon volume intitulé Jeunesses arabes et édité par L. Bonnefoy et M. Catusse), Hisham Fageeh (هشام فقيه) vient de proposer, via la société productrice, Telfaz11, une vidéo qui « fait le buzz » d’une manière tout simplement… révolutionnaire ! Pastichant une chanson de Bob Marley, celui qui se définit dans ce clip, il faut s’y arrêter, comme un artist and social activist, propose, en anglais, sa version, en apparence très islamiquement correcte puisque non instrumentalisée (!), du célèbre No Woman, No Cry. Devenue No Woman, No Drive, le clip est un savoureux pastiche, parfaitement dans le ton de Bassem Youssef, de l’argumentaire islamico-machiste développé pour interdire aux femmes de prendre le volant.

    Bassem Youssef, Hisham Fageeh, et bien d’autres social activits : le combat de la culture numérique continue ! Thawra raqmiyya mustamirra (Révolution numérique permanente) dira-t-on, pour pasticher à notre tour ce qui se crie dans les rues du Caire et d’ailleurs…